Je suis musulman. Je ne le suis pas vraiment, bien entendu, mais je serais catholique si l'on commettait un attentat dans une église.
Je suis aussi sikh. J'en sais peu sur le gourou Nanak. Mais je comprends que cette religion était à la base une rébellion contre le système de castes qui prévalait aux Indes. Les parias, les moins que rien condamnés à boire de l'eau boueuse et croupie, se sont convertis à la religion sikh qui leur promettait l'égalité et le respect de leurs droits. Le petit poignard que portent les Sikhs symbolise cette libération.
Je suis même athée, parfois. Lorsque je vois les hommes s'entre-déchirer pour se parler de l'amour du Créateur, il m'arrive de douter de sa création.
Pour le moment, je suis musulman.
Il n'y a pas à chercher de midi à quatorze heures. Je le suis depuis l'attentat survenu au Centre culturel islamique de Québec où six personnes ont trouvé la mort sous les balles d'un forcené adepte de discours haineux et racistes.
Peut-être que je paraîtrai trop sensible. L'est-on jamais assez? Je vous avouerai en toute humilité que j'ai pleuré. J'ai eu honte de mon peuple, même si le geste n'a pas été commis par un groupe. J'ai lu et vu les liens, les discussions et les commentaires dégueulasses qui mènent un jeune homme vers le statut d'ange exterminateur. Je sais fort bien dans quelle culture a baigné l'assassin.
J'ai toujours été attiré par les étrangers. Ils me permettaient de voyager à peu de frais en plus de satisfaire ma curiosité insatiable.
J'ai commencé à fréquenter des musulmans à l'université. J'ai même passé une soirée avec un imam qui me regardait boire comme un trou sans me faire la leçon. J'ai surtout connu des Maghrébins à cette époque que les médias jaunes appellent à tort des Arabes. La géographie n'est pas la matière forte de bon nombre de nos journalistes qui ne font pas la distinction entre le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord...
Les Maghrébins m'aimaient bien j'imagine. Je savais les prendre par les sentiments. Ils étaient contents de m'entendre dire que les Juifs et les Chrétiens ne subissaient pas de persécutions en Espagne musulmane. La première chose que fit l'Espagne après la reconquête catholique fût de persécuter les juifs et les musulmans. De plus, j'aimais souligner que l'on ne connaîtrait pas Aristote, Platon et toute la médecine moderne sans ces savants du monde musulman qui ont sauvé de l'oubli le savoir antique à une époque où l'Europe s'enfonçait dans l'Âge des Ténèbres en brûlant des sorcières et des cathares.
Je suis musulman. Je n'ai jamais lu le Coran. Je ne pratique pas ce culte. Mais seuls des idiots peuvent refuser à une personne humaine cette possibilité de transcender ce monde physique incomplet et imparfait. Seuls des insensibles peuvent renier à l'homme cet attrait pour la méditation et les espaces infinis.
Il s'en trouve malheureusement dans notre société.
Cela me fait tout de suite penser à la parabole du Bon Samaritain tirée des Évangiles. Un type de confession juive gît au sol, blessé par des voleurs qui l'ont abandonné sur le bord de la route. Un prêtre et un Lévite, tous deux juifs, passent devant lui sans l'aider. Finalement, c'est un Samaritain, un membre d'une communauté jugée impie, qui porte secours au blessé. Cette parabole est mise en lumière par une épître de Paul de Tarse dans laquelle il rappelait que la foi n'est rien sans la charité. Bref, on juge un arbre à ses fruits. Pas à ses idées . Ni à sa religion.
***
Je crois encore faire partie des souverainistes. Je suis, aux dires de plusieurs des militants de cette cause, un mou. Je professe sans vergogne ce multiculturalisme à la Trudeau tant honni. Je rappelle constamment que le nationalisme est un piège qui peut conduire au totalitarisme. Porter un chef sur un bouclier comme dans une tribu de Gaulois: très peu pour moi!
Les partisans des régimes totalitaires sont tous repliés sur eux-mêmes et rejettent le cosmopolitisme, c'est-à-dire ces satanés étrangers qui polluent ce qu'il croit être l'esprit de la nation. Bref, je suis nettement plus socialiste et même citoyen du monde dans mon approche que je ne suis Québécois dit de souche. Peut-être que mes origines autochtones me confèrent une sensibilité à la différence. Néanmoins, je doute que cette position ait quoi que ce soit à voir avec le type de sang qui coule dans mes veines. Cela se passe dans mon cerveau, le muscle le plus important du corps humain avec le coeur. Cela dit, nos politiques manquent trop souvent de coeur et d'esprit...
