mardi 2 décembre 2008
ENTREVUE AVEC ERNIE AU PAYS DES AURORES BORÉALES
Lorsque j'entends Jean Charest dire qu'il va développer le Grand Nord, j'entends aussi résonner l'écho des Anishnabés, des Cris, des Inuits et des Innus: «Quoi? Vous voulez développer quelque chose sur NOTRE territoire? Pourriez-vous s'il-vous-plaît NOUS en parler avant de faire les fous?»
Leur en parler! Bien sûr. En temps et lieux. Un vulgaire papier mal torché qu'on fera signer aux chefs de bande. Des études bidons. Du développement durable.
Ce qui m'a donné l'envie de vous rapporter cette entrevue avec Ernie, un Cri de Chisasibi.
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ENTREVUE AVEC ERNIE AU PAYS DES AURORES BORÉALES
Ernie doit bien avoir soixante-neuf ans et pourtant il est solide comme un athlète du fait qu'il marche sur sa terre depuis sa plus tendre enfance, jour après jour, en bottes ou en raquettes. Il a le visage crevassé par la vie au grand air. Tout en lui rappelle le Cri typique, jusqu'à son rire bon enfant, un rire respectueux, attentif aux autres.
Ce jour-là, il traînait à Chisasibi au centre communautaire. Une maudite formalité administrative qu'il lui fallait remplir avant que de repartir vers ses campements.
Ernie en était donc à son huitième café. Les Blancs d'Hydro-Québec emmènent toujours du bon café et de bons biscuits. Et c'est gratuit. Faudrait-il s'en priver? Pour tout ce qu'ils gâchent autour, aussi bien s'en régaler sans honte.
Les Blancs veulent bâtir un barrage dans la zone de trappe de Ernie. Et ils viennent tester le terrain en faisant une étude anthropologique, pour préserver la mémoire du territoire et de ses habitants avant que de tout inonder. Le café est gratuit et les biscuits sont bons.
Dans la tradition autochtone, il faut écouter quand quelqu'un parle. Et les Blancs parlent tout le temps, laissant à peine à Ernie l'occasion de placer un mot. Il doit répondre par oui ou non, pointer des emplacements sur des cartes géographiques: lieux de sépulture, zone de chasse, campements, etc.
Cela fait trois heures que cette entrevue s'éternise sans qu'Ernie n'ait placé un mot.
Puis Ernie profite d'une question pour déballer le paquet à ce jeune Blanc et cette jeune Blanche qui servent de paravent à l'inondation.
-Qui va prendre soin de la terre et de ses créatures si nous ne sommes plus là pour les protéger? Qui va prendre soin de nos amis les esturgeons, les brochets, les truites, les corégones, les castors, les outardes, les canards, les lagopèdes, les caribous, les orignaux, les ours? Qui va préserver la vie, leur vie, hein? Les Blancs n'ont jamais respecté l'Indien partout où ils sont passés. Ils n'écoutent jamais. Ils pillent. Ils tuent. Ils inondent. Moi, je ne tue jamais que ce que j'ai besoin et Kitché Manitou dans son infinie sagesse m'a donné tout ce qu'il me faut: de l'eau, de l'air, de la nourriture, de la terre. Et moi je suis le gardien de ma zone de trappe. Je suis là pour sauver les créatures de ma zone de trappe, comprenez-vous? J'ai vu les barrages que vous avez construits: l'eau n'est plus bonne à boire pour vingt ans, à cause du mercure, et on ne doit plus manger de poisson. Mais le poisson, qui le mange, hein? D'autres poissons. Et les castors meurent par milliers, ne trouvant plus de terre à laquelle se rattacher. Et c'est ainsi pour tous les autres animaux: c'est une tuerie sur notre territoire juste pour que les hommes vivent encabanés toute l'année au Sud, sans jamais respirer d'air pur ou boire de l'eau des lacs. Ils nous voient parfois à la télé et ils trouvent ça beau, bien sûr, et ça l'est sans doute. Mais ils oublient que de l'électricité, ça ne se mange pas, ni de l'argent. Pour acheter notre silence, les Blancs voudraient tous nous confiner à un chèque mensuel, à regarder la télévision comme un homme du Sud, loin de la nature, loin des animaux, loin de lui-même en tant que Cri, en tant qu'Iyéyou! Il nous faudrait mourir en regardant Dallas ou The Price is Right! Alors que toute la culture du Cri est essentiellement axée sur la Terre, sur le Grand Cercle de la vie, sur les arbres, l'eau pure, les animaux! Et nous sommes les gardiens de cette terre! Et franchement, je dis que je ne pourrai peut-être pas à moi seul empêcher la construction du barrage, car c'est bien pour ça qu'on vous envoie ici, hein? Je me ferai sans doute tasser de ma zone de trappe, comme c'est arrivé jadis avec LG-2. On va noyer ma zone de trappe, déplacer mon village, et tous les miens n'iront plus à la chasse, ni à la pêche, ils vont juste perdre leurs racines et regarder la télévision, regarder les hommes du Sud rire et danser, tandis qu'il n'y aura plus un arbre debout et que l'eau des lacs sera empoisonné et...
