jeudi 5 avril 2018

Je suis heureux

On n'a pas besoin de tant de monde que ça pour être heureux. Cela ne veut pas dire que je sois misanthrope. Ça veut simplement dire ce que ça dit: je suis heureux.

Or, ce bonheur n'est pas à l'abri des vicissitudes du temps et de l'amertume d'autrui.

Pour préserver ce bonheur, je me tiens donc bien à l'abri, dans ma caverne, ne sortant qu'aux heures ou presque personne ne sort autant que faire se peut.

Je fuis les grands rassemblements, les foules et autres bruits qui n'ont rien à avoir avec de la musique.

Il me faut aussi me prémunir des fatuités qui circulent sur les médias sociaux. J'éteins de plus en plus longtemps au cours de la journée. Et je ne m'en porte que mieux.

Je suis bien où je suis, en couple avec ma blonde, tranquille devant mes pots de couleurs, mes toiles et mes pinceaux, mes guitares, mes harmonicas, mes tamtams, mon clavier, mes livres et tout ce qu'il faut pour résister à un long siège de poésie loin de ce monde pourri.

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J'ai peu écrit au cours du mois de mars. J'ai eu cinquante ans au début du mois. Je les ai fêtés à ma façon. Et le destin m'a récompensé de plusieurs bonnes nouvelles qui m'ont amené à réfléchir sur ma pratique régulière et obsessive des arts et des lettres.

Tout un chacun veut un monde meilleur.

Je crois, en toute humilité, avoir le talent de le peindre meilleur qu'il ne l'est. C'est mon coup de pinceau magique pour faire disparaître les futilités urbaines de mon esprit. Tout s'en trouve ensuite magnifié dans mes compositions. Parce que c'est moi qui décide, tout simplement.

Il me vient en tête des projets de toutes sortes. J'ai pensé à peindre une vache en parachute: c'est tout dire... Mes carnets de croquis regorgent d'idées qui ne seront pas reprises sur mes tableaux. Parce que j'en ai trop dans la tête pour tout ce que mes mains peuvent faire. Peindre, selon la technique que j'emploie, c'est un peu comme faire de la dentelle. Alors que le dessin est leste et rapide, la peinture est fluide et ne demande qu'à vous laisser guider sans hâte mais avec une économie de moyens qui vous fera atteindre autant la grâce que la justesse.

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J'ai beaucoup peint au cours des derniers mois.

Cela me rappelle l'apprentissage de la guitare.

Au début, j'avais des crampes dans les mains et le bout de mes doigts saignaient presque. Je ne savais jouer que trois lamentables notes et suais ma vie pour jouer cinq minutes sans commettre une fausse note.

Un jour, il s'est passé quelque chose comme une illumination.

Ce n'est plus moi qui jouais de la guitare. C'est la guitare qui jouait avec moi. Finies les crampes aux mains. Les doigts étaient enfin devenus solides, souples et insensibles au frottement à peine perceptible des cordes.

Idem pour la peinture. Au début, j'avais mal aux mains tout le temps. Le pinceau tombait de mes doigts au bout de dix minutes.

Désormais, le pinceau me guide. Je n'ai plus mal aux poignets. Les traits sont plus réguliers, les courbes presque parfaites, parce que je me laisse aller, comme lorsque j'attrape ma guitare.

Du coup, je suis heureux.

Je n'ai pas tout. Vous non plus. Personne n'a tout. Tout le monde a la sensation qu'il n'a rien.

Mais moi, sapristi je vous le dis, j'ai le bonheur.

Un bonheur brut. Comme un pissenlit qui pousse entre les craques des trottoirs des quartiers pauvres.

C'est difficile à expliquer.

Voilà pourquoi je vais le peindre.


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