jeudi 17 octobre 2019

La Beauté sauvera-t-elle le monde ou bien le monde se sauvera-t-il de la Beauté?

Est-ce moi qui traverse le spleen de l'automne ou bien est-ce le monde qui s'en va vraiment vers sa ruine?

Il y a sans doute de la beauté en ce monde. Il y en a, bien sûr. Demandez au type qui s'est acheté une île dans le Pacifique à lui tout seul s'il y a de la beauté en ce monde. Il serait fou de dire non. Et c'est le même qui fera peut-être en sorte que vous perdiez au jeu des inégalités sociales. Celui qui vous confinera directement à une vie de merde tout en feignant de l'ignorer. Celui qui a la bonté de vous laisser quelques écus après avoir volé la richesse des nations pour faire de tout un chacun un loqueteux comme vous et moi.

Oui, il y a de la beauté en ce monde.

Il y a encore la nature. Il faut la chercher toujours plus loin lorsque l'on ne vit pas sur une île au beau milieu du Pacifique de nos jours. Avant, malgré la pollution des papetières, j'y avais accès en moins d'une demie heure. Aujourd'hui, il me faut traverser quatre nouveaux quartiers résidentiels ou déserts industriels avant que de trouver un troupeau d'arbres à peu près sauvages.

Il n'y a toujours pas d'arbres sur la rue de mon enfance. Une rue triste qui a poussé à l'ombre d'une usine de textile qui a tordu des vies et rendu sourds plus d'un. C'est encore triste, sinon plus. Il ne reste que plus de misère. C'est comme si le rêve américain était un hostie de mensonge. Une farce qui n'empêche pas les crosseurs d'être réélus d'une élection à l'autre au jeu où toute beauté est toujours donnée pour perdante à dix contre un.

Mes grands-parents ont quitté la nature pour venir vivre à côté de ces usines de marde où l'on suffoquait, crevait d'un cancer en bas âge ou devenait sourd comme des pots. Où l'on se mutilait pour ne pas finir dans une cage, que ce soit en se coupant un doigt ou en prenant une brosse par jour.

Oui, c'est beau ce monde quand il ne travaillait pas. Ce monde qui riait, giguait, mangeait et buvait entre deux quarts de travail, entre les grèves ou bien le lock-out qui vous ferait bouffer le mastic autour des fenêtres mal calfeutrées.

C'est beau en hostie, quand on oublie la misère, la vie toujours plus dure. plus roffe-ène-toffe.

On peut oublier que 44% des espèces sauvages de mammifères sont disparus sur la planète au cours des 100 dernières années. Surtout si l'on est sur son île, au beau milieu du Pacifique. Si l'eau monte, il n'y aura qu'à s'acheter une montagne. L'argent déplace les montagnes. Et le talon de fer se chargera d'écraser toute foi et toute espérance. Jusqu'à ce que tout le monde crève en grappillant un peu de beauté ça et là: «Oh! Une feuille!», «Tiens! J'ai cru voir un papilon!», «C'est le gala de l'ADISQ ce soir!».

Dans le fond de l'abîme où nous pourrissons tous, il y a bien sûr de la beauté.

Il y a un zeste d'espoir, de courage et de force.

Un zeste qui s'épuise, comme tout le reste.

Un zeste de plus en plus fade et inodore, comme tous les simili-fruits vendus chez Wal-Marde ou Super-Calice.

Dostoïevski n'a jamais si bien dit lorsqu'il a écrit que la beauté sauvera le monde.

S'il revenait sur terre, comme Jésus dans La légende du grand inquisiteur tirée des Frères Karamazov, on voudrait se débarrasser de lui comme de tous les Ovide Plouffe du monde entier.

Parce que les inquisiteurs et les petits soldats des Césars ont encore poussés plus loin notre descente dans l'Âge de fer.

L'Âge d'or était derrière eux pour les Anciens qui croyaient vivre les pires temps de l'humanité.

L'Âge d'or, celui de la paix et de l'harmonie, la version grecco-romaine du mythe du Bon Sauvage qui n'en était pas un - je veux dire un mythe. C'est vrai que c'était mieux. L'Autochtone traversait moins d'épisodes de famines que les Européens prétendument civilisés. Il y avait tellement de tout en Europe qu'ils sont venus ici, sur l'Île de la Tortue, pour tout ramener chez eux parce qu'il n'y avait plus rien...

J'essaie de croire en un avenir meilleur et je vois qu'il y a pas mal de décombres et de ruines à ramasser avant même que de rebâtir quoi que ce soit.

Je sais bien que plus personne, du plus petit dénominateur commun au bourgeois le plus repus, ne croit vraiment en ce système.

C'est pour ça que tout stagne et que tout nous pète à la gueule dans l'indifférence généralisée.

On patauge dans le même marécage sombre depuis des lustres.

La beauté triomphera...

Même si je ne l'ai pas encore vue triompher.

Même s'il me semble vivre pleinement et salement son déclin.

Je ne me consolerai pas dans la philosophie. J'en serais incapable.

Je vais plutôt jouer de l'harmonica.

Et attendre la prochaine manif.




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