jeudi 31 juillet 2014

J'ai lu Vamp de Christian Mistral


«D'où vient ce qui se passe? Vous ne cessez de vanter l'intelligence, et vous tuez les plus intelligents. Vous les tuez, en leur refusant le pouvoir de vivre selon les conditions de leur nature. On croirait, à vous voir en faire si bon marché, que c'est une chose commune qu'un Poète. Songez donc que lorsqu'une nation en a deux en dix siècles, elle se trouve heureuse et s'enorgueillit. Il y a tel peuple qui n'en a pas un, et n'en aura jamais. D'où vient donc ce qui se passe? Pourquoi tant d'astres éteints dès qu'ils commençaient à poindre? C'est que vous ne savez pas ce que c'est qu'un Poète, et vous n'y pensez pas. »
Alfred de Vigny, Préface à Chatterton

« Merde. »
Christian Mistral, Vamp


Dans Le meilleur des mondes de Aldous Huxley, les dernières pages montrent le Sauvage qui, dans un monde parfait où toute douleur et toute laideur n’existent plus, s’adonne à l’auto-flagellation et autres mortifications à consonance spirituelle.  Des hélicoptères tournent tout autour de lui comme s’il s’agissait d’une bête de foire. On le regarde avec humour et délectation s’infliger des supplices. Comme s'il était un jackass.

Dans notre monde où toute aventure spirituelle est réduite à l’absurdité, où toute institution représente la plus haute nuisance qui soit à la spiritualité tout autant qu’à la culture, il n’est pas étonnant d’avoir un jour à faire face à cette faune bigarrée de voyous autoproclamés qui tournent sur eux-mêmes comme des derviches s’enfonçant dans le non-dit avec des dires délirants. D’où l’existence de ces vues parallèles qui défient la vision unitaire des abrutisseurs d’esprits en fermentation.

« C’était dingue cette vie. Il me semblait que tout le monde était à l’école, tout le monde à part moi. Et pour étudier quoi, bon Dieu? Pour aller où? Je connaissais la musique; du temps que c’était mon métier d’aller à l’école, j’étais le meilleur de tout leur foutu système. Mais à quoi cela rimait-il de se bourrer le crâne d’inepties pour devenir inamovible, de se prêter au jeu, d’acquérir le minimum de connaissances requis pour décrocher un papier à enluminures et courir occuper une case dans un organigramme, une place qui existait déjà, pour se mettre délibérément à la merci d’un implacable engrenage de mort lente et être, tout au long de cette chienne de vie, absolument et misérablement dispensable? D’autres chemins menaient au pouvoir, d’autres moyens existaient d’orienter sa destinée, plus viables et plus dignes. » ( Mistral, Vamp, p.168)

Je n’ai pas lu Vamp à sa sortie. Ni après. D’abord, parce que Vamp avait été mis au programme des lectures obligatoires par le département de littérature de l’université que je fréquentais.  En fait on avait le choix entre La Rage de Louis Hamelin et Vamp de Christian Mistral. Et je suis tombé sur La Rage en jouant à minima-ni-mot avec les deux lectures obligatoires.

J’ai lu Vamp tout récemment. J’avais lu Vautour, Sylvia au bout du rouleau ivre, Papier-mâché / Carton-pâte, Léon, Coco et Mulligan…  Et puis je connaissais un tant soit peu Mistral pour correspondre avec icelui et prétendre à une pleine et entière partialité.

Je me fous pas mal des lectures obligatoires, vous l’aurez compris, et c’est en faisant appel aux plus hautes vertus de l’inutilité que j’ai lu Vamp. Et je n’ai pas été déçu. J’ai retrouvé le  parfum  de la révolte de mes jeunes années dans les échos de Vamp.  1988. Le Mur de Berlin menaçait de s’effondrer.  L’école était déjà au plancher.

« On n’apprenait rien qui vaille dans la plupart des facultés, les humanités et les sciences sociales n’étaient qu’une farce, l’usine à cerveaux produisait à la chaîne des diplômés illettrés, la moitié des thèses étaient illisibles, le cours de français de secondaire IV dans les polyvalentes portait sur les anagrammes, et les dégoûtés de la boîte, les drop-out de quinze ans qui se comptaient chaque année par centaines, allaient grossir les rangs des analphabètes dont le taux prenait des proportions ahurissantes, allaient quêter un emploi d’ouvrier à la manufacture où s’échinaient déjà leurs pères qui eux non plus ne savaient pas lire les ingrédients de leurs céréales matinales. »  (Mistral, Vamp, pp.168-169)

La phrase est longue et syncopée chez ce jeune Mistral qui fuie ses études pour mieux se consacrer aux lettres, tant méprisées par l’institution.
Il n’a que vingt ans alors qu’il rédige Vamp. Et on y retrouve l’écho de feu Paul Nizan qui débute Aden Arabie par ces mots prophétiques : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde. À quoi ressemblait notre monde ? Il avait l'air du chaos que les Grecs mettaient à l'origine de l'univers dans les nuées de la fabrication. Seulement on croyait y voir le commencement de la fin, de la vraie fin, et non de celle qui est le commencement d'un commencement. » (Paul Nizan, Aden Arabie)

Mistral raconte déjà ses vingt ans comme s’il en avait quatre-vingt-dix sans que cela ne donne cette sensation de lire quelqu’un qui porte des souliers trop grands pour lui. L’auteur de Vamp vit mille ans, pour paraphraser Baudelaire, quand d’autres ne vivent qu’une journée. Et tel Prométhée peut-être, il s’auto-dévore le foie pour se punir d’en savoir trop pour rien. Il sait trop bien qu’il n’y a pas de place nulle part pour tous les Prométhée et Ovide Plouffe du monde entier. Alors son lyrisme prend tout son éclat dans ce défi qui est de tourner en gloire le noir abîme de la défaite. Il s’agit de sublimer la fadeur et l’inconsistance de nos vies concomitantes dans un exercice qui tient de la haute voltige intellectuelle.

