mardi 1 avril 2014

L'ordre naturel des choses

Il me serait facile de produire des tableaux hyperréalistes ou bien totalement abstraits. Je mettrais la technique de mon côté pour l'hyperréalisme. Je travaillerais avec des photos et l'illusion serait presque parfaite avec la réalité. Pour ce qui est de l'art abstrait, eh bien je fermerais l'interrupteur et je balancerais des couleurs jusqu'à ce qu'il se forme une bonne croûte polychrome.

Dans les deux cas, je serais un peu malheureux parce que ce n'est pas ce que je recherche dans l'art.

Ma technique est improvisée, comme pour l'art abstrait, et calque la réalité par ce que ma mémoire en a retenue.

Rien ne m'est plus nécessaire que de rêver lorsque je peins ou joue d'un instrument de musique. L'art me permet de transcender les contingences et les obligations de ce monde. En ce sens, l'art n'a rien de naïf puisqu'il s'impose comme une forteresse où il est loisible de se protéger de tout.

Comme l'on devient ce que l'on peint, je me consacre à présenter des toiles qui font sourire. Cela me permet de m'amuser tout en peignant. Je pourrais peindre des scènes de torture, des actes de guerre, mais je n'en ai jamais vraiment vus. J'aurais l'air d'un faussaire. Je n'ai connu qu'une longue suite de petits bonheurs et d'émerveillements, malgré tous les aléas de la vie, tout simplement parce que je suis naïf et que mon pays n'est pas vraiment en guerre.

Je m'amuse donc à peindre des tas de personnages évoluant dans des décors urbains ou champêtres, comme si j'étais le Bruegel de mon patelin ou bien son assistant.

Je prêche bien sûr pour ma paroisse. La mienne s'appelait Notre-Dame-des-Sept-Allégresses. Le quartier était plutôt sous le signe des Sept-Douleurs, mais bon, chez-nous il y avait toujours de quoi à manger.

Je m'étonne que tant de gens puissent s'intéresser à ce que je peins.

Je ne me suis jamais pris au sérieux et j'y suis toujours allé à la bonne franquette, refusant de m'inscrire au sein de telle ou telle association, de participer à des symposiums ou bien de demander des subventions, des bourses ou autres formes de prébendes. Mes clients sont tous particuliers et viennent vers moi comme on irait voir le garagiste du coin pour son auto.

-Gaétan ne répare pas les autos, mais c'est un gars du coin et tant qu'à s'acheter de l'art, aussi bien que ce soit chez ce gros gars-là qui a son atelier sur la rue Niverville...

J'imagine que c'est ce qu'ils se disent et je les en remercie du fond du coeur.

Cela me permet de produire toujours plus d'art naïf avec mes vieilles mains et mes vieux yeux de métis daltonien d'ascendance française, anishnabée, micmac et kényane.

Mes tableaux sont autant de capteurs de rêves dont je ne sais jamais me départir sans ressentir un petit pincement au coeur...

-Adieu, tableau qui m'a coûté tant d'efforts... Je ne te reverrai plus jamais... Puisse tes nouveaux maîtres prendre soin de toi jusqu'à ce que chacun de mes tableaux vaille quelques millions...

On a beau être naïf qu'il faut beurrer son pain.

Que mes tableaux se vendent comme des petits pains chauds, ce ne peut être que dans l'ordre naturel des choses.




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