J'ai eu une vision cette nuit. J'ai été réveillé par quelques festivaliers du centre-ville. Ils ont gueulé et dégueulé toute la nuit. Ils avaient les blues et moi l'esprit tourmenté par de fréquentes ruptures du sommeil.
J'en suis venu à l'idée que nous travaillons trop.
Le travail ne rapporte rien. Ce sont les festivals, les amphithéâtres et les clowns qui rapportent gros.
Tout le monde sait à Trois-Rivières que les festivals ne peuvent être que grandioses, exceptionnels et débordants de retombées économiques.
Ceux qui ne le savent ne lisent certainement pas Le Nouvelliste, quotidien local où les nouvelles à propos des festivals et autres commanditaires sont toujours grandioses, exceptionnelles et débordantes de retombées économiques.
Un journaliste qui oserait en douter n'y ferait pas long feu et c'est tant mieux. On ne confie pas les pages du Nouvelliste à n'importe qui. Ne devient pas grandiose et exceptionnel celui qui doute et morigène sa communauté avec des propos négatifs qui pourraient déplaire au patron.
À chacun son métier et le métier de journaliste n'est pas celui de décider quoi que ce soit. Aux décideurs les décisions et aux autres le soin d'assister à des événements grandioses, exceptionnels et débordants de retombées économiques.
J'en viens à dire que nos visionnaires ahuris de Trois-Rivières devraient organiser des festivals trois cent soixante-six jours par année pour que la ville devienne encore plus grandiose. Au lieu d'investir dans des secteurs à risques financiers élevés comme la production d'allumettes, les Trifluviens gagneraient à donner les clés de la ville aux mecs des festivals.
En plus du Festivoix, commandité par la Corporation de l'Amphithéâtre, elle-même commanditée par l'argent de nos taxes et de nos impôts, on pourrait créer des festivals à l'année longue, comme du temps des Romains, quand le bon peuple savait se contenter du pain et des jeux. Panem et circenses qu'ils disaient et croyez-moi jamais les Romains ne s'ennuyaient: courses de char, combats de gladiateurs, Néron qui chante au Colisée et tous ces beaux programmes... Hormis Sénèque, vieux fonctionnaire raté, tout le monde aimait ça et ne s'en plaignait pas. On distribuait à la foule le pain qu'on avait volé ailleurs dans quelques colonies lointaines de crève-la-faim et tout le monde ne s'en amusait pas moins.
Il pourrait y avoir le Festival du rince-cochon, le Festival du baloney, le Festival des chaussures de pointure 7, le Festival du pissenlit, le Festival de la pan pizza, le Festival du homard, le Festival des cheveux courts, le Festival des cheveux longs, etc. La seule limite serait l'imagination. Et les dieux savent que nous en avons pour des choses totalement inutiles sans lesquelles la vie ne serait que sacrifice et abnégation.
On pourrait aussi organiser des courses à l'année longue sur le site du Grand Prix et ouvrir des tas de casinos partout tout autour.
Évidemment, ça demanderait du terrain tout ça. Aussi serait-il sage de songer à démolir tous les bâtiments et taudis des Premiers Quartiers, lieux remplis d'ingrats pro-passifs qui voudraient que la ville ne soit pas grandiose, exceptionnelle et débordante de retombées économiques. On les enverrait vivre à Sorel ou ailleurs, là où les logements ne sont pas chers. Tous les entrepôts portuaires seraient transformés en cirques, arénas et autres bâtiments destinés à l'amusement public. Bientôt Céline elle-même viendrait chanter sur nos rives.
Pourquoi travailler, hein? Pourquoi cette usine de bottines ou bien cette manufacture de cravates à pois? Le travail c'est out. C'est sans retombées économiques. Cela ne génère pas assez d'argent pour remporter des élections ou bien pour se récompenser de décider pour les autres. C'est long et cela demande du temps et des efforts qui tombent souvent à l'eau par manque d'expérience ou bien d'intérêt.
Laissons à nos décideurs le soin de décider.
Laissons-les créer des tas de festivals.
Je souris à l'idée de voir des tas d'ivrognes tomber et retomber.
Il y en aura des retombées, certes, et tout le monde se fera un plaisir de venir gueuler et dégueuler dans les rues de notre beau centre-ville nettoyé tous les matins par une armée de cols bleus afin que l'illusion de la propreté accompagne ce rêve d'une ville où tout sera grandiose et exceptionnel.
Comme Céline.
Comme un article du Nouvelliste...
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