J'avais l'ego gros comme le monde dans ma vingtaine parce que j'étais pauvre, seul et sans amour.
L'ego compensait pour tout le reste. Je n'avais rien mais je serais l'homme le plus fier au monde. Je ne rentrerais pas dans le rang. Je défoncerais toutes les portes, partout, dans tous les milieux.
On ne veut pas que j'existe parce que je suis né à côté de la Wabasso? Parce que j'ai cette morphologie de brute des bas-quartiers et cet insupportable mépris des bourgeois sur mon visage? Tant pis. Je leur ferai honte sur toutes les tribunes. Kiss my ass fucking bourgeois.
Je porterai la pauvreté et la misère tel un flambeau.
J'étais donc en guerre contre le monde entier. Contre l'injustice, bien sûr, mais aussi contre l'univers. Mon sort n'était pas très reluisant. J'étais timide avec les femmes. J'étais un vrai connard.
Pour briser ma timidité, j'essayais n'importe quoi. Dont parler en public.
Je bégayais dans mon enfance. Ou bien je répétais trois fois la même chose.
Démosthène, le plus célèbre orateur de son époque, avait réglé le problème en se mettant des cailloux dans la bouche pour soigner son élocution. Je n'avais pas de cailloux. Mais j'avais des livres et beaucoup d'alcool pour me donner du faux courage.
Il faut dire qu'au Collège Laflèche, un collège privé que je me payais avec mon salaire de crisseur de sacs chez IGA, j'avais encore l'accent des bas-quartiers. On me faisait sentir que je m'exprimais mal, en plus de bégayer. Alors je me suis mis à réciter Shakespeare, Baudelaire et tutti quanti pour développer les muscles de ma mâchoire seul à la maison. Je n'avais pas de blonde. J'avais du temps. Et je finis par avoir une élocution plutôt radio-canadienne mâtinée de calisse et de tabarnak pour leur rappeler qu'ils peuvent bien tous aller se faire foutre avec leurs rituels métalangagiers qui distinguent l'élite de la plèbe. À vous donner l'envie de ne plus parler qu'en anglais pour vivre un peu plus libre et un peu moins pataud involontaire...
Je m'enfonce dans toutes sortes de détails autobiographiques puisque je me fais vieux. Mon voyage au bout de mes nuits n'est pas encore terminé...
Je ne voulais pas vous parler de moi. Le moi est détestable. Je le sais Pascal. Je me déteste autant que toi. D'ailleurs, je ne te lis jamais, Pascal.
Mais là n'est pas la question. Il n'y en avait pas de question. C'est seulement que je me prends les pattes dans mon récit.
Donc, j'étais jeune et haïssable, avec un ego qui n'était pas à la hauteur de mes réalisations.
Pour vaincre ma timidité, je m'affichais en public dans n'importe quoi, n'importe comment.
Une fois, c'était pour un championnat des Toastmakers. Ne me demandez pas c'est quoi. Je n'ai même pas l'envie de le googler. Tout ce que je sais c'est que je participais à ce championnat. Mon adversaire étant nul autre que le grand Martin Petit qui débutait dans sa carrière d'humoriste à l'époque. Il faisait six pieds quatre pouces et moi six pieds deux pouces. Il avait déjà l'avantage de la hauteur. Et il n'avait pas besoin de faire des discours devant un auditoire pour soigner sa timidité...
On nous donne un thème. Aller à l'école c'est la meilleure façon de réussir dans la vie.
Martin Petit doit défendre cette assertion et le jeu du hasard veut que je défende l'option contraire.
Autrement dit, je dois faire un speech qui laisse entendre que l'école n'est pas la meilleure façon de réussir dans la vie... parmi des étudiants de l'UQTR!
Je ne me souviens plus qui est passé le premier au micro. Je me souviens d'avoir bu et probablement fumé un peu d'herbe avant d'aller au micro, devant la foule de quelques dizaines de curieux rassemblés dans un amphithéâtre de l'UQTR.
Martin Petit a défendu son point de vue avec brio et élégance, une main dans la poche, le sourire goguenard et complice. Un vrai pro.
Quant à moi, ce fût plus... laborieux.
Je suis arrivé comme si j'étais Léon Trotski s'adressant au Soviet de Petrograd...
-Tant va la cruche à l'université qu'à la fin elle se case! que je me souviens d'avoir dit tandis que deux ou trois de mes chums de brosse se cognaient le front en se disant que Bouchard était vraiment un gros cave mais qu'il pouvait à tout le moins payer la tournée..
J'ai sans doute ajouté qu'il y a plein d'analphabètes diplômés, que mes profs sont des sans-dessein, que les plus licheux de cul réussissent, que les pauvres sont sous-représentés à l'université eu égard à leur poids démographique dans la société, que la fin du monde est proche, que la révolution balaiera ce vieux monde pourri, etc.
Évidemment, j'ai perdu. Mon orgueil en fût même étonné. Et comme d'habitude, je me suis saoulé la gueule comme si je venais de donner le énième show punk-rock de ma petite vie sale.
Alors que j'écris ces lignes, je constate que j'ai abandonné l'école en cours de maîtrise.
Je n'ai jamais terminé mes études en droit à l'Université Laval.
J'ai obtenu un baccalauréat en philosophie à l'UQTR en passant le plus clair de mon temps à lire des classiques de la littérature universelle tandis que les profs m'emmerdaient en classe avec leur résumé du livre que je pouvais lire en une heure avec ma technique éprouvée de lecture rapide. Mon professeur fût La bibliothèque idéale. Je me suis dit que lire les meilleurs livres de cette sélection devrait parfaire mon éducation.
Malheureusement, on ne donne pas de diplôme de lecteur idéal.
Et je ne me voyais pas vivre avec un maigre salaire de 150$ par semaine à donner trois heures de cours de philosophie par semaine, comme mes collègues plus patients.
Je suis donc redevenu un bum.
Je suis parti sur le pouce vers Vancouver, puis le Yukon.
J'ai fait n'importe quoi pour survivre. Planter des clous. Scier des planches. Fait de la pizza. Jouer de l'harmonica dans la rue. Torcher n'importe quoi.
Et, depuis ce temps, je me débrouille.
Pas mieux ni pire que n'importe qui.
Tant et si bien que je me demande pourquoi je vous raconte ça.
Le moi est détestable.
Heureusement qu'il n'y a pas que moi.
Heureusement qu'il y a vous.
La prochaine fois, je ne parlerai que de vous, promis juré craché.
Rien que de vous.
jeudi 31 octobre 2019
mercredi 30 octobre 2019
Nous avons tous des porte-clés ou l'odyssée sans importance de Glik
Glik sifflait tout en parcourant les trottoirs du centre-ville.
Sacré Glik. C'était un gars pas achalé avec rien qui vivait ses petites misères en se crissant de toutte.
Il se considérait heureux. D'abord heureux de savoir qu'il refusait d'être un simple rouage de la mécanique sociale. Glik prenait part corps et âme dans la lutte pour quelque chose de moins dégueulasse, moins corrompu et moins pourri.
Par-delà toutes ces considérations oiseuses, Glik était un gros plein de soupe plutôt souple parce qu'il travaillait comme un cheval de trait. Il avait un porte-clés comme tout le monde. Et puis il lui arrivait de tousser un peu pour s'éclaircir la voix.
Glik marchait en sifflant, pour reprendre depuis le commencement.
Il ne s'attendait à rien ni personne.
Cependant, il était difficile de manquer Glik et tout le monde ne détestait pas avoir un brin de jasette avec ce gentil gros plein de soupe.
-Comment ça va Glik? lui demanda le premier mendiant venu qui, bien sûr, recevrait son obole.
C'était André. André on ne sait trop qui. Il a 67 ans et il n'a pas de porte-clés.
-À moi d'te le d'mander.... Fait frette pour mendier, ajouta Glik après mûre réflexion.
-C'est là que ça pogne le plus pour mendier, man. Le monde aime ça qu'un bum fasse pitié...
La conversation s'étira un peu. André lui parla des élections fédérales. Et aussi d'un livre qu'il avait trouvé sur la rue: Les contes du lundi de Alphonse Daudet.
-El' problème, ricana André, c'est qu'on est mardi! Arf! Arf! Arf!
