mercredi 26 août 2009
Le chaudron de fer
Ikwé la géante voyait bien que Donakhona le gros gras faisait tourner sa cuillère dans son ragoût d'ours. Il mangeait du bout des lèvres, quand il en avait assez de faire tourner la cuillère dans son bol, puis il soupirait comme si c'était la fin du monde. C'est qu'il pouvait être enfant quand les choses n'étaient pas à son goût!
-Mange Donakhona! Mange! C'est ton repas préféré, du ragoût d'ours! J'y ai mis des bleuets et de la farine de maïs pour épaissir... Il y a même du petit sel ramené par les Français... C'est bon ce petit sel...
-Mouin... Mais ça ne bat pas un bon ragoût d'ours cuit dans l'auge avec des pierres chaudes. La viande est plus tendre et elle n'a pas ce goût de fer qui ne me revient pas...
-Ça goûte la même chose mon gros loup! C'est pareil!
-Nenon! Le ragoût d'ours cuit dans l'auge de bois, avec des pierres chauffées au point d'éclater, y'a que ça de vrai! Les maudits chaudrons de fer ça transforme la viande en résine de sapin! C'est pas mangeable! On mâche et on mâche et ça ne veut pas se déchirer!
-Si c'est pas mangeable, fais-le donc toi-même le ragoût! Pff!
-C'est pas une mauvaise idée ça... Et même que je me ferais plutôt un ragoût de chevreuil chauffé lentement avec des pierres chaudes, dans une panse d'ours. Et je ne mettrai même pas du sel des Français et autres bagatelles de luxe! Je mangerais ça comme un vrai Anishnabé!
-C'est plus facile à laver les chaudrons! Ça se laisse décrasser tout seul! À Paris, les femmes font toutes comme ça... Et j'ai entendu dire qu'elles portent de jolies robes!
-Leurs robes? Pff! Y'a rien de plus beau qu'une femme toute nue!
-Tu ne penses qu'à ça! Allez! Lâche-moi le popotin et mange ton ragoût!
-N'empêche que ça goûtait meilleur... Le ragoût cuit dans l'auge ou dans la panse d'ours... Après les chaudrons de fer, ce sera la hache, le fusil, toutes sortes de trucs fabriqués par des esclaves, en France, qui ne peuvent jamais voir la lumière du jour... Et on appelle ça la civilisation? Et ils nous disent Sauvages? Bon sang de bonsoir, moi je dis qu'on vivait bien et qu'on n'avait pas peur de se faire voler son steak avant que les Français ne viennent ici! On ne passait pas notre temps à se scalper les uns les autres! Maintenant, on ne vaut guère mieux que des esclaves... On travaille toute la journée à vider les forêts de tout ce qui bouge, juste pour satisfaire nos appétits insatiables... Oh! je n'accuse pas que les Français... C'est nous qui le voulons, le chaudron de fer, et qui acceptons tout ce qui vient avec...
-Mange ton ragoût Donakhona! Mange!
-Maudit chaudron de fer!
Aucun commentaire:
Publier un commentaire