Deux personnes se croisent et tentent tant bien que mal de se parler. L'une est polie, plutôt attentionnée et sans doute altruiste. L'autre est tout le contraire.
L'une: C'est une belle journée aujourd'hui, n'est-ce pas?
L'autre: Hostie d'journée d'marde de tabarnak de calice qu'on enculerait jusqu'à ce qu'a' vomisse d'la marde!
L'une: Quels sont tes hobbies, tes centres d'intérêt?
L'autre: Ça donne quoi des hobbies pis des centres d'intérêt hostie?
L'une: Puis-je t'offrir un café?
L'autre: Ton hostie d'café fa vingt fois que j'te l'dis que j'en veux pas!
L'une: Heu... Ça ne faisait pas encore une fois...
L'autre: Ouin... Ouin...
L'une: À part de ça, tout va bien?
L'autre: Pff... Chu en train de prendre mes messages sur mon cell. Veux-tu bin arrêter de m'déranger?
Alors l'une prit ses claques à son cou et laissa l'autre planter là.
Elle aura mis fin à une relation humaine déplaisante et toxique.
Et maintenant tout va bien.
Voilà.
mercredi 29 juillet 2020
mardi 28 juillet 2020
À tous ceux qui brandissent des amulettes pour conjurer la COVID-19
La science est probablement la dernière des priorités des Canadiens autant que des Québécois de tous genres. L'économie est au premier rang. Suivi de l'économie. Et encore de l'économie. À force de s'économiser, on a fini par oublier la science.
Qu'est-ce que la science? À quoi bon en parler, puisque personne ne s'y intéresse...
C'est long, complexe et difficile la science. Cela demande des années d'efforts intellectuels. L'homme moyen ne s'y sent pas prêt ni intéressé, pandémie ou pas. Il cherchera, comme les politiciens qu'il mettra au pouvoir, à trouver la solution facile pour exorciser le mal: une amulette, un grigri, une patte de lapin, une idole divine, une vidéo sur YouTube.
Le penseur pansu peut ensuite passer à l'étape de l'élimination des faits en brandissant son amulette. Cela n'éloigne pas vraiment le mal mais cela confère au paresseux intellectuel un sentiment de sécurité qui doit bien produire son lot d'endorphine...
Tout un chacun peut, avec raison, se chercher un moyen de se protéger d'un fléau que même les scientifiques tardent à comprendre dans toute sa complexité. Les plus furieux des imbéciles iront jusqu'à prétendre que ce mal n'existe pas. Que pouvons-nous y faire, sinon ne pas nous coller sur les imbéciles et ne pas nous faire le relais de leurs bêtises d'hommes des tavernes apeurés...
J'évite vraiment de discuter avec les gens qui mettent en doute l'existence de la COVID-19 parce que je n'ai plus vraiment le temps ni l'envie de reprendre cette conversation ad nauseam avec des personnes qui brandissent toutes sortes de grigis au mépris des faits.
On vient parfois me dire que j'étais trop collé sur la COVID-19 pour la comprendre. Ceux qui me disent ça sont évidemment ceux qui ne l'ont pas vu en action et se font un devoir de minimiser la valeur de nos témoignages et de nos expériences de «survivants» de la première vague. Ils n'ont rien vu ni rien vécu mais ils la comprennent mieux que nous... Pour ceux-là, nous sommes comme un caillou dans le soulier de leurs théories complotistes qui ne sont que de vulgaires amulettes de pervers narcissiques dénués d'empathie, de patience et, disons-le tout net, de sens humanitaire.
La science, à mon avis, n'est pas froide, déconnectée, abstraite. Surtout quand nous mourrons d'un virus plus ou moins connu. Elle est au coeur de nos réactions en tant qu'espèce animale. Elle est la base même de notre humanité lorsqu'on souhaite qu'elle avance vers quelque chose.
J'ai le diabète. Je vais voir mon endocrinologue deux fois par année, en moyenne, pour vérifier où j'en suis avec ma maladie. Le traitement qu'elle me propose fonctionne bien. Mieux que je ne fonctionnais avant d'être diagnostiqué et suivi pour améliorer mon état de santé. J'ai lu plein de trucs sur le diabète sur YouTube et même sur des sites faisant appel aux médecines douces dites naturelles. Plus j'ai lu et plus j'ai fini par donner raison à mon endocrinologue.
Je me souviens d'avoir attendu à l'hôpital aux côtés d'un monsieur qui me disait qu'il fallait se foutre du diabète et des docteurs. Il devait avoir 70 ans. On lui avait amputé les orteils. Il crânait dans la salle d'attente en me disant qu'il mangeait autant de galettes à la mélasse qu'il voulait depuis des années et que ce n'est pas une maudite folle avec un sarrau blanc qui pouvait le faire arrêter...
Sans le savoir, ce vieux monsieur sans orteils m'a donné une bonne leçon scientifique ce jour-là.
J'ai su que si je faisais comme lui, à manger du sucre sans contrôle, je finirais par me faire botter les orteils.
Les «anti-masques» me font le même effet. Si je les écoute, je finirai par me faire intuber...
Faites ce que vous voulez, pauvres gens...
Vous mettez nos vies en danger, en pleine pandémie, parce que vous n'écoutez pas les maudits fous en sarrau blanc. Vous êtes prêts à écouter les imbéciles qui portent des habits de camouflage cependant. Comme si les «sections d'assaut» de la Meute ou de quelque organisation débile auraient plus de poids pour nous éloigner de la peste bubonique que les traitements médicaux éprouvés...
J'ai bon espoir que l'on sorte de cette crise.
En attendant, j'adopte plus ou moins l'attitude du médecin humaniste Zénon Ligre dans le magnifique roman L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar. Les superstitions et les ambitions politiques sont partout autour de moi. On se croirait en Espagne sous l'Inquisition. Juifs et musulmans doivent cacher leur foi. Il n'y a que la loi de la monarchie catholique. Cette loi qui bientôt finira par piller l'Île de la Tortue, le continent d'en face. L'or avant la science. L'or plutôt que l'oeuvre au noir...
Nous nous sortirons de cette sale époque. Vous allez même m'aider à m'en sortir.
Je sais que je ne suis pas seul. Je sais qu'il y a des personnes qui font preuve d'une humanité et d'une philosophie exemplaires en ce moment. Je ne les trouve pas vraiment sur LCN Nouvelles ces gens-là. Ils et elles mènent simplement leur vie sans faire du tort aux autres. Ils et elles sont toujours disponibles pour réenchanter ce monde.
Plus que jamais, je souscris à la formule de Dostoïevski: la Beauté sauvera le monde.
Cette Beauté-là, je la vis et la ressens intensément dans mon milieu de travail, avec ma conjointe, avec mes collègues, avec les malades. Bien que je sois dans le milieu le plus risqué qui soit pour mourir de la COVID-19 je ne changerais pas de poste pour rien au monde. Surtout pas pour retrouver ce monde sans altruisme, sans douceur, sans tendresse. J'ai la chance de travailler avec des êtres humains exceptionnels. Je suis, au fond, chanceux de vivre ça. Même si cela semble un peu alambiqué comme finale à ce billet qui va, comme d'habitude, d'une digression à l'autre.
Ce soir, je vais porter le masque, la jaquette et la visière, une fois de plus, et par une chaleur à faire fondre son nez. Je crains la deuxième vague d'autant plus que j'ai survécu à la première. Je ne sais pas si mes collègues vont rester ou déserter en masse s'il faut qu'ils vivent une deuxième fois la même tragédie épouvantable qui a fait cinq morts et plusieurs blessés dans mon milieu de travail. Encore aujourd'hui, je me demande si moi et ma conjointe n'avons pas développé des séquelles permanentes de la COVID-19. En attendant, nous sommes au front, moi et mes camarades infectés en avril. Nous nous sentons souvent épuisés. Notre digestion est mauvaise. Et pourtant nous continuons, en portant en nous quelque chose d'inquiétant que l'on tarde encore à comprendre.
Je ne laisserai personne venir mépriser la valeur de nos témoignages et de nos expériences avec la COVID-19. Nous avons vu et touché le feu.
Je fais confiance à la science. C'est une méthode pour collecter des faits et les interpréter. Ce n'est pas une doctrine. Ce n'est pas une opinion. C'est la science.
Vous n'y comprenez rien? Taisez-vous. Écoutez.
Qu'est-ce que la science? À quoi bon en parler, puisque personne ne s'y intéresse...
C'est long, complexe et difficile la science. Cela demande des années d'efforts intellectuels. L'homme moyen ne s'y sent pas prêt ni intéressé, pandémie ou pas. Il cherchera, comme les politiciens qu'il mettra au pouvoir, à trouver la solution facile pour exorciser le mal: une amulette, un grigri, une patte de lapin, une idole divine, une vidéo sur YouTube.
Le penseur pansu peut ensuite passer à l'étape de l'élimination des faits en brandissant son amulette. Cela n'éloigne pas vraiment le mal mais cela confère au paresseux intellectuel un sentiment de sécurité qui doit bien produire son lot d'endorphine...
Tout un chacun peut, avec raison, se chercher un moyen de se protéger d'un fléau que même les scientifiques tardent à comprendre dans toute sa complexité. Les plus furieux des imbéciles iront jusqu'à prétendre que ce mal n'existe pas. Que pouvons-nous y faire, sinon ne pas nous coller sur les imbéciles et ne pas nous faire le relais de leurs bêtises d'hommes des tavernes apeurés...
J'évite vraiment de discuter avec les gens qui mettent en doute l'existence de la COVID-19 parce que je n'ai plus vraiment le temps ni l'envie de reprendre cette conversation ad nauseam avec des personnes qui brandissent toutes sortes de grigis au mépris des faits.
On vient parfois me dire que j'étais trop collé sur la COVID-19 pour la comprendre. Ceux qui me disent ça sont évidemment ceux qui ne l'ont pas vu en action et se font un devoir de minimiser la valeur de nos témoignages et de nos expériences de «survivants» de la première vague. Ils n'ont rien vu ni rien vécu mais ils la comprennent mieux que nous... Pour ceux-là, nous sommes comme un caillou dans le soulier de leurs théories complotistes qui ne sont que de vulgaires amulettes de pervers narcissiques dénués d'empathie, de patience et, disons-le tout net, de sens humanitaire.
La science, à mon avis, n'est pas froide, déconnectée, abstraite. Surtout quand nous mourrons d'un virus plus ou moins connu. Elle est au coeur de nos réactions en tant qu'espèce animale. Elle est la base même de notre humanité lorsqu'on souhaite qu'elle avance vers quelque chose.
J'ai le diabète. Je vais voir mon endocrinologue deux fois par année, en moyenne, pour vérifier où j'en suis avec ma maladie. Le traitement qu'elle me propose fonctionne bien. Mieux que je ne fonctionnais avant d'être diagnostiqué et suivi pour améliorer mon état de santé. J'ai lu plein de trucs sur le diabète sur YouTube et même sur des sites faisant appel aux médecines douces dites naturelles. Plus j'ai lu et plus j'ai fini par donner raison à mon endocrinologue.
