J'ai peu écrit ces derniers jours pour me donner totalement à ma passion d'artiste-peintre. J'ai laissé de côté l'animal politique pour lui préférer quelque chose comme un sentiment d'immortalité. Je ne veux pas dire que je sois immortel, ni que mes oeuvres aspirent à un tel statut. Cependant, j'aurai touché l'infini en pratiquant mon art, un non-lieu où il y a un non-temps et un non-espace. J'appelle ça l'immortalité. Parce que je suis un peu poète. Peut-être trop. Ou pas assez.
Quoi qu'il en soit, l'art ne me prive pas de réfléchir. Il me permet au contraire de ramener au niveau des futilités les billevesées des uns et des autres qui voudraient nous assommer à coups de théories tellement commodes pour calmer les effets pervers de notre civilisation anxiogène.
J'emploie le Nous volontairement. C'est rare que je le fais. Puis je me suis dit qu'il était possible de dire Nous si je ne disais pas Eux...
Nous, c'est tout un chacun: souverainiste, fédéraliste, humaniste, sataniste, islamiste, communiste, fasciste, anarchiste, capitaliste, animiste ou joueur de bingo. Sans oublier personne. Même pas un prisonnier. Parce que les prisonniers, comme tous les imbéciles que Nous sommes, ont aussi des droits. Moins que ceux qui sont en liberté pour que ceux qui le sont n'aient pas envie d'aller les rejoindre. Suffit de manger des toasts molles à tous les matins pour avoir l'envie de donner du sens à la vie en liberté pour y mordre à pleines dents.
Je ne savais pas, avant aujourd'hui, que je pouvais moi aussi dire Nous. C'est donc dire que ma retraite artistique a été productive au plan de l'esprit. Mon intellect est devenu encore plus libéral, au sens philosophique du terme, moins empesé de haine et toujours plus bienveillant même envers les haineux.
La Meute aussi dit Nous. Et d'autres organisations paramilitaires aussi. Il y a même des partis qui parlent au Nous. Le problème, c'est que leur Nous ne récolte jamais plus de 20% d'adhésion. Alors que le Nous inclusif, libéral et multiculturel, c'est un rendement de 80% à tous coups pour la première personne du pluriel.
Évidemment, il faut dire que ce Nous presque parfait profite de la bienveillance des indifférents. Bienveillance qui s'ignore, peut-être, mais bienveillance tout de même. L'indifférence protège autant les autres de nos excès qu'elle nous épargne de ceux d'autrui. S'il n'y avait pas l'indifférence, croyez-moi, ce serait la guerre civile.
En ce moment, le Nous n'a rien à voir avec le fascisme, ni avec le communisme, ni même avec le nationalisme.
La plupart des gens autour de moi ne s'étrangleraient pas pour un sermon.
Ils vivent leur vie au jour le jour et au petit bonheur la chance.
Ils se font à l'idée que tout va changer puisque tout a toujours changé quoi que l'on fasse ou ne fasse pas.
Hier, les mariages gais.
Demain, une colonie sur Mars. Ou bien des électrodes dans le cul.
Que voulez-vous? Le monde et les temps changent.
Nous y sommes parfois pour quelque chose.
Et parfois pour rien.
Ce Nous n'exclue personne.
Il vous dit d'arrêter de chialer pour rien et de dénigrer vos voisins.
Je regarde la poutre qui est dans mon oeil avant de regarder la paille dans celui du voisin, de l'étranger, de l'immigré ou du métèque.
Ma poutre est pas mal plus grosse qu'une écharde.
Je sais bien que certains d'entre vous n'ont rien à se reprocher.
Certains sont seulement normaux.
Comme ceux qui écoutent les lignes ouvertes des radios poubelles et commentent sur les forums en ligne des média jaunes. Ils sont tout à fait normaux. Ils ne l'étaient pas avant que de consommer leur ration quotidienne de haine. Au bout de trois jours de pratique assidue, ils ressentaient déjà la normalité s'insinuer en eux-mêmes. Les voilà qui riaient tous des races et des tapettes comme dans le bon vieux temps, du temps où les gens étaient NORMAUX!
Le seul Nous qui compte devrait bien sûr être celui qui nous préserverait de ces gens un peu trop normaux pour les laisser former une majorité.
Je fais appel à tous les indifférents d'être encore plus indifférents.
Je sais que je peux compter sur le soutien des indifférents.
Je sais que Nous formons la grande majorité sans laquelle tout ce pays serait transformé en épouvantable chaos.
Je ne suis pas indifférent, j'en conviens.
Je suis un peu artiste, plutôt anarchique, en-dehors de tout système par instinct primaire de conservation.
Je porte souvent des pancartes, je signe des pétitions et loge plutôt à l'extrême-gauche pour des raisons qui ont plus à voir avec Tolstoï qu'avec Lénine. Je déteste l'injustice et suis même une sorte de licorne de la justice sociale, un idiot utile.
Par contre, j'aime les indifférents.
Ils me rassurent.
Ils me disent que Nous avons encore une chance de s'en sortir.