mercredi 3 septembre 2008
Frank Bill Bull & Bras-d'aiguille
Au secondaire, Frank Bill Bull ressortait du lot. C'était mon meilleur ami et grand camarade de boisson. D'un physique chaplinesque, on contrastait fortement, moi le gros et lui le petit. Il bénéficiait en quelque sorte de la protection de gros Boutch, c'est-à-dire moi, une armoire à glaces plutôt débonnaire qui pétait une coche une fois par année pour qu'on me calisse la paix jusqu'au 31 décembre.
Je ne veux pas dire que j'en venais aux coups et blessures à tous les premiers de l'an, ni même à tous les premiers du mois. En fait, je ne sais pas ce que je veux dire.
Si quelqu'un me bavait, je pétais une coche, ramassais une roche ou bien un pique à glace, et je courais derrière le type en hurlant comme un possédé. Après coup, on me crissait la paix longtemps.
J'étais plutôt dépossédé de raison quand je pétais une coche. Je maîtrisais mal mes émotions. J'étais soit heureux comme un ours repus ou bien en colère démesurée, comme Géronimo, par pur instinct de survie. Au fond, Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, à Twois-Ivièwes, c'était crissement heavy, l'air de rien. Mais on ne le savait pas. Quand tu ne connais que ça, la violence, les poings, tu penses que c'est normal. Il fallait savoir se défendre.
Le père m'avait dit qu'il ne serait pas toujours là pour me défendre.
-Ok d'abord. Je fais quoi Pa si que'qu'un m'bave? Hein?
-Accroche un batte de baseball, pis cours après le gars... Défends-toé mon gars!
Ok Pa. Je le remercie encore aujourd'hui pour cette belle leçon d'autodéfense, toujours pratique, sait-on jamais.
Frank Bill Bull, étant petit et frêle, ne se défendait qu'avec les mots. Il mettait de son bord tous les rieurs, dont moi et d'autres mongols à gros bras, de sorte qu'il était toujours bien protégé, le gars.
Frank Bill Bull imitait à la perfection Dong, alias Claude Meunier. Il nous régalait de blagues de son cru en faisant des mimiques impayables. C'était un plaisir constant que d'être son meilleur ami. Avec Frank Bill Bull on ne s'ennuyait jamais!
Et non seulement on ne s'ennuyait pas, mais on pouvait boire chez lui! Hostie, ce gars-là était trop hot!
On buvait toujours dans le sous-sol, chez les parents de Frank Bill Bull, quand on avait seize ou dix-sept ans. On laissait un pourboire au père de Frank Bill Bull, un rigolo tout comme son fils, doublé d'un bon buveur. Notre pourboire c'était deux ou trois grosses quilles de bière Laurentide.
Il n'y a que chez les parents de Frank qu'on tolérait la présence d'ados en train de siroter une petite bière. C'était notre maison des jeunes, quoi. Un endroit où pouvait s'écouler des soirées heureuses à savourer une bonne broue.
En fait, on pratiquait plutôt le calage.
On jouait à Capitaine Paf. «Capitaine Paf prend son premier verre de la soirée» et suivait tout un lot de gestes qu'il fallait répéter dans le même ordre sous peine de caler sa bière. Au bout de trente minutes, on se crissait bien de Capitaine Paf et on buvait comme des trous en faisant revoler les pochettes de disques et les capsules de bouteilles de bière. On finissait la partie aux abords du bar Le Grossier, si nous étions capables de nous y rendre.
Je me souviens de ce que Frank Bill Bull avait dit au Gros Gervais, cet hostie de porc qui bavait tout le monde à la poly avec Coco Tardi et Casseyeule.
Le Gros Gervais, grosse barbotte boutonneuse qui vidait les poches de tous les êtres plus faibles que lui, avait demandé à Frank Bill Bull de vider ses poches de son petit change pour qu'il puisse s'acheter une poutine à la cafétéria de la poly. C'était les mardis de la poutine, dans ce temps-là.
Frank Bill Bull, évidemment, ne voulait pas lui donner une calice de cenne.
-T'auras rien d'moé Gervais! Jamais! lui avait-il dit sur un ton moqueur.
-Ah ouin? M'as-t'en calisser une p'tite crisse de crotte de nez! répliqua le gros furoncle.
-Check ben ça, toé, mon Gervais! Si jamais tu me calissais une volée, tu passerais pour un lâche qui s'en prend à plus petit qu'lui. Pis là, tout le monde voudrait te crisser une volée. Pis si c'était moé qui t'crisserait une volée, hein, ça serait encore pire. Tu passerais pour une tapette! Pis là tout le monde rirait d'toé. Plus personne t'porterait respect.
-Hostie qu't'es hot Frank Bill Bull! que nous hurlâmes de joie, vingt ou trente étudiants rassemblés là comme par hasard. Hostie qu't'as l'air cave Gros Gervais!
Et pour se convaincre qu'il était vraiment un cave, les plus bagarreurs du lot s'élancèrent sur lui pour lui crisser une volée. Le Gros Gervais venait de comprendre qu'il ne fallait pas s'en prendre à Frank Bill Bull, le gars qui avait tous les buveurs et tous les rieurs de la poly de son bord.
***
Je revois le Gros Gervais revenir sur la place d'accueil, la cigarette tout croche dans sa gueule dégoulinante de sang. Il a la démarche du roi Lear. Il a tout perdu, autorité, violence, respect. Désormais, tout le monde lui bottera le cul.
Il deviendra la tête de turc préférée de la bande montante de la poly, les Jockers, une gang de poly à laquelle j'étais affilié en tant que rieur, espèce particulièrement appréciée des Jockers.
Tant mieux. Quand les Jokers ne t'aimaient pas la face, t'en mangeais une sacrament.
La tâche principale des Jokers, au cours des années qui suivirent, sera de crisser des volées aux plus baveux de l'école, aux terreurs déchues, aux types qui faisaient boire l'eau de la bolle des toilettes aux élèves sans défense.
La justice était enfin arrivée à la poly. Tassez-vous mes astis de baveux, les Jokers sont là! Sont tous fous, dans cette gang-là. Ils se battent avec des roches et des pics à glace. Ils ont détruit le Gros Gervais, Coco Tardi, Casseyeule et Février... Tabarnak! On est mieux de nous trouver de leur bord... Brrr....
***
J'oubliais de mentionner que nous formions un trio de buveurs invétérés, moi, Frank Bill Bull et
Bras-d'aiguille.
Il s'appelait Bras-d'aiguille, ou Bradé en accéléré, parce qu'il était un grand maigre avec des bras d'aiguille, comme vous aurez certainement compris.
Bras-d'aiguille aimait bien rire et bien boire. Comme moi. Comme Frank Bill Bull.
Bras-d'aiguille, fait à constater, ne buvait que de la Brador, Brador parce que ça rimait avec Bradé, alias Bras-d'aiguille. À sa fête, nous lui avions donné une bouteille de Brador, peinte en or à la canisse, avec un nouveau logo, Bradé, la bière de Bras-d'aiguille.
Il en avait presque pleurer d'émotion, Bradé.
-Hostie! les gars! C'est l'plus beau cadeau d'ma vie, sérieux! Quelle marque d'attention! Ça donne soif en st-chrême! Vive la boisson, les gars! dit-il en se prenant une Brador dans la caisse qui accompagnait son cadeau.
-Vive la boisson! Vive la Brador! Bonne fête Bras-d'aiguille!
En complément musical pas rapport: Watermelon Man, de Herbie Hancock, juste parce que j'aime ça.
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