Rotopon n'était connu que par son surnom et on le surnommait ainsi pour une raison qui m'échappe. Il n'était pas ro, ni to, ni pon. Mais tous le surnommaient Rotopon. Alors je me pliais à la coutume et me permettais de l'appeler ainsi, quitte à y ajouter un peu de civilité: monsieur Rotopon.
Il n'était ni gros, ni maigre, ni teint, ni pointu. Il ressemblait vaguement à un poteau de téléphone. Il ne captait qu'une phrase à la fois. Et passait la majeure partie de son temps à se bercer sur sa galerie en buvant de la Old Milwaukee, une bière pas tout à fait fameuse mais pas cher.
Rotopon se berçait matin et soir en buvant sa bière sur sa galerie. Il ne lisait rien. Il n'avait pas de télévision. Il se berçait, point à la ligne.
J'ai bien tenté de lui parler mais rien à faire. Rotopon est régulièrement prostré et son vocabulaire est essentiellement monosyllabique: ouep, non, s'lut, 'jour, 'souère, hum, burp. N'essayez pas de lui tirer les vers du nez, Rotopon ne veut rien savoir.
Travaille-t-il? J'espère que non. Cependant des rumeurs portent à croire qu'il serait concierge de nuit et que, du jour au soir, il ne dormirait jamais pour mieux profiter de sa Old Milwaukee sur sa galerie. Évidemment, ce ne sont que des rumeurs puisque Rotopon n'a pas l'air vaillant. Il se fait livrer ses épiceries. Et c'est rare qu'on le voit courir bien que personne ne court vraiment dans les parages.
Quoi qu'il en soit, Rotopon c'est Rotopon. Tout le monde le connaît. Personne ne lui parle, sinon moi, pour rien dire et l'emmerder avec toutes sortes de niaiseries. Rotopon me fait des burp, ho, ha, ouin. Et cela me suffit. D'autres parleraient plus et m'écouteraient moins. Et bien que je ne sois pas sûr que Rotopon m'écoute, il me faut bien le saluer au passage pour ne pas passer pour un faux-jeton.
Sacré Rotopon! J'en connais qui diraient «Hostie de BS su' sa galerie qui boit d'la Old Milwaukee pendant que l'monde travaille pis sue!» Évidemment, ce sont des crétins. Car rien n'indique que Rotopon ne travaille pas. Et devrait-il être un chômeur que j'aurais cette délicatesse de ne pas lui reprocher sa misère. À la guerre, c'est toujours cheap de tirer sur les ambulances.
Pas vrai Rotopon?
-Hum...
J'aime bien gros ce Damien Robitaille.
RépondreEffacerRafraîchissant jusqu'à l'os.