mardi 9 septembre 2008
Philo 101
Je vous ai déjà dit dans un billet précédent que Massif, le fils de ma blonde, a fait son entrée au Cégep.
Pour le moment, le Cégep, ça lui semble chouette. Massif se sent moins infantilisé qu'au secondaire. On doit probablement encore les traiter en bébés, au Cégep, mais il y a tout de même une différence marquée avec le secondaire. Infantiliser, c'est dans l'air du temps, que voulez-vous. Et chaque fois que l'on cesse de traiter les gens en caves ou en niaiseux à deux cellules, eh bien c'est fichtrement remarqué par les personnes d'intelligence moyenne, voire par les crétins.
-Alors, là, là, les p'tits z'amis, nous allons coloyier des mots de vocabulaiwe, de vo-ca-bu-lai-re, pour qu'vous seyez capables d'les épellationner! Alors, il y a le mot «douceur», qu'il faut coloyier en bleu, pis le mot «amour», en jaune... Est-cé qu'y'a des ti-z'amis qui préfèr'raient hin ôtre couleu'?
Ça, c'est une caricature du secondaire. Tu te fais traiter en niaiseux. Je le sais, c'était déjà comme ça dans mon temps. Je m'emmerdais en classe. Imaginez aujourd'hui. Ça doit être exponentiellement catastrophique.
Toujours est-il que Massif est content d'aller au Cégep. Je ne dirais pas que c'est à cause de l'excellence de l'éducation qu'on y prodigue. Il a des yeux, Massif, et il doit bien y avoir de ces belles fées qui troublent son sommeil, ces créatures exponentiellement plus nombreuses et plus exotiques qu'au secondaire. Le Cégep, ça fait sortir les plus jolies des campagnes environnantes. Sûr que Massif adore le Cégep, tiens.
Ce matin, pour l'appuyer dans ses études, je lui ai parlé un peu de philosophie.
D'abord, j'ai mon baccalauréat en philosophie, même si le jour de la remise des diplômes j'ai préféré me saouler la gueule au centre-ville plutôt que d'aller perdre mon temps à faire le singe qui porte un petit carré sur la tête.
Il y avait tellement d'illettrés qui recevaient leur diplôme ce jour-là que je n'étais pas pour me plier à cette mascarade. Cependant, je m'éloigne de mon sujet, la philosophie, une matière obligatoire au Cégep.
Bien que j'aie étudié en philosophie, je suis plutôt terre à terre. Mon amour de la sagesse (philo: amour, sophia: sagesse, c'est du grec, asti!), mon amour de la sagesse, doncques, passait par l'amour de la vérité, aussi con que cela puisse paraître.
-As-tu d'la philo c'matin Massif?
-Ouin, me répondit-il en engloutissant ses toasts au Nutella.
-Comment tu trouves ça?
Il m'a regardé en riant, et je ne vous dirai pas le non-dit de ce rire, justement parce que ce n'est pas dit. Je vous ai dit que j'étais terre à terre, même si j'ai mon diplôme de «philosophe»... non-pratiquant!
-Est-ce que l'on t'a parlé d'la Chaise, en philo? demandé-je à Massif.
-La chaise? Quelle chaise? Ma chaise? me répondit-il, en se demandant si sa chaise était pour tomber.
-Pas ta chaise, Massif! La Chaise avec un grand C! C'est un concept qu'on enseigne en philosophie, surtout en phénomènologie.
-La phénomèno-quoi?
-Anyway... J'vais t'expliquer le concept de la Chaise. La chaise que tu vois n'est pas la chaise que je vois. Compris?
-Guéte, as-tu pris ton café?
-Minute! J'suis ben sérieux Massif! La Chaise en tant que chaise n'est chaise que dans l'idée que nous nous faisons de la Chaise, mais la chaise, en soi-même, n'existe pas. Elle est le résultat de nos perceptions.
-Gulp!
-Prenons un serpent, un crotale par exemple. Le crotale a une vision thermique, autrement dit il ne détecte son environnement que par la chaleur dégagée par les corps, les objets. Pour le serpent, la chaise qu'il voit n'est pas la chaise que tu vois, et la chaise que tu vois n'est pas la chaise que je vois, d'autant plus que je suis daltonien... et que tu ne l'es pas.
-Pis?
