mardi 3 février 2009
MIRACLE AU YUKON
La première fois que j'ai vu Jacques, il ne lui restait que deux cents dollars en poche et une bonne bouteille de Tequila. Il était monté au Yukon avec sa femme et leur petit bébé, un petit garçon de huit mois. Sa Ford Econoline avait tenu le coup, de Brossard jusqu'au pays du soleil de minuit.
Je campais à leurs côtés, aux alentours de Muncho Lake. Le lendemain, on serait à Whitehorse pour commencer une nouvelle vie.
Jacques, trente ans, de forme athlétique avec une gueule d'Innu, avait sa bouteille de tequila en main et me racontait au coin du feu ce qu'il espérait du Klondike.
-Moé j'su's poseur de céramique. J'pose aussi d'la tuile commerciale pis toutes sortes d'affaires de même... J'ai p'us d'contrats à Montréal. Pis que'qu'un m'a dit qu'i' avait d'l'ouvrage en masse pour un poseur de céramique, à Whitehorse, parce qu'le monde save pas poser ça comme du monde à ce qu'i' paraît... Ça fa' qu'j'ai pris toutes mes économies pis me v'là rendu aux limites de Whitehorse... Pis j'peux pas m'tromper man... I' m'reste rien qu'deux cents piastres pis j'ai une femme pis un bébé à faire vivre... J'peux juste pas m'tromper man! Faut qu'ça marche à Whitehorse ou j'suis faitte à l'os!
Me disant cela, il avala une grosse lampée de tequila et cligna des yeux en me tendant la bouteille.
On l'a entendu dégueuler toute la nuit, Jacques, puis nous nous sommes quittés au matin et je ne l'ai plus jamais revu. Enfin, plus jamais revu cette année-là. J'ai poursuivi mon petit bonhomme de chemin vers l'Alaska puis de la Colombie-Britannique jusqu'au Québec, le temps de me sentir comme Jacques, un infortuné au Québec, sans espoir et sans job.
Je suis donc retourné au Yukon où c'était facile de se trouver du travail et j'ai rêvé comme Jacques d'y trouver mon Klondike. Et c'est arrivé. J'ai trouvé du travail moins de trois heures après mon arrivée. Trois jours après, j'avais trois jobs. L'argent rentrait dans mes poches plus vite qu'il ne sortait.
Un soir, au Taku Bar, pendant un jam session de blues, je croise Jacques pas hasard. Il m'a l'air en pleine forme et plutôt prospère.
-Hey! Hey! Comment c'qu'i' va Harmonica Sasquatch? qu'il me dit tout de go.
Le Sasquatch, c'était moi, évidemment. Et l'harmonica, ben, je la tenais dans mes mains pour participer au jam session.
-Bien. Ça roule. Pis toé Jacques?
-Un miracle man! Un miracle! Ça faisait pas trois heures que j'étais arrivé à Whitehorse l'an passé que j'avais un contrat, par hasard, en jasant de ça avec un gars au MacDo. Pis tout d'suite après un autre contrat. Pis après ça rien qu'des gros contrats pour la ville, le gouvernement territorial... J'arrête p'us man! J'ai quinze employés... Tu t'cherches-tu une job Sasquatch?
-Non, marci ben Jacques. J'en ai déjà trois ou quatre... Je fais de la pizza. Je fais des affiches, des dépliants... Je peinds des panneaux publicitaires... C'est pas créyable le Yukon, man. Pas créyable. Tout l'monde m'aime.
-Mets-en. C'est d'même moé too. Jeez...
On a trinqué jusqu'aux petites heures du matin.
Il faisait encore soleil.
Il faisait toujours soleil.
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire