mercredi 31 mai 2017
Tout va trop vite, beaucoup trop vite...
Comment peut-on raconter une histoire où il ne se passe rien sans que le lecteur ne nous quitte avant le premier paragraphe? Vous pourriez croire que c'est un défi. Mais ce n'en est pas un. Si l'on peut raconter une guerre, un tremblement de terre ou bien une partie de hockey, on doit aussi s'attarder à d'autres événements qui n'en sont pas à prime abord.
D'abord, oui d'abord plutôt trois fois qu'une, il n'y a pas rien là où il y a toujours un peu de tout.
Cet homme moyen qui médite dans sa chaise berceuse n'est pas rien. Il berce avec lui des millions de bactéries, de cellules et de mondes qui nous sont encore inconnus. À chaque mouvement de chaise berçante qui pourrait passer pour de la paresse, cet homme contribue à bâtir et à détruire quelque chose.
Vous croyez vraiment qu'il ne fait rien de ses journées, qu'il est improductif, bref qu'il ne vaut rien? Eh bien c'est une grossière erreur. Cet homme en fait autant que vous qui vous agitez pour rien. Et même qu'il le sait. Il essaie de ralentir le cycle perpétuel de la création et de la destruction en tentant maladroitement de s'endormir pour l'oublier. Rien n'y fait. Rien n'arrête l'expansion de l'univers tant du côté de l'infiniment petit que de l'infiniment grand. C'est à se demander pourquoi personne ne le remarque.
De plus, la Terre tourne autour de son axe à 1 600 km/heure. C'est aussi un bolide qui file à 100 000 km/heure autour du soleil. Ce qui, en soi, peut très bien expliquer pourquoi notre homme est dépeigné.
Le soleil lui-même tourne autour du trou noir situé au centre de notre galaxie. Sa vitesse est de 850 000 km/heure... Et vous croyez que c'est tout? La Voie Lactée navigue à 2,3 millions de km/heure dans l'univers. L'amas galactique de la Vierge, auquel notre galaxie appartient, se déplace à 2,8 millions de km/heure.
Et vous croyez encore que cet homme qui se balance dans sa chaise berçante est immobile et tue le temps à ne rien faire du tout?
Ah! C'est mal le connaître, cet homme.
-Ça va trop vite... tout va beaucoup trop vite... vient-il de nous dire à voix haute.
L'écho de sa voix ne s'est pas nécessairement rendu jusqu'à nous mais je sais qu'il l'a dit.
Ne me demandez pas pourquoi: je n'ai pas le temps.
Tout va trop vite... beaucoup trop vite.
D'abord, oui d'abord plutôt trois fois qu'une, il n'y a pas rien là où il y a toujours un peu de tout.
Cet homme moyen qui médite dans sa chaise berceuse n'est pas rien. Il berce avec lui des millions de bactéries, de cellules et de mondes qui nous sont encore inconnus. À chaque mouvement de chaise berçante qui pourrait passer pour de la paresse, cet homme contribue à bâtir et à détruire quelque chose.
Vous croyez vraiment qu'il ne fait rien de ses journées, qu'il est improductif, bref qu'il ne vaut rien? Eh bien c'est une grossière erreur. Cet homme en fait autant que vous qui vous agitez pour rien. Et même qu'il le sait. Il essaie de ralentir le cycle perpétuel de la création et de la destruction en tentant maladroitement de s'endormir pour l'oublier. Rien n'y fait. Rien n'arrête l'expansion de l'univers tant du côté de l'infiniment petit que de l'infiniment grand. C'est à se demander pourquoi personne ne le remarque.
De plus, la Terre tourne autour de son axe à 1 600 km/heure. C'est aussi un bolide qui file à 100 000 km/heure autour du soleil. Ce qui, en soi, peut très bien expliquer pourquoi notre homme est dépeigné.
Le soleil lui-même tourne autour du trou noir situé au centre de notre galaxie. Sa vitesse est de 850 000 km/heure... Et vous croyez que c'est tout? La Voie Lactée navigue à 2,3 millions de km/heure dans l'univers. L'amas galactique de la Vierge, auquel notre galaxie appartient, se déplace à 2,8 millions de km/heure.
Et vous croyez encore que cet homme qui se balance dans sa chaise berçante est immobile et tue le temps à ne rien faire du tout?
Ah! C'est mal le connaître, cet homme.
-Ça va trop vite... tout va beaucoup trop vite... vient-il de nous dire à voix haute.
L'écho de sa voix ne s'est pas nécessairement rendu jusqu'à nous mais je sais qu'il l'a dit.
Ne me demandez pas pourquoi: je n'ai pas le temps.
Tout va trop vite... beaucoup trop vite.
mardi 30 mai 2017
Mon Vieux Trois-Rivières
Vous pourrez voir cette toile à mon atelier-galerie d'art de 13h00 à 17h00 samedi et dimanche. C'est situé au centre-ville de Trois-Rivières, au 448 de la rue Niverville. Vous pouvez communiquer avec moi par courriel pour tout autre renseignement: bouchard.gaetan@gmail.com
Il n'y a pas que les livres dans la vie
J'avoue à ma grande honte avoir collectionné des livres. Je mettais plus d'argent sur les livres que sur les meubles qui auraient pu les entreposer. Aussi s'empilaient-ils les uns par-dessus les autres sans que jamais je ne puisse y lire les titres.
Cette passion maladive m'a pris autour de l'âge de treize ans. Elle débuta par des bandes dessinées. Et elle s'est terminée avec des briques grosses comme ça des classiques de la littérature, de la philosophie et des sciences humaines.
Avec le temps, ma collection de livres a fini par occuper deux pièces de mon logement.
Je pouvais passer des heures à les contempler. J'en attrapais un au passage puis je lisais. Et comme si ce n'était pas assez, j'en rapportais à coups de dix par jour de la bibliothèque que je feuilletais rageusement comme si j'y cherchais mes clés.
Les livres, sans trop m'en rendre compte, n'étaient pas tant devenus ma forteresse que ma prison.
J'expliquais tout par les livres.
Me parlait-on de Dieu que j'ensevelissais mon interlocuteurs sous un flots de citations et de doctrines matérialistes.
J'avais réponse à tout puisque j'avais mes dictionnaires des mots croisés, mes bréviaires, mes manuels et mes livres sacrés. Je voyais le monde par le petit bout de cette lorgnette.
Puis je me suis rendu compte que les livres m'étaient nuisibles. Du moins, selon l'usage que j'en faisais. Je n'y cherchais aucunement un divertissement. J'y trouvais des réponses. Je lisais sans aucune émotion. J'enregistrais tout comme une machine. C'était, somme toute, un jeu de mémoire.
Vint un jour où j'ai eu l'envie de fuir. Tout m'était devenu trop lourd parce que je ne savais pas encore l'art de me faire léger. Je voyais des tragédies là où il n'y avait que des banalités avec lesquelles tout le monde réussit très bien à s'y faire. La moindre peine d'amour prenait les proportions d'une tragédie grecque alors qu'il n'eut fallu que de me débarbouiller la queue d'un coup de torchon.
Un beau matin, j'ai décidé que c'en était assez. Il me fallait vraiment partir. La soupape de sécurité avait sauté sur ma marmite. La vapeur de millions de pages lues et mémorisées s'échappait de mon occiput. Se pouvait-il que la vie ne soit pas que dans les livres? Se pouvait-il que je me sois trompé?
J'ai donc liquidé ma bibliothèque. Au revoir les oeuvres complètes de Blaise Cendrars, de Claude Gauvreau et de Dostoïevski. Adieu mes chers Spinoza, Kant, Marx, Hegel, Nietzsche et autres noms qui résonnent fort aux yeux des collégiens encore impressionnables.
J'ai liquidé mes livres, mes chaudrons, ma literie, mes vêtements, mes meubles: tout.
Puis je n'ai gardé que ce qui me semblait l'essentiel pour partir au loin.
J'ai bourré mon sac à dos de quelques vêtements de rechange, des articles d'hygiène corporelle, un vieux chaudron, une fourchette, un couteau, une spatule, un sac de couchage, une tente, etc.
Je n'ai conservé que les poésies complètes de Rimbaud, l'Anthologie de la poésie de Pierre Seghers, un dictionnaire français-anglais Harrap, The Call of The Wild de Jack London et le Nouveau Testament. J'ai aussi emmené mon baladeur avec quelques cassettes quatre pistes dont The Best of The Doors, Philip Glass et Ravi Shankar, Pink Floyd, Jacques Brel et puis c'est tout.
Bien que je me sois délivré de ma passion de collectionneur de livres, je me suis tout de même arrêté dans toutes les bibliothèques pour les fréquenter malgré tout.
Le fait de ne plus avoir ma collection de livres ne m'aura pas éloigné de ceux-ci. Bien au contraire: je me suis mis à lire avec mon coeur plutôt qu'avec ma tête. Le livre marquait désormais une pause au cours de mon périple. Je ne pouvais plus me l'approprier en tant qu'objet. Je ne m'embarrassais donc plus du superflu. Je me faisais penser à ces personnages de Fahrenheit 451 qui brûlent les livres après les avoir mémorisés.
J'aurai passé quelques années à vivre sans bibliothèque personnelle, avec un minimum de biens pour me permettre de passer d'une ville à l'autre sans me sentir retenu par des objets et des bibelots.
Ces dernières années, je me suis sédentarisé. Je me suis remis à collectionner des livres. J'en ai tant, aujourd'hui, que je les empile sans que je ne puisse y lire les titres. Pour tout dire, je ne sais même pas tout ce que j'ai. Et chaque fois que je contemple ma bibliothèque, dans laquelle je dois bien avoir un peu plus de 1000 livres que je considère essentiels, je me jure de m'en débarrasser un jour ou l'autre. Je vais tous les léguer à un plus jeune qui, peut-être, les léguera aussi à un autre le moment voulu. J'ai déjà une victime en tête. Ce malheureux sera bientôt emprisonné dans les livres que j'ai accumulés.
J'essaie encore de me guérir de mes instincts de collectionneur. Je dois me rappeler à chaque jour que je dois être toujours prêt à tout perdre, prêt à recommencer à zéro, prêt à vivre avec seulement un chaudron et une cuillère comme nous le faisons en camping l'été pour nous sentir libres et légers.
J'envie parfois la vie des bohémiens, de ceux qui passent leur vie dans leur véhicule récréatif, comme dans ce reportage à propos des campeurs sauvages de Slab City que j'ai visionné récemment sur YouTube.
Une partie de moi est encore avec ces vagabonds que j'ai croisés un peu partout au hasard de mes pérégrinations. Bien je sois à mon port d'attache, je ressens encore l'appel du large. Je ressens encore ce besoin viscéral de ne pas m'accrocher à des bibelots, des livres ou de la camelote.
Oh! Je n'ai plus besoin d'aller bien loin pour me sentir éloigné de toutes les contingences. Mon esprit n'est jamais redevenu ce qu'il était du temps où je vénérais outrancièrement les livres. Je suis sans doute moins pragmatique, moins calculateur, moins didactique. Je crois être plus léger, beaucoup plus léger. Aucun livre n'est sacré, même si j'aime encore lire des livres. Rien ne vaut la contemplation d'un nuage, le goût d'une eau fraîche, l'odeur d'une forêt humide, le chant des oiseaux et, bien sûr, l'amour.
N'allez pas croire que je n'aime ni lire ni écrire. Je le démens tous les jours sur ce blog. Par contre, je sais que l'essentiel n'est pas encore inscrit dans les livres. Je sais que la vie est encore pleine de surprises et que nous n'avons presque rien découvert. Le mystère est encore absolu.
Cette passion maladive m'a pris autour de l'âge de treize ans. Elle débuta par des bandes dessinées. Et elle s'est terminée avec des briques grosses comme ça des classiques de la littérature, de la philosophie et des sciences humaines.
Avec le temps, ma collection de livres a fini par occuper deux pièces de mon logement.
Je pouvais passer des heures à les contempler. J'en attrapais un au passage puis je lisais. Et comme si ce n'était pas assez, j'en rapportais à coups de dix par jour de la bibliothèque que je feuilletais rageusement comme si j'y cherchais mes clés.
Les livres, sans trop m'en rendre compte, n'étaient pas tant devenus ma forteresse que ma prison.
J'expliquais tout par les livres.
Me parlait-on de Dieu que j'ensevelissais mon interlocuteurs sous un flots de citations et de doctrines matérialistes.
J'avais réponse à tout puisque j'avais mes dictionnaires des mots croisés, mes bréviaires, mes manuels et mes livres sacrés. Je voyais le monde par le petit bout de cette lorgnette.
Puis je me suis rendu compte que les livres m'étaient nuisibles. Du moins, selon l'usage que j'en faisais. Je n'y cherchais aucunement un divertissement. J'y trouvais des réponses. Je lisais sans aucune émotion. J'enregistrais tout comme une machine. C'était, somme toute, un jeu de mémoire.
Vint un jour où j'ai eu l'envie de fuir. Tout m'était devenu trop lourd parce que je ne savais pas encore l'art de me faire léger. Je voyais des tragédies là où il n'y avait que des banalités avec lesquelles tout le monde réussit très bien à s'y faire. La moindre peine d'amour prenait les proportions d'une tragédie grecque alors qu'il n'eut fallu que de me débarbouiller la queue d'un coup de torchon.
Un beau matin, j'ai décidé que c'en était assez. Il me fallait vraiment partir. La soupape de sécurité avait sauté sur ma marmite. La vapeur de millions de pages lues et mémorisées s'échappait de mon occiput. Se pouvait-il que la vie ne soit pas que dans les livres? Se pouvait-il que je me sois trompé?
J'ai donc liquidé ma bibliothèque. Au revoir les oeuvres complètes de Blaise Cendrars, de Claude Gauvreau et de Dostoïevski. Adieu mes chers Spinoza, Kant, Marx, Hegel, Nietzsche et autres noms qui résonnent fort aux yeux des collégiens encore impressionnables.
J'ai liquidé mes livres, mes chaudrons, ma literie, mes vêtements, mes meubles: tout.
Puis je n'ai gardé que ce qui me semblait l'essentiel pour partir au loin.
J'ai bourré mon sac à dos de quelques vêtements de rechange, des articles d'hygiène corporelle, un vieux chaudron, une fourchette, un couteau, une spatule, un sac de couchage, une tente, etc.
Je n'ai conservé que les poésies complètes de Rimbaud, l'Anthologie de la poésie de Pierre Seghers, un dictionnaire français-anglais Harrap, The Call of The Wild de Jack London et le Nouveau Testament. J'ai aussi emmené mon baladeur avec quelques cassettes quatre pistes dont The Best of The Doors, Philip Glass et Ravi Shankar, Pink Floyd, Jacques Brel et puis c'est tout.
Bien que je me sois délivré de ma passion de collectionneur de livres, je me suis tout de même arrêté dans toutes les bibliothèques pour les fréquenter malgré tout.
Le fait de ne plus avoir ma collection de livres ne m'aura pas éloigné de ceux-ci. Bien au contraire: je me suis mis à lire avec mon coeur plutôt qu'avec ma tête. Le livre marquait désormais une pause au cours de mon périple. Je ne pouvais plus me l'approprier en tant qu'objet. Je ne m'embarrassais donc plus du superflu. Je me faisais penser à ces personnages de Fahrenheit 451 qui brûlent les livres après les avoir mémorisés.
J'aurai passé quelques années à vivre sans bibliothèque personnelle, avec un minimum de biens pour me permettre de passer d'une ville à l'autre sans me sentir retenu par des objets et des bibelots.
Ces dernières années, je me suis sédentarisé. Je me suis remis à collectionner des livres. J'en ai tant, aujourd'hui, que je les empile sans que je ne puisse y lire les titres. Pour tout dire, je ne sais même pas tout ce que j'ai. Et chaque fois que je contemple ma bibliothèque, dans laquelle je dois bien avoir un peu plus de 1000 livres que je considère essentiels, je me jure de m'en débarrasser un jour ou l'autre. Je vais tous les léguer à un plus jeune qui, peut-être, les léguera aussi à un autre le moment voulu. J'ai déjà une victime en tête. Ce malheureux sera bientôt emprisonné dans les livres que j'ai accumulés.
J'essaie encore de me guérir de mes instincts de collectionneur. Je dois me rappeler à chaque jour que je dois être toujours prêt à tout perdre, prêt à recommencer à zéro, prêt à vivre avec seulement un chaudron et une cuillère comme nous le faisons en camping l'été pour nous sentir libres et légers.
J'envie parfois la vie des bohémiens, de ceux qui passent leur vie dans leur véhicule récréatif, comme dans ce reportage à propos des campeurs sauvages de Slab City que j'ai visionné récemment sur YouTube.
Une partie de moi est encore avec ces vagabonds que j'ai croisés un peu partout au hasard de mes pérégrinations. Bien je sois à mon port d'attache, je ressens encore l'appel du large. Je ressens encore ce besoin viscéral de ne pas m'accrocher à des bibelots, des livres ou de la camelote.
Oh! Je n'ai plus besoin d'aller bien loin pour me sentir éloigné de toutes les contingences. Mon esprit n'est jamais redevenu ce qu'il était du temps où je vénérais outrancièrement les livres. Je suis sans doute moins pragmatique, moins calculateur, moins didactique. Je crois être plus léger, beaucoup plus léger. Aucun livre n'est sacré, même si j'aime encore lire des livres. Rien ne vaut la contemplation d'un nuage, le goût d'une eau fraîche, l'odeur d'une forêt humide, le chant des oiseaux et, bien sûr, l'amour.
N'allez pas croire que je n'aime ni lire ni écrire. Je le démens tous les jours sur ce blog. Par contre, je sais que l'essentiel n'est pas encore inscrit dans les livres. Je sais que la vie est encore pleine de surprises et que nous n'avons presque rien découvert. Le mystère est encore absolu.
lundi 29 mai 2017
Trop de politique
On espère trop de la politique.
Il faut bien sûr s'en préoccuper.
Mais guère plus qu'on ne le ferait pour sortir ses vidanges.
Parlerait-on de ses vidanges pendant des jours, des semaines et des mois, comme Ti-Mé dans La P'tite Vie? On passerait pour un névrosé, sans aucun doute.
Je parle probablement de la politique un petit peu plus que la moyenne.
Et sachez que je m'en veux.
Pourtant j'y reviens, à mon grand dam.
Chaque fois que je rédige un commentaire à propos de la politique je suis du genre à me lancer des vade retro Satanas. Je n'arrive malheureusement pas à contrôler la bête. Et je finis par croire que c'est un devoir de citoyen... Comme si le monde entier attendait que j'exprime ma sainte doctrine.
***
Je suis un fan fini de Dostoïevski. Chaque fois que je relis son Journal d'un écrivain, cela me revient en pleine figure. L'auteur alternait entre la littérature et le commentaire politique, comme s'il rédigeait un blog avant la lettre. Les récits tirés du Journal d'un écrivain ont encore de la vigueur. Les thèses politiques qu'il défendait ont l'air bien fades en comparaison.
Dostoïevski était plus fort dans la psychologie des personnages que dans la sociologie des événements. Ses propos politiques, teintés de conservatisme chrétien, ont mal vieillis. Ses oeuvres littéraires atteignent pourtant une dimension supérieure de l'âme humaine.
Pour tout dire, peu d'écrivains politiques viennent me chercher. Ils finissent tous plus ou moins à multiplier les maladresses et à s'enfoncer dans l'éphémère.
Peut-être que mon interprétation est faussée par mon tempérament d'esthète.
Cela dit, je commets souvent les mêmes erreurs que Dostoïevski et mon blog finit par ressembler au Journal d'un écrivain. Je passe d'un billet à teneur politique à une nouvelle déjantée en un tournemain.
En fait, j'essaie de faire oublier mes textes politiques en multipliant ensuite les bandes dessinées, les récits et autres bouffonneries où je me sens plus à l'aise. Elles me permettent de tuer mes prétentions de gourou politique. Elles me préservent d'être pris au sérieux.
En toute justice, je suis aussi critique envers moi-même qu'envers les autres. Ceux qui n'écrivent qu'au sujet de la politique finissent par m'ennuyer à mourir.
***
Les textes les plus lus sur mon blog sont mes textes à connotation politique... C'est d'autant plus ironique que j'ai souvent l'envie de tous les renier. Jusqu'à ce que je me dise qu'il fallait que cela soit fait. Comme si je devais sortir mes vidanges.
La notoriété m'importe moins que la capacité de créer de la beauté, si je puis m'exprimer ainsi.
Je préfère de loin un petit récit sans but précis, racontant des choses inutiles, à un texte qui prétend combattre tel ou tel aspect de la vie politique.
Le pire, c'est que je ne fais pas que commenter.
Je participe aussi à la vie politique. Je pars souvent pancarte au vent pour manifester. Je fais signer des pétitions. J'écris des lettres aux journaux. J'affronte le pouvoir et assume les risques qui viennent avec.
Par contre, je ne crois pas que ce soit l'aspect le plus intéressant de ma personnalité.
C'en est un, mais ce n'est pas ce qui me définit le mieux.
Quand j'en vois se décrire dans les médias sociaux comme étant des souverainistes, des fédéralistes, des militants de gauche ou bien des partisans de l'idéologie libertarienne, j'ai seulement l'envie de les prendre en pitié.
Ils pourraient dire qu'ils sont des gens affables, des amateurs de bières importées, des alpinistes... Mais non! Ils sont des de droite, des de gauche, des Canadiens fiers de leur pays, des Québécois non moins fiers du leur...
Je ne veux pas dire que la politique n'a pas son importance.
Je prétends ne pas pouvoir lui en accorder plus qu'il ne le faut même si, paradoxalement, je m'en occupe un peu plus que la moyenne de mon entourage.
C'est bien aussi de rêver.
C'est noble de contempler la forme des nuages, de savourer un bon repas ou bien de se laisser emporter par une musique.
Il me fallait vous confier ces aveux.
Des aveux qui ont un peu trop le goût de la politique cela dit.
Je vous reviendrai sous peu avec l'histoire d'un gars qui puait des pieds.
Ou bien avec le récit d'une mascotte qui se faisait tabasser par des enfants.
De quoi me rappeler qu'il n'y a pas que la politique dans la vie.
dimanche 28 mai 2017
samedi 27 mai 2017
Un prix de 10 000$ pour une artiste nulle à chier
Francis Bacon Étude d'après le portrait d'Innocent X de Vélasquez 1953 |
Tout un chacun se disait qu'Arthur allait remporter la bourse de 10 000$ qui serait remise au finissant en arts plastiques s'étant montré le plus méritant au cours de l'exposition de la fin du baccalauréat.
J'aurais moi-même parié à 10 contre 1 sur Arthur. Heureusement que je ne l'ai pas fait. J'aurais perdu à plates coutures.
La bourse de 10 000$ fut remise à Juliette, une étudiante pas très vaillante ni très travaillante qui s'était toujours contentée d'entourer ces niaiseries de beaucoup de verbiage bourré de fautes d'orthographe.
Pour son projet de fin d'études, Juliette avait présenté un petit ours en peluche dans une boîte de carton accroché sur un mur.
Arthur avait passé des mois à s'arracher l'âme, à se tordre les doigts et à s'enfoncer dans la noirceur de ses oeuvres hors du commun. Il en avait presque perdu la raison pour livrer ces chefs d'oeuvre dignes d'un grand maître.
Juliette avait sucé la queue de deux ou quatre professeurs du département. Ce n'est pas qu'elle suçait bien, mais vous auriez vu les profs et vous vous seriez dits que ces vieux secs ne méritaient pas autant d'attention d'une jeune femme même désoeuvrée qui sentait mauvais.
On pourrait croire, avec raison, que c'est du persiflage.
Pourtant, comment expliquer autrement le fait qu'elle ait reçu une bourse de 10 000$ pour un tabarnak d'ours en peluche de vingt centimètres reposant dans une boîte de carton de cent centimètres cubes?
Le soir de la remise de la bourse, Arthur s'est saoulé la gueule comme jamais. Il est revenu défait dans son atelier et a saccagé toutes ses toiles dans un geste de désespoir et de ressentiment.
