dimanche 4 janvier 2009
SEXE, TEXTE & CONTEXTE
Sa vie n'était que poésie pure et il passait le plus clair de son temps à déjouer le vocabulaire avec des airs de clairvoyant à rabais.
-Immonde est le monde. Émonde, Raymonde, émonde ce monde aux branches trop mal émondées! Ah! Poésie quand tu nous tiens!
Il s'appelait Rager. C'était un rond-de-cuir freluquet de trente-trois printemps qui ne se lavait jamais et avait les cheveux gras. Bref, c'était un génie selon lui.
-Génie. Oh! géniteurs ingénieux qui défièrent les ingénus pour cette ingénierie parfaite que le mot dit, dicton, diktat, dictée.
Rager était fou, bien sûr. Mais il avait tout de même obtenu son doctorat en littérature. Ce qui fait qu'il faisait assez d'argent avec sa chaire à l'université pour se permettre de jouer au fou sans se faire enfermer.
-Enfermer! Fermetures, fenaisons et fadaises! Oh! que les falaises de la vie sont longues à longer quand allongé sur les dunes, sans un rond ni une thune, je vois s'offrir à moi le spectacle d'un babouin errant dans la ruine-babines du destin cherrant!
Tous ses cours étaient bâtis sur ce même modèle. Rager se donnait en spectacle, le tabarnak.
-C'est dans le lot de l'au-delà que l'eau est vapeur. Impénitents du monde, je vous tends la main et vous dis que demain sera maintes fois une mainmise sur le surlendemain!
Orgueilleux comme dix, Rager n'aimait pas que l'on rie pendant ses récitals improvisés de crétin un peu schizo qui nous livrait sa logorrhée pendant trois heures.
-La poésie qué-bé-coi-seuh est notre fierté. Il n'en tient qu'à nous de la chérir, de l'aimer. Cela me rappelle l'un de mes poèmes, paru dans mon cent quatre-vingt-deuxième recueil de poésie aux éditions Cucul. «Gloire, oh gloire à la glaire qui gravit mollement les anfractuosités des viscères pour finalement choir dans un papier-mouchoir. Oh! Gloire à la glaire.»
Tout le monde fermait sa gueule et faisait semblant d'aimer ça pour avoir une bonne note. Après tout, c'était Rager. On l'avait vu dans les journaux, à la télé. Se pourrait-il que les journaux et la télé se méprennent tant que ça et fassent passer pour des gens de qualité des flopées de pauvres cons? Ben oui, c'est possible. You've got to be the right man at the right place. Tout le monde sait ça. Le talent, c'est quand il y'en a le moins qu'on le vante le plus parce que n'importe quel bon à rien peut espérer accéder à quelque chose de nos jours, n'est-ce pas?
Cette fois-là, Rager ne l'aurait pas facile parce que Julie s'en mêlerait. Julie Laflamme alias La Ventouse. C'était une nouvelle étudiante nouvellement inscrite en littérature parce qu'elle comptait rédiger ses mémoires de nymphomane. Et Rager lui était tombé dans l'oeil, peut-être parce qu'elle était nympho, justement, parce qu'il n'y avait pas de quoi émoustiller quelque fille que ce soit. Franchement, il était pas beau Rager et sa conception de l'hygiène personnelle était pour le moins moyenâgeuse. D'où la stupéfaction de Rager de se sentir soudainement sous l'emprise des hormones de la Ventouse, une fille qui fourrait avec n'importe quoi.
Elle tournait autour de lui, tout le temps, à lui faire sentir des désirs jusqu'alors contenus sous des mots imbéciles. Rager était vierge, voyez-vous. Et il se défoulait en mots en pas pour rire. Il s'était en quelque sorte marié avec son oeuvre, marié avec les mots comme il disait, ce maudit raté. Mais avec la Ventouse autour de lui, tout se transformait dans son corps, sa tête et sa queue. Julie Laflamme avait du sex appeal, c'est bien certain, et Rager était en train de faire des free games à sentir ses seins parfumés, à voir sa bouche gourmande, ses yeux vicieux... Brrr!
Ce qui fait que Rager se mit à faire ce qu'il avait toujours fait si stupidement: écrire des mots. Et il en a écrit, des mots, des milliers, pour chanter l'amour de la Ventouse.
-Oh! Belle comme l'éclat du soir qui sourit au jour quand la nuit s'efface!
Et des tas, oui des tas de phrases toutes aussi décousues et soporifiques. Sitôt mis le point final, Rager a pleuré, bien sûr, et avant que d'aller remettre son long poème à celle qu'il prétendait aimer, il alla porter son truc aux éditions Cucul pour une parution dans Syntagme-revue-de-poésie-québécoiseuh, ISBN 9892873.
Lulu, des éditions Cucul, lui confirma par écrit que son poème poche allait être publié dans le prochain numéro avec une dédicace pour Julie. Rager se chargea ensuite d'attendre la fin de son cours pour remettre ladite lettre à la Ventouse.
Tous les étudiants avaient quitté la salle de classe. Il ne restait plus que Rager et Julie.
-Tu sais Jujujujujuj-ulie, bégaya Rager, jejejejejeuh...
-Quoi? demanda Julie en cabrant son corps pour mieux faire exploser ses seins au regard du poète écharrognable.
-Jejejejeje... Je vais publier un poème, dans la revue Syntagme...
-Ah... Dit Julie en fixant la queue de Rager.
-Jejejeje... je te l'ai dédié. J'aimerais te le lire... quelque part...
