samedi 22 novembre 2008
L'ARGENT FAIT LE BONHEUR?
C'était au tout début de la propagation des imprimantes laser. Elles étaient encore dispendieuses et quelques-uns seulement pouvaient se permettre de s'en procurer une.
Dont Rémi Couillard, un escroc dans la trentaine qui vivait et travaillait seul sur ses coups. Ce qui fait que son casier judiciaire était vierge.
Rémi ressemblait à n'importe quel gars moyen que vous puissiez imaginer, sauf pour ses dents. Il avait un large espace entre ses deux palettes. Rémi aurait pu se servir d'une corde à linge en guise de soie dentaire.
S'il n'eût été de cet espace entre les deux dents, Rémi aurait été beau. Ses démarches auprès des femmes ou des employeurs auraient été plus faciles. Jamais il ne lui serait venu à l'idée de s'acheter une imprimante laser pour produire de faux billets de cinq dollars.
Pourquoi cinq dollars? Pourquoi pas de faux billets de dix, vingt ou cent dollars?
Eh bien, Rémi avait noté que les billets de cinq dollars étaient plus faciles à reproduire que les billets de dix ou de vingt, tout simplement. Les vieux billets de cinq, c'était l'idéal pour commencer.
Rémi en imprimait trois par page huit-et-demi-onze, recto-verso. Il les découpait. Puis il les chiffonnait un peu pour qu'ils aient vraiment l'air de vieux billets de cinq. Ensuite, il allait s'acheter des paquets de gomme toute la journée, dans tous les dépanneurs. Cela lui faisait pas mal de gomme à la fin de la journée, mais aussi une belle petite pile de vraies pièces de deux dollars bien sonnants.
En un mois, Rémi passa du statut d'assisté social à celui de petit entrepreneur.
Les pièces de deux dollars et les paquets de gomme s'accumulèrent. Rémi s'acheta deux autres imprimantes laser pour augmenter sa production. Et pour la première fois de sa vie, Rémi se mit à nager dans le fric. Sans trop d'efforts, il avait réussi à produire au moins dix mille soixante-seize dollars et quatre-vingt-deux sous en rouleaux de vrais deux dollars provenant de l'économie réelle.
Après avoir étudié la question, il se risqua à dupliquer de vieux billets de dix dollars. Il changea de stratégie. Il préconisa l'achat de pilules en sachets individuels pour le mal de tête. Cela lui rapportait tout près de neuf dollars à chaque coup, en plus d'augmenter sa réserve personnelle de pilules en cas de migraine.
Comme il n'était pas homme à se tourner les pouces, Rémi suivit un cours en imprimerie, à la polyvalente locale. Il s'acheta même une première petite presse portative qu'il paya rubis sur l'ongle. Ses billets de dix ne seraient plus de vulgaires photocopies laser qu'il lui fallait passer en douce, en maîtrisant ses émotions. Non, ses billets ressembleraient à s'y méprendre aux vrais billets de banque parce qu'ils seraient imprimés avec minutie sur du papier de qualité.
Rémi passa une semaine sur ce coup, à se bâtir une petite imprimerie maison pour produire des tas de billets verts. Il fit ses tests d'impression. Évidemment, le plus difficile était de tout enligner convenablement pour l'impression recto-verso. Il y réussit tout de même. Au bout de sept jours, tel que prévu, Rémi contempla son travail: plus de trois millions de dollars en petites coupures de dix dollars.
-Ouin... se dit-il. C'est pas au dépanneur que j'va's arriver à passer ça... J'pourrais m'faire pogner... C'est sûr...
Comment les passer alors?
-Ah pis d'la marde! J'en ai assez pour vivre jusqu'à la fin de mes jours! Pourquoi que j'me casserais l'cul? J'va's faire comme d'habitude. Un paquet de gomme. Un sachet de pilules. Une barre de chocolat. Pis j'collecte le vrai argent. Pis quand j'aurai assez de vrai argent, je brûle mes faux billets pis j'm'en va's vivre en Grèce pour boire du vin pas cher jusqu'à la fin des temps! J'ai vu ça à tévé. Ç'a l'air le fun là-bas, la Grèce pis les autres vieux pays...
