vendredi 11 novembre 2011

L'adolescent de Dostoïevski

Je viens de terminer la lecture de L'adolescent, un roman tardif de Dostoïevski.

J'hésite à vous résumer l'intrigue puisque l'action se passe toujours dans la sphère de la conscience tourmentée chez le grand Fiodor. C'est un roman psychologique. Comme toujours chez Dostoïevski.

Toute l'intrigue de son roman Crime et châtiments repose sur le meurtre crapuleux de l'étudiant Raskolnikov. Il tue une prêteuse sur gages et sa soeur cadette en se donnant toutes les raisons du monde. Si Napoléon peut massacrer des millions d'êtres humains pour son «idée» alors pourquoi faudrait-il hésiter pour tuer une vieille? Évidemment, cela ne se passe pas aussi bien. Et le nihiliste Raskolnikov s'enfonce dans sa conscience tourmentée, au creux de l'abîme. Toute l'action se passe dans la tête de Raskolnikov. Son châtiment, c'est d'être tourmenté par son crime, d'être puni par l'idée de la rédemption.

Pour L'adolescent, l'intrigue n'y est aussi qu'un prétexte pour démontrer les déchirements intérieurs et les ressentiments de l'adolescent, fils bâtard d'un noble. Arkadi Dolgorouki, l'adolescent en question, a lui aussi son «idée». Il veut devenir aussi riche que Rothschild parce que tout le monde se pliera à ses volontés quand il aura de l'argent, même les nobles d'entre les nobles, parce que l'argent permet tout, dont l'ennoblissement des bâtards. On peut facilement s'acheter des titres de noblesse en Autriche...

Arkadi est balancé dans le grand monde au sortir de l'école et projette de rencontrer son vrai père et sa vraie mère qu'il n'a pratiquement jamais vus. Il est armé de son «idée».

Sa mère Sofia Andréevna était une jeune fille de dix-huit ans mariée à Makar Dolgorouki, un serf dans la cinquantaine déjà père de deux enfants, quand elle fit la rencontre du père biologique d'Arkadi, un noble, Andrei Petrovitch Versilov. La mère partira avec Versilov et Arkadi le bâtard portera le nom de Dolgorouki plutôt que celui de Versilov.

La dualité est présente dans L'adolescent comme dans toutes les oeuvres de Dostoïevski. Les personnages semblent toujours avoir un double. Ils ne sont jamais tout noir ou tout blanc. Plus Dostoïevski veut faire sérieux et plus il devient drôle. C'est un pince-sans-rire, comme Gogol. À ne jamais prendre au premier, ni même au second degré.

Il y a bien sûr une intrigue dans L'adolescent... L'histoire d'une lettre qu'Arkadi porte sur lui, une lettre qui pourrait détruire tout son entourage si l'on savait qu'elle existait. Cette lettre, au lieu de la détruire, il l'a cousue dans son manteau pour être sûr que personne ne mette le grappin dessus.

Et le jeune Arkadi sait qu'il peut se venger de tout un chacun à tout moment grâce à cette lettre. Et en même temps, Arkadi s'abandonne à la célèbre procrastination russe des années nihilistes. Il parasite un prince qui veut épouser sa soeur noble. Il emprunte de l'argent qu'il mise au jeu, tous les soirs, parmi le grand monde. Et plutôt que de mettre son plan à exécution, il change de scénario, revient, repart, tergiverse.

D'autres gredins moins avisés apprennent l'existence de cette lettre et pourraient faire beaucoup d'argent s'ils tombaient en sa possession. On pense qu'Arkadi l'a cachée quelque part dans son logis.

Entre temps, Arkadi apprend à aimer son père biologique, malgré tout, même s'ils aiment la même femme...

Et il écrit ses mémoires... Arkadi n'a même pas trente ans qu'il veut publier ses mémoires...

C'est absurde, comme dans tous les romans de Dostoïevski. Le gros de l'action se passe dans la tête d'Arkadi, comme dans celle de Raskolnikov ou de Stravoguine dans le roman Les possédés.

Je renonce à vous en dire plus.

Je vous laisse sur l'extrait d'une lettre de Nicolas Semenovitch. C'est l'ancien maître d'école d'Arkadi. Il lui demande son avis pour la publication de ses mémoires d'enfant d'une famille de hasard.

«Je l'avoue je ne voudrais pas être le romancier d'un héros d'une famille de hasard! (...) Cependant des Mémoires comme les vôtres pourraient, je crois, servir de matériaux à une future oeuvre d'art, au futur tableau, désordonné, mais d'une époque déjà écoulée. Certes, quand l'actualité aura passé et que viendra l'avenir, l'artiste futur découvrira des formes belles même pour figurer le désordre et le chaos passés. C'est alors que seront nécessaires des Mémoires commes les vôtres: ils fourniront des matériaux, pourvu qu'ils soient sincères, en dépit de leur caractère chaotique et fortuit... Il subsistera du moins quelques traits véridiques qui permettront de deviner ce qui a pu se cacher dans l'âme de tel ou tel adolescent du temps des troubles, enquête qui n'est nullement méprisable, puisque ce sont les adolescents qui forment une génération...»

_____

Source:
Dostoïevski, L'adolescent, Traduit et annoté par Pierre Pascal, Gallimard, collection Le livre de poche, 1956

Aucun commentaire:

Publier un commentaire