vendredi 21 novembre 2008
UN GARS DE SHAWI SUR LE PLATEAU MONT-ROYAL
Martin était un gars des régions plutôt conventionnel dans l'habillement et trop calme dans ses idées, comme tous les gars des régions. C'était un grand athlète dans la vingtaine, plutôt beau gosse, mais qui n'avait rien de spécial: un jeans ordinaire, une chemise de travailleur grise, des bottes de travail. Sa coupe de cheveux était inexistante. Il se faisait raser la boule aux deux mois et ça repoussait jusqu'à ce qu'il ait atteint son deux mois, jour pour jour. Alors, zipzap, il te rasait ça de nouveau, comme d'habitude.
Martin croyait en quelque chose d'innommable. Il avait la Foi, mais une Foi sans église ni dieu. Une Foi en la personne humaine. La sensation que nous sommes toutes de bonnes personnes, malgré tout. Une Foi naïve de crétin de la Mauricie, une mentalité de freak des années '70, trente ans en arrière, qui écoutait encore Hotel California, des Eagles, et qui trouvait ça bon.
Comment était-il arrivé là, sur le Plateau Mont-Royal, alors que tout ce qui était pédant l'irritait au plus haut point? Eh bien c'était à cause de Linda, une pimbêche d'un an plus jeune que lui qui se coiffait en poignée de bécik. Linda qui avait été sa blonde pendant soixante-douze heures. Ce coup de foudre éphémère l'avait déraciné de Shawinigan. Martin avait suivi aveuglément Linda sur le Plateau, Linda qui lui taillait des pipes sur Hotel California et qu'il faisait mouiller comme une fontaine avec toute la science qu'il avait apprise au fil des ans, de diverses manières. Ce qui faisait que Linda avait pu supporter Hotel California quelques jours, sans plus. Linda qui n'arrêtait pas, cela dit, de l'embêter avec tel type qui peint des tableaux ou tel autre qui écrit des circulaires de poésie.
Ce qui fait que Martin fût plutôt content de ce divorce abrupt, même si ça le crissait dans la marde une fois de plus, à traîner ses effets personnels dans une poche de hockey, de Shawi à Sherbrooke, puis de Sherbrooke à Québec, de Québec au Plateau Mont-Royal à vivre de shitty jobs, des jobs de resto essentiellement, tout simplement parce que Martin se crissait d'avoir des ambitions, comme la plupart du monde en Mauricie.
-Quand chu ben, chu ben. Pourquoi c'que c'est que j'changerais ça? disait souvent Martin.
Et il ne changeait rien, Martin. Il achetait toujours la même chemise, le même jeans, les mêmes bottes. Et quand son disque de Hotel California était trop usé, il en rachetait un autre.
Après son épisode avec Linda, il s'en alla vivre pendant un mois dans une chambre dégueulasse du boulevard St-Joseph, sur le Plateau. Une chambre avec une toilette qu'il fallait partager avec quinze autres personnes. Pour le même prix, à Shawi, il aurait pu louer un six et demi. Enfin, presque.
-Qu'est-ce que c'est que c'que j'fa's icitte? s'est dit Martin, à tous les jours de son séjour dans cette chambre minable du boulevard St-Joseph.
Dans les bars, c'était encore pire. Martin ne croisait que des maudits artistes, des gars et des filles qui pétaient plus haut que le trou et qui ne voulaient manifestement rien savoir de Hotel California.
-Ça, là, Hotel California, ben c't'une chanson qui m'pogne aux tripes, c'est comme la chanson d'amour la plusse pognante au monde... E'l'nombre de fois où c'que c'est que j'ai baisé là d'ssus c'est jusse comme c'que dirait comme c'te gars... C'est jusse cool. Ok?
Les filles du Plateau jetaient toujours sur Martin ce maudit regard dédaigneux quand il leur racontait ça. Maudites prétentieuses!
-C'est toutes des lasbiennes su' l'Plateau tabarnak! disait souvent Martin. Christ, les filles sont folles de moé partout, à Shawi, Sharbrooke, Quabec ou Twois-Wivièwes! Hostie d'Plateau à marde! Gang d'hosties de snobs! Allez toutes vous r'muer la bille t'u' seules ma gang d'hasties de gawines du calice de christ de tabarnak!
