lundi 15 décembre 2008
LE RETOUR DE STRAVOGUINE
Il voulait changer le monde. C'était un nouveau Stravoguine atterri dans le quartier. Un quartier dostoïevskien de Twois-Wivièwes où tout finit par ressembler à un roman russe, avec la neige et les grands froids en prime; les patates, les navets, le mauvais tabac et les rognons pour la déprime. C'était un quartier pauvre, ouais, le quartier Sainte-Cécile, coincé entre la Wabasso Textile et la Canadian International Pulp and Paper Company.
Pas étonnant, donc, que l'on trouvât dans cet environnement plein de types qui ne cherchaient qu'à changer le monde, comme ce nouveau Stravoguine.
Il marchait toujours la tête basse, le dos voûté, les yeux brûlants comme des tisons pour alimenter d'images inutiles une vraie cervelle de moineau à peine capable de lacer une paire de souliers.
Personne ne savait son nom. Ce qui fait que tout le monde l'appelait Le Maillet-avec-son-grand-trenchcoat-du-KGB. Généralement, tout le monde s'en tenait à l'appeler Le Maillet tout court.
L'idée de changer le monde tenait tellement Le Maillet occupé qu'il ne voyait rien de ce qui se passait autour.
Le Maillet lisait Sartre, Camus, Mao, Staline, Hitler et Gandhi. Tout de travers. Et il se faisait de ce galimatias un semblant de pensée originale. Ce qui lui demandait du temps et de l'organisation pour que le ciment tienne. Ça lui demandait aussi du décor, un costume, du théâtre -ce qui se résumait à quelques poses dans le miroir savamment étudiées pour se donner des airs faussement charismatiques puisque le théâtre et les costumes ne réussissaient pas à faire oublier sa gueule de crétin.
-Je suis un cadre révolutionnaire du futur Parti des masses laborieuses et je n'ai pas le temps de travailler. Je dois penser. Je dois changer le monde! pleurait Le Maillet à qui mieux mieux en brandissant le poing et en scandant des slogans.
-Tout, tout, tout vous saurez tout sur le pays! hurlait-il en brandissant toutes sortes de bannières et de drapeaux.
Il baisait peu. À vrai dire, pas du tout. D'où cette hargne. Cette grogne. Cette gueule de con.
-Au poteau! Les ennemis du peuple! Au poteau! glapissait-il quand il était saoul à s'uriner sur lui-même.
Et bien sûr, il se voyait dans le rôle de l'ami du peuple. N'avait-il pas la panoplie? Il arborait fièrement son béret, ses badges au contenu graphique nul, ses tracts soporifiques, ses journaux sur dix huit colonnes pas d'images, sinon celles du Grand Timonier, du Petit Père des Peuples et autres Soleils des Nations. Il n'avait pas que l'air d'un con. C'en était un, c'était bien évident.
Et jamais il ne tenait la porte pour laisser passer une vieille avec les bras remplis de bagages.
Et jamais il ne disait bonjour, comment ça va, en forme, merci, au revoir et autres formules de politesse bourgeoise. En fait, il ne disait rien. Il semblait dire «Souffrez que je vous voie, vils esclaves, à genoux devant les ordures fédéralo-capitalistes!» Peut-être qu'il semblait dire aussi «Vous êtes rien qu'd'la merde à mes yeux! Et vous ne serez toujours que d'la merde! Je vais toujours vous chier dessus.»
Bref, il s'était débarrassé de toute forme de sentiments bourgeois.
L'amour? Cela s'achète et comme il n'avait pas d'argent, il était vierge.
L'amitié? Rien ne vaut l'amitié entre un homme et sa Cause. Parents, amis et balayeurs de rue peuvent être sacrifiés pour une Cause aussi noble et bonne, réfléchie longuement dans quelques bazars du livre.
Et le reste? Le reste n'était là que pour détourner de la Cause.
Ce qui fait qu'il n'aidait personne autour de lui.
Le Maillet méprisait le monde entier.
Et les petites gens dans le quartier le prenaient un peu en pitié, parce qu'ils sont gentils somme toute. Et tout un chacun lui donnait de la sauce à spaghetti ou du pot pour qu'il se sente bien intégré dans le quartier.
-C'est un pauvre ti-gars, pas d'blonde pis toutte... disaient ses vieux voisins hippies qui l'avaient pris en affection. I' f'rait mieux de s'trouver que'qu'une pour s'calmer les hormones. À c't'âge-là, on dira c'qu'on voudra, i' faut ben qu'le jus sorte en que'que part, en seul'ment qu'other-ment ça va leu' jaillir par les z'oreilles! L'Maillet faudrait qu'i' arrête e'distribuer des tracts à porte du Super Calice... I' f'rait ben mieux d'se mettre! On va y présenter la fille à Raymonde. Est tu-seule elle aussi pis elle aime le chocolat. I' d'vrait être capab' de y'acheter ça, du chocolat, Le Maillet? Hein?
Ben non! Le Maillet voulait rien savoir.
Il prenait toutte comme si ça lui était dû.
Et il s'enfermait chez-lui, le soir, pour insulter le peuple devant son miroir.
-Obéissez! hurlait-il. Obéissez!!!
C'était vraiment un hostie d'maillet.
Je ne sais pas ce qu'il fait aujourd'hui, Le Maillet, mais j'espère qu'il s'est trouvé une job.
Dans son cas à lui, travailler ça ne lui ferait pas de tort.
Ça le rapprocherait des masses laborieuses.
Qui veulent des breaks plus longs pis d'l'argent comptant, pas des séances d'éducation populaire pis des tickets de rationnement...
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