vendredi 18 juillet 2008

ON EST AU QUÉBEC ICITTE TABARNAK!

Je suis à 300 kilomètres au Nord du barrage Manic 5. Je prends une pause-café à un arrêt routier sur le bord de la route 389 avant que de repartir vers Labrador City, avec Craig, un gars de Terre-Neuve, à bord de son camion-remorque. La serveuse et sa belle-soeur jouent aux cartes. Chaque client les dérange.

-Ouin? couine la serveuse, une maigrichonne de cinquante piges à la peau ravagée par la cigarette. Sa belle-soeur n'est guère plus belle. Une grosse outre avec un regard de berger allemand.

-One coffe please, demande poliment Craig.

-E'l'café c'est deux piastres.

Craig ne comprend rien mais se fie à ce qu'il lit sur la caisse enregistreuse et tend un billet de cinq.

Elle lui sert son café. Elle sert le mien. Puis elle va se rasseoir devant la grosse. Pas de merci. Pas de bonjour. Rien. On les dérange...

-On est au Québec icitte... murmure la serveuse. I' pourraient pas parler en françâ?

On sort dehors prendre notre café.

-Oh! Man! Those girls are so ugly, eh?... Brrr... They were nicier in Baie-Comeau, eh? What d'you think about that, Gitane, eh?

-Gaétan... My name is Gaétan. It is not Gitane... Like gate, a fence y'know... Gate-an! Gaétan!

-Ok... Ga...Gitane! Eh? Is that right?

-Hum... That's ok...


Le soleil luit plus fort qu'au Sud. L'air est frais. Je me la coulerais presque douce si ce n'était de ce crosseur qui a planté son garage au milieu de nulle part, comme une araignée attraperait les mouches.

Le crosseur, un gros sale, la barbe pas faite, la moustache graisseuse, a un regard de bête féroce qui slurpe sa soupe et prend sa douche une fois par mois.

Dès que tu es pris dans sa toile, avec ton véhicule décrissé par le chemin de gravier qui s'étend de Baie-Comeau à Shefferville, tu sais que ça va te coûter cher en sacrement et que tu devras fermer ta gueule et vider ton portefeuille pour ne pas rester coincer dans la forêt boréale.

En voilà justement un qui est pris. Un vieux monsieur de Labrador City, une copie presque conforme du Colonel Sanders. Il a l'air plutôt propre, poli, distingué.

Sa Ford Escort fait des siennes. La boucane sort par le radiateur. Et le voilà qui s'explique avec le gros sale.

- I beg your pardon sir... monzieurre... salout...meurci boucouppe! It doesn't work... Kaputt!Passe bonne!!! No good! Do you understand me?

-Parle en français tabarnak! T'es au Québec st-chrême! C'est pas moé qui va s'forcer pour te parler en anglais asti de calice!

-I beg your pardon monzieurre? What did you say?

C'est là que j'interviens. Je parle d'abord avec l'anglais. Pour le gros sale, j'y reviendrai plus tard.

-Good afternoon sir. Gaétan Bouchard.

-Good afternoon. Richard Johnson. Nice to meet you.

-Nice to meet you. So, your car is broken?


-Qui parle en français hostie! Dis-lui ça! On est au Québec! Me dicte le gros sale.

-What did he say? me répond le colonel Sanders.

-Hum... He's saying what's the problem with your car.

-Oh! I see. Let me tell you... Gitane... Do I say it right? Gitane is your name?

-Gaétan... Like gate... a fence y'know. Gate-an...


-Ok... Ga...Gitane.

Bon. Passons cet épisode. Les anglais ne seront jamais capables de prononcer mon prénom. J'en fais mon deuil. Je serai toujours un gitan... ou une gitane pour les anglais. Ils finissent toujours par me surnommer Gypsy au bout d'une semaine. Ou bien Big Guy. Ou Gryzzly. Ou Sasquatch. Je vous jure. C'est ce que je leur inspire.

Je parle avec le colonel Sanders et traduis au gros sale ce qu'il me dit à propos des problèmes de sa Ford Escort.

Le gros sale consent à lui réparer ça dans l'heure qui suit à condition qu'il y mette le paquet. Le colonel Sanders sursaute quand je lui traduis les prix mais comprends qu'il n'a pas le choix.

Le gros sale se sent presque attendri par ma présence. Il me fait un clin d'oeil complice. Après tout, je parle français...

-Où c'é' qu't'as appris l'anglâ? C'est-tu dur d'parler en anglâ? Hostie! I' nous répondent pas en françâ quand on les visite en Ontario maudit tabarnak!

-Monsieur, vous avez de la merde sur la moustache, que je rêvais de lui dire...

L'affaire est conclue. Le colonel Sanders me remercie. Je dois maintenant le laisser seul, sans interprète, avec le gros sale.

Je remonte aux côtés de Craig dans son camion-remorque.

Craig fait tourner un CD de musique traditionnelle terreneuvienne. Cela lui rappelle Terre-Neuve qu'il me dit.

Je lui demande si les filles de Labrador City sont plus belles que les deux tartes qu'on vient de voir.

-Of course! my friend. That's for so fucking sure! Brrrr!!!

ÉPILOGUE

Quelques années sont passées. Je suis de retour à Trois-Rivières et prends une bière au Zénob, un petit bar sympathique de la rue Bonaventure. C'est le Festival «international» de la poésie et une poétesse brésilienne, teint café au lait, cheveux noirs, yeux un peu défoncés par la marijuana peut-être, déclame des vers en portuguais. Je n'y comprends foutrement rien.

Tout le monde l'applaudit, stupidement, même moi.

Passant près de moi, la Brésilienne se sent attirée par le tatouage que j'ai sur le bras, un corbeau à deux têtes qu'un pote Haïda m'a tatoué lors d'un séjour en Colombie-Britannique.

Comme elle ne parle pas français et que je ne parle pas portuguais, hormis quelques mots tirés de chansons que j'aime, nous communiquons donc en anglais.

-What's that, on your arm? qu'elle me dit en saisissant mon bras. What does it mean? me dit la Brésilienne, sur un ton envoûtant.

-It's a black crow with two heads,
dis-je sur un ton nonchalant. It means...

-
Heille! On est au Québec icitte! rote un connard derrière nous. On parle en françâ au Québec!

Du coup, je pète les plombs.

-Mon
hostie de tawouin du christ! J'la parle ben comme faut ta calice de langue de singe! Veux-tu ben m'crisser la paix pis aller t'crosser dans l'drapeau du Québec e'l'plus loin possible de moé, christ de cave? Hostie! Elle vient du Brésil, le con! Elle parle juste le portuguais pis l'anglais. Faut-tu qu'A' suive un cours de français st-calice avant que de passer trois jours au Québec?

Le con, un universitaire aux traits d'inquisiteur affamé, prend son trou. Je suis quatre fois plus gros que lui. Ça rend moins patriote.

Je poursuis ma conversation en anglais, avec la Brésilienne, et ne couche pas avec elle ce soir-là ni les autres soirs. J'ai juste parlé en anglais, pour apprendre quelque chose que je ne connaissais pas.

C'est ma manière d'être patriote que d'être toujours plus poli et plus intelligent, voire plus cultivé.



Aucun commentaire:

Publier un commentaire