vendredi 8 août 2008
L'héritage des crosseurs
Madame Corbeau était la soeur d'un personnage politique de la Mauricie qui était devenu célèbre en s'opposant au vote des femmes et en qualifiant d'anarchistes ou de communistes tout ce qui pouvait se trouver au travers de ses passions de crosseur, dans tous les sens du terme.
Il paraît même qu'il y avait une photo du dictateur Benito Mussolini dans sa chambre. Se crossait-il en la regardant? Allez savoir! On le voyait rarement avec des femmes. Bien qu'il était du genre à foutre en prison les homosexuels, il est possible de croire qu'il était aux hommes, puisqu'il n'aimait que la sculpture classique, surtout Michel-Ange.
Ah! ces demis-dieux que le grand maître avait sculptés, avec leurs membres virils, brrr... Le député en était tout retourné. Même qu'il s'était fait une reproduction de David, la célèbre sculture de Michel-Ange. Je parierais qu'il se brassait le poulet en la contemplant... Enfin, c'est mon interprétation. Faites-en ce que vous en voulez. Mais il n'y a rien de pire qu'un homo refoulé pour les homos qui s'assument. Et ils passèrent un sale temps, les homos, sous le règne de ce fif qui ne s'assumait pas.
Comme il dirigeait un comté pauvre, sa modeste contribution aux arts classiques n'était faite que de plâtre et de stucco. C'était laid et ça portait son nom, par des moyens détournés. Il trouva dans l'histoire de la Nouvelle-France un missionnaire qui portait le même patronyme que lui. Tout son décor de plâtre mussolinien qu'il planta dans le comté, son pavillon de l'agriculture, sa maison du travail, son colisée, son stade, son arc de triomphe, sa piscine géante, son pont allaient servir la gloire du missionnaire et la sienne, par personne interposée, éternellement, aussi longtemps que le plâtre tiendrait... C'était un crisse de fou, croyez moi, autant que sa soeur était une crisse de folle.
Vous vous demandez son nom, hein? On le surnommait le fif. Je ne vous en dirai pas plus. On pourrait me poursuivre, hé, je ne suis pas fou.
Le fif se prenait pour un demi-dieu, un Papa Doc comme à Haïti, avec sa cohorte de crétins lui servant de garde personnelle. Vous comprenez qu'il reste peut-être des tontons-macoutes du fif, même à cette époque.
J'ai beau être grand et fort, que je n'ai pas toujours envie de me battre.
Surtout que ça m'épuise.
Surtout que jamais personne ne m'a encore crissé une volée.
Je suis trop fort. Je gagne tout le temps. C'est pas de ma faute. Vous m'avez vu? Je marche sur la rue, le soir, et les gens s'enfuient devant moi en courant. Je ne suis pas méchant, pourtant. Mais ma carrure d'ogre fait peur. Et je dis ça pour les tontons-macoutes du fif, pour ne pas qu'ils s'épuisent eux aussi. C'est clair, je leur crisserais une volée s'ils s'essayaient contre moi.
Madame Corbeau, elle, était la soeur du fif. Ses deux-là étaient pleins aux as. Ils provenaient d'une célèbre famille de notables de la Mauricie qui avaient fait leur fric en crossant tout le monde.
Alors que le fif était petit, trapu, avec un visage un peu semblable à celui de l'honorable sénateur Jean Lapointe, chic type comme pas un lui, sa soeur, madame Corbeau, était une grande pimbêche du genre Olive Oyl dans Popeye. Elle portait toujours de grands chapeaux et était toujours accompagnée de Bozo, un chien bouledogue affreusement laid.
Madame Corbeau était propriétaire de deux ou trois usines. Elle avait huit résidences dans la région. Elle payait mal ses domestiques et les injuriait souvent. Quand on venait juste de laver le bol de toilettes, elle prenait plaisir à chier illico pour ensuite réprimander la femme de ménage pour le gros caca mou qu'elle venait de coller dans le bol, la chienne.