L'esprit de mon pays, s'il peut se prévaloir d'en avoir un, repose essentiellement sur l'ouverture à l'autre, la compassion et l'accueil. Il n'est pas incrusté dans les fèves au lard. Il ne dépend pas d'un sapin de Noël.
À l'instar de Gilles Vigneault, je dis à tous les hommes de la Terre que ma maison c'est votre maison et que tous les humains sont de ma race.
Je m'inquiète de la montée de discours haineux tant sur les médias sociaux que dans les médias traditionnels.
Je m'inquiète des émules de la Radio des Mille Collines, cette radio rwandaise qui diffusait jour après jour des appels à la haine sous des musiques enjouées.
Je m'inquiète des partisans de Donald Trump qui croient tout à coup qu'il n'y a plus de constitution ni d'articles du Code criminel contre les discours haineux.
Je m'inquiète de ceux qui fouleraient aux pieds l'État de droit pour nous plonger dans une fournaise de glaives.
Je m'inquiète aussi du climat politique qui prévaut dans la Capitale Nationale.
J'ai vécu quatre ans à Québec. Je sais bien que cette ville n'est pas constituée que d'imbéciles racistes et xénophobes. Par contre, tout un chacun ressent bien un malaise grandissant avec ces flots de haine qui se déversent sur les ondes hertziennes de la capitale. L'insulte est l'arme des simples d'esprit. C'est l'arme utilisée jour après jour par des animateurs bas de gamme qui multiplient leurs attaques contre les féministes, les musulmans, les homosexuels, les transgenres, les syndicalistes, les artistes et les intellectuels.
Il serait approprié de savoir qui financent ces stations de radio.
Il serait utile de songer à appliquer les articles du Code criminel qui sanctionnent les discours haineux avant que de s'enfoncer toujours plus dans la bêtise.
Pour le moment, je le répète: je suis musulman.
Je suis musulman, en effet, et je prie à la mémoire des victimes de ces meurtres racistes pour que cela ne se reproduise plus jamais.
mardi 31 janvier 2017
dimanche 29 janvier 2017
L'âme existe!!!
Le café de nuit, Vincent Van Gogh, 1888 |
C'est un endroit sympathique, ne serait-ce que pour la peinture orange apposée sur tous les murs. L'orange ça vous égaie n'importe qui. On devrait toujours peindre ses murs en orangé.
Évidemment, il y a tous les journaux disponibles pour distraire les caféinomanes. On peut y lire Le Nouvelliste, Le Journal de Montréal et même Le Devoir. La grande majorité des clients, cela dit, préfère lire sur leur téléphone intelligent ou leur tablette. Mais bon, l'on vit à une époque de transition. Un jour, tous les journaux imprimés disparaîtront. Et pas seulement les journaux imprimés. Mais aussi ceux qui les lisaient.
Lundi dernier on discutait justement à propos de la vie et de la mort de toutes choses dans les fauteuils où se réunissait le cercle des philosophes. Ce n'était pas un vrai cercle des philosophes, peu s'en faut, mais c'est le surnom que les serveuses donnaient entre elles à ces clients réguliers qui palabraient tous les jours à propos de sujets qui dépassaient largement leur champ d'intérêt.
Le gros Legendre, bon à rien de son métier, était convaincu que l'âme n'existait pas.
-Pourquoi y'aurait-il plus d'âme dans un être humain que dans un chien ou bien un grille-pain, hein?
Évidemment, cela donna lieu à une conversation animée qui en serait venue aux poings si les serveuses ne s'en mêlaient pas de temps à autres pour calmer les ardeurs de ces bretteurs du lundi.
-Foutaises! tonna le maigre Landry. L'âme existe comme tout ce qui respire d'ailleurs. Tu respires parce que tu as une âme Legendre! Comment peux-tu douter de l'existence de l'âme?
-Tu dis ça Landry, répliqua Legendre, parce que tu vas à la messe tous les dimanches! Toutes les églises sont démolies l'une après l'autre... Où est-elle ton âme, hein? Sous les jupes de madame le curé?
Les coups volaient bas. L'âme y était malmenée, adorée, expliquée, dénoncée.
Un type tout seul dans son coin les écoutait depuis un bon moment.
Le type en question, aussi curieux que cela puisse paraître, était vraiment un artiste. Il étudiait le violon au conservatoire de musique. Et il était d'ailleurs accompagné de son instrument.
-Messieurs, pardonnez-moi de me mêler de votre conversation, mais je dois vous dire que l'âme existe. Et je puis vous l'affirmer sans l'ombre d'un doute!
