mardi 7 février 2012

La légende bien vivante de Jos Pioui, alias l'Indien

Les quartiers pauvres sont remplis de personnes plus ou moins en-dehors de la norme, tant pour la forme que pour le langage.

En fait la norme c'est la bourgeoisie. Une fraction d'une fraction de quelque chose qui commence à ressembler à une poussière. Tout le reste, qu'ils soient des milliards ou pas, on s'en fout. La norme c'est ceux que l'on voit au cinéma ou ceux qui causent sur les ondes officielles en prenant des airs affectés sur des rires qui s'apparentent à de la pose. Ouais, la norme c'est la bourgeoisie. Celle qui fait semblant deuh... depuis toujours ou presque toujours.

Dans les quartiers pauvres, tout est vrai, brut et sincère. C'est rempli d'infirmes et d'éclopés, de gros, de maigres, de laids, de beaux, de n'importe quoi.

Jos Pioui, alias l'Indien, est pas mal magané. C'est comme s'il n'avait pas de tronc, seulement les bras et les jambes. Pioui n'en est pas moins un joueur de hockey fabuleux qui, sur la patinoire du quartier, file comme filait Lafleur le démon blanc des Glorieux du temps où ils remportaient la coupe Stanley.

Pioui peut exécuter toutes sortes de feintes avec son corps disproportionné. Comme il mesure à peine quatre pieds cinq pouces il peut aisément se faufiler entre les jambes de ses adversaires. De reculons, c'est comme s'il tricotait avec ses patins. Oui, Pioui est une vraie merveille sur la glace. Mais comme il est né dans le bas de la ville, on ignore son talent et on le laisse sécher sur la patinoire du quartier, misère de misère sale...

N'empêche que Jos Pioui, alias l'Indien, n'est pas que le meilleur scoreur du Parc des Épinettes. Il est aussi un fin intellectuel qui a lu à peu près tout ce qui se lit en caractères latins. Il a un don pour enregistrer des lectures à une vitesse folle. Et il vous parlerait pendant des heures de tous les liens que ses lectures peuvent avoir entre elles, bien mieux que n'importe quel professeur d'université désabusé ou bien cocaïnomane.

Et on se fout bien de ce talent, bien entendu, parce que Pioui n'a pas de tronc. On a beau dire qu'on est pour l'intégration qu'on voit bien plus d'hommes sans tronc dans les quartiers pauvres. Ou bien des gros, gros, gros. Ou des maigres, maigres, maigres.

Donc, c'est certain que Jos Pioui n'a pas de chance. Pas plus que nous tous qui jouons avec lui au hockey. On parle avec lui de littérature et de femmes. Parce que Pioui, bien entendu, aime bien les femmes. Il en prendrait bien une sans tronc, mais n'aurait pas d'objection à en prendre une avec un tronc, si ça se trouve.

-L'important, c'est d'aimer pis d'être aimé! qu'il dit parfois Jos Pioui, comme nous tous d'ailleurs, en quoi cela n'a rien de très original.

Il a une petite moustache à la Clark Gable, Jos Pioui, et même qu'il lui ressemblerait un peu si ce n'était de l'écart beaucoup trop petit entre ses yeux qui lui donne des airs de mandarin.

Jos Pioui ne travaille pas. Ce n'est pas parce qu'il n'a pas essayé. On lui trouvait un mauvais caractère. Pioui passait son temps à dire qu'il faut être honnête dans la vie. De quoi se faire virer, c'est certain.

Il était encore là hier soir, sur la patinoire du Parc des Épinettes. Il se pratiquait à snapper des poques sur la bande. Clak! Clak! Il te snappait ça en tabarnak, Jos Pioui, alias l'Indien.

Bien sûr qu'il est différent des autres. Mais nous sommes tous différents des autres dans le quartier. Y'en a un qui lui manque un oeil. L'autre n'a plus d'oreille. Et c'est comme ça. On n'y peut rien. Et personne ne pleure pour autant.

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