Dorothée Laflamme était une vieille âme. C'est du moins ce qu'elle disait.
-J'ai été la mère de Sainte-Marie dans une autre vie, le comte de Saint-Germain-des-Prés et Sarah Bernardt.
Tout le monde le croyait. Enfin toute cette poignée de naïfs qui se faisaient vider les poches par la Laflamme, une hostie de crosseuse qui jouait à la sorcière moyennant de généreuses contributions de ses victimes, essentiellement choisies parmi des faibles d'esprit qui préféraient se faire remplir la tête par n'importe quoi plutôt que de combler leur vide intérieur par leurs propres efforts et leurs propres échecs.
D'où l'importance de développer les arts en bas âge pour mieux soutenir la psyché de tout un chacun, l'imaginaire demeurant le meilleur rampart de l'âme contre l'influence néfaste de ces charlatans qui détruisent l'esprit de leurs clients pour mieux se remplir les poches.
-Je parle d'égal à égal avec Bouddha, Apollonios de Tyane et le Prêtre Jean, disait la Laflamme, cette grosse tabarnak de siphonneuse de cash fêlée comme un chaudron de bines trop sèches.
La Laflamme avait l'air de l'une des participantes habituelles du célèbre quizz télévisé The Price is Right, une Floridienne dans la quarantaine aux chairs abondantes, les yeux et la bouche graissés de couleurs vives. D'ailleurs, elle ne s'appelait plus Dorothée Laflamme, mais Chakrala.
Et Chakrala, moyennant une généreuse rétribution, pouvait vous permettre de croître personnellement comme jamais au cours d'une fin de semaine initiatique dans un chalet située en Haute Mauricie, un chalet débordant de capteurs de rêves et autres chandelles. Elle vous faisait redécouvrir votre enfant intérieur, vous auscultait l'aura pour ensuite vous soumettre un plan de guérison comme l'on soumet un plan d'affaires: 200$ la session de méditation poche à regarder un mur comme n'importe quel autre mur qui n'aurait rien coûté ailleurs, 50$ pour un livre rempli de niaiseries ésotériques, 150$ pour un filtrage du corps à l'aide de grains de lin énergisés aux mantras, 1000$ pour sauter au stade intermédiaire en vue de retrouver ses réincarnations passées, 15 000$ pour un voyage astral à Pikokaka, célèbre sanctuaire brésilien de guérison transcendantale. Bref, rien que de l'hostie de marde de crosseuse qui entube des caves qui se cherchent pour rien et qui donneraient leur argent à n'importe qui pourvu qu'ils rêvent un peu, comme si leur switch était à off.
Chakrala ne l'a pas eu facile récemment. C'était la fin de semaine dernière, lors d'une de ses fameuses fins de semaine de retrouvage de l'enfant intérieur. Ils étaient au moins quinze personnes et, parmi le groupe, il y avait Luc Vermette, un gus qui s'était trouvé là par hasard parce que sa femme avait payé pour lui. Il se demandait bien ce qu'il foutait là, selon ce qu'il m'a rapporté, mais y est tout de même allé, pour satisfaire sa blonde probablement.
Laissons-le plutôt nous raconter son expérience...
-Ben... Ça a commencé par les arbres dans la forêt... Il fallait en pointer un du doigt et cet arbre nous représentait. Ça fait qu'la Laflamme demande à quelqu'un d'en pointer un. Le gars pointe un petit arbre rabougri. La Laflamme dit que cet arbre représente son âme petite, timide, aux prises avec un incroyable besoin de cheminer personnellement... Un autre hostie d'truc de crosseuse pour siphonner du cash tabarnak! Là j'me demandais c'que c'est que j'faisais là... Pis là, la Laflamme me demande de pointer un arbre. J'lui pointe le plus bel arbre toé chose, un gros christ de sapin, le plus gros, le plus droit, le plus grand. Tu sais c'qu'elle ma dit la Laflamme, l'hostie d'sorcière? «Cet arbre-là te représente: bien beau à l'extérieur mais intérieurement dévoré par toutes sortes de bébites!» Ah ben là! que j'lui ai dit. J'choisirais n'importe quel arbre qu'tu m'trouverais des bébites! Chakrala a rien répondu. Sinon qu'il fallait se reconnecter à des zones positives, des portes vers l'au-delà. Il y avait de l'énergie négative dans l'air et j'parie que ça v'nait d'moé... Puis on s'en retourne dans le chalet pour retrouver notre enfant intérieur. On se couche tous sur une table l'un après l'autre. Y'en a une qui commence pis qui s'met à brailler toé chose, waaaa! Pis elle pleure. Pis elle crie. Après, un autre se couche sur la table, même affaire, waaaa! il pleure, il crie. Puis vient mon tour... «Luc, tu vas retrouver l'enfant en toi!» que me dit la Laflamme. Pis là elle essaie de m'hypnotiser... Pas moyen. «Force-toi!» qu'elle me dit. «Concentre-toi!» qu'elle rajoute. Ce qui fait que j'me force, hum! hum!, j'm'efforce en tabarnak! Hum! Hum! Pis tu sais quoi?
-Non, que je lui ai répondu en prenant une autre gorgée de bière.
-Ben PRRRRRRRROUT! J'ai lâché un gros calice de pet! Hahaha! I' puait en plus! Hostie qu'i' puait!
-Hahaha!
-Pis là elle m'a remboursé et prié de retourner chez-moi, la Laflamme, en disant que j'étais pas prêt, que je dégageais trop d'odeur de soufre et d'énergie négative... Ça fait que j'ai crissé mon camp. Ma femme m'en a voulu toute la semaine. Mais elle finira par comprendre que j'suis pas un cave.
Aaaah tant de délicieux souvenirs remontent. Moui. Ohmmmmmm…
RépondreEffacerÉvidemment Chakarla n'avait pas reconnu le souffle du divin. Mais peut-être que le gaz a fait sauter Laflamme...
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