Glik poursuivit sa promenade. Il rencontra aussi un ancien étudiant en théologie qui avait un crucifix en guise de porte-clés. Simon-Pierre qu'il s'appelait. Il était imberbe et il n'y avait qu'une clé à son porte-clés. Celle de sa chambre dans Les Appartements Le Paradis, le pire bloc à pauvres de la ville. Si t'es refusé partout, tu peux espérer t'y louer une chambre pour moins de 200 piastres par mois. Ça passe au feu une fois par mois. C'est à vendre pour moins de 80 000$ avec la mention Revenus intéressants sans une seule faute d'orthographe.
-J'analyse en ce moment la notion de Paraclet... de lui dire Simon-Pierre.
-Oui, oui... À vrai dire, Glik ne connaissait rien de Ponce Pilate et du Saint-Esprit.
-J'ai faim... Une chance que le début du mois arrive...
-Veux-tu cinq piastres, mettons? lui demande Glik.
-Non. J'ai tout ce qu'i' faut à la maison. J'ai juste faim là. Parce que j'ai passé huit heures sans interruption à la bibliothèque à lire Le Paraclet du Père Serge Boulgakov...
-Ok d'abord. Bonne journée Simon-Pierre!
-Salut man!
Glik rencontra comme ça une dizaine de types dans la misère, d'un bout à l'autre de la rue des Forges. Et pas seulement des mendiants. Il y avait aussi pas mal de gens ordinaires avec des porte-clés. Il y en avait même une qui avait les cheveux bleus et les yeux vitreux. Elle ne mendiait pas. Elle regardait une corniche. Allez savoir pourquoi.
-Ah hooooostie qu'il y a d'la misère dans c't'hostie d'monde de marde de tabarnak!
Glik ne l'a pas dit tout haut.
C'était tout dans sa tête tandis qu'il revenait chez-lui.
Et la morale de cette histoire me demandez-vous?
Je n'en sais rien.
Vous le savez, vous?
Sacré Glik. C'était un gars pas achalé avec rien qui vivait ses petites misères en se crissant de toutte.
Il se considérait heureux. D'abord heureux de savoir qu'il refusait d'être un simple rouage de la mécanique sociale. Glik prenait part corps et âme dans la lutte pour quelque chose de moins dégueulasse, moins corrompu et moins pourri.
Par-delà toutes ces considérations oiseuses, Glik était un gros plein de soupe plutôt souple parce qu'il travaillait comme un cheval de trait. Il avait un porte-clés comme tout le monde. Et puis il lui arrivait de tousser un peu pour s'éclaircir la voix.
Glik marchait en sifflant, pour reprendre depuis le commencement.
Il ne s'attendait à rien ni personne.
Cependant, il était difficile de manquer Glik et tout le monde ne détestait pas avoir un brin de jasette avec ce gentil gros plein de soupe.
-Comment ça va Glik? lui demanda le premier mendiant venu qui, bien sûr, recevrait son obole.
C'était André. André on ne sait trop qui. Il a 67 ans et il n'a pas de porte-clés.
-À moi d'te le d'mander.... Fait frette pour mendier, ajouta Glik après mûre réflexion.
-C'est là que ça pogne le plus pour mendier, man. Le monde aime ça qu'un bum fasse pitié...
La conversation s'étira un peu. André lui parla des élections fédérales. Et aussi d'un livre qu'il avait trouvé sur la rue: Les contes du lundi de Alphonse Daudet.
-El' problème, ricana André, c'est qu'on est mardi! Arf! Arf! Arf!
Glik poursuivit sa promenade. Il rencontra aussi un ancien étudiant en théologie qui avait un crucifix en guise de porte-clés. Simon-Pierre qu'il s'appelait. Il était imberbe et il n'y avait qu'une clé à son porte-clés. Celle de sa chambre dans Les Appartements Le Paradis, le pire bloc à pauvres de la ville. Si t'es refusé partout, tu peux espérer t'y louer une chambre pour moins de 200 piastres par mois. Ça passe au feu une fois par mois. C'est à vendre pour moins de 80 000$ avec la mention Revenus intéressants sans une seule faute d'orthographe.
-J'analyse en ce moment la notion de Paraclet... de lui dire Simon-Pierre.
-Oui, oui... À vrai dire, Glik ne connaissait rien de Ponce Pilate et du Saint-Esprit.
-J'ai faim... Une chance que le début du mois arrive...
-Veux-tu cinq piastres, mettons? lui demande Glik.
-Non. J'ai tout ce qu'i' faut à la maison. J'ai juste faim là. Parce que j'ai passé huit heures sans interruption à la bibliothèque à lire Le Paraclet du Père Serge Boulgakov...
-Ok d'abord. Bonne journée Simon-Pierre!
-Salut man!
Glik rencontra comme ça une dizaine de types dans la misère, d'un bout à l'autre de la rue des Forges. Et pas seulement des mendiants. Il y avait aussi pas mal de gens ordinaires avec des porte-clés. Il y en avait même une qui avait les cheveux bleus et les yeux vitreux. Elle ne mendiait pas. Elle regardait une corniche. Allez savoir pourquoi.
-Ah hooooostie qu'il y a d'la misère dans c't'hostie d'monde de marde de tabarnak!
Glik ne l'a pas dit tout haut.
C'était tout dans sa tête tandis qu'il revenait chez-lui.
Et la morale de cette histoire me demandez-vous?
Je n'en sais rien.
Vous le savez, vous?
mardi 29 octobre 2019
Je suis un lâche et vous aussi
Nous sommes tous et toutes des lâches, moi y compris.
Sinon, il n'y aurait plus de misère. La misère n'est pas une création de Dieu, voyez-vous. L'injustice est le produit malsain de quelques hommes toxiques pour la communauté. Ces «saigneurs» de la Terre auxquels nous conférons le pouvoir par le simple fait de leur obéir, jour après jour, comme si de rien n'était. Comme si c'était normal.
Nous sommes des lâches. Si nous ne l'étions pas l'injustice n'aurait jamais lieu d'être commise.
Les scélérats seraient systématiquement ostracisés au sein d'une communauté humaine digne de ce nom. Ils ne pourraient pas sévir deux secondes si nous ne baissions pas les yeux quand ils frappent sur l'un de nos camarades de misère.
Ces Magiciens d'Oz vous font croire, derrière leur écran de fumée, qu'ils sont des géants verts, pragmatiques et bons pour l'économie. Dans les faits, ils n'en sont que les parasites, des hommes des tavernes qui brandissent des gourdins comme si c'était les Tables de la Loi. Ils s'accaparent toutes les ressources pour eux-mêmes et laissent aux esclaves, c'est-à-dire vous et moi, le soin de les engraisser. Ils vous diront que leur richesse ruissellera aussi sur les pauvres. Ou bien qu'il y aura toujours des pauvres. De quoi vous faire ravaler votre légitime colère et nécessaire indignation. On peut déjouer la loi de la gravitation mais jamais celle de l'économie -la loi que leur dictent leurs économies...
Les Magiciens d'Oz pervertissent non seulement la vie de la communauté mais aussi l'ordre naturel de la vie sur Terre. Ils sont, tout au plus, des arracheurs d'ailes de mouches qui savourent leur victoire sur les mouches en riant aux éclats. Ils sont les dieux des mouches. Les Belzébuth de notre temps. Les maîtres des ruines et de la pourriture de notre monde.
Nous sommes des lâches de les laisser contrôler tout ce qui se vit, se dit, se chante ou s'écrit, d'un bout à l'autre du globe.
Nous sommes des lâches de remettre la société entre les mains de quelques intérêts particuliers. Ce n'est pas normal de pomper toutes les ressources d'un pays pour ne remettre que des miettes aux citoyens qui sont l'essence même d'une communauté. D'une communauté qui participe à la production ainsi qu'à la distribution des richesses dans un esprit de solidarité avec l'humanité entière.
Je suis un lâche même si je sors dans la rue avec mes pancartes un peu plus souvent qu'à mon tour.
Je suis un lâche parce que si je ne l'étais pas je serais en guerre permanente contre toutes les injustices et inhumanités qui se produisent devant mes yeux à longueur de journée.
Je suis un lâche qui vit dans une petite province sous le contrôle de tarlais capitalistes et xénophobes.
Je suis un lâche qui vit à l'époque de l'extinction de toutes les espèces de l'Anthropocène.
