mercredi 10 décembre 2008
MON PAYS C'EST L'HIVER
J'avais douze ans et je faisais mon entrée dans le monde du travail. Ma job consistait à déneiger les stationnements, entrées de cour et devantures des commerces avoisinants. Dès qu'il y avait deux ou trois pouces de neige, je prenais mon scrépeur et mon balai puis je m'en allais faire ma tournée de déneigement.
Cette journée-là, il y en avait un peu plus épais que d'habitude. Toutes les écoles étaient fermées. Et il manquait de bras, ici et là dans tout le quartier. Il manquait de bras pour évacuer toute cette neige qui semblait paralyser toute forme d'activité humaine hormis le pelletage.
Comme de raison, mes bras étaient mis à contribution, d'autant plus que je me promenais avec une pelle sur l'épaule, signe évident que j'étais un surnuméraire à la recherche de quelque contrat de déneigement.
Le benjamin de mes frères et mon chum Toothpick m'accompagnaient avec, eux aussi, une pelle sur l'épaule. Et ce jour-là, avec cette neige qui ensevelissait tout, nous étions comme qui dirait les héros des petits commerçants à la patate un peu trop sensible pour pelleter.
-Vous voulez d'l'ouvrage les jeunes? J'vous donne cinq piastres chaque pour déblayer mon stationnement!
-Non, dix piastres chaque! exigeait Toothpick, le plus businessman et aussi le plus pauvre de nous trois.
-Ok d'abord... Dix piastres chaque! Mais j'veux qu'ça sèye ben faitte!
Ce qui fait que nous avons extirpé de la neige la coordonnerie, l'épicerie, la buanderie, la quincaillerie, la rôtisserie, la brasserie, la taverne, le dépanneur, la Commission des liqueurs et plusieurs stationnements de particuliers. Nous avons travaillé fort pendant huit heures, sans arrêter. L'argent qu'on déposait dans nos mains après chaque corvée nous encourageait à continuer encore et encore.
-Dix piastres! i' nous a donné dix piastres chaque! qu'on se disait.
Et, après s'être acheté une poignée de bonbons au dépanneur pour se redonner des forces, nous poursuivions nos efforts, pelle en main, sous une neige folle de fin de tempête.
Évidemment, je me tapais à moi seul la pâtisserie, prétextant que c'était mon contrat. En vérité, c'est que je ne voulais pas partager les pâtisseries qui s'ajoutaient en pourboire après que j'eus tout déblayé. Miam! Des mille-feuilles, des souris, des choux à la crème, des babas au rhum... Rien que d'y penser, j'en ai l'eau à la bouche... Imaginez le plaisir que j'avais à me bourrer la face de sucre jusqu'à ce que mon pancréas éclate!
Il n'éclatait pourtant pas, le pancréas, et l'effort transformait en muscles tout ce sucre pris en trop.
Nous nous rejoignîmes chez madame Fontaine pour une dernière corvée.
-Moé j'arrête après ça, nous dit Toothpick. J'ai cent vingt-cinq piastres dans mes poches. Cent vingt-cinq pour huit heures d'ouvrage, man. C'est pas pire, hein?
-Moé 'ssi, ajouta mon plus jeune frère, j'ai cent vingt-cinq piastres. J'arrête. J'veux jouer au hockey à soir.
-Bon ben on va finir ça vite chez madame Fontaine. C'est pas pour vous baver, mais moé j'ai faitte cent quarante piastres!
On dépassait rarement trente dollars par chute de neige. Celle-ci avait été exceptionnelle. Et on souhaitait que l'hiver soit encore exceptionnel pour que nous puissions nous faire un peu de pognon, de quoi dépenser un bon montant dans Space Invaders à la salle de pool de la rue Godbout, dans la P'tite Pologne, tout en mangeant de la poutine et des sousmarins.
Sauf que cette fois-là, nous étions fourbus moi et mon frère. La douce chaleur de la fournaise à l'huile combinée aux efforts déployés précédemment nous fit planter des clous beaucoup plus tôt que prévu. Il n' y aurait pas de partie de hockey ni de partie de Space Invaders.
-Ouin, ben j'pense que j'irai pas jouer au hockey à soir, déclara Ti-Mik, mon jeune frère.
-Ouin, ben j'pense que j'dormirais moé là... ajouté-je.
Nous avons compté notre argent une dernière fois, devant nos parents, pour qu'ils voient que nous étions devenus des hommes.
-C'est d'la belle argent ça! déclara ma mère. Dépensez-la pas toutte! Est assez dure de même à gagner!
-Y'ont faitte plus d'argent clair qu'j'en ai faitte à shop aujourd'hui! conclut mon père.
Une demie heure plus tard, après avoir mangé la moitié de la brique de fromage Descôteaux que ma mère achetait au marché public, au centre-ville, toute la maisonnée était au repos, à compter des flocons de neige juste avant que de fermer les paupières pour un sommeil bien mérité.
La SAQ, ça n'existait même pas dans ton temps. Menteur.
RépondreEffacer:D
J'ai même pas écrit SAQ! J'ai écrit Commission des liqueurs! Où c'est qu't'as vu ça SAQ, hein? Menteuse!
RépondreEffacer;)
Dans mon temps c'était la Commission des liqueurs... J'suis déjà rendu vieux. Bon, ben j'pense que j'vais passer à la SAQ pour m'acheter de quoi soigner mes rhumatismes...
RépondreEffacerGaétan, je te rassure. C'était la Commision des liqueurs dans mon temps aussi... :/
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