mardi 17 mars 2009

ONÉSIME LE WATCHMAN


Monsieur Onésime Duberger est un petit monsieur de cinq pieds cinq pouces, cent quarante livres, qui vit dans la chambre 103 de l'aile des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Les autres préposés disent qu'il a le diable dans le corps et qu'il essaie toujours de leur calisser des coups de poings, quand ce n'est pas des coups de canne.

Je ne suis pas plus brillant qu'un autre, mais plus con non plus. Le premier soir que je le rencontre, je sais déjà à quoi m'attendre. Rémi, le préposé de l'autre étage, me l'a bien dit.

-'ttention avec m'sieur Duberger... Tu t'approches de lui pour l'emmener manger ou ben don' pour le coucher, pis là i' t'tabarnaque un coup d'poing quand qu'tu t'y attends pas... Moé 'ai faitte du téquouannedo pis j'voés l'coup v'nir... Oua! Comme Bruce Lee 'stie!

Et là Rémi de faire deux ou trois passes de shadow boxing pour niaiser, comme ça.

Bon, d'abord m'informer sur ce m'sieur Duberger. Je vais l'avoir par la ruse.

J'apprends des infirmières qu'il a été watchman toute sa vie à la vieille usine de lacets de bottine. Quarante ans de service le p'tit père. Et il avait attrapé la maladie d'Alzheimer. Du coup, on le transféra dans la chambre 103.

-Y'est icitte depuis trois jours, me confia Gisèle, la préposée au ménage, souvent plus loquace que l'infirmière. Pis imagine-toé don' qu'i' s'pense encore agent de sécurité! I' passe ses journées à faire ses rondes pis à noter ses heures sur un papier. Moé quand j'passe j'lui dis tout l'temps «Rien à signaler!» pis i' m'répond «Rien à signaler!» en riant, toé chose. Faut les prendre comme qu'i' sont, c'est toutte. Ça sert à rien d'casser leu' trip.

Sur ces sages paroles, je m'en vais voir m'sieur Duberger pour le ramener vers sa chambre. C'est l'heure de se coucher. Si je me fie à Rémi, je vais devoir éviter une rafale de coups. Je vais plutôt me fier à Gisèle.

-Bonjour m'sieur Duberger, que je lui dis tout de go, rien à signaler?

-Rien à signaler! Héhé! qu'il me répond avec un doute dans le regard.

Un doute que je me charge tout de suite de dissiper.

-C'est l'heure du changement de chiffre, m'sieur Duberger. C'est moé qui viens vous remplacer. J'm'appelle Guétan. Vous ça fait longtemps qu'vous êtes agent de sécurité icitte?

-Ah! au moins quarante ans! qu'il répond.

-Y'a un gars qui va venir vous réveiller demain pour le changement de chiffre. Vous allez recommencer à sept heures demain matin.

-Sept heures hein? Ok.

Et là je l'emmène vers sa chambre. Je lui parle de la pluie et du beau temps. Je lui tends son pyjama. Et hop-là! M'sieur Duberger est couché dans son lit.

-J'commençais à être pas mal fatigué, là. On fait des longs chiffres... Le chiffre de jour, le chiffre de nuitte... Mais pourquoi qu'i' faut coucher su' 'a job à c't'heure?

-C'est pour une question de sécurité, j'imagine.

-Ah oui, la sécurité...

-Bon ben, bonne nuit m'sieur Duberger! Vous avez faitte d'la belle job aujourd'hui. Vous avez gagné l'droit d'vous r'poser.

-Ah ça c'est ben certain. Comment c'que c'est qu'tu t'appelles déjà?

-Guétan.

-Réjean?

-Guétan.

-Gaston?

-Guétan.

-Roland?

-Laissez faire m'sieur Duberger. Bonne nuitte.

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