Oui, je suis un lâche, comme vous, parce que je suis petit face à la misère du monde. Surtout si le monde suit le show du Magicien d'Oz tout en se décrottant le nez.
Étienne de la Boétie a dit en beaucoup trop de mots que la force de nos maîtres provient du fait que nous soyons à genoux devant eux. Si nous étions tous et toutes debout, il n'y aurait plus ni maîtres ni tyrans. Seulement des hommes et des femmes qui discuteraient entre eux, mettant ainsi fin à l'époque des pharaons et autres pyramides de gypse mafieuses qui sucent l'argent public.
Je suis un lâche.
C'est sûr et certain.
Mais que voulez-vous qu'on y fasse, hein.
Peut-être nous reverrons-nous demain, quelque part, dans la rue.
Le jour où nous ne serons plus des lâches.
Sinon, il n'y aurait plus de misère. La misère n'est pas une création de Dieu, voyez-vous. L'injustice est le produit malsain de quelques hommes toxiques pour la communauté. Ces «saigneurs» de la Terre auxquels nous conférons le pouvoir par le simple fait de leur obéir, jour après jour, comme si de rien n'était. Comme si c'était normal.
Nous sommes des lâches. Si nous ne l'étions pas l'injustice n'aurait jamais lieu d'être commise.
Les scélérats seraient systématiquement ostracisés au sein d'une communauté humaine digne de ce nom. Ils ne pourraient pas sévir deux secondes si nous ne baissions pas les yeux quand ils frappent sur l'un de nos camarades de misère.
Ces Magiciens d'Oz vous font croire, derrière leur écran de fumée, qu'ils sont des géants verts, pragmatiques et bons pour l'économie. Dans les faits, ils n'en sont que les parasites, des hommes des tavernes qui brandissent des gourdins comme si c'était les Tables de la Loi. Ils s'accaparent toutes les ressources pour eux-mêmes et laissent aux esclaves, c'est-à-dire vous et moi, le soin de les engraisser. Ils vous diront que leur richesse ruissellera aussi sur les pauvres. Ou bien qu'il y aura toujours des pauvres. De quoi vous faire ravaler votre légitime colère et nécessaire indignation. On peut déjouer la loi de la gravitation mais jamais celle de l'économie -la loi que leur dictent leurs économies...
Les Magiciens d'Oz pervertissent non seulement la vie de la communauté mais aussi l'ordre naturel de la vie sur Terre. Ils sont, tout au plus, des arracheurs d'ailes de mouches qui savourent leur victoire sur les mouches en riant aux éclats. Ils sont les dieux des mouches. Les Belzébuth de notre temps. Les maîtres des ruines et de la pourriture de notre monde.
Nous sommes des lâches de les laisser contrôler tout ce qui se vit, se dit, se chante ou s'écrit, d'un bout à l'autre du globe.
Nous sommes des lâches de remettre la société entre les mains de quelques intérêts particuliers. Ce n'est pas normal de pomper toutes les ressources d'un pays pour ne remettre que des miettes aux citoyens qui sont l'essence même d'une communauté. D'une communauté qui participe à la production ainsi qu'à la distribution des richesses dans un esprit de solidarité avec l'humanité entière.
Je suis un lâche même si je sors dans la rue avec mes pancartes un peu plus souvent qu'à mon tour.
Je suis un lâche parce que si je ne l'étais pas je serais en guerre permanente contre toutes les injustices et inhumanités qui se produisent devant mes yeux à longueur de journée.
Je suis un lâche qui vit dans une petite province sous le contrôle de tarlais capitalistes et xénophobes.
Je suis un lâche qui vit à l'époque de l'extinction de toutes les espèces de l'Anthropocène.
Oui, je suis un lâche, comme vous, parce que je suis petit face à la misère du monde. Surtout si le monde suit le show du Magicien d'Oz tout en se décrottant le nez.
Étienne de la Boétie a dit en beaucoup trop de mots que la force de nos maîtres provient du fait que nous soyons à genoux devant eux. Si nous étions tous et toutes debout, il n'y aurait plus ni maîtres ni tyrans. Seulement des hommes et des femmes qui discuteraient entre eux, mettant ainsi fin à l'époque des pharaons et autres pyramides de gypse mafieuses qui sucent l'argent public.
Je suis un lâche.
C'est sûr et certain.
Mais que voulez-vous qu'on y fasse, hein.
Peut-être nous reverrons-nous demain, quelque part, dans la rue.
Le jour où nous ne serons plus des lâches.
vendredi 25 octobre 2019
Fondamentalement pourri
Dessiner, jouer de l'harmonica ou bien écrire quelques mots témoignent de mon optimisme à communiquer encore quelque chose dans un monde fondamentalement pourri et en ruines.
jeudi 24 octobre 2019
Rien ne se partage mieux que la misère
Rien ne se partage avec autant de naturel que la misère.
Personne n'aime qu'on le regarde en train de chier.
Il y a une pudeur de la misère.
Néanmoins, les misérables ont parfois l'impression de chier en groupe, comme dans une prison surpeuplée.
Ils en viennent à se confier, une fois passée la peur de se faire voler. Voire parce qu'ils n'ont plus rien à se faire voler.
Les langues se délient. Ce qui devait être tu se révèle à la faveur du mauvais sort collectif.
***
J'attire les confidences. À moins que je ne sois attiré par les exclus et les marginaux. Dès que j'en vois un, c'est comme s'il fallait que je saute dessus, comme si j'y voyais un frère ou une soeur qui pourrait me comprendre...
C'est con. J'attends plus d'aide de ceux qui n'ont rien que de ceux qui possèdent tout. Ceux-là, ça fait longtemps que j'ai appris à m'en éloigner. Cela pourrait expliquer ma mauvaise fortune ou bien mon bon coeur. Ça dépend du point de vue.
Les hérétiques ont tendance à tout me pardonner. Je vais naturellement vers elles et eux pour me reposer du monde - de l'immonde devrais-je dire - et bien sûr de ses immondices.
J'aime discuter avec ceux et celles qui n'ont pas de chance.
Être privilégié dans un système injuste ce n'est pas très reluquant au plan éthique. Il faut toujours se justifier de ne pas être un privilégié, de donner au Noël du pauvre ou bien de payer au noir des assistés sociaux. On ne peut même pas raconter ses réalisations sans se faire regarder de travers par les porteurs de bagages.
Tandis que les pas de chance n'ont même plus la force ou le temps de se justifier.
Ils se révèlent tels qu'ils sont ou ne seront jamais.
Même leurs mensonges ont quelque chose de vrai et d'authentique.
Les vérités des bourgeois sont toutes tissées d'avarice, d'avidité et surtout de fatuité.
***
Djo, appelons-le ainsi, vient de perdre son loyer.
Un fou est rentré chez-lui vers les trois heures du matin avec un bâton de baseball. C'était son voisin. Il a pété une coche et s'est dit, tiens, je vais aller frapper mon voisin.
Djo lui a fracassé le nez par réflexe d'autodéfense.
-J'avais peur hostie! Y'avait un batte dins mains! J'lui ai crissé un hostie d'jab sua yeule... Qu'est-cé tu voulais j'faize? J'vis dans un hostie d'quartier d'trous d'cul sales où tu peux pas survivre sans t'battre!
Comme il devait garder la paix après s'être fait prendre à vendre des cigarettes de contrebande il y a deux ou trois ans, le juge lui a donné des charges pour voie de faits...
Le propriétaire de son bloc n'aimait pas la face de Djo. Djo lui devait le loyer du mois d'août suite à ces ennuis avec la justice qui lui ont fait boire son chèque de BS,
Le proprio a changé les serrures et a vendu le stock de Djo au pawnshop.
Djo s'est ramassé dans un refuge pour sans-abris.
Cependant, la partie n'était pas finie.
-L'proprio pensait que j'étais un hostie d'BS pis que j'ferais rien... Bin j'ai été à la Régie du logement pis j'ai déposé plainte pis toutte... I' m'ont confirmé qu'le proprio pouvait pas faire ça... En seulement qu'i' faut que je paye un huissier 80 piastres pour lui remettre un papier de la cour officiel, genre bref de saisie ou j'sais pas quoi... Quand j'va's r'cevoir mon chèque el' premier j'va's m'prendre le 80 piastres pis j'va's l'donner au huissier... Le proprio va pogner d'quoi... I' pensait que j'tais jusse un hostie d'BS qui s'défendrait pas pis qu'i' f'rait rien... Hin! Hin! I' va l'avoir dans l'cul!!!