-Voyons ça! ironisa le gros Legendre. Avez-vous pris de la drogue jeune homme?
-Non, mais j'ai apporté mon violon. Je vais d'abord vous en jouer un air si vous le voulez bien.
Personne n'osa lui dire qu'il ne voulait pas l'entendre. Les gens étaient somme toute polis au Café des Artistes.
Alors notre étudiant aux allures de grand dadais leur joua Le Printemps de Vivaldi. Et croyez-moi, il savait jouer cet énergumène.
Lorsqu'il eut terminé de jouer, tout le monde l'applaudit, même le gros Legendre qui ne voulait pas passer pour un barbare.
-C'était bien joué, dit Legendre, mais je ne vois pas ce que l'âme vient faire là-dedans... Il n'y a pas de sons sur la Lune puisqu'il n'y a pas d'atmosphère, hé, hé...
-Justement, dit le jeune violoniste talentueux, l'âme est justement là-dedans... dans le violon... Vous voyez cette petite pièce de bois coincée en serre dans la caisse de résonance... Juste ici... Là-dedans... Vous voyez? Eh bien en lutherie, cette petite pièce de bois s'appelle une âme. C'est donc une preuve matérielle irréfutable que l'âme existe puisque vous pouvez même la voir de vos yeux vus...
Landry exultait. Il l'applaudissait à tout rompre en glapissant de joie.
-Ouais, ouais, disait Legendre, tu joues sur les mots...
-Non monsieur. Je joue sur un violon doté d'une âme!
Et il joua un autre air de Paganini devant tous les habitués du Café des Artistes qui se disaient en eux-mêmes que ce brave gars devrait venir y jouer plus souvent.
Laurette la grosse crisse de raciste
Laurette était plus rose que blanche avec un nez retroussé qui lui conférait un air de Miss Peggy en moins mignon. Miss Peggy a tout de même quelque chose d'attrayant pour les amateurs de bacon. Tandis que Laurette n'avait pas nécessairement cette volupté des courbes qui aurait pu, à tout le moins, l'apparenter à une déesse de la fertilité. Elle avait plutôt la forme d'un tonneau, Laurette. Tout était dans le ventre, gonflé et anguleux. Rien dans les fesses. Et avec ça de petites jambes bien trop frêles pour soutenir ce cube ambulant. Quant à ses cheveux, c'était de la vraie laine d'acier de marque Bulldog qui aurait rouillé sous l'évier avec des restants de gras.
Vous dire qu'elle n'était pas jolie relève sans doute d'une forme de mesquinerie. On pourrait arguer que l'essentiel est invisible pour les yeux, que la beauté intérieure prédomine sur les apparences et tout le saint-frusquin. Néanmoins, Laurette était intérieurement à l'image de ce qu'elle reflétait. Comme si la destinée s'était chargée de lui donner un corps reflétant ses idées.
Son physique ingrat aurait sans aucun doute profité d'un zeste de gentillesse et de savoir-vivre. Or, Laurette n'était ni gentille, ni attentionnée, ni rien. Elle était plutôt un immense réservoir de haine, de mépris et de méchanceté. Il n'y avait jamais de merci et s'il-vous-plaît avec Laurette. C'était toujours heille toé! Heille là! Heille chose!
Elle aimait se moquer d'autrui plus que des gens à la mode ne l'auraient fait et se croyait elle-même à la mode parce qu'elle avait un Iphone.
Elle parlait toujours de son Iphone, Laurette. Elle le montrait à tout un chacun comme un signe de réussite sociale. "Écartez-vous, minables, j'ai un Iphone!", semblait-elle dire.
Avec son Iphone elle passait de longues journées sur les médias sociaux à s'en prendre aux immigrés, aux assistés sociaux, aux homos, aux travelos, aux transgenres, aux séparatistes, aux communistes, aux syndicalistes et bien sûr aux artistes. Laurette détestait plus que tout les gratteux de guitare. Elle était déjà tombée amoureux d'un maudit gratteux de guitare qui avait refusé son invitation. "Tu mets une capote pis c't'okay avec moé!", lui avait-elle dit. Le gratteux de guitare, un gars plutôt squelettique et réservé, avait répliqué qu'il ne pouvait pas en prétextant un rendez-vous important. Elle en avait conclu que les gratteux de guitare étaient tous gays. En fait, le gratteux de guitare trouvait que Laurette était aussi laide que mal élevée, aussi désagréable que sentant mauvais le parfum de vanille au bacon.