Je me souviens d'avoir attendu à l'hôpital aux côtés d'un monsieur qui me disait qu'il fallait se foutre du diabète et des docteurs. Il devait avoir 70 ans. On lui avait amputé les orteils. Il crânait dans la salle d'attente en me disant qu'il mangeait autant de galettes à la mélasse qu'il voulait depuis des années et que ce n'est pas une maudite folle avec un sarrau blanc qui pouvait le faire arrêter...
Sans le savoir, ce vieux monsieur sans orteils m'a donné une bonne leçon scientifique ce jour-là.
J'ai su que si je faisais comme lui, à manger du sucre sans contrôle, je finirais par me faire botter les orteils.
Les «anti-masques» me font le même effet. Si je les écoute, je finirai par me faire intuber...
Faites ce que vous voulez, pauvres gens...
Vous mettez nos vies en danger, en pleine pandémie, parce que vous n'écoutez pas les maudits fous en sarrau blanc. Vous êtes prêts à écouter les imbéciles qui portent des habits de camouflage cependant. Comme si les «sections d'assaut» de la Meute ou de quelque organisation débile auraient plus de poids pour nous éloigner de la peste bubonique que les traitements médicaux éprouvés...
J'ai bon espoir que l'on sorte de cette crise.
En attendant, j'adopte plus ou moins l'attitude du médecin humaniste Zénon Ligre dans le magnifique roman L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar. Les superstitions et les ambitions politiques sont partout autour de moi. On se croirait en Espagne sous l'Inquisition. Juifs et musulmans doivent cacher leur foi. Il n'y a que la loi de la monarchie catholique. Cette loi qui bientôt finira par piller l'Île de la Tortue, le continent d'en face. L'or avant la science. L'or plutôt que l'oeuvre au noir...
Nous nous sortirons de cette sale époque. Vous allez même m'aider à m'en sortir.
Je sais que je ne suis pas seul. Je sais qu'il y a des personnes qui font preuve d'une humanité et d'une philosophie exemplaires en ce moment. Je ne les trouve pas vraiment sur LCN Nouvelles ces gens-là. Ils et elles mènent simplement leur vie sans faire du tort aux autres. Ils et elles sont toujours disponibles pour réenchanter ce monde.
Plus que jamais, je souscris à la formule de Dostoïevski: la Beauté sauvera le monde.
Cette Beauté-là, je la vis et la ressens intensément dans mon milieu de travail, avec ma conjointe, avec mes collègues, avec les malades. Bien que je sois dans le milieu le plus risqué qui soit pour mourir de la COVID-19 je ne changerais pas de poste pour rien au monde. Surtout pas pour retrouver ce monde sans altruisme, sans douceur, sans tendresse. J'ai la chance de travailler avec des êtres humains exceptionnels. Je suis, au fond, chanceux de vivre ça. Même si cela semble un peu alambiqué comme finale à ce billet qui va, comme d'habitude, d'une digression à l'autre.
Ce soir, je vais porter le masque, la jaquette et la visière, une fois de plus, et par une chaleur à faire fondre son nez. Je crains la deuxième vague d'autant plus que j'ai survécu à la première. Je ne sais pas si mes collègues vont rester ou déserter en masse s'il faut qu'ils vivent une deuxième fois la même tragédie épouvantable qui a fait cinq morts et plusieurs blessés dans mon milieu de travail. Encore aujourd'hui, je me demande si moi et ma conjointe n'avons pas développé des séquelles permanentes de la COVID-19. En attendant, nous sommes au front, moi et mes camarades infectés en avril. Nous nous sentons souvent épuisés. Notre digestion est mauvaise. Et pourtant nous continuons, en portant en nous quelque chose d'inquiétant que l'on tarde encore à comprendre.
Je ne laisserai personne venir mépriser la valeur de nos témoignages et de nos expériences avec la COVID-19. Nous avons vu et touché le feu.
Je fais confiance à la science. C'est une méthode pour collecter des faits et les interpréter. Ce n'est pas une doctrine. Ce n'est pas une opinion. C'est la science.
Vous n'y comprenez rien? Taisez-vous. Écoutez.
jeudi 23 juillet 2020
No Parking
Deux moineaux picorent dans le chiendent. Du chiendent qui pousse là où rien ne devrait pousser, au milieu d'un stationnement. Cet îlot de verdure tiendrait dans la paume de votre main, aussi petite soit-elle. Rien autour. Que de l'asphalte qui chauffe au soleil. Les automobiles ont déserté le secteur pour la fin de semaine.
C'est énorme comme espace vide qui chauffe pour rien. C'est ce désert que fréquentent encore quelques moineaux courageux, deux ou trois mouches, des fourmis... Toutes ces vies tentent péniblement de triompher de la mort qu'on leur impose partout où nous posons nos pattes, nous les humains. Ils peuvent se compter chanceux d'avoir encore cette motte de chiendent pour y trouver une seconde de fraîcheur.
Les moineaux picorent dans le chiendent, au beau milieu d'un énorme stationnement vide qui chauffe au soleil.
Leur cerveau bout.
Ils vont bientôt reprendre leur envol pour se rafraîchir.
Leur ronde est terminée. Il est près de trois heures.
C'est la rencontre des moineaux communs qui piaffent tous ensembles dans le prodigieux orme qu'on a oublié jadis de déraciner au bout du stationnement. Sous ses feuilles, il y a un petit paradis pour les insectes et même les petits mammifères puisque plus personne ne se soucie d' «entretenir» ce coin-là.
Pour le moment, c'est la fête. Chacun prend sa branche et pousse son chant. Après cette assemblée houleuse, les moineaux repartiront à la quête de nourriture d'ici à leur coucher.
Puisse-t-on planter encore des arbres, longtemps, pour vivre une vie digne de ce nom, l'humain en symbiose avec la nature plutôt qu'avec ses stationnements.
C'est énorme comme espace vide qui chauffe pour rien. C'est ce désert que fréquentent encore quelques moineaux courageux, deux ou trois mouches, des fourmis... Toutes ces vies tentent péniblement de triompher de la mort qu'on leur impose partout où nous posons nos pattes, nous les humains. Ils peuvent se compter chanceux d'avoir encore cette motte de chiendent pour y trouver une seconde de fraîcheur.
Les moineaux picorent dans le chiendent, au beau milieu d'un énorme stationnement vide qui chauffe au soleil.
Leur cerveau bout.
Ils vont bientôt reprendre leur envol pour se rafraîchir.
Leur ronde est terminée. Il est près de trois heures.
C'est la rencontre des moineaux communs qui piaffent tous ensembles dans le prodigieux orme qu'on a oublié jadis de déraciner au bout du stationnement. Sous ses feuilles, il y a un petit paradis pour les insectes et même les petits mammifères puisque plus personne ne se soucie d' «entretenir» ce coin-là.
Pour le moment, c'est la fête. Chacun prend sa branche et pousse son chant. Après cette assemblée houleuse, les moineaux repartiront à la quête de nourriture d'ici à leur coucher.
Puisse-t-on planter encore des arbres, longtemps, pour vivre une vie digne de ce nom, l'humain en symbiose avec la nature plutôt qu'avec ses stationnements.
mardi 21 juillet 2020
Quand la vie triomphe parfois de la mort
Toute vie semble se terminer par un naufrage.
Elle finit par traîner là, nulle part.
Cette vie-là avait terminé son naufrage au CHSLD Des Pionniers Valeureux.
Elle était un cas lourd et il n'y avait plus que le nom d'une intervenante sociale à son dossier.
On savait plus ou moins qu'elle avait été victime de maltraitance avant que de se retrouver dans cet état presque végétatif. Il fallait la nourrir à la cuillère et la faire boire. Il fallait aussi lui coller un timbre de nitroglycérine dans le dos et le lui enlever le soir venu. On lui injectait des quantités phénoménales d'insuline. Elle prenait des pompes. On lui mettait des gouttes dans les yeux. On étendait une crème sur du psoriasis qu'elle faisait dans le dos. Et tout ce temps-là, elle demeurait amorphe, les yeux perdus dans le vague de son naufrage...
Puis le numéro d'assurance sociale 244 788 998 redevint Madame Gervais.
Les membres du personnel soignant se parlaient entre eux et il devint évident qu'elle avait fait une dépression nerveuse sévère, cette dame, et qu'elle avait besoin de temps et de réconfort pour revenir du bon côté du miroir.
Heureusement qu'il n'y a pas que des trous du cul partout.
Les préposées du CHSLD Des Pionniers Valeureux étaient plus humaines que la moyenne. Ce qui ne faisait qu'alourdir leur charge de travail. Quand on aime moins, on laisse crever sans rien faire. Mais non! Elles avaient décidé de s'occuper de Madame Gervais, de la faire boire, de la nourrir, de la laver, jusqu'à ce qu'elle revienne un tant soit peu de sa torpeur.
Ce qui finit par advenir.
C'était hier.
Elle a bu son verre d'eau pour la première fois. Elle a même pris trois cuillérées de yogourt elle-même. Et, pour une première fois depuis des jours, elle a souri. Puis elle a parlé.
-C'est pas créyable comment c'que c'est qu'i' y'a d'monde pour s'occuper d'moé par icitte! laissa-t-elle tomber non sans émotion.
Les préposées de cette nuit-là, Rolande et Fatou, se sentirent des pincements au coeur.
Comme si elles avaient plus que fait leur job.
Madame Gervais revenait vraiment du royaume des morts.
Madame Gervais était encore vivante et mangeait elle-même son yogourt.
Demain serait une nouvelle victoire de la vie sur la mort.
Un combat à armes inégales entre la maladie et le staff.
Rolande et Fatou étaient tout de même fières d'elles.
-Oui Madame Gervais! Bravo! Vous mangez vous-même votre yogourt! Oh! C'est merveilleux!
-Merci... mais... je... suis... si... si fatiguée...
Elle finit par traîner là, nulle part.
Cette vie-là avait terminé son naufrage au CHSLD Des Pionniers Valeureux.
Elle était un cas lourd et il n'y avait plus que le nom d'une intervenante sociale à son dossier.
On savait plus ou moins qu'elle avait été victime de maltraitance avant que de se retrouver dans cet état presque végétatif. Il fallait la nourrir à la cuillère et la faire boire. Il fallait aussi lui coller un timbre de nitroglycérine dans le dos et le lui enlever le soir venu. On lui injectait des quantités phénoménales d'insuline. Elle prenait des pompes. On lui mettait des gouttes dans les yeux. On étendait une crème sur du psoriasis qu'elle faisait dans le dos. Et tout ce temps-là, elle demeurait amorphe, les yeux perdus dans le vague de son naufrage...
Puis le numéro d'assurance sociale 244 788 998 redevint Madame Gervais.
