Je rends d'ailleurs hommage à la seule langue que je maîtrise parfaitement, avec le joual et autres accents des quartiers ouvriers de Trois-Rivières.
Chaque quartier a son accent à Trois-Rivières. Au Rochon, j'en entends qui s'appellent coq entre eux.
-Salut coq? Comment ça va coq?
-Ça va bien coq. Pis toé coq?
-Super coq.
Dans Sainte-Cécile ce n'est pas comme dans la P'tite Pologne ou bien Sainte-Marguerite. Chaque quartier invente sa parlure. C'est ce qui fait la beauté de l'ensemble: sa diversité. D'autant plus magnifiée de nos jours qu'elle nous ouvre sur le monde, après un long hiver. Elle nous promet d'autres printemps et, pourquoi pas, de beaux étés.
On ne nous enlèvera pas nos hivers. Ou bien j'irai les chercher vers l'infini et plus loin encore. J'ai l'âme nordique, par choix. Je tiens à mes glaciers tout autant qu'y tiennent mes comparses les ours polaires. Mais je digresse de mon hommage. Et c'est dommage.
Je parle un peu l'anglais. Je ne l'ai pas appris à l'école. J'avais à peine 79% en anglais. Ça ne m'intéressait pas puisque j'avais 100% en français. J'étais le roi du français. Le français, c'était moi.
Dans mon monde, je trouvais mes raisons pour me dire que je ne devais vivre qu'en français, par une forme de résistance intellectuelle alimentée par des lectures de collégien. Je faisais partie d'une secte: la langue française! Non seulement j'allais l'apprendre, j'allais aussi la reproduire. Enfin, je satisferais ce besoin de m'en servir comme d'une arme.
J'ai donc lu tous les livres de la secte. Même les plus obscurs. J'ai poussé mon zèle jusqu'à lire au complet le dictionnaire Larousse, le dictionnaire des difficultés de la langue française, le grammairien Grevisse et j'en passe. Des lectures qui prouvent que je suis un peu bizarre. Lesquelles me rendent encore service en ce moment même.
J'ai compris assez tôt qu'il y avait une différence manifeste entre la langue parlée et la langue écrite.
Dans les deux cas, la langue n'est belle que dans sa simplicité. Plus on s'éloigne de la clarté, plus la connaissance est cloisonnée et dissociée de tout. Il faut que ça coule de source. Que ça suive l'ordre logique du discours. Autrement, on ne s'y retrouve plus. On baigne dans des effets de rhétorique maladroits. On se crée un métalangage.
Pour ce qui est du style, je n'ai rien trouvé de mieux que Voltaire. Il fut mon guide. Et il le demeurera longtemps. Mauvais dans sa poésie, il dépassait tous les autres dans la prose. Il faut dire que l'époque se prêtait aux Lumières. J'en suis en quelque sorte un héritier spirituel au sein d'une autre secte, les Lumières, la franc-maçonnerie, la libre-pensée et la déclaration universelle des droits de l'homme...
Puis j'ai trahi la langue française.
C'était en 1993. Je suis parti sur le pouce à Vancouver, écoeuré de moi-même tout autant que du Québec.
Je revins au monde à Vancouver, baragouinant l'anglais comme un bébé.
J'ai appris l'anglais en travaillant dans une fabrique de supports de bois destinés à l'entreposage. Souvent je ne comprenais rien à ce que me disait mes camarades. Je faisais semblant de comprendre. Comme on fait aussi semblant de comprendre dans toutes les langues.
Lorsque je revins au Québec, après m'être promené un peu partout, je ne vis plus l'anglais comme mon ennemi viscéral. C'était une langue qui, comme tant d'autres, était belle... Je m'étais écarté des préoccupations de certains missionnaires de ma secte. Je ne comprenais pas pourquoi parler deux langues ferait de moi un traître... Évidemment, ça se passait dans ma tête. C'était des résidus de l'expérience vécue au sein de ma secte dont je n'étais certainement pas le moins fanatique.
