jeudi 20 août 2009
Debout! les damnés de la terre-heu!
Il n'y avait qu'un communiste notoire dans mon quartier pauvre comme bien d'autres quartiers pauvres.
Il n'y en avait qu'un seul et il s'appelait Charles Bordeleau. C'était un monsieur solide sur pattes au front un peu dégarni, père de trois garçons et deux filles, qui était président du syndicat de la cimenterie.
Dans une petite ville comme la nôtre, monsieur Bordeleau était ni plus ni moins l'ambassadeur de Brejnev dans le quartier. Il avait des idées bien arrêtées sur le monde. Le drapeau rouge avec la faucille, l'étoile et le marteau flottait aux balcons avant et arrière de son logement situé juste au-dessus du dépanneur Lescabeault Enr.
Ça ne faisait pas jaser tant que ça. Le petit monde du quartier ne s'intéressait pas à lire ni à écrire. Les communistes, pour eux, c'était du monde qui faisait du «porte emporte», des illuminés qui propagaient la foi et voulaient enlever la bière des frigos. Les gens du coin, en autant qu'ils pouvaient se payer du ti-coq (du poulet dans notre patois) eh bien l'affaire était ketchup. Rouge ou pas. Alors les communistes, pour eux, eh bien qu'ils mangent leur ti-coq de leur bord et tout sera tiguidou (convenable dans notre patois).
Pour nous, qui savions lire et écrire, un communiste c'était monsieur Bordeleau. Un monsieur qui faisait jouer de la musique bizarre dans le quartier le dimanche matin. Debout les damnés de la terre à neuf heures le matin, ça cogne fort en s'il-vous-plaît.
Ça nous faisait tout de même rigoler cette musique de fanfare.
Monsieur Bordeleau avait ses connexions à Moscou et il réussissait à faire venir en ville des tas de moscovites et autres avaleurs de sabres. C'était à l'époque de la série du siècle, l'épopée Canada contre la Russie au hockey. On trippait sur les Russes. On voulait goaler aussi bien que Trétiak. Et tout ce qui était russe nous disait que la technologie ne remplaçait pas la volonté. Les Russes pouvaient patiner sur de vieux patins en tuyaux et tout de même remporter la partie. C'était une leçon à retenir: la détermination du Russe.
Évidemment, nous ne savions rien encore du goulag. Monsieur Bordeleau, le seul communiste du quartier, n'en parlait jamais.
Il préférait nous faire écouter un peu de sa musique.
-Debout! les damnés de la terre-heu!
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