* L'image est de Gauguin, chers lecteurs et lectrices.
Roland avait à peine trente-trois ans. Il était trop jeune pour son prénom. Il l'était aussi pour sa profession. Mettons qu'il ne pleut pas des tas de curés catholiques de nos jours. Pas au Québec en tout cas. Un curé de trente-trois ans, on dira ce qu'on voudra, ça ne se voit pas tous les jours.
Ce qui fait que l'église de la paroisse de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs attirait un bon nombre de curieux, soucieux de vivre leur foi en se tenant bien au fait des nouveautés en matière de liturgie. Et la nouveauté, c'est clair, c'était le curé Roland, ce jeune homme roux au visage de boxeur qui avait une voix d'or.
Sa voix suave et mielleuse lui méritait le sobriquet de Roland Chrysostome parmi les pairs de l'église. Chrysostome, voyez-vous, ça vient du grec ancien χρυσόστομος / khrysóstomos, ce qui veut dire grosse modo « Bouche d'or ». D'où le fameux St-Jean-Chrysostome, alias Bouche d'or. D'où Roland Voix d'or, Roland Chrysostome, une joke de curés qui se sentent dans le coup, quoi, et s'évertuent à s'épater l'un l'autre avec quelques racines latines ou grecques apprises dans les pages roses du dictionnaire Larousse ou bien dans une quelconque vie des saints.
Il faut dire que Roland Chrysostome était aussi considéré comme le Wayne Gretski de l'église catholique parmi les dirigeants du club.
Imaginez: c'était le seul curé qui réussissait à remplir son église de tout le comté, et même de toute la province, voire du pays.
On venait d'aussi loin que du fin fond du rang du Pays Brûlé à Saint-Célestin pour venir l'entendre réciter sa messe et, il faut l'avouer, lui regarder la sainte face. Les dames l'aimaient bien et les vieilles bigotes en frissonnaient dans le confessionnal à s'inventer des tas de péchés lubriques pour tester le curé à la voix d'or. Roland subissait tout ça avec un calme exemplaire.
Roland se donnait en tabarnak pour sa paroisse. Il n'était pas curé que parce qu'il trouvait ça moins difficile que de remplir une demande d'aide sociale. Il était curé parce qu'il voulait devenir un saint, comme le Christ, Son Sauveur, son exemple à suivre, son esprit de tolérance, celui qui ne lance pas la première pierre, tend la joue et rend à César ce qui est à César, celui qui regarde les oiseaux du ciel et rassasie les affamés, guérit les malades, marche sur les eaux, vole dans le ciel. Un super Jésus, ouais.
Roland aidait tout le monde. Quand il avait donné sa dernière pièce de monnaie, il offrait son repas, sa chemise, ses shorts. C'était un fou du Christ. Un vrai.
La vieille église de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Douleurs qui était sur le point d'être convertie en discothèque avait été rachetée par quelque dévot anonyme qui s'était miraculeusement remis d'une crise d'hémorroïdes saignantes. Et c'est Roland, déjà apprécié dans la paroisse avoisinante, qui en prit la direction, comme un chef d'orchestre talentueux, comme le dernier espoir de l'église catholique du coin.
Il fût capitaine de cette nef au moins neuf mois. Neuf mois à tout donner, comme François d'Assise, son autre modèle.
Les femmes? Roland était vierge. Il était manifestement timide, lourd et sentencieux avec les bonnes femmes. Il plaisait aux femmes mais il était trop enfoui dans son monde intérieur, imprégné de Jésus. Et il ne lui suffisait pas d'être son disciple, il souhaitait devenir son égal. C'est ce qui l'a mis dans la marde.
Plus les jours passaient, plus Roland Chrysostome doutait que ce soit dans le temple que la foi se vive le plus intensément. Pour lui, la foi se vivait à son zénith quand on prêtait main-forte à une personne dans le besoin.
