jeudi 6 février 2014

Le courage de Gros Mongol

Il n'y a pas de meilleure bataille que celle que l'on sait perdue d'avance.

Monter au front pour gagner à coup sûr, ce n'est même pas un passe-temps agréable.

Tandis que monter au front avec la certitude d'en manger toute une relève de la soif d'impossible.

Bien entendu, certains pisse-vinaigres seraient portés à dire que cela relève plutôt de la bêtise, de l'irrationalité, voire de la témérité.

D'autres, cela se comprend déjà, y verront plutôt la marque indélébile du courage, qui se mesure toujours mieux à l'aune de la défaite.

Voilà pourquoi Francis-Elphège Clavet alias Gros Mongol était du genre bulldozer.

Il voyait la cause, la défaite, l'impossible, et il fonçait comme un bulldozer sur un stade olympique qui serait plutôt solide, même si la métaphore ne l'est pas trop.

Gros Mongol était gros, évidemment, et il ne s'en plaignait pas puisqu'il était capable de donner un coup de pied à la hauteur de son visage pour ouvrir sa porte de garage ou bien sa porte de shed. Ce qu'il ne faisait presque jamais.

Quand il le faisait, eh bien Gros Mongol se mettait à faire des moulinets avec ses bras comme s'il était Bruce Lee. Par ailleurs, Gros Mongol avait des yeux en amande à force d'avoir le visage bouffi de gras trans ou pas trans du tout.

-Gnâf! disait-il. Ej'file pas mal karaté aujourd'hui... Faudrait qu'ej'aille bûcher du bois ou ben don' tenter de faire què'ques cents avec mon hostie d'taxi...

Gros Mongol chauffait des taxis. Comme moi. Comme vous. Bref comme bien des gens. Même lui.

Et il supportait toutes les causes les plus perdantes qui soient, dont l'indépendance du Québec, la lutte contre l'ajout de fluor dans l'eau potable et la fin de la corruption dans l'industrie municipale.

Pas besoin de vous dire que Gros Mongol avait l'air fier comme un paon d'être aussi teigneux, marginal, chiâleux et porteur de pancartes.

-Moé mon père m'a dit de jamais es'laisser marcher su' 'es pieds dans 'a vie! Ça fait que moé me laisse pas marcher su' 'es pieds! Get up stand up for your rights câlice! qu'il répétait inlassablement, Gros Mongol.

Ils étaient toujours une poignée à manifester et cette poignée-là ne les gagnait pas toutes, loin de là. Voilà pourquoi Gros Mongol se tenait souvent parmi eux.

Enfin, c'était mieux que de toujours gagner et d'avoir l'air d'un chocolat emballé dans du papier de toilette aussi cher que des bouchons de bain syndicaux à six cents piastres l'unité.

Ce qui fait que Gros Mongol aimait sa vie et qu'il se trouvait même des gens pour aimer Gros Mongol.

La vie est incompréhensible, n'est-ce pas? Hein?


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