jeudi 24 octobre 2019

Rien ne se partage mieux que la misère

Rien ne se partage avec autant de naturel que la misère.

Personne n'aime qu'on le regarde en train de chier.

Il y a une pudeur de la misère.

Néanmoins, les misérables ont parfois l'impression de chier en groupe, comme dans une prison surpeuplée.

Ils en viennent à se confier, une fois passée la peur de se faire voler. Voire parce qu'ils n'ont plus rien à se faire voler.

Les langues se délient. Ce qui devait être tu se révèle à la faveur du mauvais sort collectif.


***

J'attire les confidences. À moins que je ne sois attiré par les exclus et les marginaux. Dès que j'en vois un, c'est comme s'il fallait que je saute dessus, comme si j'y voyais un frère ou une soeur qui pourrait me comprendre... 

C'est con. J'attends plus d'aide de ceux qui n'ont rien que de ceux qui possèdent tout. Ceux-là, ça fait longtemps que j'ai appris à m'en éloigner. Cela pourrait expliquer ma mauvaise fortune ou bien mon bon coeur. Ça dépend du point de vue. 

Les hérétiques ont tendance à tout me pardonner. Je vais naturellement vers elles et eux pour me reposer du monde - de l'immonde devrais-je dire - et bien sûr de ses immondices.

J'aime discuter avec ceux et celles qui n'ont pas de chance.

Être privilégié dans un système injuste ce n'est pas très reluquant au plan éthique. Il faut toujours se justifier de ne pas être un privilégié, de donner au Noël du pauvre ou bien de payer au noir des assistés sociaux. On ne peut même pas raconter ses réalisations sans se faire regarder de travers par les porteurs de bagages.

Tandis que les pas de chance n'ont même plus la force ou le temps de se justifier. 

Ils se révèlent tels qu'ils sont ou ne seront jamais.

Même leurs mensonges ont quelque chose de vrai et d'authentique.

Les vérités des bourgeois sont toutes tissées d'avarice, d'avidité et surtout de fatuité.


***

Djo, appelons-le ainsi, vient de perdre son loyer. 

Un fou est rentré chez-lui vers les trois heures du matin avec un bâton de baseball. C'était son voisin. Il a pété une coche et s'est dit, tiens, je vais aller frapper mon voisin.

Djo lui a fracassé le nez par réflexe d'autodéfense.

-J'avais peur hostie! Y'avait un batte dins mains! J'lui ai crissé un hostie d'jab sua yeule... Qu'est-cé tu voulais j'faize? J'vis dans un hostie d'quartier d'trous d'cul sales où tu peux pas survivre sans t'battre!

Comme il devait garder la paix après s'être fait prendre à vendre des cigarettes de contrebande il y a deux ou trois ans, le juge lui a donné des charges pour voie de faits...

Le propriétaire de son bloc n'aimait pas la face de Djo. Djo lui devait le loyer du mois d'août suite à ces ennuis avec la justice qui lui ont fait boire son chèque de BS, 

Le proprio a changé les serrures et a vendu le stock de Djo au pawnshop.

Djo s'est ramassé dans un refuge pour sans-abris.

Cependant, la partie n'était pas finie.

-L'proprio pensait que j'étais un hostie d'BS pis que j'ferais rien... Bin j'ai été à la Régie du logement pis j'ai déposé plainte pis toutte... I' m'ont confirmé qu'le proprio pouvait pas faire ça... En seulement qu'i' faut que je paye un huissier 80 piastres pour lui remettre un papier de la cour officiel, genre bref de saisie ou j'sais pas quoi... Quand j'va's r'cevoir mon chèque el' premier j'va's m'prendre le 80 piastres pis j'va's l'donner au huissier... Le proprio va pogner d'quoi... I' pensait que j'tais jusse un hostie d'BS qui s'défendrait pas pis qu'i' f'rait rien... Hin! Hin! I' va l'avoir dans l'cul!!!

-Pis tu couches où là?

-Me suis trouvé un autre loyer... loué avec poêle pis frigidaire. Il manquait une tévé pis un matelas. J'ai faitte les vidanges lundi passé. J'ai trouvé une tévé pis un vieux futon pas trop plein d'pisse... Maudite vie sale! J'mange aux Artisans... Des fois j'pogne un p'tit contrat au noir pis j'mange mieux... J'ai r'peinturé pour el' proprio où j'reste pis ça m'a donné quarante piastres en d'sour d'la table... L'air de rien ça respire mieux...


***

L'autre jour j'écris un truc à propos des travailleurs qui deviennent sourds comme des pots ou bien se mutilent suit à du travail à l'usine.

Un vieux pote m'écrit à peu près ce qui suit:

«J'ai travaillé à la XYZ toute ma calice de vie pis tu peux dire à tes lecteurs que je suis devenu sourd comme un pot à cause de ces tabarnaks! On travaillait sans protection ni bottes d'acier dans une shop de marde. Ils payaient pas les fériés ni le temps supplémentaire. Ceux qui sont pas devenus sourds ont pogné le cancer.»

Je lui ai prodigué quelques belles paroles.

Puis j'ai poursuivi ma journée.


***

J'ai croisé Albert qui mendiait sur la rue en tentant de vendre ses poèmes et ses dessins.

Albert a le cancer. Il s'achète de la dope avec l'argent qu'on lui donne.

So what? Je lui en donne, de l'argent.

Il est toujours souriant et reconnaissant.

C'est parfois la seule conversation à peu près humaine que je puisse avoir avec quelqu'un.

Les autres sont bien trop pressés. 

Albert, lui, a tout son temps.

Il accepte même de vous parler si vous n'avez rien à lui donner.

C'est sa forme de générosité.

-I' m'ont dit qu'i' m'reste peut-être un an à vivre avec d'la chance... J'ai des métastases...

-En tout cas, t'as l'air pas pire en forme aujourd'hui...

-Ah! I' faut... I' faut... Même si j'me plaignais, ça changerait rien...

On pourrait croire que son cancer est une astuce de mendiant. On le saura dans dix ans, s'il n'est pas mort.

Pour le moment, que ce soit vrai ou fou m'importe peu.

Feu mon père me rappelait souvent qu'à la guerre on ne tire pas sur les blessés ni sur les ambulances.

Ma guerre contre la pauvreté m'interdit de juger les blessés.

Il faut les ramasser, tout simplement.









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