Les membres du personnel soignant se parlaient entre eux et il devint évident qu'elle avait fait une dépression nerveuse sévère, cette dame, et qu'elle avait besoin de temps et de réconfort pour revenir du bon côté du miroir.
Heureusement qu'il n'y a pas que des trous du cul partout.
Les préposées du CHSLD Des Pionniers Valeureux étaient plus humaines que la moyenne. Ce qui ne faisait qu'alourdir leur charge de travail. Quand on aime moins, on laisse crever sans rien faire. Mais non! Elles avaient décidé de s'occuper de Madame Gervais, de la faire boire, de la nourrir, de la laver, jusqu'à ce qu'elle revienne un tant soit peu de sa torpeur.
Ce qui finit par advenir.
C'était hier.
Elle a bu son verre d'eau pour la première fois. Elle a même pris trois cuillérées de yogourt elle-même. Et, pour une première fois depuis des jours, elle a souri. Puis elle a parlé.
-C'est pas créyable comment c'que c'est qu'i' y'a d'monde pour s'occuper d'moé par icitte! laissa-t-elle tomber non sans émotion.
Les préposées de cette nuit-là, Rolande et Fatou, se sentirent des pincements au coeur.
Comme si elles avaient plus que fait leur job.
Madame Gervais revenait vraiment du royaume des morts.
Madame Gervais était encore vivante et mangeait elle-même son yogourt.
Demain serait une nouvelle victoire de la vie sur la mort.
Un combat à armes inégales entre la maladie et le staff.
Rolande et Fatou étaient tout de même fières d'elles.
-Oui Madame Gervais! Bravo! Vous mangez vous-même votre yogourt! Oh! C'est merveilleux!
-Merci... mais... je... suis... si... si fatiguée...
lundi 20 juillet 2020
Yukon Forever
Il n'y avait plus rien.
Rien que ça.
Et ce rien que ça suffisait à me remplir de tout.
J'avait fui. Comme à peu près tous ceux et celles que je rencontrais sur mon chemin, aux abords de la Yukon River.
Rien que ça...
Vingt-quatre heures de soleil par jour. Ou presque. Une petite brunante vers trois heures du matin qui est aussi le lever du soleil. Un climat semi-désertique. L'été au Yukon est le paradis sur Terre. Il fait toujours soleil et c'est sec, jamais humide. Je me sentais les batteries toujours chargées compte tenu du vingt-quatre heures s'ensoleillement. Je dormais à peine quatre à cinq heures par nuit et n'en ressentais aucune fatigue.
J'allais cueillir du sauge et des bleuets en empruntant des sentiers de sable fin, parsemés de bouleaux et d'épinettes centenaires au tronc tout petit. On croirait que ce sont des arbres d'une vingtaine d'années et ils sont là depuis le dernier passage de Jack London... D'où la fragilité de cet écosystème quand l'homme rôde autour. Dont moi, cet été-là.
Il n'y avait plus rien.
Plus rien de rien.
J'étais enfin libre.
Personne ne savait mon nom.
Et personne n'était capable de prononcer mon prénom comme il le faut.
Je m'appelais Djitane, Gitan, Gipsy puis Grizzly... Pas un anglophone ne sait prononcer Gaétan comme il faut. C'est idem en québécois. Je m'appellerai toujours Guétan...
Je n'en demandais pas plus. J'étais écoeuré de moi-même. Je voulais devenir n'importe qui. Surtout moi-même, sans artifices.
On me trouvait cool pour une raison qui m'échappe. Parce que j'en étais rendu à me crisser des artifices.
On se réunissait autour de moi pour jammer autour de mon feu.
Tous les solitaires de Whitehorse veillaient chez-moi.
C'était à la fois attendrissant et magique.
Rien que ça.
Leurs noms s'effacent un peu dans mes souvenirs au fil du temps...
Je sais qu'il y avait Craig, un Virginien qui squattait sur mon terrain avec Montana Matt, un type du Montana qui n'avait ni travail et surtout pas un rond. On se prenait à la gang pour le nourrir. Ce n'était pas difficile. Nous travaillions tous et toutes dans des restos et on ramenait des surplus: pizza, saumon fumé barbecue, canard à l'orange et le diable sait quoi.
C'était le festin communautaire tous les soirs, suivi d'un jam. J'étais à l'harmonica. Craig à l'accordéon. Et y'avait Terry, un Albertain, qui grattait la guitare. Il y avait un Écossais qui trippait sur l'art abstrait. Deux Irlandaises dont les prénoms m'échappent. Toad un gars qui s'était marié sur un coup de tête après qu'il eusse rencontré une fille de Toronto sur mon campsite. Marié avec elle le lendemain de notre brosse avec un vin affreux appelé Le Domaine d'or. Un mélange de je ne sais trop quelle mixture. L'origine? Ville Saint-Laurent en banlieue de Montréal. Tout ce qu'il me restait, au Yukon, pour soigner mes origines françaises et entretenir mon statut de Frenchy. Je reverrais Toad un peu plus tard à Verdun, dans une autre vie, mais ça c'est une autre histoire...
Leurs noms s'effacent...
Daniel... Dave... Tiens, ils reviennent. Ça fait un bout que je ne les ai pas vus ces deux-là. L'hiver en Jamaïque et l'été au Yukon. Des vrais de vrais freaks qui ont changé ma vie sans le savoir. On a traversé la Colombie-Britannique et le Yukon ensemble sur un road trip où nous empruntions les chemins menant nulle part: des mines désaffectées, des villes de 8 habitants, 36 chiens et 900 grizzlis...
J'aurai connu tellement de gens importants dans ma vie. Tellement que je n'ai jamais revus parce que la vie est faite comme ça.
Il n'y avait plus rien là-bas.
Plus rien qui ne me pesait sur la conscience.
Je dois au Yukon de m'être rebâti sur des bases solides.
Jamais je ne remercierai assez les Sourdoughs et autres Yukonois pour leur hospitalité.
Je n'avais plus de télé. Seulement un vieux walkman avec la radio locale ou bien Radio-Canada en français. Je me lavais avec l'eau de la rivière. Je faisais cuire mes trucs sur le feu de camp.
Il n'y avait rien. Et en même temps, il y avait tout.
Rien que ça.
Et ce rien que ça suffisait à me remplir de tout.
J'avait fui. Comme à peu près tous ceux et celles que je rencontrais sur mon chemin, aux abords de la Yukon River.
Rien que ça...
Vingt-quatre heures de soleil par jour. Ou presque. Une petite brunante vers trois heures du matin qui est aussi le lever du soleil. Un climat semi-désertique. L'été au Yukon est le paradis sur Terre. Il fait toujours soleil et c'est sec, jamais humide. Je me sentais les batteries toujours chargées compte tenu du vingt-quatre heures s'ensoleillement. Je dormais à peine quatre à cinq heures par nuit et n'en ressentais aucune fatigue.
J'allais cueillir du sauge et des bleuets en empruntant des sentiers de sable fin, parsemés de bouleaux et d'épinettes centenaires au tronc tout petit. On croirait que ce sont des arbres d'une vingtaine d'années et ils sont là depuis le dernier passage de Jack London... D'où la fragilité de cet écosystème quand l'homme rôde autour. Dont moi, cet été-là.
Il n'y avait plus rien.
Plus rien de rien.
J'étais enfin libre.
Personne ne savait mon nom.
Et personne n'était capable de prononcer mon prénom comme il le faut.
Je m'appelais Djitane, Gitan, Gipsy puis Grizzly... Pas un anglophone ne sait prononcer Gaétan comme il faut. C'est idem en québécois. Je m'appellerai toujours Guétan...
Je n'en demandais pas plus. J'étais écoeuré de moi-même. Je voulais devenir n'importe qui. Surtout moi-même, sans artifices.
On me trouvait cool pour une raison qui m'échappe. Parce que j'en étais rendu à me crisser des artifices.
On se réunissait autour de moi pour jammer autour de mon feu.
Tous les solitaires de Whitehorse veillaient chez-moi.
C'était à la fois attendrissant et magique.
Rien que ça.
Leurs noms s'effacent un peu dans mes souvenirs au fil du temps...
Je sais qu'il y avait Craig, un Virginien qui squattait sur mon terrain avec Montana Matt, un type du Montana qui n'avait ni travail et surtout pas un rond. On se prenait à la gang pour le nourrir. Ce n'était pas difficile. Nous travaillions tous et toutes dans des restos et on ramenait des surplus: pizza, saumon fumé barbecue, canard à l'orange et le diable sait quoi.
C'était le festin communautaire tous les soirs, suivi d'un jam. J'étais à l'harmonica. Craig à l'accordéon. Et y'avait Terry, un Albertain, qui grattait la guitare. Il y avait un Écossais qui trippait sur l'art abstrait. Deux Irlandaises dont les prénoms m'échappent. Toad un gars qui s'était marié sur un coup de tête après qu'il eusse rencontré une fille de Toronto sur mon campsite. Marié avec elle le lendemain de notre brosse avec un vin affreux appelé Le Domaine d'or. Un mélange de je ne sais trop quelle mixture. L'origine? Ville Saint-Laurent en banlieue de Montréal. Tout ce qu'il me restait, au Yukon, pour soigner mes origines françaises et entretenir mon statut de Frenchy. Je reverrais Toad un peu plus tard à Verdun, dans une autre vie, mais ça c'est une autre histoire...
Leurs noms s'effacent...
Daniel... Dave... Tiens, ils reviennent. Ça fait un bout que je ne les ai pas vus ces deux-là. L'hiver en Jamaïque et l'été au Yukon. Des vrais de vrais freaks qui ont changé ma vie sans le savoir. On a traversé la Colombie-Britannique et le Yukon ensemble sur un road trip où nous empruntions les chemins menant nulle part: des mines désaffectées, des villes de 8 habitants, 36 chiens et 900 grizzlis...
J'aurai connu tellement de gens importants dans ma vie. Tellement que je n'ai jamais revus parce que la vie est faite comme ça.
Il n'y avait plus rien là-bas.
Plus rien qui ne me pesait sur la conscience.
Je dois au Yukon de m'être rebâti sur des bases solides.
Jamais je ne remercierai assez les Sourdoughs et autres Yukonois pour leur hospitalité.
Je n'avais plus de télé. Seulement un vieux walkman avec la radio locale ou bien Radio-Canada en français. Je me lavais avec l'eau de la rivière. Je faisais cuire mes trucs sur le feu de camp.
Il n'y avait rien. Et en même temps, il y avait tout.
vendredi 17 juillet 2020
La pire peur de ma vie à l'été 1980
L'été 1980 fût l'un des plus anxieux de ma vie.
J'allais faire mon entrée à la polyvalente en septembre.
Les récits que m'en faisaient mon frère dont je suis le puîné me glaçaient le sang.
