mardi 15 juillet 2008

Bob et la vieille noune catholique de la banque alimentaire


Bob n'avait plus un sou. Enfin, presque plus un sou. Il lui restait trois dollars pour passer la semaine. Trois dollars! Aussi bien dire qu'il ne lui restait plus rien pour se nourrir, lui-même, ainsi que sa femme et ses enfants.

Bob se sentait petit, laid, nul, minable. Pourtant il était grand, beau, plutôt brillant, mais né du mauvais côté de la clôture, né du côté où l'on fait la file à la banque alimentaire pour se nourrir un peu.

Les «bonnes relations», le «réseau de contacts» et toutes ces sornettes de crosseurs qui s'en mettent plein les poches, ça ne joue pas quand tu proviens d'un milieu où personne n'a réussi au sens où l'entendent les frais chiés et les snobs.

Quand tu fais ton chemin dans la vie à partir d'un milieu pauvre, tu pourrais aller porter des cévés partout, en te polissant les gencives à l'eau de javel, qu'il ne restera jamais de toi que l'image d'un type des bas-quartiers qui peut péter les dents des caves sans sourciller. Donc, on te laisse volontairement de côté, qui que tu sois. On préfère, justement les caves.

C'est du moins ce que se disait Bob en lui-même, en soupesant ses trois misérables dollars.

Ses trois dollars lui serviraient d'ailleurs à payer ses denrées à la banque alimentaire. Ce n'est pas parce que la banque alimentaire s'appelle Les artisans du bonheur que c'est gratuit.

Les administrateurs des Artisans du bonheur ont bien vite compris que charité bien ordonnée commence par soi-même. Ils se font donc la charité en demandant trois dollars aux pauvres pour leur fournir de beaux paniers de fruits et légumes pourris, du pain blanc passé date et des desserts défraîchis.

-Va pas te nourrir là! lui disait le gros Caouette, un débrouillard de la misère portant des culottes en coton ouaté trop petites pour lui. Va plutôt fouiller dans les containers à déchets derrière les supermarchés... Les fruits et légumes sont bien plus frais...

Le gros Caouette n'avait pas tort, même si on lui voyait la craque de cul. Les fruits et légumes étaient bien plus frais dans les vidanges qu'à la banque alimentaire.

Transitant d'un bénévole à l'autre, à la banque alimentaire, il ne restait plus en bout de ligne que des légumes mous formant un brouet digne d'une auge à cochons.

Pourtant, Bob se sentait trop orgueilleux pour fouiller dans les ordures. Il conserva précieusement son trois dollars pour les temps durs et, maintenant qu'il était en plein dedans, il pouvait s'acheter quelques sacs de bouffe à la banque alimentaire au lieu de se nourrir dans les containers.

Il y avait toujours moyen de ne pas payer à la banque alimentaire, mais l'humiliation à subir était trop grande. Il lui fallait alors rencontrer une travailleuse sociale qui lui posait toutes sortes de questions pendant une demie heure histoire de lui enlever le goût de revenir: depuis quand êtes-vous sur l'aide sociale, quels emplois avez-vous occupés, prenez-vous de la drogue, êtes-vous membre d'une minorité visible, déterrez-vous les morts pour les manger? D'la grosse crisse de marde, quoi.

La travailleuse sociale, c'était le traitement spécial pour les vrais pauvres, ceux qui n'avaient vraiment rien. Ça ne donnait rien de plus aux pauvres, sinon trois dollars de légumes pourris sans avoir à débourser quoi que ce soit.

Bob préférait avoir sur lui ces trois foutus dollars! Pas question qu'il se fasse sermonner par une connasse fraîchement sortie du Cégep qui commence son premier travail de sa vie, kapo dans une banque alimentaire...

Bob se présenta donc à la caisse avec ses trois dollars. On lui remit une facture et un numéro, le 347. On traitait en ce moment le 339. Ça ne serait pas trop long.