Laurette aurait voulu que tous les gratteux de guitare se fassent enrôler dans l'armée pour qu'on leur apprenne la discipline.
Elle souhaitait aussi que l'on expulse toutes les autres races, inférieures sans aucun doute, qui n'avaient pas le génie d'apprécier la saveur exquise des bines au lard et de la poutine triple fromage.
-Tous des hosties d'faces de rat! qu'elle disait. Moé, là, les immigrés sales qui viennent voler nos jobs... Porte tous des linges à vaisselle su' 'a tête sacrament!
Évidemment, Laurette n'avait pas été longtemps à l'école. Elle disait d'ailleurs que l'école est contrôlée par des tapettes et des lesbiennes qui veulent enseigner l'Islam et l'assistance sociale à vie aux enfants.
-J'ai-tu eu besoin d'aller 'école moé? Non. J'me su's trouvé une job à 'a manufacture pis j'ai mis mon cash de côté pour m'acheter un char, une maison, une piscine pis un Iphone. Ça donne quoi aller 'a 'école si t'es un trou d'cul d'gratteux d'guitare qui a rien qu'el' cul pis 'es dents, hein? On devrait rétablir la peine de mort calvaire! Pis les chiennes qui s'font toujours avorter on devrait les enchaîner avec un boulet aux pieds, comme aux États-Unis, pour refaire nos routes!
On pourrait croire que Laurette était célibataire. Eh bien, croyez-le ou non, Laurette était mariée. Elle avait fini par se trouver un petit maigre pas trop regardant qui lui obéissait au doigt et à l'oeil. Stéphane Laplante était la victime idéale pour Laurette. Il ne savait jamais dire non. C'est comme ça qu'elle avait pu poser ses griffes noires et malpropres sur cette bête de proie.
-Tu mets une capote pis c't'okay, qu'elle lui avait dit.
-Heu... avait-il répondu.
Finalement, Laurette lui avait mis elle-même une capote et l'abruti s'était laissé faire. En fermant les yeux, Stéphane s'était imaginé qu'il était en Floride avec sa bête. Un an plus tard ils étaient mariés et avaient leur premier enfant, un petit tabarnak qui avait tout hérité de sa mère et sacrait toute la journée pour avoir un Iphone, un Ipad et tout le tralala.
Stéphane n'était pas raciste mais il n'habitait pas suffisamment ses couilles pour contredire la grosse Laurette. Au bout du compte, cela donnait le même résultat.
Parle, parle, jase, jase, et on n'a encore rien trouvé de bon à dire à propos de Laurette.
Elle devait bien aider un itinérant de temps à autre, non?
Pas du tout. Elle leur disait de se lever le cul et d'aller se trouver une job.
Elle devait rendre service à ses voisins alors?
Non. Elle les méprisait pour leur musique, leur accoutrement et même les petits baisers qu'ils se donnaient devant tout le monde.
-Bon! On sait bin! Faut qu'i' s'pavanent pour montrer qu'i' s'aiment pis dans l'fond i' s'trompent tout l'temps l'un l'autre! Ça doit s'rentrer des concombres dans l'cul une fois l'dos r'tourner!
Laurette aurait bien voulu tromper Stéphane Laplante. Ce n'est pas parce qu'elle n'avait pas essayé. Cependant, personne ne voulait d'elle. Ce qui, évidemment, ne la rendait que plus teigneuse et toujours plus méchante.
-Tous des tapettes... Le monde est en train d'virer tapette... Y'ont peur des femmes de caractère sacrament! Y'aiment mieux des hosties d'voilées pas regardables! Connaissent rien ciboire!
Il serait agréable de trouver une fin heureuse à son histoire.
Cela ne s'est pas encore produit.
Tout être humain a droit à sa rédemption et Laurette ne fait sans doute pas exception.
Mais que voulez-vous? Les Stéphane Laplante ne court pas les rues.
Y'en aurait-il mille comme lui que l'humanité ne serait pas plus avancée.
Donc, pour conclure, on n'a pas fini de lire des messages haineux de Laurette sur les médias sociaux.
On n'a pas fini de l'entendre dire que les immigrés puent, que les tapettes ne sont pas normales, que les maudits chialeux des droits de la personne sont des maudits islamistes qui veulent détruire nos sapins de Noël et saper nos privilèges en chiant dans nos bines au lard.
Vous dire qu'elle n'était pas jolie relève sans doute d'une forme de mesquinerie. On pourrait arguer que l'essentiel est invisible pour les yeux, que la beauté intérieure prédomine sur les apparences et tout le saint-frusquin. Néanmoins, Laurette était intérieurement à l'image de ce qu'elle reflétait. Comme si la destinée s'était chargée de lui donner un corps reflétant ses idées.