Au bout de son mois, Martin revint s'installer à St-Boniface-de-Shawinigan, qu'il n'a plus quitté depuis.
Il travaille à la rôtisserie Excelsior, comme d'habitude. Et le soir, il va jouer aux dards à la Taverne Centrale. D'autres Linda se trouvent sur les lieux pour lui faire les yeux doux. Et Martin leur fait encore le coup de Hotel California, les onze doigts dans la snatch, à leur dire des petits mots doux comme «toé j't'ai connu dans une autre vie» et «love me tender, love me true» chanté à l'oreille.
Quand il parle du mois qu'il a vécu sur le Plateau, il crache le morceau.
Tiens, prenez pour exemple ce qu'il en disait hier:
-Jamais c'que c'est que j'ira r'vivre là-bas st-calice-de-tabarnak! C'ben trop fou là-bas. L'monde sniffe d'la colle su' 'es trottoirs. Pis les filles veulent pas fourrer. I' s'promènent toutes déshabillées pis la moule à l'air mais, justement, i' s'passe jamais rien. Les filles su' l'Plateau, i' veulent pas fourrer. C'est clair. Moé, me dis qu'on est ben mieux icitte à St-Boniface. On est parlables pis d'bon tempérament. Pis on trippe encore d'écouter Hotel California. Pis on fourre. Ouais. C'est ça j'me dis. Icitte on fourre. J'prendrais ben un' autre bière mon Pierre.
Pierre, un barman barbu de taille moyenne, fit couler un long filet de bière dans un verre de vingt onces. Puis il lui dit, simplement:
-Quand tu prononces les C en latin, tu dois les prononcer comme des K. Comme Julius Caesar. Eh bien, tu dois dire Julius Késar. Tu comprends?
-Hostie Pierre, répondit Martin, t'en sais pas mal plus long que tou' 'es calices d'épais su' l'Plateau! À ta santé mon Peter!
-Haille Martin! poursuivit l'autre Linda, qu'asse tu dira's que j'te calice Hotel California dans l'juke-box toé mon homme? Mon hostie d'sweet fucking lover du christ, toé!
-Hostie que j't'a'me toé ma Linda!
-Pis moé too, mon tabarnak!
Comme vous voyez, en Mauricie, l'amour, y'a rien de plus simple.
Aaaaah ! Ça faisait longtemps que j'avais pas lu un peu de conneries sur le Plateau. Ça fait du bien. Ça leur apprendra, à ces quelques poignées de snobs, tsé ! Vouloir vivre sans voitures, en Amérique ! N'importe quoi ! Toute un pays le leur fera payer pour toujours ! Pas vouloir manger QUE des onion rings, faut-tu être pêteux ! Ah, ah, ah ! Heureusement que le bon Québec bien sec est là pour rappeler aux 30 littéraires de la province qu'on sort à peine de 250 ans d'agriculture dans bouette.
RépondreEffacerOn aime ça de même. On est ben là.
C'est la bonne vie, on connaît ça.
De plus en plus c'est Laurentide.
Je tiens à préciser, cher É., que je passe pour un sacremant d'intellectuel du Plateau dans mon milieu.
RépondreEffacerMais ce n'est pas une raison pour ne pas raconter une histoire d'un point de vue qui n'est pas le mien.
Je déteste foncièrement Hotel California.
Je fais mes études de personnage comme d'autres feraient des gammes.
Comme toi, dans ton roman Antarctique, avec le gus qui s'vante de s'faire manger l'fromage... J'aime bien quand tu présentes des personnages vulgaires et méchants: c'est non seulement drôle, mais poignant, authentique, et tout le reste.
Parmi les 30 littéraires, tu dois en retrancher 15 qui lisent toujours leurs livres à l'envers, sans s'en rendre compte, juste pour passer pour des intellectuels.
Aaah come on… Le duo de guitare, à la fin ! Tididiii tididiii tididdiiii ! Eh, eh, eh… Niiaaaaah Niah-niah-niahnaaaaa…
RépondreEffacerOupse, je faisais Sultans of Swing, désolé. Euh, eh, uhm…
:0)
Dis donc Gaétan, t'aurais pas l'adresse du coiffeur de Linda ? Je trouve sa coiffure de poignée de bécik vraiment extra !