J'allais sûrement en manger une tabarnak. J'étais mieux de bien m'équiper. Et de m'entraîner avec ces nunchakus que nous nous fabriquions nous-mêmes dans l'espoir de devenir Bruce Lee. Nous nous en calissions des coups sur la margoulette plus souvent qu'autrement. L'arme ne servait pas encore en tant que telle. Mais sait-on jamais...
Moi et mon chum le Bief avions été au surplus d'armée acheter ce que nous appelions des «bucks». Mettons que c'était un couteau de chasse repliable avec une grosse lame d'acier inoxydable d'à peu près cinq pouces.
Je ne sais pas comment on a pu acheter ça à douze ans. Mais bon, nous nous sommes achetés un buck, chacun un, et nous l'avons dissimulé dans nos bottes Kodiak à embout d'acier. Ces bottes allaient aussi servi d'arme de dissuasion. Nous serions prêts à piquer tous les baveux qui viendraient s'en prendre à nous parce que nous n'avions pas encore de gang pour nous soutenir. Notre gang, c'était nous deux, plus mon frère dont je suis le puîné en cas d'extrême nécessité. Cela me servait d'être son frère. Ceux qui savaient que j'étais son frère n'auraient pas osé toucher à un seul de mes cheveux. Il se pouvait néanmoins qu'on ne le connaisse pas. Il se pouvait aussi que je ne sois pas du genre à brandir le nom de mon frère pour les stupéfier. Après tout, j'avais un buck, des Kodiak à embouts d'acier, des nunchakus...
Heureusement que je n'ai jamais eu à me servir de ceux-là. Sinon une seule fois de mes Kodiak à embouts d'acier. J'avais botté le cul à un gros niaiseux qui me traitait de «grosse plote» pour je ne sais trop pourquoi. J'y avais mis beaucoup d'amour dans le swing. Je lui avais littéralement défoncé le trou du cul. Il ne m'a plus jamais insulté ensuite.
C'était épeurant la polyvalente. Il devait bien y avoir plus de mille étudiants qui devaient s'entasser dans cette boîte béton où la moitié des salles de cours était dénuée de fenêtres, un vrai calvaire pour moi qui avais l'habitude d'être dans la lune.
J'ai survécu à la polyvalente.
J'étais grand et gros et un peu fou dans la tête.
Quand on me bavait je réagissais follement.
Genre en levant un banc de huit pieds d'une seule main en le brandissant comme un cure-dent.
Ou en arrachant des planches après des clôtures pour impressionner mes potentiels agresseurs.
Il m'arrivait aussi de courir derrière eux avec une énorme roche pour les assommer. Ou bien avec un pic à glace. Je l'ai fait aussi. Comme je courais moins vite qu'eux, rien de malheureux n'est advenu.
Bref, je suis un survivant de la violence en quelque sorte.
J'ai mangé quelques coups.
J'en ai donné quelques-uns pour me défendre.
Que voulez-vous?
Mais je n'ai jamais battu une femme.
Parce que la femme, même du temps de la polyvalente, je me la représentais comme l'espoir de l'humanité.
Parce que les gars, somme toute, étaient caves.
Ils s'achetaient des couteaux.
Ils s'étranglaient.
Ils se bousculaient.
Pas moyen de lire Shakespeare tranquille genre.
J'allais faire mon entrée à la polyvalente en septembre.
Les récits que m'en faisaient mon frère dont je suis le puîné me glaçaient le sang.
J'allais sûrement en manger une tabarnak. J'étais mieux de bien m'équiper. Et de m'entraîner avec ces nunchakus que nous nous fabriquions nous-mêmes dans l'espoir de devenir Bruce Lee. Nous nous en calissions des coups sur la margoulette plus souvent qu'autrement. L'arme ne servait pas encore en tant que telle. Mais sait-on jamais...
Moi et mon chum le Bief avions été au surplus d'armée acheter ce que nous appelions des «bucks». Mettons que c'était un couteau de chasse repliable avec une grosse lame d'acier inoxydable d'à peu près cinq pouces.
Je ne sais pas comment on a pu acheter ça à douze ans. Mais bon, nous nous sommes achetés un buck, chacun un, et nous l'avons dissimulé dans nos bottes Kodiak à embout d'acier. Ces bottes allaient aussi servi d'arme de dissuasion. Nous serions prêts à piquer tous les baveux qui viendraient s'en prendre à nous parce que nous n'avions pas encore de gang pour nous soutenir. Notre gang, c'était nous deux, plus mon frère dont je suis le puîné en cas d'extrême nécessité. Cela me servait d'être son frère. Ceux qui savaient que j'étais son frère n'auraient pas osé toucher à un seul de mes cheveux. Il se pouvait néanmoins qu'on ne le connaisse pas. Il se pouvait aussi que je ne sois pas du genre à brandir le nom de mon frère pour les stupéfier. Après tout, j'avais un buck, des Kodiak à embouts d'acier, des nunchakus...
Heureusement que je n'ai jamais eu à me servir de ceux-là. Sinon une seule fois de mes Kodiak à embouts d'acier. J'avais botté le cul à un gros niaiseux qui me traitait de «grosse plote» pour je ne sais trop pourquoi. J'y avais mis beaucoup d'amour dans le swing. Je lui avais littéralement défoncé le trou du cul. Il ne m'a plus jamais insulté ensuite.
C'était épeurant la polyvalente. Il devait bien y avoir plus de mille étudiants qui devaient s'entasser dans cette boîte béton où la moitié des salles de cours était dénuée de fenêtres, un vrai calvaire pour moi qui avais l'habitude d'être dans la lune.
J'ai survécu à la polyvalente.
J'étais grand et gros et un peu fou dans la tête.
Quand on me bavait je réagissais follement.
Genre en levant un banc de huit pieds d'une seule main en le brandissant comme un cure-dent.
Ou en arrachant des planches après des clôtures pour impressionner mes potentiels agresseurs.
Il m'arrivait aussi de courir derrière eux avec une énorme roche pour les assommer. Ou bien avec un pic à glace. Je l'ai fait aussi. Comme je courais moins vite qu'eux, rien de malheureux n'est advenu.
Bref, je suis un survivant de la violence en quelque sorte.
J'ai mangé quelques coups.
J'en ai donné quelques-uns pour me défendre.
Que voulez-vous?
Mais je n'ai jamais battu une femme.
Parce que la femme, même du temps de la polyvalente, je me la représentais comme l'espoir de l'humanité.
Parce que les gars, somme toute, étaient caves.
Ils s'achetaient des couteaux.
Ils s'étranglaient.
Ils se bousculaient.
Pas moyen de lire Shakespeare tranquille genre.
mardi 14 juillet 2020
Je suis votre allié
Vous êtes victime d'injustice sociale? Je suis votre allié.
Victime de racisme? Je suis votre allié.
Victime de sexisme? Je suis votre allié.
Victime du capitalisme? Je suis votre allié.
On vous crache dessus parce que vous êtes transgenre? Je suis votre allié.
On vous méprise parce que vous portez le voile et priez Allah? Je suis votre allié.
On vous viole, on vous maltraite, on vous découpe en rondelles? Je suis votre allié.
On vous traite de sale juif, de métèque, de nègre, de bougnoule, de maudit Indien ou de French bastard? Je suis votre allié.
Bien sûr, je ne suis pas ce que vous êtes.
Je suis seulement différent, comme chacun et chacune d'entre nous.
Je n'épouse aucune idéologie en particulier.
Je fais de mon mieux pour porter secours aux personnes qui sont dans le besoin.
Je dis ce que j'ai à dire et c'est difficile de me faire taire.
Je suis votre allié. Pas votre père. Ni votre mère. Et encore moins votre maître.
Je ne suis ni votre guide ni votre timonier.
J'ai assez de mener ma barque sans mener la vôtre.
Si vous pouvez m'aider à écoper un peu, au passage, je ne dirai pas non.
Autrement, je me débrouillerai bien. Comme d'habitude.
Je suis votre allié. Pas votre ami. Ni votre député.
Je ne suis qu'un type parmi tant d'autres floué par les mêmes crapules qui vous empoisonnent la vie.
On ne prie pas le même dieu.
On ne mange pas tous les mêmes plats.
On ne baise pas tous de la même manière.
Mais on se fait chier par des flopées de pervers narcissiques qui ne se rendent même pas compte qu'ils sont aussi prisonniers de leur masculinité toxique ou bien de leurs privilèges inavoués.
Parfois, il se peut que je ne sois pas tout à fait l'allié de vos rêves.
Je dois briser pas mal de vos conventions, parce que je me fous pas mal des conventions.
Je ne me fous pas des personnes cependant.
Je suis votre allié.
Chu un bon gars...
Puisque je vous le dis.
Victime de racisme? Je suis votre allié.
Victime de sexisme? Je suis votre allié.
Victime du capitalisme? Je suis votre allié.
On vous crache dessus parce que vous êtes transgenre? Je suis votre allié.
On vous méprise parce que vous portez le voile et priez Allah? Je suis votre allié.
On vous viole, on vous maltraite, on vous découpe en rondelles? Je suis votre allié.
On vous traite de sale juif, de métèque, de nègre, de bougnoule, de maudit Indien ou de French bastard? Je suis votre allié.
Bien sûr, je ne suis pas ce que vous êtes.
Je suis seulement différent, comme chacun et chacune d'entre nous.
Je n'épouse aucune idéologie en particulier.
Je fais de mon mieux pour porter secours aux personnes qui sont dans le besoin.
Je dis ce que j'ai à dire et c'est difficile de me faire taire.
Je suis votre allié. Pas votre père. Ni votre mère. Et encore moins votre maître.
Je ne suis ni votre guide ni votre timonier.
J'ai assez de mener ma barque sans mener la vôtre.
Si vous pouvez m'aider à écoper un peu, au passage, je ne dirai pas non.
Autrement, je me débrouillerai bien. Comme d'habitude.
Je suis votre allié. Pas votre ami. Ni votre député.
Je ne suis qu'un type parmi tant d'autres floué par les mêmes crapules qui vous empoisonnent la vie.
On ne prie pas le même dieu.
On ne mange pas tous les mêmes plats.
On ne baise pas tous de la même manière.
Mais on se fait chier par des flopées de pervers narcissiques qui ne se rendent même pas compte qu'ils sont aussi prisonniers de leur masculinité toxique ou bien de leurs privilèges inavoués.
Parfois, il se peut que je ne sois pas tout à fait l'allié de vos rêves.
Je dois briser pas mal de vos conventions, parce que je me fous pas mal des conventions.
Je ne me fous pas des personnes cependant.
Je suis votre allié.
Chu un bon gars...
Puisque je vous le dis.
lundi 13 juillet 2020
Rien ne va plus!
Il y avait un problème avec la justice en France en 1788. C'était comme si les seigneurs pouvaient à peu près tout faire impunément. Ce qui finit par irriter le bon peuple qui n'était plus si patient que ça avec le bon roi. Aurait-il attendu dix siècles de plus, le bon peuple, que les seigneurs n'auraient pas lâché si facilement le morceau, c'est-à-dire l'anneau du pouvoir, le «prr-r-récieux»...