-Plus jamais je ne donnerai des perles aux pourceaux! avait-il juré.
Trente années se sont passées depuis ce jour-là.
Juliette enseigne les arts plastiques à l'université et encourage elle aussi ces étudiants à ne pas savoir peindre ni sculpter. Elle ne récompense que les étudiants qui font des ready-made stupides et nuls à chier.
Quant à Arthur, il travaille au sein d'une firme qui produit des livres à colorier sur des thématiques scolaires. Il n'est pas bien payé et doit livrer de la bière à vélo pour arrondir ses fins de mois.
Quand on lui demande s'il va se remettre à peindre, il vous rit au visage.
vendredi 26 mai 2017
La Grande Idée d'Étienne
Étienne s'était découvert une passion: la politique.
C'était beaucoup moins séduisant que la guitare, bien entendu, mais il se disait qu'il finirait bien par trouver une fille qui verrait en lui quelque chose comme un Che Guevara ou bien un Mario Dumont. D'autant plus qu'il n'avait aucun talent pour la musique et pour l'argent, bref pour ces trucs qui font passer un homme pour un joli coeur.
Cependant, Étienne n'était pas un homme d'action. De plus, il se croyait à tort un homme de mots. Ses phrases étaient alambiquées, ampoulées, bourrées d'adverbes inutiles et de locutions latines mal maîtrisées. Il y avait plus de citations que d'idées nouvelles par paragraphe. Pour tout dire, il était contaminé par le charabia universitaire. Sa prose était comme du poisson mort échoué depuis trois semaines sur la plage. C'est à peine s'il restait des arêtes.
Pourtant, Étienne était convaincu que ses mots pesaient lourd et même qu'ils remuaient ciel et terre.
Il s'était trouvé une doctrine commode qui n'était révolutionnaire qu'en apparence, dans le sens que personne ne s'y intéressait vraiment. Elle avait l'attrait d'une marginalité partagée par des universitaires tout autant déçus que déchus. Elle était plutôt fondée sur des idées fixes auxquelles toutes les autres questions sociales devaient nécessairement se rattacher, dont celles du port de la mini-jupe et du porc haché contaminé.
Pour donner un peu plus de chair à ses convictions inintéressantes, Étienne s'était équipé de toute la gamme d'autocollants et de badges produits par ses camarades. Il avait tapissé son veston de toutes ces conneries et prenait souvent la pose de l'insoumis quant il était en public pour qu'on sache à qui l'on avait affaire.
Évidemment, personne n'y trouvait rien à redire. Étienne se disait que c'était parce qu'il leur en bouchait un coin. Ce qui n'était manifestement pas le cas.
Les mois et les années passèrent. Étienne sentait un grand vide dans sa vie et rêvait de le combler avec l'idée qu'il se faisait d'une belle princesse qui verrait en lui quelque preux chevalier.
Il en trouva bien une. Ou plutôt, c'est elle qui le trouva.
Elle s'appelait Brigitte. Elle militait elle aussi pour la Cause.
Ils commencèrent donc par discuter de leur Grande Idée, jour après jour, soir après soir, dans les réunions, les assemblées et même sur l'Internet.
Étienne ne savait pas comment dire à Brigitte toute la pression qu'il ressentait dans son sous-vêtement lorsqu'il était en sa présence. Il lui parlait de la Cause en la dévorant du regard, rêvant de sauter sur elle comme un enfant sur un sundae au caramel. Brigitte sentait bien qu'il y avait quelque chose et s'étonnait que son camarade soit aussi timide. Elle lui lançait toutes sortes de messages folichons que le pauvre ne savait pas interpréter. Elle jouait de l'orteil sous la table. Elle prenait des poses langoureuses. Elle se léchait les lèvres. Elle le regardait au niveau du bas-ventre. Rien n'y faisait. Étienne continuait de l'ennuyer avec la Cause, la Grande Idée, l'avenir radieux et j'en passe.
Un beau matin, Brigitte cessa toute communication avec le pauvre Étienne.
Elle ne lui fournit aucune excuse, aucune explication.
Ils ne se voyaient plus. Elle ne militait plus. Que pouvait-il bien s'être passé?
Puis un jour, Étienne vit la traîtresse au bras d'un gars impur dont il savait qu'il méprisait la Cause, la Grande Idée et toutes les fadaises qui s'y rattachent. C'était un genre d'artiste qui grattait de la guitare et mâchouillait toujours un brin d'herbe en regardant le ciel, les nuages et les petits oiseaux.
Que pouvait-elle bien faire avec cet imbécile qui n'avait jamais lu Le Québec debout!, Réveille-toi Québec! et Bientôt Québec! ?
Il y avait beaucoup d'appelés et peu d'élus, comme d'habitude, se consola Étienne.
Après avoir vu Brigitte pendu aux bras de cet insecte, Étienne se réfugia dans son écriture indigeste.
Il rédigea un pamphlet de 38 pages d'un seul trait portant essentiellement sur les traîtres et les vendus qui, manifestement, étaient légions.
On aurait pu avoir l'impression de lire Lénine. Son pamphlet était bourré d'expressions d'un autre temps: plumitifs, roturiers, thésauriseurs, amalgames, maquignons, quidams, fédérastes...
Le journal de son mouvement l'avait publié, bien entendu. Les 32 militants convaincus avaient salué son génie et son audace tant sur Twitter que sur Facebook. Mais pour tout dire, la majeure partie du monde s'en branlait sérieusement les couilles et les ovaires.
Puis un jour, ce fut la catastrophe.
Le groupe se disloqua.
Untel s'était découvert une passion pour la pêche à la ligne.
Un autre s'adonnait à des jeux de rôle et des GN.
C'était comme si la Cause n'intéressait plus qu'Étienne.
Du coup, il se retrouva tout fin seul.
Étienne n'allait pourtant pas se laisser abattre aussi facilement.
Il se laissa séduire par les idées de Mario Dumont et de la CAQ.
Ce n'était pas aussi exaltant que la Cause et la Grande Idée, mais c'était mieux que rien.
On aimait sa faculté à faire du porte à porte sans relâche.
C'était un militant qui avait été à la bonne école.
S'il avait pu vendre une Cause invendable sans désespérer, imaginez ce qu'il pourrait faire d'une cause plus près de celle des lecteurs assidus du Journal de Montréal?
Étienne changea radicalement son look. Il eut l'air plus propre, mieux peigné et même un peu parfumé.
Il rencontra une femme qui devint sa fiancée puis son épouse.
Ils sont encore ensemble aujourd'hui et sont même délégués du Parti pour leur comté.
Étienne écrit encore des textes ampoulés, nuls à chier, mais personne ne lui en tient rigueur puisqu'ils sont dans la droite ligne du programme du Parti.
Le candidat du Parti dans le comté lui promet un poste d'attaché politique s'il est élu. C'est lui qui rédigera les discours et les voeux de sincères condoléances.
Sa femme, qui s'appelle d'ailleurs Manon, est fière de lui.
-Tu es mon Mario Dumont! qu'elle lui dit souvent en lui mordillant les oreilles.
Étienne est heureux comme un roi.
Il ne sait toujours pas bien écrire, mais qu'est-ce qu'on s'en fout, hein?
Plus de 60% des gens ne savent pas lire.
Et les 40% qui reste préfèrent les histoires drôles.
Que voulez-vous qu'on y fasse, hein?
Évidemment, personne n'y trouvait rien à redire. Étienne se disait que c'était parce qu'il leur en bouchait un coin. Ce qui n'était manifestement pas le cas.
Les mois et les années passèrent. Étienne sentait un grand vide dans sa vie et rêvait de le combler avec l'idée qu'il se faisait d'une belle princesse qui verrait en lui quelque preux chevalier.
Il en trouva bien une. Ou plutôt, c'est elle qui le trouva.
Elle s'appelait Brigitte. Elle militait elle aussi pour la Cause.
Ils commencèrent donc par discuter de leur Grande Idée, jour après jour, soir après soir, dans les réunions, les assemblées et même sur l'Internet.
Étienne ne savait pas comment dire à Brigitte toute la pression qu'il ressentait dans son sous-vêtement lorsqu'il était en sa présence. Il lui parlait de la Cause en la dévorant du regard, rêvant de sauter sur elle comme un enfant sur un sundae au caramel. Brigitte sentait bien qu'il y avait quelque chose et s'étonnait que son camarade soit aussi timide. Elle lui lançait toutes sortes de messages folichons que le pauvre ne savait pas interpréter. Elle jouait de l'orteil sous la table. Elle prenait des poses langoureuses. Elle se léchait les lèvres. Elle le regardait au niveau du bas-ventre. Rien n'y faisait. Étienne continuait de l'ennuyer avec la Cause, la Grande Idée, l'avenir radieux et j'en passe.
Un beau matin, Brigitte cessa toute communication avec le pauvre Étienne.
Elle ne lui fournit aucune excuse, aucune explication.
Ils ne se voyaient plus. Elle ne militait plus. Que pouvait-il bien s'être passé?
Puis un jour, Étienne vit la traîtresse au bras d'un gars impur dont il savait qu'il méprisait la Cause, la Grande Idée et toutes les fadaises qui s'y rattachent. C'était un genre d'artiste qui grattait de la guitare et mâchouillait toujours un brin d'herbe en regardant le ciel, les nuages et les petits oiseaux.
Que pouvait-elle bien faire avec cet imbécile qui n'avait jamais lu Le Québec debout!, Réveille-toi Québec! et Bientôt Québec! ?
Il y avait beaucoup d'appelés et peu d'élus, comme d'habitude, se consola Étienne.
Après avoir vu Brigitte pendu aux bras de cet insecte, Étienne se réfugia dans son écriture indigeste.
Il rédigea un pamphlet de 38 pages d'un seul trait portant essentiellement sur les traîtres et les vendus qui, manifestement, étaient légions.
On aurait pu avoir l'impression de lire Lénine. Son pamphlet était bourré d'expressions d'un autre temps: plumitifs, roturiers, thésauriseurs, amalgames, maquignons, quidams, fédérastes...
Le journal de son mouvement l'avait publié, bien entendu. Les 32 militants convaincus avaient salué son génie et son audace tant sur Twitter que sur Facebook. Mais pour tout dire, la majeure partie du monde s'en branlait sérieusement les couilles et les ovaires.
Puis un jour, ce fut la catastrophe.
Le groupe se disloqua.
Untel s'était découvert une passion pour la pêche à la ligne.
Un autre s'adonnait à des jeux de rôle et des GN.
C'était comme si la Cause n'intéressait plus qu'Étienne.
Du coup, il se retrouva tout fin seul.
Étienne n'allait pourtant pas se laisser abattre aussi facilement.
Il se laissa séduire par les idées de Mario Dumont et de la CAQ.
Ce n'était pas aussi exaltant que la Cause et la Grande Idée, mais c'était mieux que rien.
On aimait sa faculté à faire du porte à porte sans relâche.
C'était un militant qui avait été à la bonne école.
S'il avait pu vendre une Cause invendable sans désespérer, imaginez ce qu'il pourrait faire d'une cause plus près de celle des lecteurs assidus du Journal de Montréal?
Étienne changea radicalement son look. Il eut l'air plus propre, mieux peigné et même un peu parfumé.
Il rencontra une femme qui devint sa fiancée puis son épouse.
Ils sont encore ensemble aujourd'hui et sont même délégués du Parti pour leur comté.
Étienne écrit encore des textes ampoulés, nuls à chier, mais personne ne lui en tient rigueur puisqu'ils sont dans la droite ligne du programme du Parti.
Le candidat du Parti dans le comté lui promet un poste d'attaché politique s'il est élu. C'est lui qui rédigera les discours et les voeux de sincères condoléances.
Sa femme, qui s'appelle d'ailleurs Manon, est fière de lui.
-Tu es mon Mario Dumont! qu'elle lui dit souvent en lui mordillant les oreilles.
Étienne est heureux comme un roi.
Il ne sait toujours pas bien écrire, mais qu'est-ce qu'on s'en fout, hein?
Plus de 60% des gens ne savent pas lire.
Et les 40% qui reste préfèrent les histoires drôles.
Que voulez-vous qu'on y fasse, hein?
jeudi 25 mai 2017
Vive la rectitude politique!
