lundi 20 juillet 2020

Yukon Forever

Il n'y avait plus rien.

Rien que ça.

Et ce rien que ça suffisait à me remplir de tout.

J'avait fui. Comme à peu près tous ceux et celles que je rencontrais sur mon chemin, aux abords de la Yukon River.

Rien que ça...

Vingt-quatre heures de soleil par jour. Ou presque. Une petite brunante vers trois heures du matin qui est aussi le lever du soleil. Un climat semi-désertique. L'été au Yukon est le paradis sur Terre. Il fait toujours soleil et c'est sec, jamais humide. Je me sentais les batteries toujours chargées compte tenu du vingt-quatre heures s'ensoleillement. Je dormais à peine quatre à cinq heures par nuit et n'en ressentais aucune fatigue.

J'allais cueillir du sauge et des bleuets en empruntant des sentiers de sable fin, parsemés de bouleaux et d'épinettes centenaires au tronc tout petit. On croirait que ce sont des arbres d'une vingtaine d'années et ils sont là depuis le dernier passage de Jack London... D'où la fragilité de cet écosystème quand l'homme rôde autour. Dont moi, cet été-là.

Il n'y avait plus rien.

Plus rien de rien.

J'étais enfin libre.

Personne ne savait mon nom.

Et personne n'était capable de prononcer mon prénom comme il le faut.

Je m'appelais Djitane, Gitan, Gipsy puis Grizzly... Pas un anglophone ne sait prononcer Gaétan comme il faut. C'est idem en québécois. Je m'appellerai toujours Guétan...

Je n'en demandais pas plus. J'étais écoeuré de moi-même. Je voulais devenir n'importe qui. Surtout moi-même, sans artifices.

On me trouvait cool pour une raison qui m'échappe. Parce que j'en étais rendu à me crisser des artifices.

On se réunissait autour de moi pour jammer autour de mon feu.

Tous les solitaires de Whitehorse veillaient chez-moi.

C'était à la fois attendrissant et magique.

Rien que ça.

Leurs noms s'effacent un peu dans mes souvenirs au fil du temps...

Je sais qu'il y avait Craig, un Virginien qui squattait sur mon terrain avec Montana Matt, un type du Montana qui n'avait ni travail et surtout pas un rond. On se prenait à la gang pour le nourrir. Ce n'était pas difficile. Nous travaillions tous et toutes dans des restos et on ramenait des surplus: pizza, saumon fumé barbecue, canard à l'orange et le diable sait quoi.

C'était le festin communautaire tous les soirs, suivi d'un jam. J'étais à l'harmonica. Craig à l'accordéon. Et y'avait Terry, un Albertain, qui grattait la guitare. Il y avait un Écossais qui trippait sur l'art abstrait. Deux Irlandaises dont les prénoms m'échappent. Toad un gars qui s'était marié sur un coup de tête après qu'il eusse rencontré une fille de Toronto sur mon campsite. Marié avec elle le lendemain de notre brosse avec un vin affreux appelé Le Domaine d'or. Un mélange de je ne sais trop quelle mixture. L'origine? Ville Saint-Laurent en banlieue de Montréal. Tout ce qu'il me restait, au Yukon, pour soigner mes origines françaises et entretenir mon statut de Frenchy. Je reverrais Toad un peu plus tard à Verdun, dans une autre vie, mais ça c'est une autre histoire...

Leurs noms s'effacent...

Daniel... Dave... Tiens, ils reviennent. Ça fait un bout que je ne les ai pas vus ces deux-là. L'hiver en Jamaïque et l'été au Yukon. Des vrais de vrais freaks qui ont changé ma vie sans le savoir. On a traversé la Colombie-Britannique et le Yukon ensemble sur un road trip où nous empruntions les chemins menant nulle part: des mines désaffectées, des villes de 8 habitants, 36 chiens et 900 grizzlis...

J'aurai connu tellement de gens importants dans ma vie. Tellement que je n'ai jamais revus parce que la vie est faite comme ça.

Il n'y avait plus rien là-bas.

Plus rien qui ne me pesait sur la conscience.

Je dois au Yukon de m'être rebâti sur des bases solides.

Jamais je ne remercierai assez les Sourdoughs et autres Yukonois pour leur hospitalité.

Je n'avais plus de télé. Seulement un vieux walkman avec la radio locale ou bien Radio-Canada en français. Je me lavais avec l'eau de la rivière. Je faisais cuire mes trucs sur le feu de camp.

Il n'y avait rien. Et en même temps, il y avait tout.




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