samedi 20 février 2010

L'histoire d'un hostie de stool

Eusèbe avait coutume de dire ce que tout le monde médisait tout bas, dans l'insouciance parfaite des risques qui se rattachent au fait de ne pas avoir suffisamment d'inhibitions.

-Le gros Henri, c'est un hostie d'mafieux! Un plein d'marde! Un gars qui crosse tout l'monde pis qui m'fait pas peur! D'la marde! J'aime mieux crever que d'avoir peur! qu'Eusèbe disait dès qu'on évoquait le nom de Henri Querbes, un petit pégrard du coin qui terrifiait tous les commerçants et autres petits trafiquants de drogue.

Le voisin d'Eusèbe, Fabien Riendeau, était un stool, c'est-à-dire un officier rapporteur ou, si vous préférez, c'était un sale mouchard, un cafard, un indic, bref un sacrament d'hostie de stool.

Ce qui fait que Fabien Riendeau alla tout raconter au gros Querbes, cette grosse montagne graisseuse nourrie de pizzas, de poulets rôtis et de frites.

Le gros Querbes, bien que mafieux, pouvait parfois faire preuve d'une certaine sagesse. Malheureusement, elle s'effondrait aussitôt sous des gaffes violentes et sanguinaires. Il manquait de finition, le gros Querbes. Il n'avait qu'une septième année. Il ne fallait pas trop lui en demander.

Après avoir entendu Riendeau, le gros Querbes réclama de ses hommes de main qu'ils lui ramènent Eusèbe.

-J'aimerais ben lui dire deux mots, qu'il rota, entre deux bouchées de frites.

Les bandits lui ramenèrent Eusèbe en un clin d'oeil. Ils allèrent le chercher directement chez-lui, dans sa salle de bain, et Eusèbe ne trouva rien de mieux à faire que de les suivre, bien qu'il ne portait qu'un caleçon un peu défraîchi.

Eusèbe tremblait de tous ses membres devant le gros Querbes. La peur, c'est facile de ne pas l'avoir en théorie. En pratique, c'est impressionnant de faire face à une bande de brutes armées de bâtons de baseball et de barres à clous. Surtout quand vous n'êtes armé que d'un caleçon.

-Tu sais pourquoi j'ai demandé à mes gars de te ramener devant moé? lui demanda le gros Querbes.

-Non... répondit faiblement Eusèbe en remontant son caleçon.

-Ben... C'est pour te dire de t'méfier de ton voisin, Fabien Riendeau, parce que c'est rien qu'un hostie de stool pis moé, les stools, ben j'aime pas ça!

Alors on lui montra Fabien Riendeau, attaché sur une chaise, le visage tuméfié, la chemise ensanglantée.

Les hommes de Querbes lui avaient administré une sacrée raclée. C'est vrai qu'on n'aimait pas les stools dans le coin...

-En tous 'es cas... ajouta Querbes. C't'hostie-là devrait arrêter de te stooler.

-Merci monsieur Querbes... Vous êtes gentil, répondit Eusèbe.

-C'était tout naturel, conclut Querbes en lui donnant une franche poignée de mains. Mes hommes vont te raccompagner chez-vous. Bonne journée là!

-M...merci. B...bonjour...

Les brutes ramenèrent Eusèbe chez-lui en lui donnant des cigares, une bouteille de vin et quelques sachets de drogue.

-À la r'voyure! qu'ils lui dirent, en le laissant sur le trottoir en face de son loyer.

-Salut! qu'il répondit en remontant à nouveau ses caleçons. L'élastique avait fait son temps. Il était dû pour s'acheter de nouvelles paires de shorts.

C'était une journée pas très ensoleillée.

Un écureuil noir se battait avec un écureuil gris pour une vieille pomme abandonnée sur le terre-plein.

2 commentaires:

  1. Mafieux peut-être, le bonhomme, mais loin d'être stupide, haha !

    RépondreEffacer
  2. Outch ! Grand texte, les mots me manquent. il rebondit en moi, bien plus loin que sa chute visuelle. Merci.

    RépondreEffacer