Vous souvenez-vous d'il y a trente ans? Certainement pas si vous avez vingt-neuf ans... J'en ai quarante-neuf et déjà je puis parler du mauvais comme du bon vieux temps avec des trémolos dans la voix.
À cette époque, comme à la nôtre, j'entendais les uns et les autres persifler contre ces maudits activistes qui s'en prenaient à la pollution ainsi qu'à toutes les formes de discrimination raciale ou sexuelle.
-Ils voudraient qu'on trie nos poubelles! Pour voir si nous avons l'temps d'faire ça!
-Ouin... Pis les homos voudraient avoir le droit de s'marier pis d'adopter des enfants! Quel genre d'enfants ça va faire plus tard, hein?
-Ils disent qu'il n'y a pas assez de Noirs ou de Chinois dans la fonction publique et à la télévision! Faudrait plutôt penser à faire travailler les nôtres avant de penser aux autres...
-As-tu vu la dernière émission de Jeannette Bertrand? Y'avait un homme qui s'déguise en femme... Où c'est qu'on s'en va?
-C'est pas mêlant! On ne respecte plus la majorité silencieuse!!!
Trente ans plus tard, les eaux de la rivière Tapiskwan Sipi (anciennement Saint-Maurice dira-t-on un jour) n'ont jamais été aussi claires. Les truites sont revenues y ensemencer. Le flottage du bois a heureusement pris fin et le taux de mercure a diminué dans notre eau potable. Les rues et les parcs sont un peu plus ombragés. Les arbres que des écologistes nous ont fait planter il y a trente ans ont maintenant fière allure.
On trie nos déchets. On pense même ajouter un bac de matières organiques aux bacs à recyclage et bacs à déchets domestiques.
Les homosexuels peuvent se marier et adopter des enfants.
Il y a un peu plus de membres des communautés culturelles dans la fonction publique ainsi qu'au petit écran.
Les transsexuels et les transgenres peuvent presque mener une vie normale sans se faire pointer du doigt ou du regard.
Quant à la majorité silencieuse, elle sert encore d'excuses aux réactionnaires pour qu'ils se sentent un peu moins seuls avec leurs idées ringardes et obsolètes.
***
Certains commentateurs de droite font encore leurs choux gras de toutes les formes de dénigrement envers les écologistes et militants des droits civiques, pour ne nommer que ceux-là.
Leur bête noire, c'est la gogauche, la vertu, toutes ces idées politiquement correctes qui veulent laisser plus de place au soleil à tout un chacun.
Ils en veulent d'abord à ceux qui osent les contredire. Ils croient même qu'on les censure alors que leur portefeuille est plutôt bien garni par leurs maîtres pour colporter l'insignifiance.
Il y a un peu de vrai là-dedans. Leurs propos ne glissent plus comme du beurre dans la poêle. Ils ne peuvent plus taper les fesses de la secrétaire au passage. Ils ne peuvent plus rire des tapettes, des bronzés et des maudites lesbiennes hystériques. Ils se font à chaque jour tasser un peu plus dans le coin comme s'ils étaient des malpropres. Ils en veulent à la bienpensance, à cette rectitude politique qui fait en sorte que l'on ne peut plus se moquer d'un infirme sans subir un procès. Les patrons doivent à tous les jours faire face à des pressions idéologiques jamais vues: harcèlement sexuel, harcèlement psychologique, intimidation... Bientôt ils n'auront plus le droit de se faire obéir, imaginez-vous donc!
Le vieux monde ne mourra pas sans avoir résisté, cela va de soi.
Plutôt encenser l'ignominie que d'embrasser la foi des propagateurs de câlins et d'amour universel... Aimons-nous les uns les autres: non mais quelle naïveté!
Selon les idéologues d'une certaine droite, les bobos bouffis de vertus mènent le monde à sa perte. Les gens ne pourront plus manger de la margarine à la cuillère. Il va même y avoir des toilettes pour les transgenres et des frigos remplis de produits sans gluten. N'est-ce pas une vision de l'enfer pire que les goulags de Staline?
Les droitistes prôneront donc le retour aux bonnes vieilles valeurs viriles de l'ancien temps. Rire des faibles ça les aide à devenir plus forts. Il n'y a pas d'égalité dans le monde. L'injustice fait partie des lois physiques. Struggle for life. Les autos n'iront pas loin sans pétrole. La pollution fait tourner l'économie. Il faut cesser de rêver voyez-vous. Cesser d'opprimer la majorité silencieuse avec les droits des Huns et des Zôtres.
***
Et pourtant, le monde tourne. Il recule parfois d'un pas, néanmoins je crois aussi qu'il avance de trois pas.
Les commentaires n'étaient pas tous très jolis du temps où le pasteur Martin Luther King prêchait pour l'égalité des droits civiques. On lui a servi toutes sortes de raisons pour justifier la ségrégation, la pauvreté et l'injustice. Et pourtant, ses idées ont triomphé. Pourquoi? Parce qu'elle suivait le cycle naturel de l'évolution de nos rapports humains. Elles s'inscrivaient dans la culture de l'amour universel.
Chaque fois que j'entends de sombres individus vomir sur la rectitude politique, je ne peux m'empêcher de les percevoir comme des personnes réfractaires à l'humanisme et à la compassion qui vient avec. C'est comme s'ils crachaient encore sur Martin Luther King.
Je me dis que leurs propos sont un peu leur chant du cygne.
Bientôt, on ne les entendra plus. C'est dans la logique des choses.
Plus personne ne se porte à la défense de l'esclavage et du travail des enfants dans les usines. Plus personne ne défend l'idée que l'homosexualité est un péché contre-nature.
La culture de la droite traditionnelle a du plomb dans l'aile. Elle retombera tôt ou tard pour disparaître à jamais de nos repères sociaux, politiques et culturels.
Je prévois la victoire complète et définitive de la rectitude politique.
Tout simplement parce que le contraire n'a pas d'avenir.
Parce que la nature, justement, a horreur du vide.
***
Certains commentateurs de droite font encore leurs choux gras de toutes les formes de dénigrement envers les écologistes et militants des droits civiques, pour ne nommer que ceux-là.
Leur bête noire, c'est la gogauche, la vertu, toutes ces idées politiquement correctes qui veulent laisser plus de place au soleil à tout un chacun.
Ils en veulent d'abord à ceux qui osent les contredire. Ils croient même qu'on les censure alors que leur portefeuille est plutôt bien garni par leurs maîtres pour colporter l'insignifiance.
Il y a un peu de vrai là-dedans. Leurs propos ne glissent plus comme du beurre dans la poêle. Ils ne peuvent plus taper les fesses de la secrétaire au passage. Ils ne peuvent plus rire des tapettes, des bronzés et des maudites lesbiennes hystériques. Ils se font à chaque jour tasser un peu plus dans le coin comme s'ils étaient des malpropres. Ils en veulent à la bienpensance, à cette rectitude politique qui fait en sorte que l'on ne peut plus se moquer d'un infirme sans subir un procès. Les patrons doivent à tous les jours faire face à des pressions idéologiques jamais vues: harcèlement sexuel, harcèlement psychologique, intimidation... Bientôt ils n'auront plus le droit de se faire obéir, imaginez-vous donc!
Le vieux monde ne mourra pas sans avoir résisté, cela va de soi.
Plutôt encenser l'ignominie que d'embrasser la foi des propagateurs de câlins et d'amour universel... Aimons-nous les uns les autres: non mais quelle naïveté!
Selon les idéologues d'une certaine droite, les bobos bouffis de vertus mènent le monde à sa perte. Les gens ne pourront plus manger de la margarine à la cuillère. Il va même y avoir des toilettes pour les transgenres et des frigos remplis de produits sans gluten. N'est-ce pas une vision de l'enfer pire que les goulags de Staline?
Les droitistes prôneront donc le retour aux bonnes vieilles valeurs viriles de l'ancien temps. Rire des faibles ça les aide à devenir plus forts. Il n'y a pas d'égalité dans le monde. L'injustice fait partie des lois physiques. Struggle for life. Les autos n'iront pas loin sans pétrole. La pollution fait tourner l'économie. Il faut cesser de rêver voyez-vous. Cesser d'opprimer la majorité silencieuse avec les droits des Huns et des Zôtres.
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Et pourtant, le monde tourne. Il recule parfois d'un pas, néanmoins je crois aussi qu'il avance de trois pas.
Les commentaires n'étaient pas tous très jolis du temps où le pasteur Martin Luther King prêchait pour l'égalité des droits civiques. On lui a servi toutes sortes de raisons pour justifier la ségrégation, la pauvreté et l'injustice. Et pourtant, ses idées ont triomphé. Pourquoi? Parce qu'elle suivait le cycle naturel de l'évolution de nos rapports humains. Elles s'inscrivaient dans la culture de l'amour universel.
Chaque fois que j'entends de sombres individus vomir sur la rectitude politique, je ne peux m'empêcher de les percevoir comme des personnes réfractaires à l'humanisme et à la compassion qui vient avec. C'est comme s'ils crachaient encore sur Martin Luther King.
Je me dis que leurs propos sont un peu leur chant du cygne.
Bientôt, on ne les entendra plus. C'est dans la logique des choses.
Plus personne ne se porte à la défense de l'esclavage et du travail des enfants dans les usines. Plus personne ne défend l'idée que l'homosexualité est un péché contre-nature.
La culture de la droite traditionnelle a du plomb dans l'aile. Elle retombera tôt ou tard pour disparaître à jamais de nos repères sociaux, politiques et culturels.
Je prévois la victoire complète et définitive de la rectitude politique.
Tout simplement parce que le contraire n'a pas d'avenir.
Parce que la nature, justement, a horreur du vide.
mercredi 24 mai 2017
Je ne suis pas réaliste
Je ne suis pas réaliste. D'autres le sont mieux que moi. Je ne comprends pas pourquoi le réalisme les excite tant. Tout comme ils ne comprennent pas pourquoi je rêve autant. Ce serait de bonne guerre si nous combattions à armes égales. Ce qui n'est pas le cas. Les réalistes ont pour eux la «farce» de l'habitude. Tout ce qu'ils peuvent dire est mesuré et compté. C'est concret. Alors que moi, je ne mesure rien et me dépense sans compter. Je plane au-dessus des normes et des conventions établies. Je m'entête à ne pas réussir. Je me gausse de tout et aussi de moi-même. Bref, je ne suis pas un exemple à suivre. De plus, je n'ai pas de réseaux de contacts et pas plus d'argent qu'il n'en faut pour survivre.
Et vous savez quoi? Je me considère heureux.
Heureux de ne pas être mort à 25 ans pour un jour être enterré à 90 ans. Heureux de ma seconde peau, de ma seconde vie et même de mes joies de seconde main.
J'ai échoué à faire de l'argent, à exercer une profession digne de médailles, à me préparer une retraite digne de ce nom.
Et vous savez quoi? Je m'en moque.
Je ne suis pas réaliste. Je suis un artiste. Je suis un pelleteur de nuages. Je ne suis pas raisonnable.
L'argent, les médailles et les honneurs rendus aux conformistes, ce n'était pas pour moi.
Comme ce n'était pas pour la grande majorité de la population mondiale qui, tout comme moi, court le diable après la queue.
La majorité des humains sur cette Terre, voyez-vous, ne sont pas réalistes.
Ils n'ont rien réalisé, contrairement à ceux qui ont tout réussi et leur font subir l'opprobre pour leur vie insouciante et si mal calculée.
Les réalistes ne rêvent pas en couleurs.
Ils ne rêvent pas plus en noir et blanc.
Ils ne rêvent plus, les réalistes.
Ils comptent et ça leur suffit. Et comme ils occupent les plus hautes fonctions, tout le système leur donne raison.
Chacun de leurs gestes est calculé en fonction de ce que ça leur rapporte ou leur enlève,
Évidemment, rien ne leur est plus effrayant que de perdre leurs privilèges durement acquis.
Privilèges pour lesquels ils se pardonnent de toutes les bassesses qu'ils auraient pu commettre pour sauver leurs acquis.