-Pis tu couches où là?
-Me suis trouvé un autre loyer... loué avec poêle pis frigidaire. Il manquait une tévé pis un matelas. J'ai faitte les vidanges lundi passé. J'ai trouvé une tévé pis un vieux futon pas trop plein d'pisse... Maudite vie sale! J'mange aux Artisans... Des fois j'pogne un p'tit contrat au noir pis j'mange mieux... J'ai r'peinturé pour el' proprio où j'reste pis ça m'a donné quarante piastres en d'sour d'la table... L'air de rien ça respire mieux...
***
L'autre jour j'écris un truc à propos des travailleurs qui deviennent sourds comme des pots ou bien se mutilent suit à du travail à l'usine.
Un vieux pote m'écrit à peu près ce qui suit:
«J'ai travaillé à la XYZ toute ma calice de vie pis tu peux dire à tes lecteurs que je suis devenu sourd comme un pot à cause de ces tabarnaks! On travaillait sans protection ni bottes d'acier dans une shop de marde. Ils payaient pas les fériés ni le temps supplémentaire. Ceux qui sont pas devenus sourds ont pogné le cancer.»
Je lui ai prodigué quelques belles paroles.
Puis j'ai poursuivi ma journée.
***
J'ai croisé Albert qui mendiait sur la rue en tentant de vendre ses poèmes et ses dessins.
Albert a le cancer. Il s'achète de la dope avec l'argent qu'on lui donne.
So what? Je lui en donne, de l'argent.
Il est toujours souriant et reconnaissant.
C'est parfois la seule conversation à peu près humaine que je puisse avoir avec quelqu'un.
Les autres sont bien trop pressés.
Albert, lui, a tout son temps.
Il accepte même de vous parler si vous n'avez rien à lui donner.
C'est sa forme de générosité.
-I' m'ont dit qu'i' m'reste peut-être un an à vivre avec d'la chance... J'ai des métastases...
-En tout cas, t'as l'air pas pire en forme aujourd'hui...
-Ah! I' faut... I' faut... Même si j'me plaignais, ça changerait rien...
On pourrait croire que son cancer est une astuce de mendiant. On le saura dans dix ans, s'il n'est pas mort.
Pour le moment, que ce soit vrai ou fou m'importe peu.
Feu mon père me rappelait souvent qu'à la guerre on ne tire pas sur les blessés ni sur les ambulances.
Ma guerre contre la pauvreté m'interdit de juger les blessés.
Il faut les ramasser, tout simplement.
Ou farmer sa grande crisse de yeule.
mardi 22 octobre 2019
L'arbre n'est pas que dans ses feuilles maridon maridé
Il y a de moins en moins de feuilles dans les arbres.
Les feuilles ne sont que des capteurs solaires naturels qui tombent.
L'arbre aura emmagasiné suffisamment de nutriments dans sa sève pour passer un long hiver.
L'esprit de l'arbre n'est pas dans ses feuilles, mais dans ses racines.
C'est comme si l'arbre était une créature qui avait les pieds dans les airs et la tête dans le sable.
Je dis ça comme si je ne disais rien.
Et c'est un peu ce que je dis, vraiment.
L'arbre n'est pas dans ses feuilles.
L'arbre est vivant même s'il semble mort.
Il hiberne. Comme l'ours. Comme l'écureuil. Comme vous et moi.
Il attend son heure et son printemps pour se renouveler, pour croître toujours plus beau et encore plus fort.
Jusqu'à ce que la sève ne monte plus jusqu'au bout des branches.
Et qu'elles se dessèchent pour toujours, cassent et finissent dans quelque feu de détritus.
L'arbre, qu'il ait des racines ou pas, n'aura plus de vie.
Les graines échouées ça et là se chargeront de perpétuer l'espèce en changeant quelques trucs dans leur ADN pour mieux résister à l'Anthropocène. L'arbre sera là même si l'humain n'y est plus. Il occupe dans l'histoire du vivant des milliers de pages alors que nous n'y valons même pas encore une ligne en tant qu'homo sapiens.
Le troupeau des arbres continuera de pousser, d'hiberner ou pas.
Je veux sûrement vous dire quelque chose avec ça.
Ou peut-être pas.
Honnêtement je n'en sais rien.
J'écris comme ça me vient en regardant l'automne.
Les feuilles ne sont que des capteurs solaires naturels qui tombent.
L'arbre aura emmagasiné suffisamment de nutriments dans sa sève pour passer un long hiver.
L'esprit de l'arbre n'est pas dans ses feuilles, mais dans ses racines.
C'est comme si l'arbre était une créature qui avait les pieds dans les airs et la tête dans le sable.
Je dis ça comme si je ne disais rien.
Et c'est un peu ce que je dis, vraiment.
L'arbre n'est pas dans ses feuilles.
L'arbre est vivant même s'il semble mort.
Il hiberne. Comme l'ours. Comme l'écureuil. Comme vous et moi.
Il attend son heure et son printemps pour se renouveler, pour croître toujours plus beau et encore plus fort.
Jusqu'à ce que la sève ne monte plus jusqu'au bout des branches.
Et qu'elles se dessèchent pour toujours, cassent et finissent dans quelque feu de détritus.
L'arbre, qu'il ait des racines ou pas, n'aura plus de vie.
Les graines échouées ça et là se chargeront de perpétuer l'espèce en changeant quelques trucs dans leur ADN pour mieux résister à l'Anthropocène. L'arbre sera là même si l'humain n'y est plus. Il occupe dans l'histoire du vivant des milliers de pages alors que nous n'y valons même pas encore une ligne en tant qu'homo sapiens.
Le troupeau des arbres continuera de pousser, d'hiberner ou pas.
Je veux sûrement vous dire quelque chose avec ça.
Ou peut-être pas.
Honnêtement je n'en sais rien.
J'écris comme ça me vient en regardant l'automne.
dimanche 20 octobre 2019
Le vote de mon père et le vote de ma mère
Ma mère votait parce que mon père n'arrêtait jamais de l'écoeurer avec ça: voter.
-Dis-toé au moins qu'on n'aura pas pu voler ton vote ma belle Jeannine d'amourrr! lui disait mon père.
-Ah toé pis tes maudites élections! Sont touttes des voleurs pis tu l'sais! lui répondait ma mère.
Mon père prenait autant à coeur la politique que le hockey. Il finissait par confondre les deux genres. Il y voyait une lutte à mort entre les Rouges et les Bleus où tous les coups sont permis. Faut dire que ça jouait dur dans les années '50 et '60. L'Union Nationale achetait des fiers à bras qui crissaient des volées à ceux qui allaient à des assemblées des Rouges. Des vrais hosties de fascistes comme vous n'avez pas idée si vous n'avez jamais entendu parler ou vécu cette époque.
Lui, Conrad, c'était un Rouge. Pas au sens communiste du terme. Mais pas loin.
Mes parents étaient tous deux des gens du peuple.
Mon père provenait d'une famille d'une vingtaine d'enfants de Sayabec, qu'Arthur Buies avait décrit comme le coin le plus pauvre du Québec. Il y avait deux repas par jour pendant des années: de la morue et de la morue. L'hiver, les Bouchard allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait qu'une paire de bottes de caoutchouc par trois enfants. On leur disait de rester à la maison lors des photos officielles des élèves de la classe parce qu'ils avaient l'air trop pouilleux.
Bref, mon père était un Rouge. Il détestait plus que tout les conservateurs, l'Union Nationale et, avec le temps, le PQ et le Bloc.
-On apprenait l'histoire pis le p'tit catéchisme pendant que les Anglais apprenaient à lire pis à écrire saint-calice de tabarnak!
Mon père sacrait beaucoup. Je tiens ça de lui.
Il a voté pour le PQ en 1976. Parce que René Lévesque était un peu Rouge à ses yeux. Il a déchiré sa carte de membre du PQ en 1978 lorsque les péquistes ont inauguré la statue de Maurice Duplessis sur la rue Bonaventure, à Trois-Rivières.