Pour les «saigneurs» de la Terre, rien de plus précieux que leurs privilèges évidemment.
Ils en viennent même à penser que c'est un privilège que de servir leurs privilèges.
Il y a donc deux lois. Une pour tout le monde et une pour les privilégiés.
Lorsque vous ne suivez pas les règles établies par les privilégiés, vous tombez invariablement dans l'erreur. Car il n'y a pas pire erreur que d'empêcher un privilégié de jouir de ses passe-droits. Voire de jouir tout court.
Tous les à peu près privilégiés défendront cent fois un privilégié tombé au front avant que d'accorder quelque importance à ses victimes, des pauvres, des enfants, des gens sans importance qui n'ont parfois que des surnoms.
***
Je visionnais hier un documentaire sur Netflix à propos de l'affaire Jeffrey Epstein. Le salaud opérait un réseau de prostitution juvénile et fournissait des jeunes filles à quelques seigneurs de l'économie de marché.
Il a réussi à s'acheter de la justice tout au long de son enquête. Même un procureur. Lequel devint d'ailleurs Ministre du travail sous Donald Trump, un ami de longue date de Jeffrey... Comme si la justice pesait plus lourd de son bord que de celui des centaines de ses jeunes victimes pour lesquelles Epstein n'éprouva jamais aucun remords.
C'est normal, voyez-vous, que de se prêter à tous les caprices d'un privilégié. S'il vous paie, il peut vous violer sur son jet ou bien son île privée. Le monde lui appartient. Vous n'êtes rien pour lui et le monde entier vous rappellera qu'il a tout pour lui.
Que vous reste-t-il? Rien. Sinon l'amitié de centaines de personnes qui, comme vous, se sont faites flouer par un salopard.
Tous les moyens sont bons pour ce salopard pour vous faire taire. On n'ose même pas imaginer tout ce qui pourrait vous être fait. Ce n'est pas notre monde. C'est le monde des privilégiés. Le monde de la haute gomme. Le monde qui fait les lois et n'a pas besoin d'y obéir.
Pourtant, ce monde tremble devant une poignée de jeunes gens qui divulguent les forfaits des seigneurs sur Facebook, Twitter et Instagram. Ce monde est baisé par une poignée d'activistes qui n'obéissent pas aux règles de tout le monde et menacent de faire tomber des statues ou de prendre la Bastille...
***
Juin 1789. Les uns et les autres tergiversent sur la marche que devra prendre la Nation.
On veut abolir les privilèges. On veut réformer le monde. Plus rien ne devra être comme avant.
Puis c'est la Prise de la Bastille. Le peuple est impatient. Les règles anciennes éclatent en mille morceaux. On s'appelle désormais citoyen et citoyenne dans les rues. Les aristocrates promettent de se débarrasser de leurs titres et de leurs privilèges. Du 20 au 26 août on adopte les articles qui constitueront la Déclaration des droits de l'homme. C'est presque la fin de l'aristocratie.
Puis l'Histoire repartira tout croche et tout de travers pour quelques tours encore.
Pour se rendre jusqu'à nous, avec le même vieux problème des privilèges et de l'injustice sociale qui ne sont pas encore résolus.
On appelle tout un chacun à utiliser les cours de justice pour faire valoir leurs droits.
Et on oublie que la justice, malheureusement, ça s'achète. Pour un violeur arrêté il y en a peut-être 1000 en liberté.
Parce que nos tribunaux de 2020, comme ceux de France en 1788, ne correspondent plus aux préjugés sociaux établis du jour.
L'arbitre n'est plus crédible. Il porte une perruque poudrée.
Il suffirait qu'il enlève sa perruque et que nos politiciens tiennent un tout autre discours pour que la société ne sombre pas dans la guerre civile par excès d'atavisme, sinon de cannibalisme.
Il faut donc changer l'arbitre les amis.
Ainsi que les règles du jeu.
Parce que c'est évident que rien ne va plus.
Je n'encourage ni ne décourage les dénonciations.
Honnêtement, je pense qu'il y a trop de pression dans la bouilloire.
C'est pourquoi le couvercle a sauté.
Avant de remettre un autre couvercle sur la marmite, faudra s'assurer que personne ne vienne brasser la soupe de tout le monde avec sa queue.
jeudi 9 juillet 2020
Dialogue sur la littérature et sur l'idée de se tirer une balle dans la tête
-Je vivrai, dussé-je traîner ma carcasse dans une boîte à savon montée sur roulettes!... Jusqu'à la fin les amis... Oui... Et ne me demandez surtout pas pourquoi...
-Tu es fou Bob. Moi je voudrais mourir pour moins que ça. Paf! Une balle dans la tête et c'est fini...
-Et tu crois que tous ceux qui vivent de peine et de misère, tout croche et tout de travers, n'y avaient pas pensé avant toi? Ils sont demeurés là parce que le coup d'une balle dans la tête et c'est fini ça ne fonctionne pas si bien que ça... Tu n'as pas idée à quoi l'on pourrait s'habituer Djo.
-Que veux-tu dire?
-Dans Tchekhov, je ne sais plus trop dans quelle nouvelle, je deviens vieux, je me souviens qu'il y a un vieux moujik qui dort toutes les nuits à la belle étoile avec son vieux cheval. Il n'a pas de maisons. Il dort à même le sol pluvieux ou enneigé. Et il remercie son dieu toutes les nuits en disant qu'il ne voudrait pas changer de place pour rien au monde. Tchekhov regarde ça d'un air tant étonné qu'il en rédige une nouvelle dans laquelle il se demande comment ce vieux moujik sale, malade, misérable, peut remercier Dieu alors qu'il dort dans la boue, au plus bas échelon de l'organisation sociale, sans personne ni rien que son vieux canasson... À moins que ce n'était un boeuf? Hum...
-Ah! Bob pis son Tchekhov... Faudrait bien que je le lise... On n'aurait pas dû mettre La ceriseraie au programme des lectures obligatoires du temps de mon Cégep... Ça m'a gelé pour tout ce qui s'appelait Tchekhov...
-C'est clair que les lectures obligatoires ça peut gâter un auteur pour la vie... On a failli me tuer lors de mon séminaire de littérature à l'université... Je me suis tapé les deux cent millions de volumes de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust...
-Et?
-Eh bien je me souviens que d'une seule phrase: il se pourrait que certains chefs-d'oeuvre aient été écrits en baillant... Hostie que j'ai bayé aux corneilles en lisant Proust... Peut-être que je lisais du Tchekhov pendant le cours sur Proust somme toute... Et encore! J'ai dû attendre d'avoir quarante ans pour l'apprécier pleinement. Tchekhov c'est un homme de quarante ans qui parlait alors à un homme de quarante ans. Ça rentrait mieux au poste.
-Ouais, ouais... Personnellement j'ai lu L'Être et le Néant de Jean-Paul Sartre pour finalement me rendre compte qu'il prétendait l'avoir écrit sous l'effet des barbituriques, avouant même qu'il ne savait parfois plus ce qu'il écrivait... Et, franchement, j'avais beau retourné ça dans tous les sens dans ma tête que je trouvais bien plus de néant chez Sartre que de consistance... Un petit point pour La Nausée. Il a tenté, vainement, d'imiter un peu Louis-Ferdinand Céline. Pour les générations futures Sartre n'arrivera pas à la cheville de Camus, c'est certain...
-Si tu le dis Djo. Et c'est pas moi qui vais te contredire. J'aime mieux Juliette Greco, Miles Davis et Boris Vian... Les zazous plutôt que les existentialistes...
-Bon et si l'on revenait au thème initial de cette conversation?
-Tu veux dire se tirer une balle dans la tête?
-Oui, c'est ça Bob.
-Ok. Eh bien comme tu peux le voir, la littérature nous épargne bien des misères et des souffrances... La vie de l'esprit est plus forte que la vie du corps. C'est ce qui fait de nous des humains. Voilà...
-Es-tu en train de me dire que tu as raison mon tabarnak?
-On n'a jamais raison. Surtout pas moi. C'est un poids trop lourd à assumer, la raison. J'aime autant être un calice de fou...
-Ouais. C'est pour ça qu'on a encore du fun... Quand je suis trop sérieux, moé, je lâche un pet.
-Tu feras ça plus tard si tu veux bien...
-Ha! Ha!
Les deux amis rirent de bon coeur encore quelques instants en s'échangeant le joint.
Puis ils grattèrent de la guitare en chantant des tounes de Led Zeppelin ou de Bob Marley.
Bref, ils ne furent pas malheureux.
Et ils ne se tirèrent pas une balle dans la tête.
-Tu es fou Bob. Moi je voudrais mourir pour moins que ça. Paf! Une balle dans la tête et c'est fini...
-Et tu crois que tous ceux qui vivent de peine et de misère, tout croche et tout de travers, n'y avaient pas pensé avant toi? Ils sont demeurés là parce que le coup d'une balle dans la tête et c'est fini ça ne fonctionne pas si bien que ça... Tu n'as pas idée à quoi l'on pourrait s'habituer Djo.
-Que veux-tu dire?
-Dans Tchekhov, je ne sais plus trop dans quelle nouvelle, je deviens vieux, je me souviens qu'il y a un vieux moujik qui dort toutes les nuits à la belle étoile avec son vieux cheval. Il n'a pas de maisons. Il dort à même le sol pluvieux ou enneigé. Et il remercie son dieu toutes les nuits en disant qu'il ne voudrait pas changer de place pour rien au monde. Tchekhov regarde ça d'un air tant étonné qu'il en rédige une nouvelle dans laquelle il se demande comment ce vieux moujik sale, malade, misérable, peut remercier Dieu alors qu'il dort dans la boue, au plus bas échelon de l'organisation sociale, sans personne ni rien que son vieux canasson... À moins que ce n'était un boeuf? Hum...
-Ah! Bob pis son Tchekhov... Faudrait bien que je le lise... On n'aurait pas dû mettre La ceriseraie au programme des lectures obligatoires du temps de mon Cégep... Ça m'a gelé pour tout ce qui s'appelait Tchekhov...
-C'est clair que les lectures obligatoires ça peut gâter un auteur pour la vie... On a failli me tuer lors de mon séminaire de littérature à l'université... Je me suis tapé les deux cent millions de volumes de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust...
-Et?
-Eh bien je me souviens que d'une seule phrase: il se pourrait que certains chefs-d'oeuvre aient été écrits en baillant... Hostie que j'ai bayé aux corneilles en lisant Proust... Peut-être que je lisais du Tchekhov pendant le cours sur Proust somme toute... Et encore! J'ai dû attendre d'avoir quarante ans pour l'apprécier pleinement. Tchekhov c'est un homme de quarante ans qui parlait alors à un homme de quarante ans. Ça rentrait mieux au poste.