S'ils peuvent sacrifier leur bonne conscience, pourquoi les rêveurs ne pourraient-ils pas faire un petit effort pour abandonner un rêve, pour mettre de côté ne serait-ce que l'argent d'un seul café par jour qu'ils ont l'audace de boire alors qu'ils n'en ont visiblement pas les moyens?
Oui, les pauvres devraient avoir honte de vivre de rêves qu'ils n'ont pas les moyens de s'acheter. Ils devraient être réalistes...
Or, je ne suis pas réaliste.
Je ne peux même pas comprendre comment ça se passe dans la tête d'un réaliste.
Je suis à moitié ici et à moitié dans les nuages.
J'évite la compagnie des réalistes pour une raison bien évidente.
Je n'aime pas qu'ils me fassent de l'ombre quand je contemple le soleil.
Je n'aime pas qu'ils m'ennuient avec leurs délires stratégiques et leurs vérités artificielles.
Vous me direz qu'on a besoin des forces de tout le monde dans la vie.
Je veux bien.
Mais c'est encore trop réaliste pour moi.
Je ne suis pas réaliste, vous dis-je.
Je gratte ma guitare avec un brin d'herbe en bouche.
Je dessine des gros nez.
J'écris des trucs loufoques.
Je ris. Je danse. Je lâche mon fou et pourtant la folie ne me lâche jamais.
J'aime trop la vie pour la souiller avec des passions austères et des règles à couper des poils de cul en quatre.
Je ne suis pas réaliste.
Et cela ne se soigne pas.
Je m'excuse de vivre ainsi, chers réalistes.
Je sais que je vous fais perdre votre temps.
Et du temps, bien sûr, c'est de l'argent.
Et vous savez quoi? Je me considère heureux.
Heureux de ne pas être mort à 25 ans pour un jour être enterré à 90 ans. Heureux de ma seconde peau, de ma seconde vie et même de mes joies de seconde main.
J'ai échoué à faire de l'argent, à exercer une profession digne de médailles, à me préparer une retraite digne de ce nom.
Et vous savez quoi? Je m'en moque.
Je ne suis pas réaliste. Je suis un artiste. Je suis un pelleteur de nuages. Je ne suis pas raisonnable.
L'argent, les médailles et les honneurs rendus aux conformistes, ce n'était pas pour moi.
Comme ce n'était pas pour la grande majorité de la population mondiale qui, tout comme moi, court le diable après la queue.
La majorité des humains sur cette Terre, voyez-vous, ne sont pas réalistes.
Ils n'ont rien réalisé, contrairement à ceux qui ont tout réussi et leur font subir l'opprobre pour leur vie insouciante et si mal calculée.
Les réalistes ne rêvent pas en couleurs.
Ils ne rêvent pas plus en noir et blanc.
Ils ne rêvent plus, les réalistes.
Ils comptent et ça leur suffit. Et comme ils occupent les plus hautes fonctions, tout le système leur donne raison.
Chacun de leurs gestes est calculé en fonction de ce que ça leur rapporte ou leur enlève,
Évidemment, rien ne leur est plus effrayant que de perdre leurs privilèges durement acquis.
Privilèges pour lesquels ils se pardonnent de toutes les bassesses qu'ils auraient pu commettre pour sauver leurs acquis.
S'ils peuvent sacrifier leur bonne conscience, pourquoi les rêveurs ne pourraient-ils pas faire un petit effort pour abandonner un rêve, pour mettre de côté ne serait-ce que l'argent d'un seul café par jour qu'ils ont l'audace de boire alors qu'ils n'en ont visiblement pas les moyens?
Oui, les pauvres devraient avoir honte de vivre de rêves qu'ils n'ont pas les moyens de s'acheter. Ils devraient être réalistes...
Or, je ne suis pas réaliste.
Je ne peux même pas comprendre comment ça se passe dans la tête d'un réaliste.
Je suis à moitié ici et à moitié dans les nuages.
J'évite la compagnie des réalistes pour une raison bien évidente.
Je n'aime pas qu'ils me fassent de l'ombre quand je contemple le soleil.
Je n'aime pas qu'ils m'ennuient avec leurs délires stratégiques et leurs vérités artificielles.
Vous me direz qu'on a besoin des forces de tout le monde dans la vie.
Je veux bien.
Mais c'est encore trop réaliste pour moi.
Je ne suis pas réaliste, vous dis-je.
Je gratte ma guitare avec un brin d'herbe en bouche.
Je dessine des gros nez.
J'écris des trucs loufoques.
Je ris. Je danse. Je lâche mon fou et pourtant la folie ne me lâche jamais.
J'aime trop la vie pour la souiller avec des passions austères et des règles à couper des poils de cul en quatre.
Je ne suis pas réaliste.
Et cela ne se soigne pas.
Je m'excuse de vivre ainsi, chers réalistes.
Je sais que je vous fais perdre votre temps.
Et du temps, bien sûr, c'est de l'argent.
mardi 23 mai 2017
Un hirondel qui faisait son printemps luxueux et moderne
Il ramassait systématiquement tous les mégots qu'il voyait traîner sur les trottoirs. Il les ramenait vers son nid pour épater celle qu'il courtisait.
-Regarde mon beau nid, ne fait-il pas joli et moderne? gazouilla le mâle devant la femelle qui n'avait pas l'air satisfaite.
-C'est quoi toutes ces cochonneries-là? gloussa-t-elle en regardant d'un oeil méchant ce nid constitué de filtres de cigarettes sales et dégoûtants.
-C'est moderne, ajouta l'hirondel. C'est moelleux. Jamais oisillons n'auront été aussi confortablement installés. Et regarde, c'est chauffé et éclairé.
L'hirondel avait délaissé le terrier pour squatter sous la protection d'acrylique d'une lumière humaine installée là pour éclairer le stationnement d'un centre commercial.
C'est vrai que c'était chauffé et éclairé. Le nid était moelleux. Mais ce n'était pas dans les goûts de la jolie hirondelle qui se réfugiait un peu trop dans le passé aux goûts de son prétendant.
Elle vola donc vers d'autres cieux et d'autres messieurs, sans doute moins modernes, mais plus respectueux de la noblesse des matériaux pour bâtir un nid qui sent bon l'essence d'épinettes et les feuilles mortes.
Non, cet hirondel ne faisait pas son printemps
***
Les jours passèrent. Comme toujours ils passent et ne reviennent jamais. Même pour les hirondelles.
L'hirondel n'allait pas gâcher son printemps avec cette défaite.
Il en trouverait bien une qui préférerait le luxe et le confort moderne d'un nid hi-tech, un vrai cadeau des dieux qui leur laissait même une abondante nourriture pour la couvée. Ses mégots de cigarette n'étaient pas dégoûtants. Il représentait tout ce qui distingue l'hirondelle civilisée de l'hirondelle rustique.
-Vous pouvez bien toutes crever avec vos odeurs d'épinette! Le monde et les temps changent! Moi, je sais m'adapter. Et les hirondelles qui s'adaptent survivront tandis que les autres devront partir au loin, vers nulle part, sans être certaines de trouver un nid aussi confortable, chauffé et éclairé, avec nourriture à volonté à portée de bec. Faire les becs fins devant tout ça, n'est-ce pas le drame de notre époque? L'expression même de son nihilisme? Elles préféreraient vivre dans des terriers de glaise et de branches soumis à tous les vents, tous les climats et tous les prédateurs. Alors qu'ici, dans la bulle moderne, sur un nid douillet de filtres de cigarettes moelleux, elles deviendront bientôt grosses, fortes, énormes. Pas un chat ne viendra les prendre ici. Pas un faucon ne viendra planer dans le coin. Notre descendance, je vous le jure, se multipliera par mille et par million.
-Vous m'avez convaincu bel hirondel. On voit que vous êtes un mâle à sa place qui sait bien faire les choses en plus de savoir bien gazouiller aux dames. Je consens donc à vous tendre mon gésier pour que nous fassions comme il se doit entre hirondelles adultes et consentantes.
Au bout de dix-huit jours de ce bienheureux mariage, le couple pouvait regarder d'un air ravi les fruits de leur amour qui reposaient sur une bienveillante couche de filtres de cigarettes dans une atmosphère chaude, lumineuse et agréable.
-Si c'est pas ça l'bonheur, hein? gazouilla l'hirondel.
-N'oublie pas de ramener des filtres de cigarettes en revenant au nid! siffla l'hirondelle.
-Bien entendu, ma poulette...
***
Aujourd'hui, vrai comme je suis là, le stationnement du centre commercial est recouvert de nids d'hirondelle qui y reviennent à tous les printemps sous l'heureuse initiative de cet hirondel qui devint en quelque sorte leur Abraham.
Il fit jaillir des hirondelles là où il n'y avait jamais eu que des pierres.
Trente générations était maintenant passées.
L'hirondel était mort de vieillesse à un âge vénérable au cours d'un automne survenu un peu trop tôt.
Tous les printemps, on célébrait sa mémoire en bâtissant de nouveaux nids constitués de filtres de cigarettes.
Les hirondelles étaient devenues grasses et musclées. Elles volaient énormément pour brûler ce riche apport en graisses et protéines qu'elles absorbaient tout autour de leur nouvel empire. Encore quelques années et elles chasseraient les hirondelles qui n'avaient pas su s'adapter. Elles envahiraient de nouveaux territoires en compagnie des dieux. Et ce jusqu'à la fin des temps.
Hirondel, en mourant, eut ses mots que se répètent encore toutes les hirondelles du centre commercial et de ses nouvelles colonies.
-Dans la vie, faut être modernes... Couic!
Et ce fut la fin du plus magnifique exemple de grandeur d'hirondelle que les volatiles aient pu voir depuis le début des temps.
-Regarde mon beau nid, ne fait-il pas joli et moderne? gazouilla le mâle devant la femelle qui n'avait pas l'air satisfaite.
-C'est quoi toutes ces cochonneries-là? gloussa-t-elle en regardant d'un oeil méchant ce nid constitué de filtres de cigarettes sales et dégoûtants.
-C'est moderne, ajouta l'hirondel. C'est moelleux. Jamais oisillons n'auront été aussi confortablement installés. Et regarde, c'est chauffé et éclairé.
L'hirondel avait délaissé le terrier pour squatter sous la protection d'acrylique d'une lumière humaine installée là pour éclairer le stationnement d'un centre commercial.
C'est vrai que c'était chauffé et éclairé. Le nid était moelleux. Mais ce n'était pas dans les goûts de la jolie hirondelle qui se réfugiait un peu trop dans le passé aux goûts de son prétendant.
Elle vola donc vers d'autres cieux et d'autres messieurs, sans doute moins modernes, mais plus respectueux de la noblesse des matériaux pour bâtir un nid qui sent bon l'essence d'épinettes et les feuilles mortes.
Non, cet hirondel ne faisait pas son printemps
***
Les jours passèrent. Comme toujours ils passent et ne reviennent jamais. Même pour les hirondelles.
L'hirondel n'allait pas gâcher son printemps avec cette défaite.
Il en trouverait bien une qui préférerait le luxe et le confort moderne d'un nid hi-tech, un vrai cadeau des dieux qui leur laissait même une abondante nourriture pour la couvée. Ses mégots de cigarette n'étaient pas dégoûtants. Il représentait tout ce qui distingue l'hirondelle civilisée de l'hirondelle rustique.
-Vous pouvez bien toutes crever avec vos odeurs d'épinette! Le monde et les temps changent! Moi, je sais m'adapter. Et les hirondelles qui s'adaptent survivront tandis que les autres devront partir au loin, vers nulle part, sans être certaines de trouver un nid aussi confortable, chauffé et éclairé, avec nourriture à volonté à portée de bec. Faire les becs fins devant tout ça, n'est-ce pas le drame de notre époque? L'expression même de son nihilisme? Elles préféreraient vivre dans des terriers de glaise et de branches soumis à tous les vents, tous les climats et tous les prédateurs. Alors qu'ici, dans la bulle moderne, sur un nid douillet de filtres de cigarettes moelleux, elles deviendront bientôt grosses, fortes, énormes. Pas un chat ne viendra les prendre ici. Pas un faucon ne viendra planer dans le coin. Notre descendance, je vous le jure, se multipliera par mille et par million.