-Pis ça reste rien qu'une crisse de chaise, au fond!
Massif a ri de bon coeur.
-Tu vois, Massif, en philo c'est possible qu'on t'enseigne parfois des concepts qui ressemblent vaguement à de l'enculage de mouches. Cependant, c'est pour développer ton sens critique. Ce qui inclue, entre autres, cette belle réflexion: ça reste rien qu'une crisse de chaise!
-J'peux-tu écrire ça dans l'examen?
-Heee... Non. Ce serait une bonne joke, bien sûr, mais ce ne serait pas une bonne idée.
Massif a terminé ses toasts au Nutella et moi, un peu désorienté par mon histoire de chaise, je me suis laissé tomber sur la chaise roulante, devant mon ordi, pour vous rapporter tout ça d'un trait, histoire de philosopher un brin.
J'espère seulement que Massif n'a pas pour professeur de philo un pelleteur de nuages. Ce sont les pires pour dégrader la réputation de la philosophie.
***
ÉPILOGUE: MON PREMIER COURS DE PHILOSOPHIE À L'UNIVERSITÉ
Mon premier cours en philosophie à l'université.
Mon prof est un maniaque de la philosophie du langage et de l'enculage de mouches. Cocaïnomane invétéré, il réfléchit sec. Et il n'aime pas l'effet pernicieux que les Socrate, Diogène, Épictète, Sénèque, Confucius, Lao Tseu et compagnie ont pu avoir sur la philosophie. Il veut du solide: Wittgenstein, essentiellement, et ses innombrables commentateurs.
Il écrit au tableau noir deux définitions de la philosophie:
1) Philosophie = art de vivre;
2) Philosophie = analyse des systèmes de pensée.
Il trace un gros X à la craie sur «art de vivre».
-La philosophie, dit-il, consiste à analyser les systèmes de pensée. Ce n'est pas un art de vivre.
Il nous fait signe du doigt de l'attendre quelques instants puisqu'il doit se rendre à la salle de bain pour sniffer une track. Évidemment, il ne nous dit pas ça dans ces termes-là, mais on devine ce qu'il s'en va faire puisqu'il revient avec un peu de talc blanc sous le nez.
-Je m'excuse pour le contretemps. Maintenant, nous allons parler de la chaise en tant que chaise... Pour ce faire, je vous demanderais de vous reporter à cet extrait de La Phénoménologie de l'esprit du philosophe Edmund Husserl.
Ciboire! J'étais allé en philosophie parce que je croyais y apprendre tous les rudiments de l'art de vivre, qui est aussi un art de connaître, et voilà que je tombe sur un cancrelat coké qui veut me bourrer le crâne avec des niaiseries sur une crisse de chaise!
Tabarnak!
Ché pas encore où tu déconnes, où t'es sérieux, où y a des deux, ce qui m'incite à penser que ma question est mal posée. T'es pas quelqu'un qu'on peut décoder avec cette grille, t'as pas de frontières entre tes humeurs, tes propos, tes mots: faut t'appréhender globalement, tu as fusionné des éléments qui se rencontrent rarement en une seule personne, tu les as intégrés, tu es intègre, un être fédéral, sans provinces découpées claires dans sa chair comme ces boeufs dessinés chez le boucher avec des pointillés délimitant les pièces de bidoche. Plus je te lis, plus je comprends pourquoi le monde a tellement de misère à me figurer, moi qui me trouve si simple.