Et c'est ce qu'il fit pendant un an, Rémi, en prenant bien soin de changer de ville tous les jours pour éviter les soupçons. Il trouva même d'autres astuces, dont il n'a jamais parlé à qui que ce soit. Des astuces qui lui firent acquérir son premier million de dollars en moins d'un an. Puis son deuxième million dans la semaine qui suivit son premier million. Et avec un peu d'ingénierie financière, Rémi quitta définitivement le pays, dès le mois suivant, avec plus de vingt-neuf millions de dollars de vrai argent sonnant caché ça et là dans les banques de tous les pays.
***
Rémi vit aujourd'hui sur une plage de la Méditerranée. Personne ne le connaît vraiment puisqu'il ne parle à personne. Il boit. Il mange. Il chie. Et il consomme, comme tout le monde, n'importe quoi, n'importe quand. Il aime le vin grec, bien sûr, mais ne dédaigne pas non plus de la compagnie d'une Athénienne d'à peu près son âge qui trouve charmant son espace entre les dents quand il balaie devant sa figure quelques liasses de devises authentiques.
-Dans 'a vie, j'me dis qu'un gars y'a l'droit d'être heureux...
-What? qu'elle lui demande en anglais.
-Forget it... I'm speaking to myself, qu'il lui répond.
Rémi a été tenté de reproduire frauduleusement le drachme ou l'euro. Mais ça lui semblait inutile, compte tenu de tout cet argent qu'il a caché un peu partout dans le monde, converti en vrais billets de cent dollars américains. Il est riche. Il a plus d'argent qu'il n'en faut. Pourquoi se casserait-il le cul? Il faut savoir s'arrêter quand tout va bien.
Quand on lui parle de la récession et du cours du dollar américain qui pourrait fléchir, Rémi se contente de rire, comme Zorba.
-Dansons, chantons! Pourquoi s'en faire, hein? Pourquoi s'en faire? Il y a du vin, des raisins, du fromage, une belle Athénienne... Pourquoi s'en faire?
C'est vraiment un hostie de crosseur, ce Rémi, quand on sait d'où lui vient ce sale argent.
Et, franchement, il ne mérite pas d'être heureux.
Pensons à tous ces gens qui suent sang et eau pour une poignée de dollars.
C'est immoral, oui, parfaitement immoral que d'imprimer de l'argent!
On finira bien par te retrouver, Rémi Couillard.
Tu paieras pour tes crimes. Ordure! Flibustier! Pirate!
***
Michel referma le dossier de Rémi Couillard. Il était midi et douze. Il n'était pas nécessaire de faire du zèle à l'escouade des crimes économiques. Pourtant, Michel était passé tout droit. C'était l'heure du dîner et il travaillait encore.
-Maudit Couillard! On va t'pogner mon hostie d'crosseur! Cré moé! On sait pas où t'es, mais on va l'savoir, on va t'mettre e'l'grappin d'ssus, cré moé!
Michel se leva, se frotta un peu le ventre pour s'aiguiser l'appétit, puis il sortit du bureau.
Il avait trois billets de cinq dollars dans ses poches.
De quoi s'acheter du poulet frit Kentoqué.
-Menoum, menoum. Du bon poulet frit Kentoqué! Ça, ça va être bon en pas pour rire!
Hostie de niaiseux. C'est full gras du Kentoqué.
Gros hostie de cave.
Ah, ah, ah ! Plein de délicieuses surprises !
RépondreEffacerHeille mon toé là, ça c't'un vrai leurre pour m'attirer icitte, ce texte là...
RépondreEffacerJe sais bien qu'elle est facile mais bon, la v'là quand-même: "Les petits, on les appelle des fraudeurs, tandis que les grands, des banquiers. Quoi!?
C'est exactement la même chose, sauf pour l'ampleur...et l'intention peut-être aussi."
Ah oui! C'est vrai, il y a au moins une autre différence: "Les "Rémi" ne sont pas associés avec les "gouvernements", et encore qu'il faut revoir qui sont réellement ceux qui règnent...
En plus, Rémi n'a même pas pensé à profiter des chicanes existentes entre les différentes gangs de son quartier, et encore moins de "tirer les bonnes ficelles" pour faire naître des chicanes encore inexistentes afin de pouvoir financer - avec son argent créé à partir de rien - les deux clans ennemis afin de profiter d'eux en leur vendant des armes achetés avec "son" argent.