Pendant la messe, au bout de son neuvième mois, Roland ne ressentait plus ces vieilles extases un peu théâtrales de sa jeunesse et le besoin de transmettre des rites ne lui semblait pas très chrétien à son goût. Jésus travaillait le jour du sabbat, s'il le fallait, et il pouvait confondre les docteurs du Temple tout en préférant les gens simples, les doux, ceux qui finiront au Royaume des Cieux, tiens. Il disait que le meilleur endroit pour prier, c'est en retrait, seul à seul avec son Créateur.
Donc, Roland sauta les plombs.
Au début de sa dernière messe, tout était impeccable, comme d'habitude. Il récita de sa belle voix tous les slogans d'usage jusqu'à son sermon. Mais quel sermon! C'était comme si la bombe atomique était tombée au milieu des fidèles réunis dans la vieille église faite de briques rouges et de panneaux d'aluminium.
-Mes frères, mes soeurs... Le Christ est encore parmi nous, tonna Roland à la voix d'or. Oui il l'est encore. Seulement, personne ne le reconnaît quand il le voit. Pourquoi? Parce que personne ne veut le voir! Comme il est encombrant ce gars qui dit que tout le monde doit s'aimer, qu'on doit donner, qu'on doit pardonner, qu'on est ici sur terre pour faire comme les oiseaux du ciel! Combien vivent une foi factice, hypocrite, enrobée de luxe et de superflu quand leurs frères et soeurs souffrent et demandent de l'aide! Non! Nous préférons être chrétiens à distance, comme si c'était un show! COMME SI C'ÉTAIT UN HOSTIE D'TABARNAK DE SHOW!
Les fidèles n'en croyaient pas leurs oreilles! Surtout madame Therrien! «Le curé as-tu ben dit hostie d'tabarnak? Hein?» Personne n'eut le temps de lui répondre car la suite fût encore plus stupéfiante.
Roland enleva son étole, puis sa robe, son caleçon, tout quoi et, flambant nu, il monta sur l'autel.
-Regardez-moi! Oui, regardez-moi! Nu je suis et nu j'irai! Je suis l'exemple du Christ! Vanité des vanités! Tout est vanité et poursuite de vent!
Et là, Roland traversa l'allée centrale puis descendit les marches de l'église pour finalement être arrêté trois coins de rue plus loin et être transféré à l'unité des soins psychiatriques de l'hôpital régional.
Depuis son transfert à l'asile, madame Therrien continue de répéter aux commères de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Douleurs qu'il ne faut pas se rendre fou avec la religion.
Un vieux curé soporifique remplace Roland. Il ne se rase jamais les poils du nez. Il est petit et chauve avec un air de marmotte. Il met tout son argent dans sa collection de disques de musique classique et n'aide jamais les pauvres plus que ses patrons ne le demandent.
Wooooo, il décoiffe ton Roland! Les mémères vont s'en ennuyer.
RépondreEffaceril n'aurait jamais dû se mettre tout nu.
RépondreEffacerL'église de la paroisse est de nouveau à vendre pour une bouchée de pain. Des promoteurs veulent la transformer en entrepôt pour des palettes de lift-truck.
RépondreEffacerdécidément, je manque de science infuse. j'arrive vraiment pas à suivre. "monde de vitesse", disait louis-ferdinand. il avait bien raison. chacun devrait rester à sa place, et plus bouger. des milliards de statues de sel dans leurs postures chroniques pour la photographie d'ensemble en vente libre dans les cinémas underground de mars.
RépondreEffacerbon, pour en revenir à la question d'origine :
c'est quoi un lift-truck ?
"ne courez pas, nous sommes vos amis"
Un lift-truck c'est un chariot-élévateur... Personne n'emploie le terme chariot-élévateur, même mon père qui était au volant d'un lift-truck à l'usine où il travaillait...
RépondreEffacerIl aurait pu au moins garder ses shorts.
RépondreEffacerPendant un bout je pensais
que tu faisais référence à
Roland Leclerc.
Ya plein d'églises à vendre au
Québec,coûtent une fortune à chauffer l'hiver en plus de la désaffectation totale de ces
lieux de culte par les croyants.
Pas de croyants,pas de dons=
église à vendre pas chère.