J'oubliais de dire que mon père avait dû s'enfuir devant les policiers de Duplessis, alors qu'il soutenait les grévistes de Louiseville dans les années '50. Il avait vu ses camarades se faire matraquer. Il n'y avait pas de poivre de cayenne à l'époque. Seulement des traumatismes crâniens.
Bref, mon père était Rouge de colère.
Quant à ma mère, Jeannine, elle provenait d'un milieu modeste mais sans doute mieux structuré.
Il ne semblait pas y avoir d'opinions politiques de leur côté. En tout cas, pas du côté de ma mère.
Ma mère se foutait comme de l'an quarante des politiciens.
Elle était un peu résignée.
-Quand on est valet, on n'est pas roi! qu'elle disait.
Et moi d'argumenter avec ma pauvre mère que nous vivions à une époque où l'on décapitait les rois en criant vive la révolution...
-Sont touttes pareils! Une fois qu'i' sont au pouvoir c'est toutte au plus fort la poche! rajoutait-elle.
Elle était cynique sans arrière-philosophie, simplement en-dehors du jeu, comme si l'on ne voulait rien savoir de son avis quoi qu'elle dise.
-Qu'est-cé tu veux qu'on faize? Sont touttes de miêgme!
Elle me faisait rire bien plus qu'enragée, ma mère. Que pouvais-je lui reprocher? Elle ne le croirait pas aujourd'hui, mais c'est à cause d'elle que je suis artiste, anarchiste, hors du système. Elle n'intellectualisait rien, ma mère. Pas de grands mots. Pas de notions d'histoire et encore moins de géographie. Elle connaissait la rue Cloutier et trois ou quatre autres rues autour. Tout le reste du monde lui semblait éloigné et dangereux. Là-dessus, je ne lui ressemble pas. Cependant, je ne peux renier son influence. Je la comprends mieux en m'écoutant moins moi-même.
Un jour, ma mère revient des urnes. C'était peut-être aux élections fédérales de 1984. Je ne sais trop.
Mon père lui demande pour qui elle a voté.
-Bin j'ai voté pour la petite Tellier, t'sais, la fille des Tellier dans la P'tite Pologne...
-Tellier??? Jeannine!!! T'as voté pour celle qui se présente pour les marxistes-léninistes...
-Les quoi??? Les marsistesglininistes?
-Les ceuses qui sont comme en Russie pis qu'i' crèyent pas en Dieu!
-Ha! Ha! Ha! J'ai mon voyage! J'ai voté pour les communixxes!
J'ajoute que ma mère était dyslexique. Ce qui rendait toutes ses paroles drôles malgré elle et toujours attendrissantes.
La foi en la démocratie de feu mon père se ravive parfois en moi.
Peut-être que je finis par inciter ma blonde à voter, moi aussi...
À voter pour le NPD...
Pourtant, je me dis en mon for intérieur que c'est mouman qui avait raison.
Sont touttes des voleurs.
Avant les élections sont bin fins.
Pis après i' s'calice de toé.
Je garde cette carte dans mon jeu: la marginalité absolue.
Ce que je sais c'est que les pauvres ont toujours l'impression de perdre à chaque élection, quel que soit le vainqueur.
Alors que les riches, si je me fie au bilan des dernières années, sont toujours agréablement surpris et bien servis.
Alea jacta est. Le sort en est jeté.
Que le moins pire gagne.
Et le 22 octobre, que ce soit l'un ou l'autre, la lutte continue.
Quand on est valet, on se rassemble et on renverse les rois.
C'est pas plus compliqué que ça.
-Dis-toé au moins qu'on n'aura pas pu voler ton vote ma belle Jeannine d'amourrr! lui disait mon père.
-Ah toé pis tes maudites élections! Sont touttes des voleurs pis tu l'sais! lui répondait ma mère.
Mon père prenait autant à coeur la politique que le hockey. Il finissait par confondre les deux genres. Il y voyait une lutte à mort entre les Rouges et les Bleus où tous les coups sont permis. Faut dire que ça jouait dur dans les années '50 et '60. L'Union Nationale achetait des fiers à bras qui crissaient des volées à ceux qui allaient à des assemblées des Rouges. Des vrais hosties de fascistes comme vous n'avez pas idée si vous n'avez jamais entendu parler ou vécu cette époque.
Lui, Conrad, c'était un Rouge. Pas au sens communiste du terme. Mais pas loin.
Mes parents étaient tous deux des gens du peuple.
Mon père provenait d'une famille d'une vingtaine d'enfants de Sayabec, qu'Arthur Buies avait décrit comme le coin le plus pauvre du Québec. Il y avait deux repas par jour pendant des années: de la morue et de la morue. L'hiver, les Bouchard allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait qu'une paire de bottes de caoutchouc par trois enfants. On leur disait de rester à la maison lors des photos officielles des élèves de la classe parce qu'ils avaient l'air trop pouilleux.
Bref, mon père était un Rouge. Il détestait plus que tout les conservateurs, l'Union Nationale et, avec le temps, le PQ et le Bloc.
-On apprenait l'histoire pis le p'tit catéchisme pendant que les Anglais apprenaient à lire pis à écrire saint-calice de tabarnak!
Mon père sacrait beaucoup. Je tiens ça de lui.
Il a voté pour le PQ en 1976. Parce que René Lévesque était un peu Rouge à ses yeux. Il a déchiré sa carte de membre du PQ en 1978 lorsque les péquistes ont inauguré la statue de Maurice Duplessis sur la rue Bonaventure, à Trois-Rivières.
J'oubliais de dire que mon père avait dû s'enfuir devant les policiers de Duplessis, alors qu'il soutenait les grévistes de Louiseville dans les années '50. Il avait vu ses camarades se faire matraquer. Il n'y avait pas de poivre de cayenne à l'époque. Seulement des traumatismes crâniens.
Bref, mon père était Rouge de colère.
Quant à ma mère, Jeannine, elle provenait d'un milieu modeste mais sans doute mieux structuré.
Il ne semblait pas y avoir d'opinions politiques de leur côté. En tout cas, pas du côté de ma mère.
Ma mère se foutait comme de l'an quarante des politiciens.
Elle était un peu résignée.
-Quand on est valet, on n'est pas roi! qu'elle disait.
Et moi d'argumenter avec ma pauvre mère que nous vivions à une époque où l'on décapitait les rois en criant vive la révolution...
-Sont touttes pareils! Une fois qu'i' sont au pouvoir c'est toutte au plus fort la poche! rajoutait-elle.
Elle était cynique sans arrière-philosophie, simplement en-dehors du jeu, comme si l'on ne voulait rien savoir de son avis quoi qu'elle dise.
-Qu'est-cé tu veux qu'on faize? Sont touttes de miêgme!
Elle me faisait rire bien plus qu'enragée, ma mère. Que pouvais-je lui reprocher? Elle ne le croirait pas aujourd'hui, mais c'est à cause d'elle que je suis artiste, anarchiste, hors du système. Elle n'intellectualisait rien, ma mère. Pas de grands mots. Pas de notions d'histoire et encore moins de géographie. Elle connaissait la rue Cloutier et trois ou quatre autres rues autour. Tout le reste du monde lui semblait éloigné et dangereux. Là-dessus, je ne lui ressemble pas. Cependant, je ne peux renier son influence. Je la comprends mieux en m'écoutant moins moi-même.
Un jour, ma mère revient des urnes. C'était peut-être aux élections fédérales de 1984. Je ne sais trop.
Mon père lui demande pour qui elle a voté.
-Bin j'ai voté pour la petite Tellier, t'sais, la fille des Tellier dans la P'tite Pologne...
-Tellier??? Jeannine!!! T'as voté pour celle qui se présente pour les marxistes-léninistes...
-Les quoi??? Les marsistesglininistes?
-Les ceuses qui sont comme en Russie pis qu'i' crèyent pas en Dieu!
-Ha! Ha! Ha! J'ai mon voyage! J'ai voté pour les communixxes!
J'ajoute que ma mère était dyslexique. Ce qui rendait toutes ses paroles drôles malgré elle et toujours attendrissantes.
La foi en la démocratie de feu mon père se ravive parfois en moi.
Peut-être que je finis par inciter ma blonde à voter, moi aussi...
À voter pour le NPD...
Pourtant, je me dis en mon for intérieur que c'est mouman qui avait raison.