-Parfait Ernie, et si nous parlions maintenant des caribous? Pourrais-tu m'indiquer sur la carte où sont les caribous? Fais un x là où il y en a, comme nous venons de faire pour les esturgeons.
La jeune anthropologue de Montréal tapait sur la table avec son crayon tout en jouant avec quelques breloques zen à la mode qu'elle portait sur elle pour mieux se préserver des énergies négatives. Elle en avait assez de ses entrevues interminables. Elle avait hâte d'aller dépenser sa paie à Montréal.
Son collègue était à moitié endormi. Il tapait du crayon sur la table lui aussi.
-Pourrais-je vous prendre encore du café, hein? demanda Ernie.
-Oui, bien sûr! répliqua le jeune anthropologue qui portait un T-Shirt blanc.
-Y'est bon votre café! Hum! Bon café!
-Je l'ai pris à La Brûlerie, sur la rue St-Denis à Montréal.
-Très bon café! rajouta Ernie tout en prenant une gorgée. Excellent!
Évidemment, Ernie proposa subtilement à la jeune anthropologue de faire un peu de gymnastique avec lui sur une peau d'ours. Ernie aimait bien l'exotisme. Ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de faire l'amour avec une Montréalaise. Et puis Ernie venait de passer trois mois tout seul dans le bois: ça le travaillait pas mal. La jeune femme déclina son invitation tout aussi subtilement. Ernie se reprit un dixième café.
-Bon café! Ouais! Bon café!
Watchiya Ernie... Watchiya.
Ouain, j'espère bien moi aussi qu'à 69 ans je filerai encore pour me taper un p'tit 69 sur une peau d'ours dans ma cabane de...jardin mettons!
RépondreEffacerHave a great one Makwa!
-Misko
Il y a quelques années, j'ai fréquenté un Cri de la réserve Mistassini. Nous vivions à Montréal mais allions de temps à autre dans la réserve, voir la famille. Nous avions aussi un ami natif de Chisasibi. J'ai eu la chance d'aller à la pêche sur la rivière Mistassini. J'ai vu de magnifiques aurores boréales. J'ai entendu les histoires terribles entourant Chisasibi.
RépondreEffacerQuand on a goûté à la culture des indiens et quand on connait leur histoire on peut comprendre l'aliénation que les blancs leur ont fait subir, vraiment.
Je suis privilégiée d'avoir eu la chance de connaître cette culture et je trouve dommage que ça manque à l'éducation des Québécois qui ont des préjugés à cause de l'enseignement qu'ils ont reçu, qui est forcément biaisé.
T'es en colère là Gaétan.
RépondreEffacerJe me trompe?
Charest a dit n'importe quoi pour son développement du Nord, comme ça dans les airs comme un pet de cassette pré-enregistrée.
J'ai toujours l'impression d'un être désincarnée quand j'entends Charest parler.
Il pourra pas développer sans l'accord des nations.
Je ne suis pas en colère Yvan. Ernie non plus. Celui qui apporte le mal est toujours risible. Il ne suscite pas tant la colère qu'un grand hostie de rire sale...
RépondreEffacerC'est impossible qu'il développe le Grand Nord sans l'accord des Autochtones. D'autant plus que les Cris ont des instincts de trappeur jusque dans leur manière de voir le droit. Ils tendent des pièges aux gouvernements qui se crissent toujours les pieds dedans. Et ensuite, les Cris rigolent et récoltent le magot. La fois d'ensuite ils sont encore plus riches et disposent d'encore meilleurs avocats. Et ils tendent d'autres pièges, encore...
«V'nez-y mes hosties!» qu'ils se disent. Et ils gagnent.
Kwey Misko!
RépondreEffacerErnie est en forme. La vie au grand air ça ne te fait pas des vieillards de douze ou treize ans qui se grattent la poche en regardant la tévé.