-Vous m'avez convaincu bel hirondel. On voit que vous êtes un mâle à sa place qui sait bien faire les choses en plus de savoir bien gazouiller aux dames. Je consens donc à vous tendre mon gésier pour que nous fassions comme il se doit entre hirondelles adultes et consentantes.
Au bout de dix-huit jours de ce bienheureux mariage, le couple pouvait regarder d'un air ravi les fruits de leur amour qui reposaient sur une bienveillante couche de filtres de cigarettes dans une atmosphère chaude, lumineuse et agréable.
-Si c'est pas ça l'bonheur, hein? gazouilla l'hirondel.
-N'oublie pas de ramener des filtres de cigarettes en revenant au nid! siffla l'hirondelle.
-Bien entendu, ma poulette...
***
Aujourd'hui, vrai comme je suis là, le stationnement du centre commercial est recouvert de nids d'hirondelle qui y reviennent à tous les printemps sous l'heureuse initiative de cet hirondel qui devint en quelque sorte leur Abraham.
Il fit jaillir des hirondelles là où il n'y avait jamais eu que des pierres.
Trente générations était maintenant passées.
L'hirondel était mort de vieillesse à un âge vénérable au cours d'un automne survenu un peu trop tôt.
Tous les printemps, on célébrait sa mémoire en bâtissant de nouveaux nids constitués de filtres de cigarettes.
Les hirondelles étaient devenues grasses et musclées. Elles volaient énormément pour brûler ce riche apport en graisses et protéines qu'elles absorbaient tout autour de leur nouvel empire. Encore quelques années et elles chasseraient les hirondelles qui n'avaient pas su s'adapter. Elles envahiraient de nouveaux territoires en compagnie des dieux. Et ce jusqu'à la fin des temps.
Hirondel, en mourant, eut ses mots que se répètent encore toutes les hirondelles du centre commercial et de ses nouvelles colonies.
-Dans la vie, faut être modernes... Couic!
Et ce fut la fin du plus magnifique exemple de grandeur d'hirondelle que les volatiles aient pu voir depuis le début des temps.
lundi 22 mai 2017
Une pluie fine s'abattait sur Gaston
Une pluie fine tombait sur la ville. Une pluie comme on en voit qu'aux abords d'un fleuve qui s'écoule dans la vallée de la Magtogoek. En fait, c'était une bruine. Bruine, pluie, appelez ça comme vous voulez, ce n'était pourtant pas une raison pour rester à la maison.
Comme il n'était pas fait en chocolat, Gaston en profita pour faire sa promenade.
Bien sûr qu'il serait mouillé. Bien sûr qu'il risquait d'attraper un rhume. Bien sûr. Bien sûr.
Mais il y avait pire encore. Il risquait d'attraper une crampe au cul à force de ne rien faire. Et comme il pleuvait depuis des jours, il fallait bien qu'il fasse comme si de rien n'était.
Alors, Gaston prit son imperméable à deux bras et s'en alla sous la pluie comme un grand, ou plutôt comme un petit. Les enfants, voyez-vous, ont cette faculté de moins craindre la pluie que les adultes. Ils sont généralement moins cons et s'émerveillent encore pour un dessin, une fleur ou bien une fourmi.
Heureusement que ce vieux Gaston avait passé l'âge de s'inquiéter d'être dépeigné, détrempé et déteint.
Il n'était pas fait en chocolat, ça non, et même que je l'ai déjà dit.
Il pleuvait, bruinait, brumassait...
Et Gaston était tout fin seul dans la ville. Enfin, presque seul. C'était la Fête de la Reine, la Fête des Patriotes, la Fête du congé férié quoi, et toute la ville semblait dormir encore même s'il était huit heures du matin. Il y aurait une fête au parc municipal qui réunirait trois pelés et un tondu autour d'un drapeau vert, blanc et rouge. Une fête d'avance tombée à l'eau à laquelle Gaston n'aurait pas participé même s'il avait fait beau. D'abord parce qu'il détestait les rassemblements publics. À moins que ce ne soit pour une manifestation.
-La musique, je la préfère en studio, philosophait-il étrangement. Je n'aime pas la cacophonie, les applaudissements, l'humidité qui fait fausser les instruments à corde et l'électrocution des musiciens...
C'était tout un lascar ce Gaston.
La solitude ne l'effrayait pas du tout. C'était comme s'il la recherchait pour une raison qui échappait à tous ceux qui préféraient prendre leurs vacances au Club Med.
-Ce gars-là est asocial! disait les quelques personnes qui le connaissaient un tant soit peu. Il ne réussira jamais dans la vie. Il n'a pas de réseau social, presque pas d'amis, même pas un chien ou un chat.
Pourtant, Gaston n'était pas malheureux.
Il marchait sous la pluie avec un sourire énigmatique que personne ne pouvait décoder puisqu'il n'y avait justement personne.
Le port était tout aussi déserté que la rue principale.
Les eaux du fleuve dessinaient des moutons en surface.
C'était la Fête des Patriotes, le jour de la reine Victoria, un autre congé férié pour nous rappeler que les femmes et les Autochtones n'en avaient pas.
Gaston aimait maugréer contre tout, dont les congés fériés.
Au mieux, lorsqu'il marchait seul sous la pluie, personne n'avait à subir ses propos aigris de trouble-fête.
Et c'était mieux ainsi.
Gaston était tout fin seul.
Et vrai comme je suis là, je me reconnaissais en lui, même si je ne le connaissais pas.
C'était le genre de type qui pourrait devenir mon ami.
Bien que je sois moi-même asocial, sauvage, solitaire et tout fin seul avec ma douce tout aussi conforme à cette configuration psychique.
J'oubliais de vous dire que j'étais moi aussi sous la pluie.
Et que Gaston ne s'appelait peut-être pas Gaston.
Peut-être qu'il s'appelait Pierre, Paul ou Jean-Jacques.
Se serait-il appelé Gustave que ça ne changerait rien à l'affaire.
Gaston ne serait jamais devenu ami avec un type qui aurait désiré devenir son ami.
Je suis sûr qu'on aurait fini par s'entendre, lui et moi.
Mais bon, Gaston devait poursuivre son chemin.
Et moi, le mien.
Et Gustave, le sien...
Pourquoi vous ai-je écrit cette histoire?
Pour rien, bien entendu.
Vous n'aviez qu'à ne pas me lire.
Il y a tellement d'autres belles distractions sur l'Internet...
Comme il n'était pas fait en chocolat, Gaston en profita pour faire sa promenade.
Bien sûr qu'il serait mouillé. Bien sûr qu'il risquait d'attraper un rhume. Bien sûr. Bien sûr.
Mais il y avait pire encore. Il risquait d'attraper une crampe au cul à force de ne rien faire. Et comme il pleuvait depuis des jours, il fallait bien qu'il fasse comme si de rien n'était.
Alors, Gaston prit son imperméable à deux bras et s'en alla sous la pluie comme un grand, ou plutôt comme un petit. Les enfants, voyez-vous, ont cette faculté de moins craindre la pluie que les adultes. Ils sont généralement moins cons et s'émerveillent encore pour un dessin, une fleur ou bien une fourmi.
Heureusement que ce vieux Gaston avait passé l'âge de s'inquiéter d'être dépeigné, détrempé et déteint.
Il n'était pas fait en chocolat, ça non, et même que je l'ai déjà dit.
Il pleuvait, bruinait, brumassait...
Et Gaston était tout fin seul dans la ville. Enfin, presque seul. C'était la Fête de la Reine, la Fête des Patriotes, la Fête du congé férié quoi, et toute la ville semblait dormir encore même s'il était huit heures du matin. Il y aurait une fête au parc municipal qui réunirait trois pelés et un tondu autour d'un drapeau vert, blanc et rouge. Une fête d'avance tombée à l'eau à laquelle Gaston n'aurait pas participé même s'il avait fait beau. D'abord parce qu'il détestait les rassemblements publics. À moins que ce ne soit pour une manifestation.
-La musique, je la préfère en studio, philosophait-il étrangement. Je n'aime pas la cacophonie, les applaudissements, l'humidité qui fait fausser les instruments à corde et l'électrocution des musiciens...
C'était tout un lascar ce Gaston.
La solitude ne l'effrayait pas du tout. C'était comme s'il la recherchait pour une raison qui échappait à tous ceux qui préféraient prendre leurs vacances au Club Med.
-Ce gars-là est asocial! disait les quelques personnes qui le connaissaient un tant soit peu. Il ne réussira jamais dans la vie. Il n'a pas de réseau social, presque pas d'amis, même pas un chien ou un chat.
Pourtant, Gaston n'était pas malheureux.
Il marchait sous la pluie avec un sourire énigmatique que personne ne pouvait décoder puisqu'il n'y avait justement personne.
Le port était tout aussi déserté que la rue principale.
Les eaux du fleuve dessinaient des moutons en surface.
C'était la Fête des Patriotes, le jour de la reine Victoria, un autre congé férié pour nous rappeler que les femmes et les Autochtones n'en avaient pas.
Gaston aimait maugréer contre tout, dont les congés fériés.
Au mieux, lorsqu'il marchait seul sous la pluie, personne n'avait à subir ses propos aigris de trouble-fête.
Et c'était mieux ainsi.
Gaston était tout fin seul.
Et vrai comme je suis là, je me reconnaissais en lui, même si je ne le connaissais pas.
C'était le genre de type qui pourrait devenir mon ami.
Bien que je sois moi-même asocial, sauvage, solitaire et tout fin seul avec ma douce tout aussi conforme à cette configuration psychique.
J'oubliais de vous dire que j'étais moi aussi sous la pluie.
Et que Gaston ne s'appelait peut-être pas Gaston.
Peut-être qu'il s'appelait Pierre, Paul ou Jean-Jacques.
Se serait-il appelé Gustave que ça ne changerait rien à l'affaire.
Gaston ne serait jamais devenu ami avec un type qui aurait désiré devenir son ami.
Je suis sûr qu'on aurait fini par s'entendre, lui et moi.
Mais bon, Gaston devait poursuivre son chemin.
Et moi, le mien.
Et Gustave, le sien...
Pourquoi vous ai-je écrit cette histoire?
Pour rien, bien entendu.
Vous n'aviez qu'à ne pas me lire.
Il y a tellement d'autres belles distractions sur l'Internet...
dimanche 21 mai 2017
L'indépendance du Québec progressiste ou... le Canada
Une bande de zigotos est passée à l'action dans le comté de Gouin où aura lieu des élections partielles prochainement. Un gus pas très auguste se présente pour un parti xénophobe qui n'hésite pas à imiter les affiches du Front National. Ils ont tapissé le comté de stupidités sans nom où l'on voit une métèque portant une tuque fleurdelisée et une autre le hijab. On demande aux électeurs de choisir entre les deux. Évidemment, on peut tirer sur l'autre à bout portant.
Ce parti se veut indépendantiste... Avec des indépendantistes comme ça, pas besoin de fédéralistes pour nuire à cette cause qui, d'une niaiserie à l'autre, finit par frapper un mur.
Ce n'est certes pas la faute des fédéralistes si la xénophobie a la cote chez une frange de plus en plus inquiétante et importante du mouvement souverainiste. Ce n'est pas la faute de Justin Trudeau ni du multiculturalisme canadien. C'est du tribalisme pur et dur qui rêve de porter un chef sur un bouclier comme dans un village gaulois. Le problème, c'est qu'il n'y a plus de Gaulois. Il n'y a plus que des citoyens d'un État XYZ qui revendiquent des droits et des libertés civiques. Du coup, ils passent invariablement pour des personnages folkloriques que l'histoire elle-même a rejetés. Ils font honte aux indépendantistes progressistes pour qui la souveraineté n'est pas tant une affaire de nation qu'un outil pour mieux contrôler notre territoire, nos communautés et nos ressources. Une solution politique à un problème administratif, somme toute, et certainement pas ce rêve fané d'un repas de fèves au lard.
Je présume, au risque de me tromper, qu'environ 20% des indépendantistes sont contaminés par la xénophobie. Peut-être plus. On me dira qu'il y a aussi des racistes au Canada. Ce qui est sans doute vrai. Mais ce n'est pas une raison pour se fermer les yeux sur le racisme au Québec, d'autant plus que cette attitude menace bien plus le mouvement indépendantiste que n'importe quel plan que pourraient peaufiner les ténors du fédéralisme dans les officines du pouvoir. Bref, les indépendantistes n'ont pas besoin de personne pour s'enculer eux-mêmes.
