lundi 15 avril 2013

Un daltonien qui voit la vie en couleurs

Envers et malgré tout, je suis un daltonien qui voit la vie en couleurs.

J'ai zéro sur seize pour le vert au test des couleurs. Je ne sais pas ce que c'est que le vert. Je peux vous dire ce qu'est le pâle ou le foncé. Il m'est aussi loisible de lire sur les pots de couleur. Le reste, ce n'est que de la technique. Et comme Gauguin, lui aussi daltonien dans le rayon du vert, je finis par peindre des tableaux où surabondent les couleurs primaires, c'est-à-dire du rouge, du jaune et du bleu -le tout début du prisme des couleurs.

Je ne dis pas ça pour me plaindre. Je ne fais que constater l'ironie de la situation et me sens parfois face à mes tableaux comme Beethoven pendant un spectacle. J'en perds des bouts. Et le spectacle me surpasse.

Beethoven était sourd comme un pot. Et moi je lis sur les pots. Je ne suis pas Beethoven, bien sûr. Je ne lis pas la musique. Et j'ai l'ouïe plus fine que celle d'un chevreuil. Au fait, je ne sais même pas pourquoi je vous brosse une analogie avec Beethoven. Comme s'il fallait m'excuser de ne pas voir le vert et de toujours le confondre avec le jaune orange, le brun foncé ou le beige. Ce n'est qu'une question de point de vue, somme toute.

Je ne me laisse pas abattre par de telles futilités. Je travaille mes verts avec le sens du pâle ou du foncé. Cela marche jusqu'à un certain point. Si j'ai le malheur de laisser traîner une flaque de vert pâle dans mon assiette il peut m'arriver de barbouiller un visage en vert en pensant que ça lui fait un beau teint. Cela ne m'arrive pas tous les jours parce que je connais mon handicap au vert. J'admets que ma blonde me rappelle de temps à autres de prendre garde aux Martiens qui apparaissent ça et là sur mes toiles quand j'ai l'esprit ailleurs et que je n'y vais plus que par l'instinct. L'erreur est humaine quand je me trouve humain.

Les arts visuels supposent de la vision. J'ai fait ce pari absurde que la vision précède le visionnement. Quand on contemple les étoiles, on sait que nous voyons leur passé compte tenu du temps que la lumière peut prendre pour se rendre jusqu'à nous. Je ne dis pas que je suis une étoile, ni Beethoven, et encore moins un Martien. Je dis seulement que l'acte en lui-même, pendant l'exercice, ressemble à un envoûtement. Comme si je captais un poste. Le lointain passé de je ne sais trop quelle lointaine vision en couleurs plus ou moins primaires.

Je travaille sans support pour l'exécution de mes tableaux.

J'y vais parfois avec des photos, pour des caricatures ou bien des trucs très techniques. Je regarde la photo et j'en extrais les perspectives.

Cependant, il n'y a pas de photos pour mes tableaux.

Ça sort de ma tête comme ça, comme si les pinceaux menaient mes doigts.

Je sculpte dans la matière la vision lointaine de scènes où la joie de vivre est manifeste. Je le fais par défi. Pour juguler des tendances par trop surnaturelles à explorer le côté sombre. D'autres feront mieux que moi de ce côté-là et j'honorerai leur mémoire s'il le faut. On est ce que l'on mange, disait le gastronome Brillat-Savarin. Et je ne mange pas de charbon.

Je ne suis pas Dieu et je ne voudrais que m'amuser.

Peindre des petits bons hommes et des bonnes femmes avec des gros nez.

Peindre des scènes de la vie urbaine.

Ou bien des trucs qui se passent en forêt.

N'importe où, any where out of this world, comme disait un certain Charles Baudelaire, un Martien d'une autre époque.

J'ai peint toute la fin de semaine. Je vous reviens très bientôt avec mon exposition.

Souhaitons que le temps devienne plus vert, même si je n'y comprends rien.

2 commentaires:

  1. Il était tellement mais tellement sourd qu'il crut toute sa vie qu'il faisait de la peinture.

    Est-ce à dire que tu as l'espoir un peu gris?

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  2. Il y a une nouvelle application pour l'iPhone qui peut aider
    les personnes souffrant de daltonisme:

    https://itunes.apple.com/fr/app/colorsay/id605398028?mt=8

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