mardi 26 février 2008

IL ÉTAIT UNE FOIS UN PAYS DE CUL

Il était une fois un pays de cul gouverné par un seul.

Il était gouverné par le seul et le même, depuis toujours, et tout ce qu'il disait était pure poésie aux oreilles du peuple.

«En avant camarades pour le grand bond en avant de la révolution éternelle!» disait l'Unique, le Grand Chef bienaimé, le Soleil du peuple, le charismatique et talentueux ami de tous pour le bien de tous.

Et on l'applaudissait, dans la rangée d'en avant, surtout, parce que l'avant-garde comprend mieux les choses que le peuple, qui n'a pas encore parfait sa connaissance des classiques de la révolution éternelle. Et puis il faut bien qu'il y en ait qui travaillent pendant que d'autres s'occupent de leur trouver de quoi donner un sens à leur vie d'éternels esclaves.

-Le sens de la vie, camarades, c'est le combat! disait l'Unique. Et ce combat, c'est le mien. Nous allons mené ensemble ce combat contre ceux qui ne me reconnaissent pas en tant qu'Unique! Je suis votre personnalité! Je suis Vous. Donc je suis Nous. Et vous, hein, vous n'avez qu'à me laisser faire, croyez-moi je vais m'occuper de tout.

-Hourra! Hourra! criaient mollement les poltrons de la rangée d'en avant pendant que le peuple se demandait s'il allait pleuvoir le lendemain.

-Et viva la vérole lotion!.... je veux dire la dévolution! Enfin, la révolution... On a beau être l'Unique qu'on a parfois un chat dans la gorge...

-Hourra! Hourra encore! répliquaient quelques imbéciles.

Tout aurait pu se passer ainsi pendant encore quelques décennies. Le record absolu étant de soixante-dix ans pour un pays gouverné par l'Unique ou son beau-frère.

Pour ce pays-là, cela ne dura même pas quarante ans. La dictature c'est comme la cordonnerie: le sens du métier se perd. On ne fait plus d'aussi bons souliers comme on ne fait plus d'aussi longues bottes pour les dictateurs. Quelques années et on les jette aux ordures, comme on le fit pour Caligula, Héliogabale, voire Mussolini pour rester en Italie.

L'Unique faisait comme d'habitude un long discours-fleuve, d'une durée de huit heures, où il était question des traîtres, des vendus, des ennemis du peuple, des valets impérialistes, des gens payés par Gesca ou Ottawa, des fous, des malades mentaux, des psychopathes, bref de viles gens qui s'étaient mises dans la tête qu'elles pouvaient parler quand l'Unique parlait.

-Ces traîtres subiront la vengeance du peuple!, se mit-il à crier sur un ton très féminin mais, tout en criant, il lâcha une énorme flatulence qui résonna comme un cor de chasse dans les micros placés devant et derrière lui, partout, quoi.

L'avant-garde de la première rangée ne dit rien, pour une fois.

Parmi le peuple, derrière, on entendit des voix résonner comme les trompettes de Jéricho dans le silence sidéral d'un pet honteux.

-Il chie comme tout le monde ce tabarnak-là! Vous voyez bien que ce n'est pas un Dieu? Juste un christ de magicien d'Oz bien ordinaire, un nain derrière ses manettes pour vous faire peur...

-Hahaha! ria la foule.

-On n'a pas à se faire dire quoi et comment penser par un asti de niaiseux! Et puis moi je veux voir tout ce que je veux sur l'Internet! Merde à l'Inquisition!

-Hahaha! ria la foule.

-Ça fait quarante ans qu'il nous fait chier avec son asti de discours qui nous tient raide pauvre à travailler comme des mules pour ces astis de pourris de la rangée d'en avant!

-C'est vrai ça! dit la foule.

Tout se passa rapidement par la suite.

Les gens de la première rangée se mirent à courir en tout sens, criant que ce n'était pas eux mais Lui, l'Unique, qui les avait engagés là-dedans.

Pendant ce temps, des gens connus de ni Ève ni Adam montèrent sur la tribune pour étriper l'Unique. Ils furent arrêtés par de belles âmes qui passaient par là, d'anciens traîtres et vendus qui demandèrent la clémence pour ces charôgnes.

-On n'est pas pour agir comme eux.

On ne sait pas si ce commentaire anonyme a empêché la foule de lyncher le dictateur.

Peut-être qu'il a réussi à s'enfuir.

Pour la fin de l'histoire, je vous la laisse l'imaginer.

Comme on vit en démocratie, je vous laisse le dernier mot, tiens.

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