Son physique ingrat aurait sans aucun doute profité d'un zeste de gentillesse et de savoir-vivre. Or, Laurette n'était ni gentille, ni attentionnée, ni rien. Elle était plutôt un immense réservoir de haine, de mépris et de méchanceté. Il n'y avait jamais de merci et s'il-vous-plaît avec Laurette. C'était toujours heille toé! Heille là! Heille chose!
Elle aimait se moquer d'autrui plus que des gens à la mode ne l'auraient fait et se croyait elle-même à la mode parce qu'elle avait un Iphone.
Elle parlait toujours de son Iphone, Laurette. Elle le montrait à tout un chacun comme un signe de réussite sociale. "Écartez-vous, minables, j'ai un Iphone!", semblait-elle dire.
Avec son Iphone elle passait de longues journées sur les médias sociaux à s'en prendre aux immigrés, aux assistés sociaux, aux homos, aux travelos, aux transgenres, aux séparatistes, aux communistes, aux syndicalistes et bien sûr aux artistes. Laurette détestait plus que tout les gratteux de guitare. Elle était déjà tombée amoureux d'un maudit gratteux de guitare qui avait refusé son invitation. "Tu mets une capote pis c't'okay avec moé!", lui avait-elle dit. Le gratteux de guitare, un gars plutôt squelettique et réservé, avait répliqué qu'il ne pouvait pas en prétextant un rendez-vous important. Elle en avait conclu que les gratteux de guitare étaient tous gays. En fait, le gratteux de guitare trouvait que Laurette était aussi laide que mal élevée, aussi désagréable que sentant mauvais le parfum de vanille au bacon.
Laurette aurait voulu que tous les gratteux de guitare se fassent enrôler dans l'armée pour qu'on leur apprenne la discipline.
Elle souhaitait aussi que l'on expulse toutes les autres races, inférieures sans aucun doute, qui n'avaient pas le génie d'apprécier la saveur exquise des bines au lard et de la poutine triple fromage.
-Tous des hosties d'faces de rat! qu'elle disait. Moé, là, les immigrés sales qui viennent voler nos jobs... Porte tous des linges à vaisselle su' 'a tête sacrament!
Évidemment, Laurette n'avait pas été longtemps à l'école. Elle disait d'ailleurs que l'école est contrôlée par des tapettes et des lesbiennes qui veulent enseigner l'Islam et l'assistance sociale à vie aux enfants.
-J'ai-tu eu besoin d'aller 'école moé? Non. J'me su's trouvé une job à 'a manufacture pis j'ai mis mon cash de côté pour m'acheter un char, une maison, une piscine pis un Iphone. Ça donne quoi aller 'a 'école si t'es un trou d'cul d'gratteux d'guitare qui a rien qu'el' cul pis 'es dents, hein? On devrait rétablir la peine de mort calvaire! Pis les chiennes qui s'font toujours avorter on devrait les enchaîner avec un boulet aux pieds, comme aux États-Unis, pour refaire nos routes!
On pourrait croire que Laurette était célibataire. Eh bien, croyez-le ou non, Laurette était mariée. Elle avait fini par se trouver un petit maigre pas trop regardant qui lui obéissait au doigt et à l'oeil. Stéphane Laplante était la victime idéale pour Laurette. Il ne savait jamais dire non. C'est comme ça qu'elle avait pu poser ses griffes noires et malpropres sur cette bête de proie.
-Tu mets une capote pis c't'okay, qu'elle lui avait dit.
-Heu... avait-il répondu.
Finalement, Laurette lui avait mis elle-même une capote et l'abruti s'était laissé faire. En fermant les yeux, Stéphane s'était imaginé qu'il était en Floride avec sa bête. Un an plus tard ils étaient mariés et avaient leur premier enfant, un petit tabarnak qui avait tout hérité de sa mère et sacrait toute la journée pour avoir un Iphone, un Ipad et tout le tralala.
Stéphane n'était pas raciste mais il n'habitait pas suffisamment ses couilles pour contredire la grosse Laurette. Au bout du compte, cela donnait le même résultat.
Parle, parle, jase, jase, et on n'a encore rien trouvé de bon à dire à propos de Laurette.
Elle devait bien aider un itinérant de temps à autre, non?
Pas du tout. Elle leur disait de se lever le cul et d'aller se trouver une job.
Elle devait rendre service à ses voisins alors?
