dimanche 21 février 2010

Bouboule Gingras


Il s'appelle Emmanuel. Et ce nom-là, franchement, ça ne lui va pas du tout. Ce qui fait que tout le monde le surnomme Bouboule. Bouboule Gingras. Bouboule parce qu'il est de la taille d'un pachyderme. Cinq pieds dix pouces, quatre cent vingt-trois livres. Ce qui n'est que trop impressionnant pour faire la conversion dans le système métrique. Les Européens finiraient par penser que nous sommes des mammouths. Alors qu'il ne s'agit que des mensurations de Bouboule Gingras.

En plus d'être énorme, Bouboule Gingras est laid. Il y a des gros qui sont beaux. Je connais un certain Gaston Boucher qui n'est pas laid du tout, tout en étant plutôt gigantesque. Il a l'air solide, Boucher, avec ses épaules de bûcheron et sa gueule de rigolo.

En effet, il y a des gros qui portent bien leur graisse. Ce n'est malheureusement pas le cas de Bouboule Gingras.

Sa graisse pend de tous bords tous côtés. Et ça pend même dans sa face. Des mottons de gras s'accumulent en tabliers sur son visage bouffi. Des boules de gras enroulent ses articulations et gênent ses mouvements.

Bouboule semble toujours sur le point d'exploser, où qu'il soit, et il porte des vêtements trois points trop petits pour lui.

Hier, Bouboule Gingras revenait du dépanneur, avec des chips et du chocolat. En le voyant marcher péniblement dans le frasil brun sale, je me disais que je ne changerais pas de vie avec lui.

Bouboule était vêtu de son manteau d'hiver gris souris auquel il manquait deux pieds pour qu'il puisse l'attacher. Il portait une tuque trop étroite pour lui, évidemment. Et, outre son manteau trop petit, il ne pouvait compter que sur un chandail jaune fluo se terminant à mi-ventre pour se protéger du froid. Son nombril était au grand air. Son pantalon trop serré glissait sous son tablier de chair sillonné de vergetures larges de deux ou trois pouces. Ses bottes de plastique de marque économique n'étaient pas lacées.

-Tabarnak! que je me suis dit en moi-même en le voyant. Ouche! ajouté-je.

Bouboule Gingras vit seul dans un studio avec vue sur un mur de briques. Son proprio confirme que c'est sale chez-lui parce que Bouboule a de la misère à se pencher ou bien à forcer. Il sue pour un rien. Et, bref, il est probablement un peu handicapé.

Mais, quoi, tout le monde vous dira que c'est à lui d'arrêter de manger.

Comme quoi Bouboule Gingras n'attire la pitié de personne. Ce qui explique pourquoi ses vêtements sont trop petits pour lui, pourquoi son studio est malpropre, pourquoi sa tuque est trop petite pour sa tête, pourquoi ses gants sont troués, pourquoi les chips et le chocolat remplacent les fruits et les légumes, etc.

Il est laissé à lui-même, Bouboule, et il mange ses émotions depuis l'âge de sept ans. Donc, ça fait au moins cinquante ans qu'on rit de Bouboule Gingras.

À la petite école, personne ne voulait de lui quand on formait des équipes pour jouer au ballon chasseur. Et c'était pareil sur le marché du travail. Bouboule Gingras, tout le monde ne veut pas le voir, alors qu'il est plus que visible, de près comme de loin.

C'est comme ça. Le monde n'aime pas les gros. Ni les nains. Ni les sourds. Ni les aveugles. Ni les lépreux. Ni qui que ce soit qui n'a pas l'air d'un figurant dans une pub de dentifrice.

Bien sûr, j'exagère. Même que Bouboule Gingras ne tiendrait pas ce genre de discours. Parce qu'il n'a jamais rien dit, Bouboule. Ou si peu. Il n'a jamais rien fait d'autre que de manger des chips tout en se consacrant à quelque activité futile: lire des bandes dessinées à la bibliothèque municipale ou bien regarder la télé chez-lui, tout fin seul dans son coqueron. Ce qui fait qu'il a de vilaines dents, en plus d'être gros et laid.

Il pourrait s'en sortir vous dites? C'est que vous ne connaissez pas Bouboule Gingras. Il est rendu qu'il parle tout seul. Il dit souvent «Gniark! Gniark! Pétate de pétate!» Et rien d'autre. Il est jammé là-dessus. Bref, Bouboule Gingras a une araignée dans le plafond. Vous voulez faire quoi, hein, avec quelqu'un qui dit tout le temps «Gniark! Gniark! Pétate de pétate!»?

Y'a rien à faire. Non rien. Sinon lui trouver un manteau qui lui fasse. Et là, eh bien, je fais appel à la solidarité de tous les gros pleins d'soupe de ma région. On pourrait faire quelque chose pour les Bouboule Gingras des environs, non? Quelque chose de bien... On n'est tout de même pas pour passer notre temps à rire d'eux autres.

Emmanuel Gingras alias Bouboule, pétate de pétate, c'est peut-être un infirme... Hein?



*pétate=patate en québécois

4 commentaires:

  1. Ouais, t'as raison, c'est même sûrement un infirme ; mais y a des gens, bin t'y peux rien, tu sais pas les aider....c'est juste comme des points d'interrogation, ces gens-là.....

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  2. C'est un gros point d'interrogation, Bouboule, et c'est difficile de ne pas rire d'un gros point d'interrogation.

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  3. Bouboule, il dit plus jamais Baba-bebi-bobuboba ?

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