mercredi 20 janvier 2010

AOÛT 1977: CHEZ-NOUS, VOLEUR, COUPER MAIN!

Herménégilde Dupont n'était pas un gars achalé. Ce solide gaillard, retraité de la Céhayepi *, n'avait pratiquement pas de terrain derrière comme devant chez-lui. En fait, il n'y avait pas un arbre dans le quartier, hormis celui de ses voisins immédiats, les Gonthier, qui avaient planté un lilas sur le pied carré de terrain vague qui leur tenait lieu de jardin.

Dupont avait décidé d'y planter des tomates, des piments, de la salade, des haricots et des radis, comme du temps où il vivait à la campagne sur la rive Sud, à St-Rémi-de-Tingwick. C'était dans les années '30. Ce qui ne rajeunissait pas Dupont. Et d'ailleurs, c'était le temps qu'il songe à s'acheter un nouveau dentier. Celui qu'il portait était pas mal ébréché.

Donc, c'était l'été de 1977. Le Parti Québécois était au pouvoir et la plupart s'en calissait dans le quartier. C'est bien beau vendre du rêve mais le peuple ne rêve pas quand il a faim. Il compte chaque sou. Et il n'a pas ces appétits des beaux parleurs qui souhaitent devenir calife à la place des calices.

Mais laissons-là ces politicailleries et retournons au potager de Dupont, le retraité de la Céhayepi, cinq pieds quatre pouces, toujours rasé de près, cheveux clairsemés sur le front, teints en noir et ramenés par derrière avec du Brylcreem.

D'abord, le potager était situé au beau milieu de la rue P'tite-Pologne, près de la Wabasso. Sur la rue, on le sait déjà, il n'y avait que le potager et le lilas des Gonthier pour rappeler qu'il y avait de la végétation dans le coin. On aurait dit des boîtes en papier briques entassés sur un terrain de stationnement avec derrière un terrain vague pour ramasser les vidanges. Même que derrière c'était plus beau que devant, plus naturel.

Un potager dans le quartier, c'était du nouveau. Et les voleurs en profitèrent, évidemment. Ou bien le voleur. On a jamais su c'était qui et combien ils étaient. Les hosties de crottés ont volé les piments de Dupont et quelques tomates par une nuit chaude du mois d'août. Dupont était dehors, ce matin-là, avec sa bière, les gaguettes en l'air parce qu'il était en beau tabarnak.

-Tabarnak d'hostie d'voleur de calice! Que j'te me le pogne c't'hostie d'chien pis j'm'en va's i' faire vouère des étouèles moé calibouère!

Gonthier opina du bonnet. Il n'avait pas de bière dans les mains puisqu'il ne buvait pas. Il mesurait cinq pieds dix pouces et demi. Pesait deux cent cinquante-deux livres. Il n'utilisait pas de Brylcreem mais peignait ses cheveux comme Dupont les peignait et plein d'autres les peignaient encore ainsi dans le quartier hormis les filles, les drogués et les hippies. Gonthier travaillait pour la ville. Il chauffait des autobus. Et il n'avait pas d'auto. Il n'avait pas besoin de ça, un char. C'était une deuxième famille, un char, et sa famille était constituée de huit garçons qui mangeaient comme des ogres.

-Ouin, dit Gonthier. Voler des retraités d'la Céhayepi dans un quartier pauvre, faut-i' qu'i' souèyent des hosties d'pleins d'marde, hein?

Sur ces dires, voilà qu'arriva monsieur Phêt. C'était un Cambodgien dans les soixante-dix ans qui venait d'arriver au Québec avec sa famille, des réfugiés qui avaient fui Helter Skelter alias Pol Pot ainsi que son armée de cannibales, les Khmers rouges.

Monsieur Phêt mesurait cinq pieds quatre pouces, comme Dupont, et il ressemblait vaguement au Dalaï Lama avec plus de cheveux. Pour ce vieux Cambodgien, rien n'était plus beau que le potager de Dupont et il prenait un plaisir fou à discuter avec Dupont de trucs agricoles. Monsieur Phêt avait grandi à la campagne, comme Dupont, avant que de devenir architecte à Phnonm Penh. Comme il portait des lunettes, il avait dû s'enfuir puisque tous ceux qui portaient des lunettes étaient systématiquement conduits vers l'extermination par le travail forcé.

-Chez-nous... Voleur... Couper une main! déclare-t-il à Dupont, en furie lui aussi de savoir qu'on avait pillé son potager.

-Tabarnouche! de s'étonner Dupont.

-Voler deux fois? Couper deux mains! poursuivit monsieur Phêt.

-Ah ben j'ai mon voyage! de renchérir Dupont.

-Voler quatre fois? Plus capable de manger. Plus capable de marcher, rajouta monsieur Phêt.

-Ben icitte, de poursuivre Gonthier, on lui fera faire des travaux communautaires pis on va signer qu'il les a finis avant qu'il les ait finis... Hein Dupont? Ha! Ha!

-Y'avait juste à m'en d'mander. Un piment? Une tomate? Tiens mon ami, sers-toé! J'y en aurais donnés tabarnak! de conclure Dupont en prenant une autre gorgée de bière.

-Chez-nous, voleur, couper main! répéta monsieur Phêt.

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*Céhayepi = CIP-Canadian International Pulp and Paper Company)

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