Non. Elle les méprisait pour leur musique, leur accoutrement et même les petits baisers qu'ils se donnaient devant tout le monde.
-Bon! On sait bin! Faut qu'i' s'pavanent pour montrer qu'i' s'aiment pis dans l'fond i' s'trompent tout l'temps l'un l'autre! Ça doit s'rentrer des concombres dans l'cul une fois l'dos r'tourner!
Laurette aurait bien voulu tromper Stéphane Laplante. Ce n'est pas parce qu'elle n'avait pas essayé. Cependant, personne ne voulait d'elle. Ce qui, évidemment, ne la rendait que plus teigneuse et toujours plus méchante.
-Tous des tapettes... Le monde est en train d'virer tapette... Y'ont peur des femmes de caractère sacrament! Y'aiment mieux des hosties d'voilées pas regardables! Connaissent rien ciboire!
Il serait agréable de trouver une fin heureuse à son histoire.
Cela ne s'est pas encore produit.
Tout être humain a droit à sa rédemption et Laurette ne fait sans doute pas exception.
Mais que voulez-vous? Les Stéphane Laplante ne court pas les rues.
Y'en aurait-il mille comme lui que l'humanité ne serait pas plus avancée.
Donc, pour conclure, on n'a pas fini de lire des messages haineux de Laurette sur les médias sociaux.
On n'a pas fini de l'entendre dire que les immigrés puent, que les tapettes ne sont pas normales, que les maudits chialeux des droits de la personne sont des maudits islamistes qui veulent détruire nos sapins de Noël et saper nos privilèges en chiant dans nos bines au lard.
samedi 28 janvier 2017
Mémoire et mensonge
J'ai parcouru le livre premier des Essais de Montaigne ce matin. Je suis tombé sur un passage où il parlait des menteurs. Selon Montaigne, il faut de la mémoire pour être un menteur. Il précise, cela dit, qu'il n'a pas de mémoire. Montaigne pouvait donc se targuer de dire toujours la vérité par manque de procédés mnémotechniques.
Je ne suis pas Montaigne, ni La Boétie. J'ai plutôt une mémoire d'éléphant. J'enregistre dans ma tête des trucs que tel autre n'aurait pas retenus ou bien inventés...
Suis-je un menteur? À vous de me le dire...
Je m'écoute parler, bien entendu, et ma mémoire est une arme redoutable pour créer des souvenirs où l'imaginaire se confond parfois avec la réalité. D'où ma propension à produire bien plus de littérature que d'essais. Je ne cherche pas tant à convaincre qu'à émouvoir. Il ne serait même pas outrancier de concevoir que j'aime épater la galerie. J'aime me produire en spectacle. J'aime animer les conversations. Je ne supporte pas longtemps le silence en groupe. Ça pourrait expliquer mon mépris de tous les cultes religieux. S'il faut absolument me taire, je préfère le faire tout seul. Regarder quelqu'un en silence dans le blanc des yeux sans rien dire me fait suffoquer d'ennui. Je suis à surprendre ou à laisser.
Où en étais-je? Ah oui, aux Essais de Montaigne sur les menteurs... Je n'ai lu que trois ou quatre paragraphes. Je ne saurais vous en parler longtemps. Bien qu'il me soit possible de palabrer sur la France de François 1er et autres calembredaines pour donner l'impression que je connais les idées de Montaigne autant que le siècle qui l'a vu naître. Vous finiriez par vous lasser de moi avec raison.
À vrai dire, je voulais surtout vous parler de mémoire en lien avec le mensonge.
La littérature encourage le mensonge ou, à tout le moins, l'arrangement de la vérité.
J'aime écrire pour me permettre de conférer à de petites anecdotes une dimension quasiment mythique.
J'ai une certaine propension à la mythomanie. Je la soigne avec les arts et les lettres.
Voilà où je voulais en venir.
L'un de mes meilleurs amis, Ti-Ben, est le roi des menteurs. Par contre, ces mensonges ne sont jamais émis dans le but de vous rouler dans la farine. Il ment pour le plus grand bonheur de ses auditeurs. Il ment par courtoisie autant que par bonté devrais-je dire. Il lui arrive même de s'attribuer des histoires qui me sont arrivées à moi-même.
-Ce que tu racontes... C'est moi qui te l'ai raconté Ti-Ben...
-C'est vrai? J'pensais que ça m'était arrivé... J'ai dû me mêler dans mes notes, réplique-t-il sans se sentir vexé.
