mercredi 19 février 2020

Jacquelin Dubé n'était pas homme à se laisser abattre

Jacquelin Dubé n'était pas homme à se laisser abattre.

Il avait tout perdu. Tout. Et quand je dis tout c'est tout.

Il n'avait même plus de dents. Et presque plus rien à se mettre sur le dos.

Tout y était passé. Tout.

Il y avait eu la maladie, le feu, le divorce, la mort de tout le monde, puis lui, tout fin seul, avec rien de rien.

Et pourtant, lui, Jacquelin Dubé, quatre-vingt-huit ans, analphabète et édenté, il n'allait pas se laisser abattre.

-On a des milles pis des cents qui sont morts qui se pensaient beaux pis fins pis toutte pis moé chu là avec rien, pas d'dents, pas d'linge, pas d'maison. Rien qu'une chambre... Un radio... Pis une chaise barçante raboudinée... J'ai rien calice mais au moins j'ai la sainte crisse de paix pis j'vis ma vie en attendant d'passer d'l'autr' bord. C'est ça qui est ça. Chu pas el' gars qui va se la bâdrer avec ça saint-étole de viarge!

Oui, c'est ça qui est ça monsieur Dubé.

Que dire de plus?

Jacquelin Dubé n'était pas homme à se laisser abattre.

Des aventures il en avait eues à vous en raconter des millions mais à quoi bon?

Jacquelin Dubé s'épuisait au bout de trois phrases. Il en avait bien dit assez.

Il ne se laissait pas abattre parce qu'il le disait lui-même.

Vous pouvez croire le contraire.

Ou bien médire.

Qu'en savez-vous d'être vieux, hein?

J'oubliais d'ajouter que Jacquelin Dubé était de taille moyenne et ne portait jamais de vêtements colorés. De plus, il n'écoutait que la musique à la radio et changeait de poste dès que l'animateur ou l'animatrice placotait trop longtemps.

Il faisait des patiences aux cartes toute la journée.

Il ne savait pas lire, évidemment.

Et il n'avait pas besoin de télévision.

Ni de se laisser abattre.

Jacquelin Dubé n'était pas homme à se laisser abattre.

Je vous le dis et le répète.

Voilà.



Aucun commentaire:

Publier un commentaire