-Ouais, ouais... Personnellement j'ai lu L'Être et le Néant de Jean-Paul Sartre pour finalement me rendre compte qu'il prétendait l'avoir écrit sous l'effet des barbituriques, avouant même qu'il ne savait parfois plus ce qu'il écrivait... Et, franchement, j'avais beau retourné ça dans tous les sens dans ma tête que je trouvais bien plus de néant chez Sartre que de consistance... Un petit point pour La Nausée. Il a tenté, vainement, d'imiter un peu Louis-Ferdinand Céline. Pour les générations futures Sartre n'arrivera pas à la cheville de Camus, c'est certain...
-Si tu le dis Djo. Et c'est pas moi qui vais te contredire. J'aime mieux Juliette Greco, Miles Davis et Boris Vian... Les zazous plutôt que les existentialistes...
-Bon et si l'on revenait au thème initial de cette conversation?
-Tu veux dire se tirer une balle dans la tête?
-Oui, c'est ça Bob.
-Ok. Eh bien comme tu peux le voir, la littérature nous épargne bien des misères et des souffrances... La vie de l'esprit est plus forte que la vie du corps. C'est ce qui fait de nous des humains. Voilà...
-Es-tu en train de me dire que tu as raison mon tabarnak?
-On n'a jamais raison. Surtout pas moi. C'est un poids trop lourd à assumer, la raison. J'aime autant être un calice de fou...
-Ouais. C'est pour ça qu'on a encore du fun... Quand je suis trop sérieux, moé, je lâche un pet.
-Tu feras ça plus tard si tu veux bien...
-Ha! Ha!
Les deux amis rirent de bon coeur encore quelques instants en s'échangeant le joint.
Puis ils grattèrent de la guitare en chantant des tounes de Led Zeppelin ou de Bob Marley.
Bref, ils ne furent pas malheureux.
Et ils ne se tirèrent pas une balle dans la tête.
mercredi 8 juillet 2020
Cunégonde Labonté et le CHSLD Lionel-Groulx
On ne sait jamais dans quel enfer on peut sombrer. On peut aussi dire que c'est une question de point de vue.
Cunégonde Labonté faisait vivre la terreur au personnel soignant du CHSLD Lionel-Groulx.
Elle avait autour de soixante-quinze ans. Elle ne bougeait plus vraiment de son lit. Son diabète était plutôt avancé. On venait de lui amputer les orteils. Elle avait une sonde vésicale. Elle était aussi sous oxygène. Plusieurs petits bobos ici et là. Elle faisait du psoriasis, de l'eczéma, du cancer et tout ce que vous voulez ou ne voulez pas. Bref, on peut dire qu'elle était lourdement hypothéquée par toutes ces maladies.
On ne peut pas dire qu'elle avait l'air accueillante, Madame Labonté.
Elle était tout sauf agréable. Elle vous faisait sentir que vous ne seriez jamais capable de la satisfaire alors qu'elle recevait dix fois plus de soins que tous les autres... Cela frisait l'ingratitude, mais ça le personnel soignant finit toujours par faire avec.
Par contre, il y a des limites à ne pas franchir. Surtout si la dame en question n'a pas de troubles cognitifs connus et qu'elle peut encore signer des chèques.
Madame Labonté ressemblait vaguement à un melon sur deux pattes qui aurait eu une fraise au lieu du nez. Elle avait la tête frisée comme un mouton. La tête plutôt jaune paille.
Elle avait été pétrie de préjugés racistes et sociaux tout au long de sa vie.
Elle n'aurait jamais crue que cela finirait ainsi, entourée de «négresses» (sic!), de lesbiennes et autres magouas en tous genres.
Elle avait été présidente fondatrice du cercle des fermières de sa localité. Puis épouse du maire de tel village. Impliquée dans la politique à haut niveau. Elle avait été scrutatrice pour un quelconque parti nationaliste. Bref, elle était quelqu'une et on lui devait tous les égards bien entendu. On est au Québec icitte...
-J'veux pas m'faire laver par les négresses! Ni par la maudite lesbienne licheuse de pantoufle ou bin don' l'autre guidoune qui sauterait su' tous 'es queues! J'veux une personne normale pour me laver tabarnak! Une personne normale! hurlait Madame Labonté pour bien se faire comprendre.
Évidemment, la travailleuse sociale était sur son cas: une musulmane de Musulmanie, presque voilée imaginez-vous donc!
Et c'était pareil pour le docteur. Docteur Chosebine... Docteur Falalamamadou... Elle ne s'était jamais forcée à apprendre les noms de ces gens-là. Elle l'appelait parfois Roger pour le narguer. Un genre de Roger Black qui ne connaissait rien selon Madame Labonté. En fait il s'appelait Mohamed Fall. C'était un brave homme de Dakar, au Sénégal, qui aurait préféré devenir prix Nobel de littérature. Mais qui aurait payé pour ces études-là? Bref, Monsieur Fall devait maintenant faire ce sale boulot pour toutes sortes de personnes méchantes, racistes et mauvaises.
-Je ne m'appelle pas Roger Black, Madame Labonté, je m'appelle Mohamed Fall...
-Mamadou... Grosdoudou... M'en crisse... Chu chez-nous pis moé j't'appelle Roger Black ou Gregory Charles calvaire! continua-t-elle cette fois-là.
Que devait faire Mohamed Fall? Il contacta sa famille. Or, elle n'avait plus de famille. Il n'y avait plus qu'elle pour s'occuper d'elle. Et la travailleuse sociale de Musulmanie... Et tous ces voleurs et voleuses au teint foncé...
-J'veux pas les voir dans ma chambre celles-là... Les maudites n...
Madame Labonté pouvait bien pâtir avec toute cette bande d'étrangers, de guidounes et de crétins bienveillants autour d'elle. Qu'étaient devenus son beau Québec, son pays, son drapeau, ses gens? On était libres avant. On pouvait rire d'eux tout le temps sans se faire dire d'arrêter de leur faire du mal. Que s'est-il passé pour que Madame Labonté sombre dans un tel enfer?
En fait, l'enfer était là pour tout le monde.
Les soins de santé étaient en banqueroute.
Madame Labonté avait été abandonnée sur la voie de service comme tous les autres commodes ou malcommodes. Parce qu'elle était devenue ce que l'on appelle un «cas lourd». Aucun membre de sa famille n'aurait pu s'occuper d'elle même s'il ou elle aurait voulu. Cela prenait un lève-personne et au moins deux préposées formées. Sinon trois. Et parfois quatre. Et le métier n'attirait pas tant de Québécois de souche que ça... C'était comme si c'était trop demandé à un citoyen romain lambda de nettoyer les écuries d'Augias.
Fatima avait un teint d'ébène. Elle faisait partie des victimes de Madame Labonté évidemment. Elle était faite forte Fatima. Raciste ou pas, elle lavait tout le monde sans se faire écraser par qui ou quoi que ce soit. Elle était assez énergique pour que Madame Labonté se sente obligée de se laisser laver par cette maudite folle.
-Elle, j'lui parle même pas... Elle pourrait m'empoisonner... Avez-vous vu ses yeux? Brrr.... J'me laisse faire sinon A' va m'tuer!
-Où sont les racistes qui viennent prendre soin d'elle, Seigneuuuur? disait Fatima, lorsqu'elle sortait de sa chambre, épuisée, fatiguée d'avoir à défendre une certaine idée de l'humanité face à une déplorable Québécoise de souche au seuil de la mort qui n'avait aucune once de bonté ou de reconnaissance.
Les choses finirent par aller de mal en pis pour Madame Labonté.
D'abord le CHSLD Lionel-Groulx fût rebaptisé la Maison de retraite Oscar-Peterson.
Et puis, le diabète aidant, avec un cancer des poumons qui s'ajoutait, elle piqua du nez.
Du coup, elle devint un peu moins pétrie de rancoeur.
La morphine et le seuil de la mort faisaient leur effet.
Il ne lui restait plus que ce Noir, un Haïtien qu'elle appelait affectueusement Vendredi, parce qu'elle se sentait Robinsonne Crusoë perdue quelque part dans un pays lointain, dans les bras de Morphine et de son complice Ativan.
Le Docteur Mohamed Fall continuait de venir la voir fréquemment. Plus qu'aucun Blanc ne l'aurait fait probablement. Ils sont tellement excessifs les Africains...
Madame Labonté ne l'appelait plus Roger Black. Elle l'appelait Infirmier. C'était en quelque sorte une promotion qu'elle lui accordait, riait de bon coeur Docteur Fall.
-La pauvre vieille... Il ne lui en reste plus pour longtemps... Elle a des métastases partout... C'est pas joli... On ne peut lui donner que des soins de confort... Je vais lui apporter des chocolats blancs... On m'a dit qu'elle aimait les chocolats blancs...
Elle mourut, bien entendu. Elle mangea tout de même trois ou quatre morceaux de chocolats blancs donnés par Infirmier...
Il n'y eut personne aux funérailles de Cunégonde Labonté 1943-2020.
Sinon Vendredi, alias Napoléon Bélizaire, Haïtien, préposé de nuit à la Maison de retraite Oscar-Peterson. Il constata le décès. Il lava son corps souillé d'excréments. Il transféra son cadavre au four crématoire via les services ambulanciers.
Cunégonde Labonté faisait vivre la terreur au personnel soignant du CHSLD Lionel-Groulx.
Elle avait autour de soixante-quinze ans. Elle ne bougeait plus vraiment de son lit. Son diabète était plutôt avancé. On venait de lui amputer les orteils. Elle avait une sonde vésicale. Elle était aussi sous oxygène. Plusieurs petits bobos ici et là. Elle faisait du psoriasis, de l'eczéma, du cancer et tout ce que vous voulez ou ne voulez pas. Bref, on peut dire qu'elle était lourdement hypothéquée par toutes ces maladies.
On ne peut pas dire qu'elle avait l'air accueillante, Madame Labonté.
Elle était tout sauf agréable. Elle vous faisait sentir que vous ne seriez jamais capable de la satisfaire alors qu'elle recevait dix fois plus de soins que tous les autres... Cela frisait l'ingratitude, mais ça le personnel soignant finit toujours par faire avec.
Par contre, il y a des limites à ne pas franchir. Surtout si la dame en question n'a pas de troubles cognitifs connus et qu'elle peut encore signer des chèques.
Madame Labonté ressemblait vaguement à un melon sur deux pattes qui aurait eu une fraise au lieu du nez. Elle avait la tête frisée comme un mouton. La tête plutôt jaune paille.
Elle avait été pétrie de préjugés racistes et sociaux tout au long de sa vie.
Elle n'aurait jamais crue que cela finirait ainsi, entourée de «négresses» (sic!), de lesbiennes et autres magouas en tous genres.
Elle avait été présidente fondatrice du cercle des fermières de sa localité. Puis épouse du maire de tel village. Impliquée dans la politique à haut niveau. Elle avait été scrutatrice pour un quelconque parti nationaliste. Bref, elle était quelqu'une et on lui devait tous les égards bien entendu. On est au Québec icitte...