Sont touttes des voleurs.
Avant les élections sont bin fins.
Pis après i' s'calice de toé.
Je garde cette carte dans mon jeu: la marginalité absolue.
Ce que je sais c'est que les pauvres ont toujours l'impression de perdre à chaque élection, quel que soit le vainqueur.
Alors que les riches, si je me fie au bilan des dernières années, sont toujours agréablement surpris et bien servis.
Alea jacta est. Le sort en est jeté.
Que le moins pire gagne.
Et le 22 octobre, que ce soit l'un ou l'autre, la lutte continue.
Quand on est valet, on se rassemble et on renverse les rois.
C'est pas plus compliqué que ça.
jeudi 17 octobre 2019
La Beauté sauvera-t-elle le monde ou bien le monde se sauvera-t-il de la Beauté?
Est-ce moi qui traverse le spleen de l'automne ou bien est-ce le monde qui s'en va vraiment vers sa ruine?
Il y a sans doute de la beauté en ce monde. Il y en a, bien sûr. Demandez au type qui s'est acheté une île dans le Pacifique à lui tout seul s'il y a de la beauté en ce monde. Il serait fou de dire non. Et c'est le même qui fera peut-être en sorte que vous perdiez au jeu des inégalités sociales. Celui qui vous confinera directement à une vie de merde tout en feignant de l'ignorer. Celui qui a la bonté de vous laisser quelques écus après avoir volé la richesse des nations pour faire de tout un chacun un loqueteux comme vous et moi.
Oui, il y a de la beauté en ce monde.
Il y a encore la nature. Il faut la chercher toujours plus loin lorsque l'on ne vit pas sur une île au beau milieu du Pacifique de nos jours. Avant, malgré la pollution des papetières, j'y avais accès en moins d'une demie heure. Aujourd'hui, il me faut traverser quatre nouveaux quartiers résidentiels ou déserts industriels avant que de trouver un troupeau d'arbres à peu près sauvages.
Il n'y a toujours pas d'arbres sur la rue de mon enfance. Une rue triste qui a poussé à l'ombre d'une usine de textile qui a tordu des vies et rendu sourds plus d'un. C'est encore triste, sinon plus. Il ne reste que plus de misère. C'est comme si le rêve américain était un hostie de mensonge. Une farce qui n'empêche pas les crosseurs d'être réélus d'une élection à l'autre au jeu où toute beauté est toujours donnée pour perdante à dix contre un.
Mes grands-parents ont quitté la nature pour venir vivre à côté de ces usines de marde où l'on suffoquait, crevait d'un cancer en bas âge ou devenait sourd comme des pots. Où l'on se mutilait pour ne pas finir dans une cage, que ce soit en se coupant un doigt ou en prenant une brosse par jour.
Oui, c'est beau ce monde quand il ne travaillait pas. Ce monde qui riait, giguait, mangeait et buvait entre deux quarts de travail, entre les grèves ou bien le lock-out qui vous ferait bouffer le mastic autour des fenêtres mal calfeutrées.
C'est beau en hostie, quand on oublie la misère, la vie toujours plus dure. plus roffe-ène-toffe.
On peut oublier que 44% des espèces sauvages de mammifères sont disparus sur la planète au cours des 100 dernières années. Surtout si l'on est sur son île, au beau milieu du Pacifique. Si l'eau monte, il n'y aura qu'à s'acheter une montagne. L'argent déplace les montagnes. Et le talon de fer se chargera d'écraser toute foi et toute espérance. Jusqu'à ce que tout le monde crève en grappillant un peu de beauté ça et là: «Oh! Une feuille!», «Tiens! J'ai cru voir un papilon!», «C'est le gala de l'ADISQ ce soir!».
Dans le fond de l'abîme où nous pourrissons tous, il y a bien sûr de la beauté.
Il y a un zeste d'espoir, de courage et de force.
Un zeste qui s'épuise, comme tout le reste.
Un zeste de plus en plus fade et inodore, comme tous les simili-fruits vendus chez Wal-Marde ou Super-Calice.
Dostoïevski n'a jamais si bien dit lorsqu'il a écrit que la beauté sauvera le monde.
S'il revenait sur terre, comme Jésus dans La légende du grand inquisiteur tirée des Frères Karamazov, on voudrait se débarrasser de lui comme de tous les Ovide Plouffe du monde entier.
Parce que les inquisiteurs et les petits soldats des Césars ont encore poussés plus loin notre descente dans l'Âge de fer.
L'Âge d'or était derrière eux pour les Anciens qui croyaient vivre les pires temps de l'humanité.
L'Âge d'or, celui de la paix et de l'harmonie, la version grecco-romaine du mythe du Bon Sauvage qui n'en était pas un - je veux dire un mythe. C'est vrai que c'était mieux. L'Autochtone traversait moins d'épisodes de famines que les Européens prétendument civilisés. Il y avait tellement de tout en Europe qu'ils sont venus ici, sur l'Île de la Tortue, pour tout ramener chez eux parce qu'il n'y avait plus rien...
J'essaie de croire en un avenir meilleur et je vois qu'il y a pas mal de décombres et de ruines à ramasser avant même que de rebâtir quoi que ce soit.
Je sais bien que plus personne, du plus petit dénominateur commun au bourgeois le plus repus, ne croit vraiment en ce système.
C'est pour ça que tout stagne et que tout nous pète à la gueule dans l'indifférence généralisée.
On patauge dans le même marécage sombre depuis des lustres.
La beauté triomphera...
Même si je ne l'ai pas encore vue triompher.
Même s'il me semble vivre pleinement et salement son déclin.
Je ne me consolerai pas dans la philosophie. J'en serais incapable.
Je vais plutôt jouer de l'harmonica.
Et attendre la prochaine manif.
Il y a sans doute de la beauté en ce monde. Il y en a, bien sûr. Demandez au type qui s'est acheté une île dans le Pacifique à lui tout seul s'il y a de la beauté en ce monde. Il serait fou de dire non. Et c'est le même qui fera peut-être en sorte que vous perdiez au jeu des inégalités sociales. Celui qui vous confinera directement à une vie de merde tout en feignant de l'ignorer. Celui qui a la bonté de vous laisser quelques écus après avoir volé la richesse des nations pour faire de tout un chacun un loqueteux comme vous et moi.
Oui, il y a de la beauté en ce monde.
Il y a encore la nature. Il faut la chercher toujours plus loin lorsque l'on ne vit pas sur une île au beau milieu du Pacifique de nos jours. Avant, malgré la pollution des papetières, j'y avais accès en moins d'une demie heure. Aujourd'hui, il me faut traverser quatre nouveaux quartiers résidentiels ou déserts industriels avant que de trouver un troupeau d'arbres à peu près sauvages.
Il n'y a toujours pas d'arbres sur la rue de mon enfance. Une rue triste qui a poussé à l'ombre d'une usine de textile qui a tordu des vies et rendu sourds plus d'un. C'est encore triste, sinon plus. Il ne reste que plus de misère. C'est comme si le rêve américain était un hostie de mensonge. Une farce qui n'empêche pas les crosseurs d'être réélus d'une élection à l'autre au jeu où toute beauté est toujours donnée pour perdante à dix contre un.
Mes grands-parents ont quitté la nature pour venir vivre à côté de ces usines de marde où l'on suffoquait, crevait d'un cancer en bas âge ou devenait sourd comme des pots. Où l'on se mutilait pour ne pas finir dans une cage, que ce soit en se coupant un doigt ou en prenant une brosse par jour.
Oui, c'est beau ce monde quand il ne travaillait pas. Ce monde qui riait, giguait, mangeait et buvait entre deux quarts de travail, entre les grèves ou bien le lock-out qui vous ferait bouffer le mastic autour des fenêtres mal calfeutrées.
C'est beau en hostie, quand on oublie la misère, la vie toujours plus dure. plus roffe-ène-toffe.
On peut oublier que 44% des espèces sauvages de mammifères sont disparus sur la planète au cours des 100 dernières années. Surtout si l'on est sur son île, au beau milieu du Pacifique. Si l'eau monte, il n'y aura qu'à s'acheter une montagne. L'argent déplace les montagnes. Et le talon de fer se chargera d'écraser toute foi et toute espérance. Jusqu'à ce que tout le monde crève en grappillant un peu de beauté ça et là: «Oh! Une feuille!», «Tiens! J'ai cru voir un papilon!», «C'est le gala de l'ADISQ ce soir!».