Puis Ti-Ben poursuit sur sa lancée. Il vous raconte ensuite l'histoire d'un type qui s'est collé un gyrophare de police sur la tête qu'il ne pouvait plus enlever ensuite compte tenu de l'énorme succion exercée par la ventouse... Avant d'émettre des doutes, j'entre dans son mensonge pour me délecter de tous les sous-récits qui en découleront. Et, quelques heures plus tard, je lui pique ses idées comme si c'est à moi que c'était arrivé...
Montaigne ne nous aurait pas aimés j'imagine. Enfin, il m'est permis de le croire. Nous n'aurions pas été assez sérieux pour lui, ni suffisamment vrai.
Néanmoins, je maintiens qu'il vaut mieux inventer que de ne rien dire, rien faire, rien chanter, rien danser, rien jouer...
La vie est un jeu.
L'esprit de sérieux tant décrié par le philosophe Nietzsche sape les fondements de l'existence.
Je ne crois pas que Nietzsche appréciait Montaigne.
Il était plus près des moralistes français et de Voltaire.
Peut-être parce qu'il y avait quelque chose de ludique en eux.
Quelque chose comme l'esprit sportif, un truc comme la Gaya Scienza pour reprendre le philosophe moustachu.
Être doté d'une mémoire prodigieuse a tout de même quelques avantages.
Et, franchement, je ne trouve rien d'autre à ajouter pour le moment.
Je ne suis pas Montaigne, ni La Boétie. J'ai plutôt une mémoire d'éléphant. J'enregistre dans ma tête des trucs que tel autre n'aurait pas retenus ou bien inventés...
Suis-je un menteur? À vous de me le dire...
Je m'écoute parler, bien entendu, et ma mémoire est une arme redoutable pour créer des souvenirs où l'imaginaire se confond parfois avec la réalité. D'où ma propension à produire bien plus de littérature que d'essais. Je ne cherche pas tant à convaincre qu'à émouvoir. Il ne serait même pas outrancier de concevoir que j'aime épater la galerie. J'aime me produire en spectacle. J'aime animer les conversations. Je ne supporte pas longtemps le silence en groupe. Ça pourrait expliquer mon mépris de tous les cultes religieux. S'il faut absolument me taire, je préfère le faire tout seul. Regarder quelqu'un en silence dans le blanc des yeux sans rien dire me fait suffoquer d'ennui. Je suis à surprendre ou à laisser.
Où en étais-je? Ah oui, aux Essais de Montaigne sur les menteurs... Je n'ai lu que trois ou quatre paragraphes. Je ne saurais vous en parler longtemps. Bien qu'il me soit possible de palabrer sur la France de François 1er et autres calembredaines pour donner l'impression que je connais les idées de Montaigne autant que le siècle qui l'a vu naître. Vous finiriez par vous lasser de moi avec raison.
À vrai dire, je voulais surtout vous parler de mémoire en lien avec le mensonge.
La littérature encourage le mensonge ou, à tout le moins, l'arrangement de la vérité.
J'aime écrire pour me permettre de conférer à de petites anecdotes une dimension quasiment mythique.
J'ai une certaine propension à la mythomanie. Je la soigne avec les arts et les lettres.
Voilà où je voulais en venir.
L'un de mes meilleurs amis, Ti-Ben, est le roi des menteurs. Par contre, ces mensonges ne sont jamais émis dans le but de vous rouler dans la farine. Il ment pour le plus grand bonheur de ses auditeurs. Il ment par courtoisie autant que par bonté devrais-je dire. Il lui arrive même de s'attribuer des histoires qui me sont arrivées à moi-même.
-Ce que tu racontes... C'est moi qui te l'ai raconté Ti-Ben...
-C'est vrai? J'pensais que ça m'était arrivé... J'ai dû me mêler dans mes notes, réplique-t-il sans se sentir vexé.
Puis Ti-Ben poursuit sur sa lancée. Il vous raconte ensuite l'histoire d'un type qui s'est collé un gyrophare de police sur la tête qu'il ne pouvait plus enlever ensuite compte tenu de l'énorme succion exercée par la ventouse... Avant d'émettre des doutes, j'entre dans son mensonge pour me délecter de tous les sous-récits qui en découleront. Et, quelques heures plus tard, je lui pique ses idées comme si c'est à moi que c'était arrivé...
Montaigne ne nous aurait pas aimés j'imagine. Enfin, il m'est permis de le croire. Nous n'aurions pas été assez sérieux pour lui, ni suffisamment vrai.
Néanmoins, je maintiens qu'il vaut mieux inventer que de ne rien dire, rien faire, rien chanter, rien danser, rien jouer...
La vie est un jeu.