RépondreEffacerSi t'as vraiment vécu ça au secondaire, et je serais porté à te croire parce que dans l'autobus qui nous ramenait de Saint-Hyacinthe chaque soir, on était du Séminaire, de la Poly, des deux collèges de filles et de l'Institut familial, et un gars de poly en sec 4 m'avait montré son examen de français, une feuille fraîche issue du cyclostyle, calligraphie bleu pâle et sentant bon l'alcool: la première question demandait de faire une anagramme avec niche, et fournissait cinq soulignés comme dans le jeu du pendu. Suivaient six ou sept autres questions, je sais qu'il n'y en avait pas dix, et quand je lui ai demandé de me montrer le reste, il m'a demandé de quoi je parlais: il n'y avait pas de reste, et donc, si tu as vécu ce coloriage au secondaire, je me demande vraiment comment tu as survécu, prospéré, appris à écrire comme ça, gardé la faim de lire et la capacité de comprendre, pas nécessairement dans cet ordre, je veux dire c'est une curiosité statistique, une improbabilité, je le sais, j'ai quitté tout ça à seize ans et je ne peux pas expliquer aux gens qui s'en enquièrent ce que je suis ce que je sais, mais ça m'écoeure toujours de ne pas pouvoir critiquer notre système d'éducation de peur qu'on m'objecte qu'il ne doit pas être si pire puisque j'en suis le produit: je peux pas, mais je le fais quand même, ben batinsse y a jamais, jamais personne qui m'a objecté ça, pas un crisse, y a que moi qui ait fait ce sketch dialectique intérieur, et ça m'étonnerait que t'ait pas fait le même, avant de livrer ce billet si ingénieux qui contourne tous les pièges à ours du genre. N'empêche, la philo, si c'était enseigné, quelqu'un kekpart me l'aurait fait, l'objection. Massif doit triper en philo. On le dit jamais, au Cégep, ça se dit pas, mais tout le monde tripe sur la philo, les jocks encore plus que les nerds. Ça prend des années pour les calmer.
La coke, c'est pas la même coke, Gaétan, c'est dans les perceptions et les narines, mais c'est la même crisse de coke!
Hééééé. Bizz, buddy.
Mort de rire.
RépondreEffacerUne chaise sans barreau, et qui n'a pas de siège, est-ce toujours une chaise, ou une joke de Lichtenberg?
RépondreEffacerIl y a la philo pour les nuls, et il y a les nuls de la philo; les premiers se retrouvent sur les bancs d'école, les seconds au tableau noir.
Je vous embrasse tous,
Le frère de l'autre
Si l'autre tombe dans la forêt et que son frère n'est pas là pour l'entendre, est-ce que ça fait un bruit, qui va réparer cette chaise et peut-on vous embrasser en retour?
RépondreEffacerCe qui tombe ne fait pas toujours du bruit; pour faire du bruit, il faut toucher le fond. Après quoi, on remonte.
RépondreEffacerJ'ai l'impression d'assister à la rencontre de deux navires en haute mer : le Mistral et le Simplement. Toutes voiles dehors.
Votre correspondance me comble.
Embrassons-nous!
Le frère de l'autre
On demande à Miguel Indurain ses impressions, après la confirmation en montagne de sa cinquième victoire au Tour de France. Il dit (je cite de mémoire) :
RépondreEffacerBoaf. Si j'avais passé la journée dans l'atelier à construire une chaise, mon fils pourrait s'asseoir dessus, ce soir.
Strong silent type.
RépondreEffacerToujours eu à travailler l'aspect Silent. Faudrait en parler. :-)
Mmmmhhh...okay bon ben moé j'm'en vas prend'un aut'café.
RépondreEffacerSacrament! Vous me donnez pas mal de bon stock à lire tout d'un coup... Arrêtez-moé ça, j'capote.
RépondreEffacerD'abord Misko qui s'en va prendre un autre café. Hostie, dans le contexte ça tombe d'aplomb.
Et Miguel Andurain, gagnant du Tour de France, qui aurait dit: «Boaf. Si j'avais passé la journée dans l'atelier à construire une chaise, mon fils pourrait s'asseoir dessus, ce soir.» Alors là, É., c'est un grand cru. Jamais entendu quelque chose d'aussi simple et aussi français de ma vie chez un gagnant. J'espère que le jour où je gagnerai quelque honneur je dirai une niaiserie du genre.
Mon frère et Mistral ont le même prénom. Ça devient confondant en s'il-vous-plaît de passer d'un Christian à un autre. Et qu'est-ce que vous avez à vous lancer dans des embrassades? C'est É. qui est en France... Ici, au Québec, on se crisse des bines sur l'épaule.
«Mmmmhhh...okay bon ben moé j'm'en vas prend'un aut'café.» Dixit Misko, mon frère algonquin.
Hahaha!
Astheure on sait qu'il fait du bruit, l'autre, sauf que c'est le bois qui tombe et touche le fond, lui il écrit, la forêt part en pitoune sur trois rivières et Bouchard corrige sa ponctuation.
RépondreEffacerYo, Misko! Yo, Christian! Bines dans le gras de l'épaule; c'est ça ou s'faire traiter de fifs.
tu as perdu trop de temps
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