-J'veux pas m'faire laver par les négresses! Ni par la maudite lesbienne licheuse de pantoufle ou bin don' l'autre guidoune qui sauterait su' tous 'es queues! J'veux une personne normale pour me laver tabarnak! Une personne normale! hurlait Madame Labonté pour bien se faire comprendre.
Évidemment, la travailleuse sociale était sur son cas: une musulmane de Musulmanie, presque voilée imaginez-vous donc!
Et c'était pareil pour le docteur. Docteur Chosebine... Docteur Falalamamadou... Elle ne s'était jamais forcée à apprendre les noms de ces gens-là. Elle l'appelait parfois Roger pour le narguer. Un genre de Roger Black qui ne connaissait rien selon Madame Labonté. En fait il s'appelait Mohamed Fall. C'était un brave homme de Dakar, au Sénégal, qui aurait préféré devenir prix Nobel de littérature. Mais qui aurait payé pour ces études-là? Bref, Monsieur Fall devait maintenant faire ce sale boulot pour toutes sortes de personnes méchantes, racistes et mauvaises.
-Je ne m'appelle pas Roger Black, Madame Labonté, je m'appelle Mohamed Fall...
-Mamadou... Grosdoudou... M'en crisse... Chu chez-nous pis moé j't'appelle Roger Black ou Gregory Charles calvaire! continua-t-elle cette fois-là.
Que devait faire Mohamed Fall? Il contacta sa famille. Or, elle n'avait plus de famille. Il n'y avait plus qu'elle pour s'occuper d'elle. Et la travailleuse sociale de Musulmanie... Et tous ces voleurs et voleuses au teint foncé...
-J'veux pas les voir dans ma chambre celles-là... Les maudites n...
Madame Labonté pouvait bien pâtir avec toute cette bande d'étrangers, de guidounes et de crétins bienveillants autour d'elle. Qu'étaient devenus son beau Québec, son pays, son drapeau, ses gens? On était libres avant. On pouvait rire d'eux tout le temps sans se faire dire d'arrêter de leur faire du mal. Que s'est-il passé pour que Madame Labonté sombre dans un tel enfer?
En fait, l'enfer était là pour tout le monde.
Les soins de santé étaient en banqueroute.
Madame Labonté avait été abandonnée sur la voie de service comme tous les autres commodes ou malcommodes. Parce qu'elle était devenue ce que l'on appelle un «cas lourd». Aucun membre de sa famille n'aurait pu s'occuper d'elle même s'il ou elle aurait voulu. Cela prenait un lève-personne et au moins deux préposées formées. Sinon trois. Et parfois quatre. Et le métier n'attirait pas tant de Québécois de souche que ça... C'était comme si c'était trop demandé à un citoyen romain lambda de nettoyer les écuries d'Augias.
Fatima avait un teint d'ébène. Elle faisait partie des victimes de Madame Labonté évidemment. Elle était faite forte Fatima. Raciste ou pas, elle lavait tout le monde sans se faire écraser par qui ou quoi que ce soit. Elle était assez énergique pour que Madame Labonté se sente obligée de se laisser laver par cette maudite folle.
-Elle, j'lui parle même pas... Elle pourrait m'empoisonner... Avez-vous vu ses yeux? Brrr.... J'me laisse faire sinon A' va m'tuer!
-Où sont les racistes qui viennent prendre soin d'elle, Seigneuuuur? disait Fatima, lorsqu'elle sortait de sa chambre, épuisée, fatiguée d'avoir à défendre une certaine idée de l'humanité face à une déplorable Québécoise de souche au seuil de la mort qui n'avait aucune once de bonté ou de reconnaissance.
Les choses finirent par aller de mal en pis pour Madame Labonté.
D'abord le CHSLD Lionel-Groulx fût rebaptisé la Maison de retraite Oscar-Peterson.
Et puis, le diabète aidant, avec un cancer des poumons qui s'ajoutait, elle piqua du nez.
Du coup, elle devint un peu moins pétrie de rancoeur.
La morphine et le seuil de la mort faisaient leur effet.
Il ne lui restait plus que ce Noir, un Haïtien qu'elle appelait affectueusement Vendredi, parce qu'elle se sentait Robinsonne Crusoë perdue quelque part dans un pays lointain, dans les bras de Morphine et de son complice Ativan.
Le Docteur Mohamed Fall continuait de venir la voir fréquemment. Plus qu'aucun Blanc ne l'aurait fait probablement. Ils sont tellement excessifs les Africains...
Madame Labonté ne l'appelait plus Roger Black. Elle l'appelait Infirmier. C'était en quelque sorte une promotion qu'elle lui accordait, riait de bon coeur Docteur Fall.
-La pauvre vieille... Il ne lui en reste plus pour longtemps... Elle a des métastases partout... C'est pas joli... On ne peut lui donner que des soins de confort... Je vais lui apporter des chocolats blancs... On m'a dit qu'elle aimait les chocolats blancs...
Elle mourut, bien entendu. Elle mangea tout de même trois ou quatre morceaux de chocolats blancs donnés par Infirmier...
Il n'y eut personne aux funérailles de Cunégonde Labonté 1943-2020.
Sinon Vendredi, alias Napoléon Bélizaire, Haïtien, préposé de nuit à la Maison de retraite Oscar-Peterson. Il constata le décès. Il lava son corps souillé d'excréments. Il transféra son cadavre au four crématoire via les services ambulanciers.
vendredi 3 juillet 2020
Seulement fermer sa gueule et écouter
Peut-on trouver du plaisir à réduire les autres à rien en prétendant que c'est pour leur forger le caractère ou bien les instruire?
Sans doute, puisque plusieurs énergumènes vous feraient subir tous les supplices avec délectation, comme si c'était Noël tous les jours.
On les trouve un peu partout. Surtout dans les hautes sphères du pouvoir. Cerbères inclus. Là où il est permis de tenir le fouet sans aller en prison. Dusse-t-on blesser tout ce qui se trouve devant notre chemin, dans la mesure où ce sera fait loin des caméras, en catimini.
Maintenant les caméras... Parlons-en des caméras.
Nos fichues caméras révèlent des tas de bêtes rampantes qui grouillent sous une roche. Une fois que la roche est soulevée et qu'on regarde tout ce qui s'y passe, on dégueule un bon coup et on essaie de se faire à l'idée que c'est aussi ça la vie.
Pourtant il m'arrive de rêver d'une autre vie. Et il m'arrive même de la vivre. Il faut seulement que je n'aie pas une roche à la place du coeur.
Je ne rabaisserai jamais le caquet d'un pauvre ou d'une humiliée.
Je ne donnerai pas de leçons de résignation et de renoncement aux victimes.
Je vais seulement fermer ma gueule et les écouter.
Ce qui n'est pas si facile que ça puisque je parle beaucoup trop.
Comme beaucoup trop d'hommes autour de moi qui prétendent tout savoir et tout connaître alors qu'ils sont intrinsèquement d'authentiques cabochons, souvent accompagnés d'une femme qui passe pour le second violon alors qu'elle est l'organisatrice en cheffe dudit cabochon.
Bref, il faut savoir écouter.
Et ce n'est pas facile.
Les Autochtones se passaient un bâton de parole lors de leurs réunions. Le bâton est un peu le président ou la présidente de l'assemblée. Quand tu l'as dans les mains, tu peux parler. Et quand tu ne l'as pas, tu écoutes.
Par ailleurs, les premiers Européens en contact avec les Autochtones rapportent souvent leur caractère silencieux et stoïque. Par-delà tous les préjugés négatifs, les colons leur reconnaissaient des vertus socratiques. Ils avaient de la prestance quoi.
En fait, les Autochtones n'ont jamais été silencieux.
Ils attendaient que les Blancs aient fini de parler.
Ils les écoutaient avec le respect que leur enseignait leur culture quand venant le temps de dialoguer entre vrais humains.
Et les colons, comme Papa a raison ou le Père Ubu, n'en finissaient jamais de parler...
Blablabla et ceci et cela sortaient de leur langue fourchue.
Territoires volés. Villages pillés. Génocide. On y a mis le paquet pour se faire entendre,
Peut-on trouver du plaisir à réduire les autres à rien en prétendant que c'est pour leur forger le caractère ou bien les instruire?
Sans doute, puisque plusieurs énergumènes vous feraient subir tous les supplices avec délectation, comme si c'était Noël tous les jours...
Évidemment, vous êtes mieux d'être gentils si vous voulez des cadeaux. Ou bien des miettes du festin.
Il y a des limites à écouter les malpris se plaindre à tort et à travers pendant que les adultes discutent ensemble d'économie et de projets mirobolants.
Ouais. Seulement fermer sa gueule et écouter...
Sans doute, puisque plusieurs énergumènes vous feraient subir tous les supplices avec délectation, comme si c'était Noël tous les jours.
On les trouve un peu partout. Surtout dans les hautes sphères du pouvoir. Cerbères inclus. Là où il est permis de tenir le fouet sans aller en prison. Dusse-t-on blesser tout ce qui se trouve devant notre chemin, dans la mesure où ce sera fait loin des caméras, en catimini.
Maintenant les caméras... Parlons-en des caméras.
Nos fichues caméras révèlent des tas de bêtes rampantes qui grouillent sous une roche. Une fois que la roche est soulevée et qu'on regarde tout ce qui s'y passe, on dégueule un bon coup et on essaie de se faire à l'idée que c'est aussi ça la vie.
Pourtant il m'arrive de rêver d'une autre vie. Et il m'arrive même de la vivre. Il faut seulement que je n'aie pas une roche à la place du coeur.
Je ne rabaisserai jamais le caquet d'un pauvre ou d'une humiliée.
Je ne donnerai pas de leçons de résignation et de renoncement aux victimes.
Je vais seulement fermer ma gueule et les écouter.
Ce qui n'est pas si facile que ça puisque je parle beaucoup trop.
Comme beaucoup trop d'hommes autour de moi qui prétendent tout savoir et tout connaître alors qu'ils sont intrinsèquement d'authentiques cabochons, souvent accompagnés d'une femme qui passe pour le second violon alors qu'elle est l'organisatrice en cheffe dudit cabochon.
Bref, il faut savoir écouter.
Et ce n'est pas facile.
Les Autochtones se passaient un bâton de parole lors de leurs réunions. Le bâton est un peu le président ou la présidente de l'assemblée. Quand tu l'as dans les mains, tu peux parler. Et quand tu ne l'as pas, tu écoutes.
Par ailleurs, les premiers Européens en contact avec les Autochtones rapportent souvent leur caractère silencieux et stoïque. Par-delà tous les préjugés négatifs, les colons leur reconnaissaient des vertus socratiques. Ils avaient de la prestance quoi.
En fait, les Autochtones n'ont jamais été silencieux.
Ils attendaient que les Blancs aient fini de parler.
Ils les écoutaient avec le respect que leur enseignait leur culture quand venant le temps de dialoguer entre vrais humains.
