mercredi 11 novembre 2009

Histoire du gars qui voulait mourir


Laframboise voulait mourir. C'est du moins ce que racontait Cloutier-dit-e'l'clou-à-Cloutier, vendeur de bière à crédit qui comptait sur les premiers du mois pour boucler son budget.

Autrement dit, E'l'clou-à-Cloutier avait un petit dépanneur dans un secteur pauvre et sale du centre-ville et sa clientèle était essentiellement constituée de personnes qui recevaient des prestations de vieillesse ou d'aide sociale.

Et Laframboise, qui ressemblait à un caniche maigrichon avec des yeux de hibou chauve, eh bien c'était comme la médiane de tous les calculs et statistiques qu'E'l'clou-à-Cloutier pouvait faire rouler dans sa tête pour se faire un tableau de sa clientèle-type.

E'l'clou-à-Cloutier ressemblait à mon beau-frère Jumbo, mais comme vous ne connaissez pas Jumbo je vous dirais qu'il aurait pu personnifier Mafalda avec une barbe. C'était un gros et grand gaillard qui vivait grassement sur le crédit des autres. Et gaffe à ceux et celles qui ne le payaient pas! Il se montrait alors intraitable et envoyait ses sbires chez-vous avec des bâtons de baseball aux bouts graissés à la vaseline pour empêcher la victime de retenir les coups.

Évidemment, il en fallait beaucoup avant qu'E'l'clou-à-Cloutier en vienne à cette extrémité. En bas de cinq cents dollars, E'l'clou-à-Cloutier savait se montrer magnanime en limitant sa cote à cinquante pourcent d'intérêt sur tout paiement qui n'était pas effectué dans le délai prescrit. Au-delà de cinq cents, il faisait travailler les trous du cul qui lui devaient de l'argent en les envoyant au front collecter l'argent de la canaille.

Cela dit, Laframboise voulait mourir...

Il s'en tenait toujours à deux caisses de vingt-quatre par semaine, avec deux ou trois paquets de cigarettes plus un pain plus un pot de beurre d'arachide.

Il payait toujours son dû au moment convenu, le premier, quand il recevait son chèque.

Sauf que ce premier-là, sa tante était morte.

Sa tante Imelda. Et il s'était saoulé la gueule tant et tant qu'il avait oublié de payer E'l'clou-à-Cloutier.

Laframboise fût doublement embêté: il n'avait plus d'argent et il n'avait plus rien à boire. Dans un cas comme dans l'autre, il lui fallait absolument aller voir E'l'clou-à-Cloutier.

Évidemment, E'l'clou ne voulut pas rajouter quoi que ce soit sur le compte de Laframboise, déjà passablement élevé.

-J'va's mourir si j'ai rien à boire mon bon m'sieur Cloutier! brailla Laframboise. Pour l'amour du bon Dieu, laissez-moé au moins une caisse avec un paquet de cigarette!

-Non c'est non. J'su's pas l'Armée du Salut calice! rétorqua E'l'clou.

-Une king can, hein? Avec deux, trois cigarettes! S'i'-vous-plaît mon bon monsieur! Ma tante Imelda est morte! J'va's mourir si j'en boés pas au moins une! La vie est trop dure!

-Non c'est non. Es-tu sourd hostie?

-J'va's mourir! Pitié m'sieur Cloutier! Rien qu'une gorgée... une poffe... J'attends l'héritage de ma tante Imelda... A' l'en avait d'coller! J'vas mouriiiiiir!

-Correct! Correct! Maudit braillard! Prends-toé une caisse pis un paquet d'cigarettes, mais oublie-moé pas une autre fois l'premier st-cibouère parce que tu vas avoir mal aux jambes!

-Merci m'sieur Cloutier! Vous êtes un homme bon! Ça en prend des gens comme vous, compréhensifs, attentionnés, dépareillés...

-C'est ça... C'est ça... Prends ta bière pis décrisse!

-Merci! Dieu vous le rendra au centuple!

-Ouin ben rends-moé ça à cinquante pourcent pis j's'rai ben content. Oublie-moé pas là cibouère, ok?


Du coup, Laframboise ne voulait plus mourir...

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