Une vieille nonne catholique, courte sur pattes, s'amusait à recevoir les affamés avant que de distribuer de la nourriture. Elle était blanche de tête, portait des lunettes faites de fonds de bouteilles ainsi qu'une pesante croix de bois autour du cou, Elle ressemblait à Zira dans La planète des singes, en moins humain. On lisait difficilement la bonté sur ce visage. On y devinait plutôt le besoin de se venger de Dieu sait quoi. Bref, une bonne graine lui aurait fait le plus grand bien.

La vieille nonne remettait des consignes aux pauvres qui étaient là: ne faites pas ceci, ni cela, c'est seulement trois pains par personne, etc.

À la fin de chaque rencontre, elle distribuait des chapelets, des prières, des bons mots pour les pauvres: il faut faire confiance au Seigneur, heureux celui qui aura cru sans avoir vu, et n'oubliez pas d'apporter votre trois dollars la prochaine fois!

Bob était en calvaire. La banque alimentaire bénéficie de fonds publics et ces tabarnaks de vieilles nonnes cassaient les oreilles des pauvres avec de l'hostie de religion culpabilisante...

-Nous ne sommes pas dans un État laïc et ça paraît, se disait Bob en tenant fermement sa facture, pour s'acheter trois piastres de pourri.

C'était maintenant le tour de Bob. La vieille touffe l'appella du doigt, comme un chien.

Bob lui présenta sa facture. La vieille soeur le dévisagea de haut en bas.

-C'est trois pains par personne... Et tenez, on vous donne aussi ces prières, ce chapelet, ces évangiles...

Bob explosa.

-Je suis athée madame. Je ne crois pas en Dieu. Jésus n'est pas ressuscité et il ne se passe pas plus de miracles de nos jours qu'il y a deux milles ans. Tout ça c'est de la connerie!

La vieille ne dit rien. Elle était dépassée par les événements. À une autre époque plus glorieuse du catholicisme, elle aurait pu faire monter Bob sur un bûcher. Alors que là, aujourd'hui, il fallait qu'elle s'attende à se faire traiter comme de la merde par des athées, des Bougon ou des restants de prison. Elle ne pouvait pas vraiment refuser de nourrir Bob. D'autant plus que les fruits et les légumes étaient pourris. Trois dollars c'est trois dollars. Élevée à la campagne, Soeur Fonds-de-Bouteilles connaissait la valeur de l'argent.

-C'est pas plus de trois pains par personne, répéta-t-elle.

Bob prit ses trois pains, ses fruits et légumes pourris, ses desserts liquéfiés et tout le vert-de-gris qu'il pouvait prendre sans avoir à faire de génuflexion.

Il crissa son camp en prenant tout de même le temps de remercier la soeur, la travailleuse sociale, la caissière et les bénévoles. Bob n'est pas assez malhonnête, contrairement à ses amis d'enfance, qui ont tous fait fortune dans le crime organisé.

Bob rapporta sa maigre pitance à la maison. Le gros Caouette, qui le prit en pitié ce jour-là, lui rapporta une pleine cargaison de parfum Polo qu'il avait trouvé dans le bac à déchets d'une pharmacie.

-Y'est encore ben bon, Bob. L'parfum sent encore ben bon. Essaye-lé! C'est pas parce qu'on est pauvre qu'on est obligé d'sentir le chat mort tabarnak!

Sacré Caouette...

Pendant ce temps, la viande, le fromage et tout le reste pourrissaient dans les congélateurs de la banque alimentaire. On les gardait pour les temps durs, c'est-à-dire pour les partys des bénévoles.

Ainsi, la Foi triomphait encore.

La Foi qui n'est rien sans la charité selon Paul de Tarse, alias St-Paul.

Amen.

1 commentaire:

  1. LOL !!!

    "Rita La Noune Des CC*"


    Misko


    *: Crétiens Catholiques

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