C'est dommage.
Je continue à croire en l'indépendance du Québec. J'y vois un projet progressiste. Cependant, je ne m'y accrocherai pas jusqu'à l'indécence. Si l'indépendance génère plus de xénophobie que de progrès et de justice sociale, je quitterai le bateau. Je deviendrai un traître et un vendu. Je serai Canadien, républicain et progressiste, aux côtés de mes camarades d'Ontario et de Colombie-Britannique, plutôt que d'avoir à me justifier d'être parmi une bande de clowns qui puisent leur sagesse dans Photo-Police et le Journal de Montréal.
Voilà où j'en suis.
Et je puis vous assurer que je ne me sens pas seul dans cette attitude. Je crains même que nous soyons un nombre déterminant qui plantera à jamais le dernier clou du cercueil du mouvement souverainiste si rien n'est fait pour redonner du lustre à un projet qui en a perdu beaucoup depuis le 11 septembre 2001.
Mon attitude rejoint de plus en plus d'indépendantistes qui se sentent dégoûtés de l'imprégnation raciste au sein d'un mouvement qui ne réussit plus à convaincre que des cons vaincus.
L'indépendance se fera avec les immigrés, les anglophones, les Inuits, les Cris et les unijambistes ou elle ne se fera pas.
Atténuer le rôle et l'influence des xénophobes au sein du mouvement indépendantiste ne suffit plus.
Ou bien on s'en écarte radicalement ou bien l'on change d'option.
samedi 20 mai 2017
Chez Gigi
-Bonjour les amis happy day voilà le soleil qui se lève-heu! chantonna Marcel en rentrant au restaurant Chez Gigi.
Marcel était un gros bonhomme aux joues joufflues qui sentait un peu trop fort l'eau de Cologne bon marché. Il était chauve, court sur pattes et ne faisait rien dans la vie depuis qu'il était retraité. Rien, sinon prendre tous ses repas Chez Gigi.
-Qu'est-cé qu'i' va prendre à matin notre beau Marcel? lui demanda Thérèse, la vieille serveuse de trente ans de service, qui sentait fort la cigarette.
-Pareil comme d'habitude! Deux oeufs tournés bacon pis un bon café...
-J'aurais même pas dû te le d'mander... J'aurais juré que ce serait ça... Veux-tu le journal comme d'habitude?
-Oui, comme d'habitude...
Marcel éplucha le Journal de Montréal en poussant des oh! et des ah! sur les grands titres.
-Baptince! Ç'a pas fini d'coûter cher! finit-il par déclarer.
-Oui m'sieur! rétorqua Armand, assis sur la banquette devant lui.
Une conversation débuta sur tout et rien entre les deux hommes.
Thérèse apporta l'assiette de Marcel en précisant qu'on lui avait mis un peu plus de patates.
Marcel lui fit un clin d'oeil complice.
Puis il mangea avec appétit.
Marcel était un gros bonhomme aux joues joufflues qui sentait un peu trop fort l'eau de Cologne bon marché. Il était chauve, court sur pattes et ne faisait rien dans la vie depuis qu'il était retraité. Rien, sinon prendre tous ses repas Chez Gigi.
-Qu'est-cé qu'i' va prendre à matin notre beau Marcel? lui demanda Thérèse, la vieille serveuse de trente ans de service, qui sentait fort la cigarette.
-Pareil comme d'habitude! Deux oeufs tournés bacon pis un bon café...
-J'aurais même pas dû te le d'mander... J'aurais juré que ce serait ça... Veux-tu le journal comme d'habitude?
-Oui, comme d'habitude...
Marcel éplucha le Journal de Montréal en poussant des oh! et des ah! sur les grands titres.
-Baptince! Ç'a pas fini d'coûter cher! finit-il par déclarer.
-Oui m'sieur! rétorqua Armand, assis sur la banquette devant lui.
Une conversation débuta sur tout et rien entre les deux hommes.
Thérèse apporta l'assiette de Marcel en précisant qu'on lui avait mis un peu plus de patates.
Marcel lui fit un clin d'oeil complice.
Puis il mangea avec appétit.
vendredi 19 mai 2017
Je ne suis pas photographe
Parc Pie-XII, Trois-Rivières |
Par contre, je suis un peu peintre. Je fais référence intuitivement à des notions d'équilibre que je découvre de façon tout à fait fortuite, comme tout le reste par ailleurs. Picasso, auquel il serait présomptueux de me comparer, n'en disait pas moins des paroles qui m'inspirent. Il disait, entre autres: «Je ne cherche pas, je trouve.» C'est aussi mon attitude, voyez-vous. Peut-être suis-je atteint de la même maladie... Je trouve, en effet, tout ce que je ne cherchais pas. Je laisse les autres chercher, comme je l'ai toujours fait. Cela fait partie, j'ose le croire, de mon identité. J'ai bien plus affaire avec les nuages qu'avec les microscopes.
Je n'ai jamais travaillé avec une règle et un compas. Il convient de m'oublier pour tous travaux de précision. Je ne mépriserai jamais ceux qui ont cette vertu. Mais ce n'est pas la mienne. La mienne est de couper le noeud gordien en toutes circonstances.
***
Je m'éloigne un tant soit peu de mon sujet, comme toujours. Je voulais plutôt mettre l'emphase sur cette série de photos que j'ai prises ce matin. Elles ont ce petit quelque chose qui vaille la peine de les partager avec vous. Ce sont des photos prises dans l'environnement urbain du centre-ville de Trois-Rivières. Rien d'envoûtant comme les montagnes Rocheuses, le Rocher Percé ou la Terre de Feu. Pourtant, la nature s'y manifeste tout de même après un long sommeil hivernal. Et, à vrai dire, cela m'émeut.
Voici donc ces photos dont je vous parle trop sans même vous les montrer. Pardonnez-moi tous ces mots que j'aurais dû taire pour ces images qui en valent au moins mille.
Parc Pie-XII, aire de basketball |
Moi-même la tête dans les nuages... |
Interdit de ceci et cela au Parc Pie-XII dans l'aire de skate-board |
Parc Victoria |
Un écureuil sur un fil électrique de la rue McDougal |
Cet arbre ne se laissera pas déraciner facilement... |
L'arbre qui ne se laissera pas déraciner facilement... |
Une petite forêt pousse au pied d'un vieil arbre. |
Vue du dessous. |
Pollen. |
L'ombre de moi-même. |
Poubelle avec vue sur le rond-point de la Couronne. |
Goéland au Parc Pie-XII. |
Le même goéland qui s'envole. |
Saules pleureurs et étang du parc Pie-XII vus d'entre les branches. |
Danger. |
jeudi 18 mai 2017
Après le Big Bang
Par où commencer? Par le commencement, évidemment.
Ce n'est pas toujours évident que de savoir où cela commence, justement.
Au début, il n'y avait rien. Qu'une masse d'hydrogène. Et bing et bang! Il y eut l'univers et des étoiles qui, d'une explosion à l'autre, produisirent tous les éléments chimiques que nous connaissons, dont la tarte à la rhubarbe.
Pas mal comme début, non?
Venons-en plutôt au coeur de l'histoire.
Laurent Granger, qui n'avait pas de surnom puisqu'il ne fréquentait personne, était un gars constitué de poussière d'étoiles comme tout le monde.
Il passait le plus clair de son temps à fumer des cigarettes tout en fixant l'horizon au-dessus de la tête de ces gens auxquels il ne parlait jamais.
Il avait les dents aussi jaunes que ses doigts, bien entendu, mais il s'en foutait comme de l'an quarante. D'abord parce qu'il n'a pas connu les années '40. De plus, il ne s'intéressait à rien de particulier, Laurent Granger.
L'univers s'était déplié en quatre, en mille et milliard pour produire un Laurent Granger qui ne s'intéressait à rien.
Ses cheveux étaient bien aplatis sur sa tête. Il aurait pu passer pour un homme ordinaire s'il avait travaillé comme tout le monde. Or, Laurent Granger ne voulait rien savoir de se casser le cul jour après jour pour enrichir quelqu'un qui l'exploiterait. Il préférait ne rien faire en attendant son chèque à tous les premiers du mois. Il ne recevait pas beaucoup, bien entendu, mais Laurent se débrouillait avec peu en annihilant tous ses désirs, sauf celui de fumer la cigarette.
J'aimerais vous dire qu'il vécut heureux et eut beaucoup d'enfants mais ce n'est pas le cas.
Il vécut seul et malheureux sans même s'en plaindre.
Puis il attrapa un cancer de la gorge.
On l'obligea à se faire soigner, lui qui ne le voulait pas.
On lui fit une trachéotomie.
Ça n'empêcha pas Laurent Granger de continuer à fumer. Il plaçait sa cigarette devant le trou pratiqué dans sa trachée et inhalait la fumée de cette façon.
-Si ça d'l'allure! Fumer après avoir eu un cancer d'la gorge! Avaler de la boucane par un trou dans la gorge après avoir perdu la voix à cause d'la maudite cigarette!
Laurent Granger n'entendait pas ces commentaires. Personne ne lui disait quoi que ce soit à vrai dire. Et il continuait donc à fumer tout en fixant un point de fuite à l'horizon.
Ça fait deux ans qu'on prétend qu'il devrait être mort. Pourtant, il résiste. Il s'achète encore des cigarettes et ne se sens pas prêt d'arrêter.
Comment cela va finir pour lui?
Cela va finir en poussière, pour lui comme pour tout le monde, même vous.
C'est à se demander pourquoi l'univers existe.
Bien que Laurent Granger ne soit pas de ceux qui se posent ce genre de questions.
Tout ce qu'il veut, c'est fumer.
Fumer pour qu'on lui foute la paix.
Ce n'est pas toujours évident que de savoir où cela commence, justement.
Au début, il n'y avait rien. Qu'une masse d'hydrogène. Et bing et bang! Il y eut l'univers et des étoiles qui, d'une explosion à l'autre, produisirent tous les éléments chimiques que nous connaissons, dont la tarte à la rhubarbe.
Pas mal comme début, non?
Venons-en plutôt au coeur de l'histoire.
Laurent Granger, qui n'avait pas de surnom puisqu'il ne fréquentait personne, était un gars constitué de poussière d'étoiles comme tout le monde.
Il passait le plus clair de son temps à fumer des cigarettes tout en fixant l'horizon au-dessus de la tête de ces gens auxquels il ne parlait jamais.
Il avait les dents aussi jaunes que ses doigts, bien entendu, mais il s'en foutait comme de l'an quarante. D'abord parce qu'il n'a pas connu les années '40. De plus, il ne s'intéressait à rien de particulier, Laurent Granger.
L'univers s'était déplié en quatre, en mille et milliard pour produire un Laurent Granger qui ne s'intéressait à rien.
Ses cheveux étaient bien aplatis sur sa tête. Il aurait pu passer pour un homme ordinaire s'il avait travaillé comme tout le monde. Or, Laurent Granger ne voulait rien savoir de se casser le cul jour après jour pour enrichir quelqu'un qui l'exploiterait. Il préférait ne rien faire en attendant son chèque à tous les premiers du mois. Il ne recevait pas beaucoup, bien entendu, mais Laurent se débrouillait avec peu en annihilant tous ses désirs, sauf celui de fumer la cigarette.
J'aimerais vous dire qu'il vécut heureux et eut beaucoup d'enfants mais ce n'est pas le cas.
Il vécut seul et malheureux sans même s'en plaindre.
Puis il attrapa un cancer de la gorge.
On l'obligea à se faire soigner, lui qui ne le voulait pas.
On lui fit une trachéotomie.
Ça n'empêcha pas Laurent Granger de continuer à fumer. Il plaçait sa cigarette devant le trou pratiqué dans sa trachée et inhalait la fumée de cette façon.
-Si ça d'l'allure! Fumer après avoir eu un cancer d'la gorge! Avaler de la boucane par un trou dans la gorge après avoir perdu la voix à cause d'la maudite cigarette!