Elle pouvait bien être la soeur du fif, que toute la Mauricie se disait, sans l'écrire à tous vents comme je le fais ce matin.
Je tiens tout ça de l'ex-chauffeur de madame Corbeau, Maurice, un type à sa place qui se saoule dans tous les bars de la ville sans jamais vomir par terre. Il doit bien avoir dans les quatre-vingt-douze piges, Maurice. Il est encore alerte, malgré son âge, et ressemble pas mal au père de Popeye. C'était pour mieux contraster avec la Corbeau, copie d'Olive comme je viens de vous le dire.
-Tu sais ce qu'elle m'a donné, mon gars, la tabarnak de Corbeau quand elle est morte? m'avait dit Maurice la fois où il m'avait rapporté cette histoire, au bar Le Ciboire.
-Non. Qu'est-ce qu'elle vous a donné? rétorqué-je, en buvant une gorgée de Molson Ex.
-Son chien Bozo, st-cibouère! Son vieux calice de bouledogue! Elle était pleine aux as, la vieille crisse, pis c'est toute ce qu'elle a trouvé à m'donner pour vingt-cinq ans de loyaux services, jusqu'à la fin st-chrême! Hostie que je r'grette pas de m'être brassé la queue une couple de fois dans sa salade de patates, juste pour la faire chier, la vieille vache! J'riais en sacrement quand elle mangeait sa salade de patates! Hahaha! Sais-tu c'que j'ai fait de Bozo?
-Non... lui répondis-je, craignant d'entendre la suite de l'histoire. Je voyais déjà Bozo dans un sac, avec une pierre attachée autour, puis une immersion dans la rivière...
-Je l'ai nourri jusqu'à sa mort, pis ben nourri à part de ça. Lui aussi, ça d'vait pas être facile de supporter la vieille salope. Pauvre Bozo! Au fond, je l'aimais ben...
Fiou! La morale était sauvée. Comme j'avais sous la main un des rares témoins de cette époque où la région était contrôlée par un fif qui ne s'assumait pas, je me suis empressé de lui tirer les vers du nez pour qu'il m'en dise plus.
Maurice était presque saoul. Ça devenait difficile de le faire parler. D'autant plus qu'il entrecoupait la conversation de chansons grivoises, du genre «le plaisir qu'on a à se brasser la graine / y'est ben toujours là avec la belle Germaine». Était-ce d'Oscar Thiffault? Dur à dire.
Heureusement que Maurice m'a rapporté que toute la fortune de madame Corbeau est revenue aux fils de la salope qui, en moins de dix ans, ont dilapidé tout l'argent en beuveries et orgies incommensurables.
C'était pendant la Révolution tranquille, où l'héritage politique du fif était tourné au ridicule. Honteux d'avoir eu un oncle semblable, les neveux du fif s'étaient mis en tête qu'ils devaient remettre l'argent au peuple. Ils commencèrent d'abord par les prostituées. Et n'eurent pas le temps de se rendre vers d'autres couches de la population...
Cependant, chaque fois qu'ils voyaient Maurice, les fils de madame Corbeau le régalaient de mille et une drogues illicites: acide, cocaïne, marijuana, etc. Ils étaient de sacrés bons gars, selon Maurice, même s'ils passaient tout leur temps chez les putes.
Il y a donc une justice ici-bas.
L'héritage des crosseurs finit toujours par se perdre dans les vapes.
Il ne reste de ces derniers que des ruines en plâtre et de mauvais souvenirs.
Car ceux qui écrivent, généralement des types comme moi, leur crachent à la gueule.
De nos jours, les femmes votent. Les fifs s'assument. Et plus personne ne veut être traité en esclaves. Il y a de l'espoir.
Salut Gaét,
RépondreEffacerCette expression « crosseur » me fait rire : pourquoi équivaloir mastrubation et malhonnêteté? Est-ce pour cela que les crosseurs en affaires donne une bonne poignée de main?
Sincerely mastrubating (not now),
Rob