-Chez toi ou chez moi?
-Heee... Je vis encore chez mes parents et hee....
-D'accord, chez moi. Tu viens?
Et là Rager, tout tremblant à l'idée d'avoir la première relation sexuelle de sa vie se met à mouiller son pantanlon, bien sûr. Une abondante production préséminale entretenue par des années de masturbation. Il conduit l'auto en bégayant à qui mieux mieux à propos des éditions Syntagme, des poèmes de Pablo Neruda et de Bernard Pivot, qu'il aurait déjà rencontré lors d'un colloque quelconque: qu'est-ce qu'on s'en torche!
Bon, arrivés à la coquette garçonnière de Julie, alias la Ventouse, le voilà qui s'installe sur le divan, timidement, et qu'il se met à réciter son poème à la nympho, déjà en robe de chambre de satin rouge style trip de cul cheap.
-Cela s'intitule Pour Julie... Je lis: Oh! Belle comme l'éclat du soir qui sourit au jour quand la nuit s'efface! Oh! Amour est amouré des amours qui s'enamourrache à s'amourracher sans s'arracher le safran qui s'affrète suite au safari des anachorètes et derviches tourneurs de l'amour amourraché qui...
Rager lisait cela sur un air trop cadencé, sans expression, comme un message télégraphique, tout d'un trait et sans changer de ton aux virgules. Julie, peu impressionnée, se dirigea vers Rager, lui enleva ses poèmes de la main et lui colla ses seins dans la figure.
-Laisse faire tes accrères... J'envie d'fourrer... qu'elle lui dit tout bonnement.
Rager voulut bien rajuster ses lunettes, puis reprendre sa lecture, mais Julie crissa une claque sur son poème et sa lettre des éditions Syntagme.
-J'va's t'vider les gosses, tu vas aimer ça! qu'elle lui dit le plus prosaïquement du monde en le crossant le plus vite qu'elle pouvait pour ensuite s'enfiler la carotte dans le bol à salade.
-Oua! Hou! Oh! disait Rager. Et plouf! Il n'était plus vierge. Son sperme avait jailli dans une chatte. Et il constata qu'il ne devait rien à la poésie cette fois-là.
-J'su's v'nu! Oua ! J'su's v'nu! déclara Rager.
-Ouin, ben faudrait qu'tu y'ailles Rager parce que j'doé dormir.
Rager s'est donc rhabillé puis tenta d'embrasser Julie qui, visiblement, n'aimait pas ça.
-Lâche ton lichage Rager pis bonne soirée, ké?
Une heure plus tard, Rager revenait frapper à la porte de la Ventouse pour lui dire qu'il l'aimait depuis toujours, mais elle n'était plus là ou bien ne répondait pas.
En fait, oui, elle était là. Elle lui a répondu au bout de dix minutes. Dix minutes! Il a cogné dans la porte pendant dix minutes, le con!
Julie lui a finalement crié quelque chose au travers de la porte.
-Heille! Crisse-moé 'a paix! On a juste fourré c'est toutte! Pis t'es ben qu'trop guimauve pour moé... Moé j'aime les hommes solides, farouches, indépendants. Toé t'es juste plate... Pis trop dépendant affectif... R'garde ta coupe de cheveux des Monkees... Hostie qu'c'est lette!
Rager revint chez-lui le coeur chaviré, la tête brûlante, les yeux lourds, mais la bite vidée.
Tout se mit à changer en moins d'un mois. Sa coupe de cheveux des Monkees fût bientôt remplacée par plus de coupe de cheveux du tout. Il troqua sa cravate de professeur contre un blouson de cuir noir. Et il se mit aussi à fumer de la drogue. Ce qui fait qu'il n'était plus le même et que ses étudiants ne le reconnaissaient plus.
-Aujourd'hui, on va parler de la vie... ouin... de la vie... disait Rager à ses étudiants éberlués. C'est ben beau la poésie, mais y'a pas juste ça dans 'a vie. Sacrement! La vie c'est faitte pour vivre, manger et fourrer aussi...
Julie ne fréquentait plus son cours, évidemment.
Rager, maintenant devenu un homme, n'écrivait plus de poésie. Il songeait plutôt à écrire un roman, l'histoire d'un type qui rencontre une salope et qui l'aime éperdument. À la fin ils se retrouvent et elle le suce longtemps.
-Les vers... Les rimes... La poésie... Pff! D'la maladie mentale! qu'il disait. Une béquille pour t'empêcher d'vivre pis d'fourrer!
Il ne se souciait plus de poésie. Il ne faisait plus de jeux de mots. Il n'était plus qu'un type comme tout le monde qui avait plongé sa queue dans des vagins.
-I' faut c'qu'i' faut, qu'il disait. Ouin. I' faut c'qu'i' faut. Calvaire d'hostie!
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Et c'est quinze mois plus tard que parût son esti de poème gluant dans la revue Syntagme, avec lequel il est, encore aujourd'hui, obligé de vivre. Hiarrr ! Hiarrr ! Hiarrr !
RépondreEffacerSyntagme remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien à la culture et à la maladie mentale.
RépondreEffacerSyntagme continue bon an mal an de vendre ses 400 exemplaires au total. Ils s'en tirent quand même bien grâce à des bourses totalisant 70 000 $. Assis sur ce tas de chocolat, ils envoient chier des types comme lui et lui. Ils savent ce que c'est que la vra de vra pouésie. La preuve, ils en vivent !
RépondreEffacerSyntagme se dissocie de tout propos intéressant.
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