Certains ont pu y voir à l’époque la vague réminiscence  d’Ernest Hemingway, John Fante,  Jack Kerouac, Henry Miller ou Charles Bukowski. Toute littérature écrite à la première personne du singulier semble réduite à ce type de comparaisons si l’on fait le moindrement allusion à l’alcool.

Pourtant, c’est à Léon Bloy que Christian Mistral me fait le plus penser. Ce Léon Bloy chrysostome au verbe acerbe qui exploite toutes les nuances et variétés de la langue française pour faire l’exégèse des songes, mensonges et lieux communs de son temps.

Bloy le faisait pour servir la foi. Mistral le fait pour servir la soif. Comme un soufi. Comme un derviche. Comme un ogre trouvant sa risible consolation dans la culture et les phrases bien ciselées.  Pourtant, la magie des mots n’est pas vaine. Elle transmute l’eau en vin et le vain en eau.

Vous raconter le récit de Vamp est bien secondaire. Vous saurez le lire vous-même pour y vivre votre propre expérience. Vamp est l’acte d’affirmation désespéré d’un type qui a pris les arts et les lettres au sérieux, comme Knut Hamsun dans La faim. Sous des airs grognards, il se cache la nécessité de défendre une certaine tendresse.  

«C'est pourquoy fault ouvrir le livre: et soigneusement peser ce qui y est deduict. Lors congnoistrez que la drogue dedans contenue est bien d'aultre valeur, que ne promettoit la boitte. C'est à dire que les matieres icy traictées ne sont tant folastres, comme le tiltre au dessus pretendoit. Et posé le cas, qu'on sens literal trouvez matières assez ioyeuses & bien correspondentes au nom, toutesfois pas demourer là ne fault, comme au chant des Sirènes: ains à plus hault sens interpreter ce que par adventure cuidiez dict en guaieté de cueur. » (François Rabelais, Prologue de Gargantua)

La bière coule à flots, tant chez Rabelais que chez Mistral. Pour les mêmes raisons. Pour connaître quelque chose à cette folie qui nous entoure, quitte à en faire l’éloge, à l’instar d’Érasme de Rotterdam ou bien quelque autre buveur magnifique qui ont goûté à la « substantifique moelle » de la vie pour exorciser le mal qui est tout autant en nous qu’il n’y est pas.

Le chroniqueur littéraire Réginald Martel a écrit dans La Presse (28-05-88) que Vamp « (…) restera le document incontournable de la saison littéraire 1988-1989. »

Je veux bien lui donner raison. Vamp s’inscrit dans cette littérature parallèle dans laquelle les francophones habitant l’Ïle de la Tortue s’illustrent le mieux, en passant de Jack Kerouac à Victor Lévy-Beaulieu.

***

« Je n’arrive jamais simplement à embrasser d’un seul baiser d’âme toute la perspective de mon exil intérieur, ni même à considérer son principe dans sa multiplicité dimensionnelle tant le kaléidoscope me déroute et m’éblouit. Je sais qu’on se tenait tapis dans l’ombre froide des jungles d’asphalte en feulant, tigres psychédéliques et puant de la gueule. » (Mistral, Vamp, p.321)

***

« -N’as-tu pas comme moi l’intuition que nous sommes, un peu, parfois, comment dire… ridicules?
Nous étions arrêtés à l’intersection, quand bien même le feu était au vert et qu’aucune voiture n’approchait. Fantasio regardait loin, loin devant. Puis il dit : « Non. Pas du tout. », et on n’en parla plus, on n’y pensa plus, on laissa cela sur le trottoir et on s’engagea résolument dans la rue. »  (Mistral, Vamp, p.307)


Source :

Christian Mistral, Vamp, Québec / Amérique, Montréal, 1988, 345 pages

4 commentaires:

  1. Il y a des billets qui sont un peu comme premières nécessités, l'eau, le bon pain, mais encore fallait-il matière et perspectives pour qu'ils nous soient si généreusement donnés à lire.

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  2. Longue t'âme no scie MakesmwwonderHum... Pis ça fait plaisir dans tous 'es cas! :)

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  3. M'suis occupé à être trop occupé, c'est un défaut que je partage avec moi-même et le gars des vidanges. Hélas il a beaucoup plus de mérite que moi.
    Vous me manquez tous!

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    1. Le droit à la paresse n'est encore qu'un titre ou bien une chanson... L'essentiel reste encore de ne pas être préoccupé... Enfin, tu sais que je dis n'importe quoi Makesmewonderhum... Pour ce gars du gars des vidanges, il est blasé d'avoir à se battre avec les troupeaux de rats qui pullulent la nuit dans les arrière-cours des restaurants trop gras.

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