Le zoo de St-Zéphirin regroupait tout un tas d'animaux plus morts que vivants qui mangeaient à peu près toujours la même moulée. Gaspard, le lion, était famélique. Il avait attrapé un cancer. On le gardait parce que ça coûte cher, un lion. Et il avait beau manquer du poil à sa crinière qu'il faisait encore l'affaire pour les enfants. Le zoo de St-Zéphirin ce n'était pas le safari. Personne n'en demandait tant.
Ce qui fait que le babouin, le castor et le rat des champs ne se portaient guère mieux. Ils étaient tous sur le bord d'être relevés de leurs fonctions.
En fait seul Vladimir le grizzli était vraiment superbe dans ce zoo. Il était gros, solide, massif, imposant. Quand il se tenait sur deux pattes, tout le monde reculait de cent mètres, même s'il était dans une fosse. On se reculait instinctivement, par pressentiment d'un grand danger.
C'est vrai que Vladimir n'était là que depuis deux jours. Il avait conservé sa rage de vivre si je puis m'exprimer ainsi. Il se sentait bel et bien emprisonné. De plus, les saumons qu'on lui lançait à heures fixes n'étaient pas très frais.
-De la marde! qu'il s'est dit le lendemain matin. Ce soir je m'enfuie!
Le soir-même Vladimir le grizzli poussa une pierre près de l'endroit le moins profond de la fosse, se donna un grand élan puis franchit son chemin vers la liberté d'un saut massivement superbe.
Vladimir était libre! Il était minuit et aucun humain n'était dans les parages.
Alors Vladimir courut et courut encore de toutes ses pattes velues.
Oumf! Oumf! Oua!
Il était heureux bien que perdu. St-Zéphirin-de-Longval cela ne lui disait rien. Une petite paroisse athée qui se faisait passer pour une zone catholique romaine. Petite paroisse essentiellement constituée de médisance, de flashing et de cruauté envers les animaux.
Vladimir était bien mal tombé! Pourtant, il fallait bien manger. Et s'amuser un peu.
Comme il traversait la rue Principale du village, Vladimir fût attiré par une boutique remplie de bibelots et de verreries étincelantes.
-Oooh! s'est longuement ému le lourdaud en contemplant le merveilleux éclat du verre et autres surbrillance de pacotille de la boutique Chez Rita.
Vladimir, un peu esthète sur les bords, n'allait pas en rester là.
Il défonça la porte d'un coup de patte, rentra dans la boutique et beding, bedang, son gros cul péta tout sur son passage. Il se retourna et zoup! Trois lampes volèrent en éclats. Il revint sur ses pas. Bing! Une bouteille de parfum se fracassa sur le linoléum. Ensuite, ce fût pire encore que toutes les onomatopées qu'il me serait possible d'inventer. Bing! Crac! Boum! Ce que vous voudrez. C'était plus tonitruant qu'un orchestre brésilien en plein carnaval. Un vrai tohu-bohu qui rameuta tout le quartier, puis les pompiers, la police, le maire et les agents de la faune. Les seuls qui furent oubliés sont bien sûr les incompétents du zoo de St-Zéphirin.
Vladimir le grizzli fût évidemment ramené dans sa fosse, où il tua un innocent du nom de Louis Lemire-Cadorette, jobber du zoo, qui voulut lui frotter le museau d'un peu trop près pour faire le frais. Vladimir lui plongea toutes ses griffes dans le bide et lui dévora le gras mou.
Évidemment, on tua Vladimir le grizzli aussitôt. On ne les laisse pas tranquille les pauvres bêtes dans ce patelin hostile et retardé culturellement parlant.
Rita ne fût pas dédommagée par ses assurances pour les dommages commis par Vladimir dans sa boutique puisqu'elle n'avait rien pour la protéger. Elle avait toujours vécu et vivait encore sans filet.
Quoi qu'il en soit, sa marchandise ne valait rien.
C'était du stock que son mari allait chercher dans les poubelles, un peu partout dans les grandes villes. C'est fou comme le monde jette leurs choux gras, n'est-ce pas? La petite Rita et son gros Gérard avait compris ça. Comme ils avaient compris qu'ils pourraient faire beaucoup d'argent avec les images captées par leur caméra de surveillance qui bientôt firent le tour du monde.
Ainsi, Vladimir le grizzli devint célèbre.
Et ce sont les crosseurs de la boutique Chez Rita qui firent fortune.
Vous devriez voir leur boutique maintenant. On se croirait en Égypte en version plus cheap. C'est plein de pharaons de plastique et d'encens pas cher.
Vladimir avait du oublier Saint Zéphirin dans ses prières!
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