Dans le fond de l'abîme où nous pourrissons tous, il y a bien sûr de la beauté.
Il y a un zeste d'espoir, de courage et de force.
Un zeste qui s'épuise, comme tout le reste.
Un zeste de plus en plus fade et inodore, comme tous les simili-fruits vendus chez Wal-Marde ou Super-Calice.
Dostoïevski n'a jamais si bien dit lorsqu'il a écrit que la beauté sauvera le monde.
S'il revenait sur terre, comme Jésus dans La légende du grand inquisiteur tirée des Frères Karamazov, on voudrait se débarrasser de lui comme de tous les Ovide Plouffe du monde entier.
Parce que les inquisiteurs et les petits soldats des Césars ont encore poussés plus loin notre descente dans l'Âge de fer.
L'Âge d'or était derrière eux pour les Anciens qui croyaient vivre les pires temps de l'humanité.
L'Âge d'or, celui de la paix et de l'harmonie, la version grecco-romaine du mythe du Bon Sauvage qui n'en était pas un - je veux dire un mythe. C'est vrai que c'était mieux. L'Autochtone traversait moins d'épisodes de famines que les Européens prétendument civilisés. Il y avait tellement de tout en Europe qu'ils sont venus ici, sur l'Île de la Tortue, pour tout ramener chez eux parce qu'il n'y avait plus rien...
J'essaie de croire en un avenir meilleur et je vois qu'il y a pas mal de décombres et de ruines à ramasser avant même que de rebâtir quoi que ce soit.
Je sais bien que plus personne, du plus petit dénominateur commun au bourgeois le plus repus, ne croit vraiment en ce système.
C'est pour ça que tout stagne et que tout nous pète à la gueule dans l'indifférence généralisée.
On patauge dans le même marécage sombre depuis des lustres.
La beauté triomphera...
Même si je ne l'ai pas encore vue triompher.
Même s'il me semble vivre pleinement et salement son déclin.
Je ne me consolerai pas dans la philosophie. J'en serais incapable.
Je vais plutôt jouer de l'harmonica.
Et attendre la prochaine manif.
mercredi 16 octobre 2019
Ma petite vie
Ma vie a été ponctuée de petits boulots éreintants ou déprimants parce que j'étais solitaire, sans réseau de contact ni permis de conduire et que tout mon être rappelait quelque chose comme la pauvreté ou bien le dédain de l'autorité.
J'ai passé des journaux. J'ai déneigé des stationnements. J'ai livré de la bière à pied (sic!). J'ai été commis de dépanneur. J'ai été emballeur chez IGA. J'ai été étudiant en droit à l'Université Laval. J'ai été préposé aux bénéficiaires au CHUL. J'ai lavé des chiottes à l'UQTR. J'ai complété un bac en philosophie en deux ans à l'UQTR en travaillant 35 heures par semaine à titre de préposé aux bénéficiaires.
J'ai été manutentionnaire. J'ai été journalier dans une fabrique de palettes de bois. J'ai manutentionné et scié à moi tout seul des cèdres rouges de 30 pouces de diamètre et 15 pieds de longueur. J'ai vendu des dessins pour des affiches de spectacles. J'ai été vagabond quelques jours. J'ai été musicien de rue avec mes harmonicas et des flûtes que je me plantais dans le nez. J'ai travaillé dans une pizzeria à Whitehorse. J'ai sauté sur un train à Regina pour me réveiller à Saskatoon. J'ai déplacé du stock dans des hangars à Thunder Bay. J'ai fait du pouce d'un bout à l'autre du Canada. J'ai fait la file devant les banques alimentaires et les soupes populaires.
J'ai été agent aux communications et directeur des communications d'un festival montréalais après avoir conçu un faux cévé où je m'attribuais un bac en communication. «Comment c'était tes études en communication?» «C'était bin l'fun...» Fin de l'entrevue. J'ai démissionné parce que j'en avais plein le cul de la boss qui se servait du staff en place pour travailler sur ses campagnes électorales de pseudo-sociale-démocrate qui ne prend pas le métro parce que ça pue.
J'ai refait la file devant la banque alimentaire deux ans plus tard. Je suis reparti ici et là. Un mois d'aide sociale à Québec et retour à Vancouver au lieu de me faire chier à crever chômeur au Québec avec le Ministère de l'Éducation dans le cul pour faire rembourser mon bac même pas reconnu par la Salvation Army... Misère. Malheurs. Peine d'amour.
Puis la vie recommence. Agent de développement pour une troupe de théâtre musical pour enfants. Animateur de radio puis directeur de radio à Labrador City. Cuisinier dans une pizzeria à Québec. Directeur de la programmation de la radio CFOU à Trois-Rivières. Congédiement pour avoir dénoncé le manque d'organisation et de transparence de la radio. Perte d'emploi. Perte de repères. Perte amoureuse. Peines d'amour multiples. Désillusions.
Mais encore une fois je m'obstine. Chômage, aide sociale, banque alimentaire. Je fais la file devant la banque alimentaire située juste en face du logement de mon ancienne blonde dans la vieille Capitale... Je me sens foutu. Je vais à la bibliothèque tous les jours. Je vis dans une chambre sordide et mal aérée près du mail Saint-Roch. Tout est laid et triste autour de moi. J'entends mes voisins de chambre se masturber. Je me mets des bouchons de nuit et le jour je m'enfuis dans les bibliothèques. Je marche. Je pense. Je déprime.
Puis radio Basse-Ville m'offre un micro. J'y tiens une émission hebdomadaire et j'aide les autres à la mise en ondes. Cela me permet de me refaire un réseau bien que je sois toujours seul. Je deviens agent de financement pour une coalition d'organismes communautaires. Les conditions de travail sont tout aussi excellentes que le milieu. Mais je m'ennuie. Et je souffre pleinement de solitude.
On me propose, à Trois-Rivières, de devenir directeur et rédacteur en chef d'un journal de rue. On se souvient de moi du temps de CFOU et on se dit que je suis tout de même un gars qui ramenait du fric, même si je n'en jamais vraiment eu. Je suis excellent pour que les autres fassent de l'argent avec moi. Je sais très bien le chemin qui peut exister entre cuisinier dans une pizzeria et notable des communications. Je m'occupe de créer des plateaux de travail pour les jeunes chômeurs via le journal de rue Le Vagabond. J'y suis travailleur de rue autant qu'administrateur. Un vrai boss des bécosses. On me congédie au bout d'un temps parce que j'ai dit fuck off au comité de lecture qui voulait censurer nos textes. On m'a dit de ne pas mordre la main qui nous nourrit. Je leur ai dit d'aller chier.
J'ai atteint le fin fond du fond ensuite. Malade, pauvre et dans une situation de nouveau couple avec un enfant. La honte. La file devant la banque alimentaire. Pas un rond pour prendre l'autobus. Traverser la ville beau temps mauvais temps en déposant mes cévés partout alors que l'on me considère comme un pestiféré d'anarchiste fouteur de troubles...
J'ai été croupier de Black Jack pour un truc événementiel. Puis j'ai été transcripteur de conversations en anglais entre des Cris et des responsables de la Société d'Énergie de la Baie James. Je ne faisais pas le gros salaire parce que j'étais embauché par une firme de placement qui prenait sa cote sur mon statut de serf moderne.
J'ai vivoté d'un contrat à l'autre, sans jamais être sûr de quoi que ce soit. Puis j'ai fait un peu de terrassement. Un peu de rédaction technique. Un peu de traduction. J'ai touché le fond de la misère un soir en mangeant la même querisse de soupe aux choux que j'avais mangée toute la semaine avec du vieux pain de la banque alimentaire. Je n'avais rien d'autre. J'ai salé la soupe avec mes larmes. J'ai prié l'univers et surtout feu mon père de me sortir de cette merde.
Le lendemain, je devenais assistant-superviseur pour une fondation quelconque qui m'assurerait, à tout le moins, de meilleurs repas sur la table.
Ça s'est poursuivi jusqu'à tout récemment. Je suis redevenu préposé aux bénéficiaires en suivant des tas de formation et en travaillant à temps plein.