Et les colons, comme Papa a raison ou le Père Ubu, n'en finissaient jamais de parler...
Blablabla et ceci et cela sortaient de leur langue fourchue.
Territoires volés. Villages pillés. Génocide. On y a mis le paquet pour se faire entendre,
Peut-on trouver du plaisir à réduire les autres à rien en prétendant que c'est pour leur forger le caractère ou bien les instruire?
Sans doute, puisque plusieurs énergumènes vous feraient subir tous les supplices avec délectation, comme si c'était Noël tous les jours...
Évidemment, vous êtes mieux d'être gentils si vous voulez des cadeaux. Ou bien des miettes du festin.
Il y a des limites à écouter les malpris se plaindre à tort et à travers pendant que les adultes discutent ensemble d'économie et de projets mirobolants.
Ouais. Seulement fermer sa gueule et écouter...
mercredi 1 juillet 2020
Quand tu fais rien y'arrive rien
C'était au temps de la COVID-19.
Tout un chacun se trouvait confiné dans sa chambre depuis trois mois au Foyer Gerboise.
Monsieur Normand Gauthier faisait partie du lot. Normand, alias Ti-Norme, était un petit monsieur d'à peine cent livres tout trempe. Il serait difficile de résumer tout ce qu'il avait comme maladie. Dans le milieu l'on disait qu'il avait la totale: diabétique, MPOC, un seul rein, un seul oeil, une seule jambe, plus aucun orteil, sourd de la gauche, etc. Le vieil homme de 95 ans se déplaçait encore péniblement avec son déambulateur. De plus en plus péniblement compte tenu des restrictions aux déplacements au sein même de son établissement.
Il avait survécu à la COVID-19 sans avoir le moindre symptôme alors que cinq de ses voisins étaient décédés sur son étage. Tant et si bien qu'il ne restait plus que lui dans le coin de cette aile maintenant désertée.
Monsieur Gauthier n'en pouvait plus d'être enfermé. Il n'était pourtant pas solide sur ses pattes et chutait plusieurs fois par semaine.Son corps maigre était recouvert d'ecchymoses. On ne voyait presque plus le teint incarnat. C'est comme s'il avait mangé une volée à coups de bâtons de baseball. Et qu'on l'avait abandonné sur le bord de la route avec ses affaires emballés dans des sacs verts.
Lorsque les consignes de la Santé publique s'assouplirent, Monsieur Gauthier fût le premier à réclamer le droit de se déguiser en courant d'air.
-Ça fait trois mois que chu pas sorti d'icitte torvisse! J'aimerais mieux mourir que d'passer une journée d'plus icitte! se plaignit-il au personnel soignant.
On en arrivait à la conclusion que Monsieur Gauthier, aussi inapte soit-il à se déplacer, n'avait pas de mandat d'inaptitude et pouvait, légalement parlant, prendre le chemin qui lui plaisait.
Il s'appela donc un taxi. Puis se rendit tout de go au Dollarama.
Dès qu'il fit son entrée, avec son déambulateur, il se sentit revivre. C'était comme le plus beau jour de sa vie. Un moment tout aussi merveilleux que d'avoir dix dollars dans ses poches chez Dupuis Frères en 1951.
Il y avait là plein d'humains. Quelques-uns étaient masqués. Comme lui. Monsieur Gauthier savait qu'on ne lui pardonnerait pas à son âge de sortir sans masque... C'était sa seule concession pour atténuer l'extase de cette journée de magasinage, ultime liberté du consommateur abandonné depuis trois mois, voire trois ans.
Monsieur Gauthier ne pouvait pas bénéficier d'accompagnateurs. Il n'avait plus de famille. Il ne lui restait qu'à prendre des risques. Jusqu'à ce que tout lui fût à jamais refusé.
Ce qui devait advenir arriva.
Monsieur Gauthier planta en pleine face en tentant de caresser la tête d'un petit chien en peluche juché un peu trop haut pour lui.
Il se cassa la jambe solide qui lui restait. Ainsi que son bras. Il se fractura aussi le crâne sur le plancher.
Bref, on le transféra à l'hôpital pour le réparer. Puis il revint en isolement préventif, dans sa chambre du Foyer Gerboise, au cas où il aurait attrapé une maladie nosocomiale comme la COVID-19...
Monsieur Gauthier était en très mauvaise posture. Il fallait qu'il sonne une préposée pour tous ses déplacements. Maudite affaire!
-C'est triste que vous vous soyez fait mal de même Monsieur Gauthier... Vous devriez pas sortir tu-seul de même... lui disait-on.
-Bin là! Si tu veux qui arrive rien dans 'a vie bin tu fais rien! répliquait-il invariablement, comme l'ivrogne qui oublie ses bosses du lendemain pour se rappeler la sublime ivresse de la veille.
Monsieur Gauthier n'avait qu'à se fermer les yeux pour se rappeler sa demie heure passée au Dollarama. Ah! Ces gens qui marchent comme ça librement, avec un panier dans les mains. Et ces articles à vendre, ces bonbons, ces chips, ces liqueurs...
Il était mieux de se fermer les yeux, tout compte fait.
Quand il les ouvrait, il n'y avait que quatre murs bien blancs et une fenêtre au rebord de laquelle aucun oiseau ne venait se poser.
Monsieur Gauthier attendrait d'être bien réparé. Et cette fois-là il partirait pour de bon. Comme lors du dernier voyage de Tolstoï. Il se ferait itinérant lui aussi. Il irait vivre sous un pont à Montréal, tiens. N'importe quel pont. Pourvu qu'il y ait de la vie un peu. Et de la liberté. Et de la boisson.
-C'est l'heure de votre glycémie Monsieur Gauthier... Votre sucre était pas mal haut pour souper... On va vous donner aussi votre insuline pis votre collation... Avez-vous encore des champignons sous le scrotum? J'va's vous mettre de la crème fongicide...
Monsieur Gauthier répondait par oui et par non.
Il avait l'envie de se crisser en bas de la fenêtre.
Tout un chacun se trouvait confiné dans sa chambre depuis trois mois au Foyer Gerboise.
Monsieur Normand Gauthier faisait partie du lot. Normand, alias Ti-Norme, était un petit monsieur d'à peine cent livres tout trempe. Il serait difficile de résumer tout ce qu'il avait comme maladie. Dans le milieu l'on disait qu'il avait la totale: diabétique, MPOC, un seul rein, un seul oeil, une seule jambe, plus aucun orteil, sourd de la gauche, etc. Le vieil homme de 95 ans se déplaçait encore péniblement avec son déambulateur. De plus en plus péniblement compte tenu des restrictions aux déplacements au sein même de son établissement.
Il avait survécu à la COVID-19 sans avoir le moindre symptôme alors que cinq de ses voisins étaient décédés sur son étage. Tant et si bien qu'il ne restait plus que lui dans le coin de cette aile maintenant désertée.
Monsieur Gauthier n'en pouvait plus d'être enfermé. Il n'était pourtant pas solide sur ses pattes et chutait plusieurs fois par semaine.Son corps maigre était recouvert d'ecchymoses. On ne voyait presque plus le teint incarnat. C'est comme s'il avait mangé une volée à coups de bâtons de baseball. Et qu'on l'avait abandonné sur le bord de la route avec ses affaires emballés dans des sacs verts.
Lorsque les consignes de la Santé publique s'assouplirent, Monsieur Gauthier fût le premier à réclamer le droit de se déguiser en courant d'air.
-Ça fait trois mois que chu pas sorti d'icitte torvisse! J'aimerais mieux mourir que d'passer une journée d'plus icitte! se plaignit-il au personnel soignant.
On en arrivait à la conclusion que Monsieur Gauthier, aussi inapte soit-il à se déplacer, n'avait pas de mandat d'inaptitude et pouvait, légalement parlant, prendre le chemin qui lui plaisait.
Il s'appela donc un taxi. Puis se rendit tout de go au Dollarama.
Dès qu'il fit son entrée, avec son déambulateur, il se sentit revivre. C'était comme le plus beau jour de sa vie. Un moment tout aussi merveilleux que d'avoir dix dollars dans ses poches chez Dupuis Frères en 1951.
Il y avait là plein d'humains. Quelques-uns étaient masqués. Comme lui. Monsieur Gauthier savait qu'on ne lui pardonnerait pas à son âge de sortir sans masque... C'était sa seule concession pour atténuer l'extase de cette journée de magasinage, ultime liberté du consommateur abandonné depuis trois mois, voire trois ans.
Monsieur Gauthier ne pouvait pas bénéficier d'accompagnateurs. Il n'avait plus de famille. Il ne lui restait qu'à prendre des risques. Jusqu'à ce que tout lui fût à jamais refusé.
Ce qui devait advenir arriva.
Monsieur Gauthier planta en pleine face en tentant de caresser la tête d'un petit chien en peluche juché un peu trop haut pour lui.
Il se cassa la jambe solide qui lui restait. Ainsi que son bras. Il se fractura aussi le crâne sur le plancher.
Bref, on le transféra à l'hôpital pour le réparer. Puis il revint en isolement préventif, dans sa chambre du Foyer Gerboise, au cas où il aurait attrapé une maladie nosocomiale comme la COVID-19...
Monsieur Gauthier était en très mauvaise posture. Il fallait qu'il sonne une préposée pour tous ses déplacements. Maudite affaire!
-C'est triste que vous vous soyez fait mal de même Monsieur Gauthier... Vous devriez pas sortir tu-seul de même... lui disait-on.
-Bin là! Si tu veux qui arrive rien dans 'a vie bin tu fais rien! répliquait-il invariablement, comme l'ivrogne qui oublie ses bosses du lendemain pour se rappeler la sublime ivresse de la veille.
Monsieur Gauthier n'avait qu'à se fermer les yeux pour se rappeler sa demie heure passée au Dollarama. Ah! Ces gens qui marchent comme ça librement, avec un panier dans les mains. Et ces articles à vendre, ces bonbons, ces chips, ces liqueurs...
Il était mieux de se fermer les yeux, tout compte fait.
Quand il les ouvrait, il n'y avait que quatre murs bien blancs et une fenêtre au rebord de laquelle aucun oiseau ne venait se poser.
Monsieur Gauthier attendrait d'être bien réparé. Et cette fois-là il partirait pour de bon. Comme lors du dernier voyage de Tolstoï. Il se ferait itinérant lui aussi. Il irait vivre sous un pont à Montréal, tiens. N'importe quel pont. Pourvu qu'il y ait de la vie un peu. Et de la liberté. Et de la boisson.
-C'est l'heure de votre glycémie Monsieur Gauthier... Votre sucre était pas mal haut pour souper... On va vous donner aussi votre insuline pis votre collation... Avez-vous encore des champignons sous le scrotum? J'va's vous mettre de la crème fongicide...
Monsieur Gauthier répondait par oui et par non.
Il avait l'envie de se crisser en bas de la fenêtre.