Chut Misko! Il y a un sous-texte à ce texte -et je ne suis pas saoul, pas du tout!
RépondreEffacerL'argent est tellement facile à produire quand on y pense. On se bat juste pour ça?
Rémi a décidé d'être le gouvernement et le prestataire en même temps.
Ce qui est, bien sûr, impardonnable.
Il me semble entendre rire Capitanal, Kiwiteb, Kondiaronk et autres grands chefs d'un autre temps...
Haha! Quelle chute!
RépondreEffacerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
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RépondreEffacerEn réponse à votre commentaire que j'ai lu chez "Anne Archet"
RépondreEffacerMerci tout de même d'avoir écrit :
"Pensons à tous ces gens qui suent sang et eau pour une poignée de dollars."
car j'en suis... il se trouve que justement je suis imprimeur, ouvrier imprimeur, c'est à dire que je gagne ma vie honnêtement sans exploiter personne, et que c'est un travail pénible.
Je pense que je me pose des questions qui ont le mérite d'être sincères, de dépasser mon petit moi, la complaisance, la gratuité ou la masturbation intellectuelle...
Mon but n'est pas non plus de rabaisser les gens, mais j'aime provoquer les provocateurs, surtout quand ils ont leur petite cour toute dévouée ! Croit-on s'élever à rabaisser les autres ? N'a-t-on pas le droit de poser des questions qui nous semblent justes et profondes ?
A défaut d'avoir du talent, je ne vois pas non plus où se situe l'imbécilité de mes questions, car mon but n'est pas de chercher la petite bête, ni, je le répète, la masturbation intellectuelle, le plaisir narcissique... Chacun son truc !
Je ne prétend pas avoir un talent littéraire, c'est autre chose évidemment...
J'ai bien aimé votre histoire, tout de même, il y juste les expressions canadiennes qui passent mal l'Atlantique...
M'avez l'air particulièrement traumatisés par la religion catholique chez vous ! Il faudra qu'on m'explique cela un jour.
Au Brésil par exemple, plus grand pays catholique du monde, la religion sert à fabriquer... des jouisseurs et des jouisseuses ! Etrange non...
Bonne soirée à vous
Francis
Le Grand Passage
En France, Francis, êtes-vous traumatisés par les putains, les bordels de merde et les enculés?
RépondreEffacerPour ce qui est de mon texte, eh bien toute ressemblance avec Rémi Couillard n'est que pure fiction. Il s'appelle en fait Rémi Brouillard.
Un petit pastis?
Une bière?
Du caribou?
Gimme five mon sacrement!
Une petite bière ?
RépondreEffacerOn en fait de très bonnes chez moi (je suis belge, pas français)
Allez, give me five, on fait la paix alors ?
Le Grand Passage
C'est bien parce que j'aime Jacques Brel, Francis... Hu! Hu! Hu!
RépondreEffacerGimme five bro'! Toé, tu m'as tout l'air d'un gars correct.
On va s'taper des frites
On s'parlera d'l'Amérique
Comme le grand Jef...
Au fait, a-t-on déjà été en guerre? Je suis tellement bonnasse que ça m'étonnerait. Je suis plutôt un Roger Bontemps qui se calice de tout.
Aspire un peu de ce calumet de paix virtuel que je te tends, Francis. Que Kitché Manitou t'empêche de mettre un nom sur l'Innommable et laisse ton coeur solide pour digérer les frites, comme nous mec, parce qu'on en mange en tabarnak des frites, che'-nous aussi. Ne viens pas me dire que tu ne me comprends pas quand j'écris. C'est du Belge américain, facilement assimilable.
(Pardonne le tutoiement, Francis. En Amérique on est toujours à tu et à toi, sans formalités. On rote et on jure à table. On rit. On pleure. On bouffe. On baise. On chante. Bref, on fait comme tout le monde sur ce putain de globe. Et un jour, hop! on crève.)
Au fait, est-ce que tu imprimes des billets de banque?
Des euros, des couronnes, des drachmes, des yens, des dollars australiens?
Paix sur terre aux bums de bonne volonté.
"Paix sur terre aux bums de bonne volonté."
RépondreEffacercrisse qu'elle me touche celle-là!
tschin à ça dude, peace.