RépondreEffacerMerci,
Mag
Tchèque ben koss ki sang vient, mon Bouche-Art. Prépare-toé sickologiquement...
RépondreEffacerHeille! Arrêtez donc de vous en prendre à des plus petits que vous autres...sinon...eeuh...
RépondreEffacer...Ouin, bon ben j'pense m'as y aller moé là là...
hi-hi?
Merci pour lynx-piration, les boys... Spéciale dédicace à Guét'.
RépondreEffacerElle se coiffe elle-même avec du Prestone, Magenta. C'est la nouvelle mode dans les milieux branchés.
RépondreEffacerJe vais m'en prendre aux Plutoniens la prochaine fois, Misko. Watch out!
Dis-moi pas, É., que tu trippes sur Hotel California?
RépondreEffacerDu prestone ! L'avais jamais entendue encore, celle-là ! LYES !
RépondreEffacerMezen que je trippe sur Hotel California. Ça raconte exactement un de mes étés les plus horribles. Le seul défaut de cette chanson est sa popularité galactique. Si c'était resté le morceau obscur d'un groupe peu connu, je la jouerais à tous les shows, au lieu de… jamais. Pareil pour Stairway to Heaven. Cache-là sur la seconde face d'un obscur disque de King-Pupu & the Twingos, ça devient un miracle.
RépondreEffacerRegarde Crossroads, un parfait standard jusqu'à la reprise de Cream, ou Mustang Sally, une des plus dansantes laid-back soul jusqu'à la navrante version de Stevie Ray… Ce phénomène est constant. Y a juste un moment où la vente écule une œuvre. Ils ont réussi à décolorer la Mona Lisa, à quétainizer Michelangelo, à faire de Mozart un jobber pour Buggs Bunny. Pff…
Si on coupe le cordon ombilical et qu'on fait le silence, au bout de quelques années, il est possible de réentendre un truc ou de revoir, relire, retoucher une oeuvre que les commerçants ont dévoyée.
Personnellement, c'est à Cuba que j'ai été capable de réentendre Hotel, dans un petit local où jammaient Arauca, une famille de petits prodiges qui aiment bien badiner avec les grands classiques du rock rutilant pour en faire de petits songos hystériques (avec cuivres et percu).
Entéka.
Il y a une longue liste de potentiels tubes monstrueux qui n'ont pas levé. Je pense tout de suite au génie montréalais Adam Chaki, dont le premier disque était bourré de perles et de diamants que personne n'a jamais entendu. Adrian Belew en a aussi créé quelques uns. Et JJ Cale ! Je pourrais continuer des heures.
:0)
C'est pour ça qu'elle est blonde !
RépondreEffacerLe Prestone ça décape !
En plus c'est budjet wise !... Ça économise le sur le coiffeur et sur le bleach... TWO in ONE !
Yes sir !
Man, moé c'est la toune Horse with No Name qui me séduit encore, même si tout le monde me dit que c'est poche.
RépondreEffacerHotel California a été tué par la station de radio Rock-Matante. Quand c'est repris 30 fois par jour, pendant des années, et diffuser dans les autobus, au resto, sur les lieux de travail, c'est sûr que tu finis par péter les plombs.
J'ai emprunté récemment un des derniers albums du groupe America. Ce n'est pas poche. C'est même bon. Mais l'image de Rock-Matante me poursuit...
Définitivement, ma toune c'est Folsom Prison Blues de Johnny Cash.
À un certain moment donné, The Doors, c'était fini et oublié. Soudain, Stone a sorti son film. Y avait plus que des Doors partout. Je faisais du son dans les bars, on avait trois bands hommage aux Doors par semaine. Man ! Stie. Lâche-moi ! Eh, eh, eh.
RépondreEffacerOn dirait qu'on touche à un truc important, là. Si le commerce (ou la propagande, chus pas certain encore) peut tuer une œuvre majeure (on peut presque universellement le prouver avec la Mona Lisa ou l'auto-portrait de Van Gogh), ça serait la démonstration patente de sa nocivité intrinsèque. Tsé.
L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique...
RépondreEffacerC'est un essai de Walter Benjamin.
C'est trop marxiste pour moi: ennuyant.
Mais la question se pose tout de même.