Je regrette d'en savoir si peu sur les langues autochtones. Je ne connais que quelques mots. Quelques expressions. Des bribes que je capte. Comme l'accent des Terre-Neuviens. Ou celui des Acadiens. I were there last night: j'étions là hier... Je continue d'apprendre. J'aimerais surtout connaître l'anishnabeg. C'est-à-dire l'algonquin.
D'autres langues se pressent à mes oreilles tous les jours. J'ai le privilège d'avoir deux personnes dans mon entourage qui parlent le bosniaque et le serbo-croate. Je ne saurais faire une longue conversation. Mais je connais tous les gros mots et toutes les injures. C'est par le jeu qu'on apprend le mieux...
J'adore l'espagnol. Et je me suis même mis à l'arabe. Avec un peu d'aide de mes amis, j'irai encore plus loin dans l'apprentissage des langues. Ça tient le cerveau en bonne santé autant sinon plus que les mathématiques.
Je demeure foncièrement attaché à la langue de la rue qui m'a vu naître.
Ce n'était pas la langue d'un peuple ou d'une administration publique.
C'était la langue du monde dans lequel je baignais.
On m'avait dit de ne pas dire moé pis toé à l'école. Parce que moé pis toé ce n'était pas beau.
Et qu'est-ce que j'entendais à la maison?
Moé pis toé.
Moi et toi, c'était un peu plus haut sur le premier ou le deuxième coteau des Trois-Rivières. Comme quoi l'accent peut varier d'une rue à l'autre, selon sa situation géographique ou bien sa position dans l'organigramme social.
J'ai eu honte un temps de moé pis toé.
J'avais honte de mon accent féroce des bas-quartiers trifluviens.
Un accent pétri de sons gutturaux où les r se perdent d'autant plus que cette sonorité n'existait pas chez les Autochtones.
Ce qui laisse supposer que notre accent est aussi autochtone...
C'est l'Autochtone en nous qui parle lorsqu'on dit moé pis toé on est allé su' l'bo' d'la 'iviè' hiè'...(nous sommes allés sur le bord de la rivière hier).
Cette langue truculente a été apprise par un de mes amis anglophones, Robert Rebselj, un gars de Winnipeg qui a passé son enfance en Colombie-Britannique.
Il est tombé un jour dans la famille Tousignant. On en a fait un Tousignant d'adoption en lui apprenant toutes les subtilités du joual. Tant et si bien que mon comparse Rebselj, alias Robob, en vint à connaître jusqu'aux recoins les plus obscurs de notre culture. C'est lui qui m'a fait apprécier La Bolduc et Paul Brunelle. Lui qui m'a fait redécouvrir Oscar Thiffault, Lucien Boyer et Yvan Ducharme.
Les questions identitaires ont pris le bord. Il n'est resté que les solutions culturelles. Autrement dit: produire de la culture. Changer le monde ici et maintenant sans passer par des entourloupettes. Changer notre regard. Changer nos chansons. Chanter nos changements... Que sais-je?
Je ne renie pas l'importance de la politique.
Mais on serait fou de renier celle de la culture pour la promotion d'une langue, quelle qu'elle soit.
Qu'en est-il de mon hommage envers la langue française?
Il est là, sous vos yeux.
J'ai écrit un texte de plus en français.
Les moteurs de recherche et autres gadgets informatiques vont multiplier la résonance de ces mots français pour des siècles et des siècles... Débrancherait-on tout demain qu'on ne pourrait y voir qu'une autre de mes fanfaronnades de Trifluvien.
Je parle aussi et surtout le trifluvien.
J'escamote les r souvent.
Je n'écris pas nécessairement comme je parle.
Je parle comme ça vient, naturellement, pis c'est toutte. Ceux qui sont pas contents bin i' s'ront pas contents. M'en sac'. Dix pieds par-dessus 'a tête.
El français, c'est bin beau mais faut pas virer fou non plus.
C't'une langue de singe comme les autres.
C'est toutte.