dimanche 2 juin 2019

Le lilas de la rue Cloutier et autres considérations intempestives

Maxime Gorki rapportait l'histoire de ce jardinier qui demeurait indifférent au passage de la foule des révolutionnaires en liesse qui défilaient dans les rues. L'époque était à la guerre civile. Le jardinier continuait néanmoins à s'occuper du jardin même si la soldatesque piétinait les fleurs.

Gorki n'était heureusement pas Lénine.

Ses pensées intempestives et notes de cette époque tourmentée en témoignent.

L'écrivain qui avait su raconter avec tant d'art les bas-fonds de la société russe n'avait pas su abdiquer son humanité face à la cruauté et à la brutalité des bolcheviques qui fomentaient un coup d'État avec l'aide des banquiers suisses et allemands.

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Il n'y avait presque pas d'arbres sur la rue Cloutier, à ce que je me souvienne, sinon un lilas. Ce lilas que mes parents avaient planté dans le minuscule carré vert devant chez-nous. Ce chez-nous qui était un logement trifluvien mal isolé dont les murs se couvraient de moisissures noires au printemps.

Notre voisin, Tibère Massicotte de son surnom, avait planté des tomates dans son minuscule carré vert pour donner suite à la tentative de mes parents de verdir une rue du ghetto attenant à l'usine de textile Wabasso. L'environnement y était plutôt glauque, avec des clôtures de broches surmontées de fils de fer barbelés. Une atmosphère oppressante de prison dans un quartier qui fournissait plus que sa part de détenus à l'État comparativement à son poids démographique.

Les lilas et les tomates étaient une minuscule tentative de rendre la rue Cloutier plus accueillante.

La rue s'était d'ailleurs montrée accueillante envers deux familles nouvellement installées. C'était des réfugiés. Une famille provenait du Vietnam et l'autre du Cambodge. On n'ose même pas imaginer ce qu'ils avaient vécu: la guerre avec son cortège de morts, la peur de mourir, l'anxiété de perdre ses enfants, le long voyage de boat-people perdus au milieu de l'océan...

Monsieur Phet, notre nouveau voisin cambodgien, ressentait une forte émotion devant les tomates et le lilas de ses voisins, c'est-à-dire de ma famille ainsi que de celle de Tibère Massicotte. Il traversait la rue et venait voir pousser les lilas, les tomates, les fèves, alouette!

-Dans mon pays, si toi voler tomates: couper main! disait-il.

Cela nous impressionnait, bien entendu.

Ma mère, pour favoriser les rapports de proximité, avait donné à la famille Phet du pâté chinois. Elle se disait naïvement que les Chinois devaient aimer ça du pâté chinois. Ils nous avaient donné en échange des petits biscuits délicieux et des piments forts à vous en arracher les yeux.

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Un jour, mon père a dû couper le lilas. C'était un jour triste. Les racines s'attaquaient aux fondations de notre taudis. Le propriétaire en était mécontent. Comme on ne payait pas cher le loyer mon père avait dû se résigner, j'imagine, pour le bénéfice de ses quatre bouches de gros garçons à nourrir. Il avait pris la scie puis la pelle pour extirper le lilas.

J'imagine que Tibère Massicotte mit fin aussi à son petit potager.

Nous déménageâmes. Les Cambodgiens et les Vietnamiens aussi.

La dernière fois que je suis retourné sur la rue Cloutier il n'y avait toujours pas d'arbres.

Cependant, la clôture de broche de la Wabasso n'y était plus.

Du coup, il y a des arbres et du gazon au bout de la rue.

Il reste encore quelques pins de l'ancienne forêt de pins qui a été rasée par la civilisation.

Puis il y a des pissenlits. Partout. Et parfois même des petites pensées, des fleurs dans les petits fraisiers, des pétales de je ne sais trop quoi et j'en passe.


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Je vis à une sale époque.

À l'instar de Gorki qui méditait sur son jardinier, je m'éprends de jardinage philosophique.

Voltaire prétendait qu'il fallait cultiver son jardin dans un monde allant de mal en pis.

«Il y avait un jardin qu'on appelait la Terre», chantait Moustaki.

Jardin, jardinier, jardinage...

Jarnidieu! Il faut sauver la beauté du monde, partout, coûte que coûte.

***

L'an dernier, j'ai sauvé un orme dans ma cour.

On aurait pu l'extirper. Ses jeunes branches dérangeaient les automobiles dans le stationnement. J'ai coupé les branches susceptibles de mener à sa coupe. Puis j'ai pansé ses plaies, soigné son écorce, et amplement abreuvé tout l'été.

Ce printemps, mon orme est devenu énorme. Il atteint maintenant une hauteur de plus de quatre mètres. Son tronc est aussi gros que ma cheville. Il tient solidement debout et continuera de pousser.

Mes voisins l'ont remarqué.

Ils me parlent de cet orme.

Je leur parle de mon orme.

Ça passe le temps.

Et c'est toujours mieux que de parler de politique ou de religion.

Mieux que de prêter foi à ces escrocs et autres pervers narcissiques qui se chargent toujours de s'en prendre à la beauté du monde parce que les bidous passent avant tout.











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