Je n'ai pas de plans de retraite. Aucune couverture médicale. Rien pour les soins dentaires. Je n'ai pas grand chose pour dire vrai. Sinon ma force de travail que je vends au plus offrant, comme d'habitude, parce qu'il m'arrive d'avoir faim.
Je manque de temps.
Écrire, dessiner, peindre et travailler en même temps, c'est épuisant pour tout le monde.
Même pour ceux qui pourraient avoir quelque talent.
Je ne veux pas me plaindre. Juste comprendre que j'ai le droit de me prendre moi-même en pitié. Ça ne m'arrivera pas souvent.
Quand je parle de la misère, je n'en parle pas en fin observateur.
Je l'ai connue et l'ai vécue.
Je sais bien que d'autres ont vécu pire.
C'est parce que je le sais que je ne vous parlerai pas souvent de tout ça.
Si j'allais plus loin là-dedans je récrirais Le désespéré et La femme pauvre de Léon Bloy...
Le monde est cruel, injuste et immoral.
Il me faut y cheminer tout en sentant le talon de fer me peser dans la face.
C'est parfois lourd à porter.
Une chance que j'ai de l'amour et de l'amitié dans ma vie.
Tout ce qui peut me faire oublier qu'en ce monde seul l'Argent triomphe.
mardi 15 octobre 2019
La nuit est plate
La nuit est lourde et ce ne sont pas des esprits qui hurlent dans les rues poisseuses du centre-ville.
La rage a fait place à l'ivresse. On entend non seulement crier, mais peut-être des coups de pied ou des coups de feu. C'est difficile à dire.
La nuit est lourde et on ne voit pas les étoiles. Rien que des affiches publicitaires qui brillent. Des pancartes électorales. Des feux de circulation.
Les feuilles sont sur le point de toutes tomber. C'est l'automne. C'est le retour de la mort. Comme d'habitude.
Un type pète sa bière sur une voiture. Un couple s'engueule. Un taxi emporte le type qui pète sa bière.
La nuit est plate.
jeudi 10 octobre 2019
Extinction de voix
La Terre a connu cinq extinctions de masse au cours des quatre derniers milliards d'années. La vie est presque disparue à plusieurs reprises. Il n'y a plus de dinosaures. Mais quelque chose de plus minuscule a survécu et s'est adapté à un climat devenu invivable pour toutes les autres espèces. Quelque chose comme de petits mammifères qui sont nos lointains parents au plan génétique.
Nous en sommes la sixième grande extinction de masse de la biodiversité et il est possible que l'activité humaine soit mise en cause. Je vous dis ça sur un ton presque banal. Comme s'il était normal de vivre constamment la fin du monde, non seulement d'un point de vue théologique, mais aussi scientifique...
On dira ce qu'on voudra, vivre avec le sentiment de traverser l'Extinction de l'Holocène ça vous fout en l'air l'idée de faire son boulot en sifflant comme si de rien n'était.
D'aucuns désigneront ce phénomène de se «crisser de toutte» sous le vocable de l'éco-anxiété.
C'est possible que cela en soit.
Néanmoins, l'éco-anxiété me semble naturelle. C'est le contraire qui m'étonne et m'indigne en même temps.
Comment peut-on faire semblant que tout va bien quand tout va mal?
Surtout si le bien que nous en tirons finirait par saper tous les espoirs de ceux et celles qui n'osent presque plus combattre. C'est difficile de toujours tout prendre dans la gueule à la place des autres. Parce que les autres n'ont pas d'espoir. Parce que qu'est-cé-tu-veux-qu'on-fèze? Rien. Comme d'habitude.
Le gouvernement s'en occupera mais je n'irai pas voter. Je cultive mon petit potager à l'ombre de l'usine mal entretenue qui relâche n'importe quoi dans l'air vers 4 ou 5 heures le matin quand tout le monde dort. Et puis comme je ne fais rien je ne comprends pas que les autres fassent de quoi. Qu'est-cé-tu-veux-qu'on-fèze? Rien. Comme toujours.
On ne fait rien. Tu ne fais rien. Je ne fais rien.
Et ceux et celles qui font de quoi n'en ont plus rien à foutre de nous qui ne faisons rien.
Alors, ils se rebellent.
Ils ne veulent plus bosser comme des fous pour des conditions de vie médiocres dans un environnement pourri.
Vous aurez beau dire ou faire n'importe quoi, personne ne vous protégera avec bonheur et enthousiasme.
Même ceux qui tiennent la matraque vont se fatiguer.
Parce que tout ça est fatigant, la sixième extinction de masse.
Regardez devant, sourire, marcher en sautillant, je veux bien.
Encore faut-il un brin de sincérité.
Quand le maquillage du clown craque de partout ce n'est même plus drôle.
On baye aux corneilles devant le corniaud qui joue au Magicien d'Oz, un nain caché derrière un show de boucane.
Puis on finit par se taire.
Parce que l'extinction de masse conduit à l'extinction de voix.
Et lorsque plus personne ne se parlera...
Eh bien, ce sera vraiment la fin.
lundi 7 octobre 2019
Mon héros le héron
Le soleil miroitait entre les branches.
Les hérons terminaient leur vol au milieu de la rivière pour s'y nourrir de poissons naturellement coincés entre les roches.
Je marchais d'un pas lourd et léger.
Je m'accrochais encore à la moindre parcelle de beauté pour résister aux temps et au monde.
Je m'accrochais à l'amour et à la beauté.
Parce que tout le reste était laid et affreux.
Comme d'habitude.
Ce besoin de marcher vite.
Ces ordres d'avancer au pas de l'oie sans jamais contempler leur vol.
Ces humiliations qui font bâtir des pyramides et détruire des hommes.
Ces petits riens qui se prennent pour un gros tout alors qu'ils ne sont que la pitoyable somme de tous les préjugés sociaux passés et à venir.
Je marchais en protégeant mes yeux du soleil.
Du soleil qui me piquait les yeux comme si j'étais l'étranger de passage partout où je passe.
C'était mieux que rien.
C'était presque l'état de grâce.
Presque.
J'aurais aimé être parmi ces hérons à manger de la barbote.
Si ce n'était de l'eau froide en octobre.
C'est bien pour dire.
mardi 1 octobre 2019
«Idle no more» ou à propos de la croix de Jacques Cartier...
Croix de Jacques Cartier à Trois-Rivières |
J'ai eu une pensée pour eux ce matin en faisant mon tour de l'Île Saint-Quentin à bicyclette.
L'Île Saint-Quentin est située à l'embouchure de la rivière Tapiswan Sipi et du fleuve Magtogoek.
On trouve sur cette île, coincée entre Cap-de-la-Madeleine et Trois-Rivières, une croix commémorant la possession de cette terre par Jacques Cartier.
Il n'est fait aucune mention des Anichinabés, des Attikamekw ou biens des Haudenosaunees sur la plaque commémorative ainsi que sur la vignette dite «historique».
C'est comme si Jacques Cartier était arrivé sur une terre où il n'y avait personne!
On ne parle pas non plus des motivations controversées qui animait ledit Jacques.
Vignette historique d'une histoire sans les Autochtones... |
Les Vieux Mohawks racontent encore entre eux comment Donnacona et ses deux fils Domagaya et Taignoagny ont été contraints à être exilés en France par Jacques Cartier qui initia sans doute les guerres franco-iroquoises.
Nous sommes en 2019. Rien n'indique qu'il y eut des Autochtones à Trois-Rivières, même si dans les faits il y en a encore...
Nous violons la mémoire des hommes et des femmes qui habitent ce territoire avec ces légendes de colons.
Nous formons un nouveau peuple, toutes origines confondues. Glorifier l'histoire des uns en ignorant celle des fondateurs de ce pays est infamant.
Je recommande quelque chose comme le retrait de ces trucs coloniaux. Ou bien des vignettes historiques qui laissent aussi aux Autochtones la possibilité de raconter leur version de cette histoire trop souvent tarabiscotée.
On vit sur le territoire des Atikamekw et que connaissons-nous de leur langue, de leur culture?
C'est tout simplement révoltant...
Heureusement qu'il y a ce réveil autochtone. Il y a cette résilience. Cette survivance. Cette vraie histoire qui se poursuit beau temps mauvais temps, par-delà les guerres de conquête et le capitalisme sauvage.
Sur ce, musique.