samedi 19 juillet 2008
Mon premier slow à la Roulathèque
Nous nous faisons un devoir, moi et mes potes, d'aller à la Roulathèque du Cap-de-la-Madeleine tous les vendredis soirs dans l'espoir secret de rencontrer une fille.
Pour nous donner du courage, nous calons quelques bières et du rhum de marque Capitaine Morgan.
Quand la tête se met à tourner un peu, nous montons sur nos patins, nous, c'est-à-dire moi, puisque mes amis sont trop pauvres pour avoir des patins, même en location. Ils se contentent de me regarder patiner après s'être saoulés la gueule. Ils vont s'asseoir dans un coin sombre, toute la veillée, et ne le quittent qu'à la fermeture.
Je vais donc patiner, un tour, deux tours, trois tours, sur la musique de Kiss, Duran Duran ou AC/DC. La musique du temps, quoi. Nous sommes en mil neuf cent quatre-vingt-deux, quatre-vingt-trois... Je ne sais plus trop. Qu'est-ce qu'on s'en torche. Kiss et Duran Duran, ça situe une époque.
Après avoir patiné quelques tours de pistes, je vais prendre un grand verre de Sprite avec un sac de chips.
Je me sens tout seul en sacrement, étourdi tant par le patin que par l'alcool que j'avais bu précédemment. J'ai le tournis. Je me retape avec un Sprite, un sac de chips, peut-être même une partie de jeux vidéo: Space Invaders, Q-Bert ou Galaga.
Je regarde passer les filles en feignant l'indifférence. En-dedans, je bous.
D'instinct, je me tiens loin de mes amis. Je me dis que je «pognerai» mieux sans eux. Je vais tout de même les voir, quelques secondes, juste assez pour me rendre compte qu'ils vomissent partout et cherchent à se battre avec tout le monde. Donc, je les laisse mariner dans leur jus. Je ne veux pas d'embrouilles.
-Bienvenue à la Roulathèque! La r-r-r-r-roulathèque la plus hot en Mauricie!
Tiens, c'est le DJ qui gueule dans son micro.
-Ce soir, contrairement à l'habitude, on commence par le tour des garçons. Les garçons au centre, et les filles vont se chercher un compagnon de danse pour le slow... Et le slow, ce sera, à la demande spéciale de Manon, Je t'attendais de Daniel Hétu.
Je t'attendais succède à Hell's Bells d'AC/DC. C'est capoté la Roulathèque. Le DJ a l'air tout aussi saoul que moi.
Je vais m'asseoir au centre de la piste, sur l'ilôt central, avec les autres gars. Je me dis qui risque rien n'a rien. Je suis donc là, comme un con, à attendre qu'une petite dame vienne me prendre par la main. Cela me donne soif. Je me claquerais bien une autre bière. Je viderais une ou deux bouteilles de vin. N'importe quoi sauf me trouver là, au milieu de la piste. Et si personne ne venait me prendre? Et si je ne plaisais pas aux filles, hein? Questions redoutables de l'adolescence...
Une grande brune fonce vers moi. Elle est même jolie. C'est la plus grande de la place et je suis probablement le plus grand aussi. Ça crée des rapprochements, j'imagine. Elle me tend sa main. Je me lève et prends sa main. Tadam. C'est le premier slow de ma vie, à la Roulathèque. Oh boy! J'en déchire presque mes shorts.
Puis nous roulons, main dans la main, un tour, deux tours.
Je t'attendais
Mon coeur était plus glacé qu'un hiver
Nous prenons de la vitesse. Ou plutôt je prends de la vitesse. Je veux qu'elle sache que je suis sportif et vigoureux. J'accélère. Elle accélère et peine à me suivre.
Allez viens on va s'aimer tendrement
Tout là-haut sur un rayon de soleil
Nous prenons un tournant. Elle dérape. Je dérape. Elle passe par-dessus la bande. Je m'écrase par terre. Plein de monde rit autour de nous.
Mes copains, ivres morts, n'ont pas manqué ça.
-Wa! Boutch! T'es galant en hostie Boutch! qu'ils me disent en me lançant des chips. La fille vient t'charcher pour un slow pis toé t'A calice d'l'aut' côté d'la bande hostie d'Boutch de christ!
-Wa Boutch! Boutch! qu'ils crient encore, jaloux de constater que j'avais presque réussi à séduire une fille pendant qu'ils dégueulaient partout.
La grande brune s'est relevée et n'a même pas daigné m'adresser la parole.
Vaincu, je patine péniblement jusqu'au vestiaire, en me massant la hanche, endolorie suite à ma chute.
Je ramasse mon manteau, mon sac et mes bottes.
Il est vingt-deux heures.
Une pluie fine fait reluire la rue Barkoff.
Je marche, seul, avec mon sac de patins et ma bouteille de rhum.
C'est fou comme les civilisés passent pour des clowns dans ce pays où les sauvages ne portent aucune plume et roulent en voiture sport.
RépondreEffacerBisous