Laurent Granger n'entendait pas ces commentaires. Personne ne lui disait quoi que ce soit à vrai dire. Et il continuait donc à fumer tout en fixant un point de fuite à l'horizon.
Ça fait deux ans qu'on prétend qu'il devrait être mort. Pourtant, il résiste. Il s'achète encore des cigarettes et ne se sens pas prêt d'arrêter.
Comment cela va finir pour lui?
Cela va finir en poussière, pour lui comme pour tout le monde, même vous.
C'est à se demander pourquoi l'univers existe.
Bien que Laurent Granger ne soit pas de ceux qui se posent ce genre de questions.
Tout ce qu'il veut, c'est fumer.
Fumer pour qu'on lui foute la paix.
mercredi 17 mai 2017
Pauvre Ludovic, hein?
Ludovic était un gars qui ne ressentait rien. Il n'était pas à proprement parler autiste. L'autisme est caractériel, à défaut d'employer une autre épithète. Or, Ludovic n'avait rien d'un caractériel. Il ne ressentait rien par absence de vie plus que par inclination. N'ayant rien vécu il ne voyait rien. Tout se limitait à son écran au-travers duquel il interprétait le monde de façon binaire, voire primaire. La réalité le dérangeait plus souvent qu'autrement. Rien ne lui était plus reposant que de retomber dans les mondes virtuels où il pouvait feindre des émotions de façon tout à fait ludique et surtout sans conséquences.
Il devait avoir autour de 43 ans, Ludovic. C'était un grand et désormais gros gaillard qui mangeait trop de tranches de pain blanc.
-Ça se laisse manger comme du gâteau du bon pain blanc frais sorti de son emballage... C'est pas mêlant je mangerais un pain à moi tout seul, qu'il se disait à lui-même puisqu'il était étranger aux confidences et autres conversations humaines réelles qui demandent du temps et de l'effort.
Son hygiène personnelle laissait à désirer. Autrement dit, personne ne désirait son odeur de swing qui rappelait celle d'un rat trouvé mort derrière un appareil électroménager. Ses dents étaient recouvertes d'une épaisse couche de tartre. Des poils lui poussaient à des endroits insolites, sur le nez, les oreilles et alouette! Ses lunettes étaient toujours sales et recouvertes d'une épaisse couche de gras et de pellicules. Il avait bien sûr mauvaise haleine et pouvait passer une semaine sans changer de pantalons ni de sous-vêtements.
-Pourquoi c'est faire que j'm'arrangerais? Chu célibataire. Personne me voit... Personne me sniffe...
Tout était en désordre chez-lui. Il ne lavait jamais rien, hormis lorsqu'il ne lui restait plus de vêtements ou d'assiettes propres. Alors il faisait cet effort surhumain de laver une assiette et de faire tremper une paire de vieux bas dans du savon...
Évidemment, Ludovic s'imaginait une vie avec les plus belles chicks qui soient sur l'Internet. Elles lui disaient toutes encore et encore, mon tout beau, active-toi, vas-y à coeur joie et à pierre fendre, mon salaud. Et il y allait, Ludovic, soir et matin, tant et si bien qu'il avait le teint blême comme une pinte de lait. Du coup, il s'endormait tout le temps. Il était toujours fatigué. Tout mouvement lui apparaissait comme s'il s'agissait de gravir l'Everest. Il avait mal partout, évidemment, et disait que c'était parce que sa chaise d'ordinateur n'était pas assez ergonomique.
Il y a des limites à se dégraisser le salami et Ludovic ne semblait pas les connaître. Il passait des heures à se tirer la pipe entre deux divertissements informatisés. C'était comme s'il fréquentait ces petites femmes de Pigalle que chantait Serge Lama. Il se croyait l'Amiral parmi ces femmes imaginaires qu'ils ne pourraient jamais connaître. Il oubliait qu'il était un drôle de loustic qui vivait dans une maison de chambres avec huit autres chambreurs tout autant polytoxicomanes que désoeuvrés.
Les pleurs, les rires, la joie, la tristesse, le deuil, la maladie, la souffrance, la misère, l'injustice sociale, tout cela lui semblait étranger. C'était de vagues échos de primates. C'était pour les autres, ceux qui perdaient leur temps à vivre dans la réalité. Le ouèbe lui fournissait sa dose quotidienne de soma pour endormir cette conscience maladive qui rend les êtres humains insupportables et nous oblige parfois à leur répondre par des gestes et des paroles qui ne veulent strictement rien dire pour un gars comme Ludovic.
Or, l'inconcevable s'est produit dans la vie de Ludovic. La semaine dernière, alors qu'il s'installait devant son écran avec un sac de pain blanc et très frais, il constata qu'il n'avait plus de service Internet.
-Qu'est-ce qui se passe? paniqua-t-il, tout en sueur.
Il appela son fournisseur. Pas de réponse. Les lignes téléphoniques étaient surchargées. Un message laissait entendre qu'il y avait une panne majeure du système. C'en était trop!
Ludovic se mit à pleurer à chaudes larmes, lui qui n'avait pas pleurer depuis au moins dix ans.
-Qu'est-ce que j'va's faire? Qu'est-cé j'va's d'venir? Qui c'est qui pense à moé?
Comme si ce n'était pas déjà assez de souffrances à endurer, une panne d'électricité s'ajouta, consécutivement à une inondation dans le bas de la ville.
Ludovic, totalement désespéré, sortit son GameBoy. Comme il ne l'avait pas utilisé depuis longtemps, la batterie était à plat.
-Fuck! Quelle journée de marde! hurla-t-il. Ils ne pensent qu'à eux, les inondés!!!
Qu'allait-il faire? Lire un livre? Il n'en avait pas. Ou si peu que ça ne valait pas la peine d'en parler.
En désespoir de cause, il se mit à faire la conversation avec les autres chambreurs. Évidemment, toute la conversation de Ludovic tournait autour de lui, de ses jeux, de ses vidéos, de tout ce à quoi il n'avait pas accès en raison de cette panne majeure d'informatique et d'électricité.
-J'ai l'air de quoi, hein, hein? qu'il leur disait. J'pourrai pas jouer à Last Frontier!!! J'étais rendu au huitième tableau... Shit! J'aurais envie de tuer!
Et Ludovic, bien entendu, s'étonnait de la froideur des autres chambreurs.
C'était comme s'il n'existait pas.
Comme si personne ne s'intéressait vraiment à ce qui l'intéressait le plus au monde...
-Les gens sont devenus insensibles, murmura-t-il dans un chuintement rempli d'amertume. Ils ne savent plus s'émouvoir de quoi que ce soit... Je fais bien de m'isoler de ce monde devenu trop froid et trop nonchalant!
Il retourna se coucher en souhaitant qu'à son réveil le courant serait revenu.
Franchement, cette journée-là n'était pas la sienne...
Pauvre Ludovic, hein?
Il devait avoir autour de 43 ans, Ludovic. C'était un grand et désormais gros gaillard qui mangeait trop de tranches de pain blanc.
-Ça se laisse manger comme du gâteau du bon pain blanc frais sorti de son emballage... C'est pas mêlant je mangerais un pain à moi tout seul, qu'il se disait à lui-même puisqu'il était étranger aux confidences et autres conversations humaines réelles qui demandent du temps et de l'effort.
Son hygiène personnelle laissait à désirer. Autrement dit, personne ne désirait son odeur de swing qui rappelait celle d'un rat trouvé mort derrière un appareil électroménager. Ses dents étaient recouvertes d'une épaisse couche de tartre. Des poils lui poussaient à des endroits insolites, sur le nez, les oreilles et alouette! Ses lunettes étaient toujours sales et recouvertes d'une épaisse couche de gras et de pellicules. Il avait bien sûr mauvaise haleine et pouvait passer une semaine sans changer de pantalons ni de sous-vêtements.
-Pourquoi c'est faire que j'm'arrangerais? Chu célibataire. Personne me voit... Personne me sniffe...
Tout était en désordre chez-lui. Il ne lavait jamais rien, hormis lorsqu'il ne lui restait plus de vêtements ou d'assiettes propres. Alors il faisait cet effort surhumain de laver une assiette et de faire tremper une paire de vieux bas dans du savon...
Évidemment, Ludovic s'imaginait une vie avec les plus belles chicks qui soient sur l'Internet. Elles lui disaient toutes encore et encore, mon tout beau, active-toi, vas-y à coeur joie et à pierre fendre, mon salaud. Et il y allait, Ludovic, soir et matin, tant et si bien qu'il avait le teint blême comme une pinte de lait. Du coup, il s'endormait tout le temps. Il était toujours fatigué. Tout mouvement lui apparaissait comme s'il s'agissait de gravir l'Everest. Il avait mal partout, évidemment, et disait que c'était parce que sa chaise d'ordinateur n'était pas assez ergonomique.
Il y a des limites à se dégraisser le salami et Ludovic ne semblait pas les connaître. Il passait des heures à se tirer la pipe entre deux divertissements informatisés. C'était comme s'il fréquentait ces petites femmes de Pigalle que chantait Serge Lama. Il se croyait l'Amiral parmi ces femmes imaginaires qu'ils ne pourraient jamais connaître. Il oubliait qu'il était un drôle de loustic qui vivait dans une maison de chambres avec huit autres chambreurs tout autant polytoxicomanes que désoeuvrés.
Les pleurs, les rires, la joie, la tristesse, le deuil, la maladie, la souffrance, la misère, l'injustice sociale, tout cela lui semblait étranger. C'était de vagues échos de primates. C'était pour les autres, ceux qui perdaient leur temps à vivre dans la réalité. Le ouèbe lui fournissait sa dose quotidienne de soma pour endormir cette conscience maladive qui rend les êtres humains insupportables et nous oblige parfois à leur répondre par des gestes et des paroles qui ne veulent strictement rien dire pour un gars comme Ludovic.
Or, l'inconcevable s'est produit dans la vie de Ludovic. La semaine dernière, alors qu'il s'installait devant son écran avec un sac de pain blanc et très frais, il constata qu'il n'avait plus de service Internet.
-Qu'est-ce qui se passe? paniqua-t-il, tout en sueur.
Il appela son fournisseur. Pas de réponse. Les lignes téléphoniques étaient surchargées. Un message laissait entendre qu'il y avait une panne majeure du système. C'en était trop!
Ludovic se mit à pleurer à chaudes larmes, lui qui n'avait pas pleurer depuis au moins dix ans.
-Qu'est-ce que j'va's faire? Qu'est-cé j'va's d'venir? Qui c'est qui pense à moé?
Comme si ce n'était pas déjà assez de souffrances à endurer, une panne d'électricité s'ajouta, consécutivement à une inondation dans le bas de la ville.
Ludovic, totalement désespéré, sortit son GameBoy. Comme il ne l'avait pas utilisé depuis longtemps, la batterie était à plat.
-Fuck! Quelle journée de marde! hurla-t-il. Ils ne pensent qu'à eux, les inondés!!!
Qu'allait-il faire? Lire un livre? Il n'en avait pas. Ou si peu que ça ne valait pas la peine d'en parler.
En désespoir de cause, il se mit à faire la conversation avec les autres chambreurs. Évidemment, toute la conversation de Ludovic tournait autour de lui, de ses jeux, de ses vidéos, de tout ce à quoi il n'avait pas accès en raison de cette panne majeure d'informatique et d'électricité.
-J'ai l'air de quoi, hein, hein? qu'il leur disait. J'pourrai pas jouer à Last Frontier!!! J'étais rendu au huitième tableau... Shit! J'aurais envie de tuer!
Et Ludovic, bien entendu, s'étonnait de la froideur des autres chambreurs.
C'était comme s'il n'existait pas.
Comme si personne ne s'intéressait vraiment à ce qui l'intéressait le plus au monde...
-Les gens sont devenus insensibles, murmura-t-il dans un chuintement rempli d'amertume. Ils ne savent plus s'émouvoir de quoi que ce soit... Je fais bien de m'isoler de ce monde devenu trop froid et trop nonchalant!
Il retourna se coucher en souhaitant qu'à son réveil le courant serait revenu.
Franchement, cette journée-là n'était pas la sienne...
Pauvre Ludovic, hein?