L'esprit de sérieux tant décrié par le philosophe Nietzsche sape les fondements de l'existence.
Je ne crois pas que Nietzsche appréciait Montaigne.
Il était plus près des moralistes français et de Voltaire.
Peut-être parce qu'il y avait quelque chose de ludique en eux.
Quelque chose comme l'esprit sportif, un truc comme la Gaya Scienza pour reprendre le philosophe moustachu.
Être doté d'une mémoire prodigieuse a tout de même quelques avantages.
Et, franchement, je ne trouve rien d'autre à ajouter pour le moment.
vendredi 27 janvier 2017
Germain Lécrevisse et le Dépanneur Lanteigne
Germain Lécrevisse aimait lire la grammaire Grevisse. Cette grammaire était pour lui aussi délectable qu'une nuit de sexe intense tout en tachant moins les doigts. À vrai dire Lécrevisse ne s'intéressait pas aux galipettes. Pour lui, la vie ne trouvait tout son sens que dans le monde des idées et des lettres. Tout le reste lui semblait une distraction qui n'était pas digne d'occuper de l'espace dans une tête bien faite.
Le cabinet de lecture de Lécrevisse était particulier. Je veux dire qu'il lisait dans le cabinet d'aisance. Il avait emménagé en bibliothèque les chiottes de son appartement miteux. Si vous n'avez pas encore compris, Lécrevisse lisait en chiant.
Il est difficile de comprendre cette manie malodorante. Comment peut-on chier pendant des heures en lisant des livres? Lécrevisse ne se posait pas ce genre de questions. Il croyait au contraire qu'il était tout naturel de lire tout en déféquant. D'autant plus qu'il avait tendance à constiper. La moindre crotte lui demandait des efforts surhumains. Il appelait à son secours les grands auteurs, que ce soit Hugo, Guy des Cars ou Jacques Godbout, pour faire ses dépôts quotidiens.
-Gnnnn! Gnnn! geignait-il en faisant la grimace. Quel beau passage de Victor Hugo! Gnnn! Gnnn! C'est bien meilleur que L'Aquarium de Jacques Godbout! Gnnnn!
Et puis plouf. Il tombait une petite pépite. Il lui fallait lire encore quelques pages afin d'en ajouter quelques autres.
Nous prenons tout de même quelques libertés à vous le présenter ainsi dans ses moments les plus intimes. Pourtant, ces moments expliquaient vraiment tout ce qu'il était, aussi scatologique que cela puisse paraître. On voudrait vous faire croire qu'untel est ceci ou cela sans jamais l'avoir vu en train de chier.
Lécrevisse était petit et grassouillet, barbu et échevelé, pas très sportif et plus porcelet que gastronome. Une femme pas trop difficile aurait pu le trouver beau s'il n'avait pas été aussi malpropre de sa personne. Il sentait souvent la sueur et laissait pousser ses poils de sourcils, d'oreilles et de narines de manière à lui conférer des airs d'ermite qui n'avait jamais été extirpé de son tas de fumier. Aussi, Lécrevisse n'avait aucun succès tant auprès des femmes que des hommes. Il s'en remettait donc à ses chers livres parsemés de bouts de papier de toilette qui lui tenaient lieu de signets.
Ce n'est certes pas pour se gausser de Lécrevisse qu'on l'expose ici dans toute la nudité de sa vie d'ermite.
C'est que notre bonhomme ne faisait pas que chier et lire des livres.
Il lui arrivait aussi d'aller au Dépanneur Lanteigne
Fort heureusement, le logement de Lécrevisse se situait juste au-dessus.
Bernard Lanteigne, le propriétaire du dépanneur, était un type un peu louche, un cinquantenaire costaud et barbu, qui n'embauchait que des femmes regardables pour travailler dans sa business. Il aimait leur tenir des propos sexistes, orduriers et rabaissants. Il les choisissait dans les milieux les plus pauvres pour qu'elles soient sans défense devant ses offenses répétées.
Lanteigne faisait crédit à ses clients désoeuvrés en prenant une cote sur leur chèque d'assistance sociale. Tu achetais pour quatre cent dollars et tu lui devais cinq cent dollars à la fin du mois. Malheur à celui qui ne payait pas, bien entendu! Lanteigne faisait aussi office de shylock et savait s'entourer de sales brutes qui cassaient la gueule des mauvais payeurs au besoin. Pour tout dire, les malheureux payaient rubis sur l'ongle, si l'expression signifie quelque chose dans le cas qui nous préoccupe.
Or, Lécrevisse lui devait un mois de loyer en plus d'avoir acheté toute sa nourriture à crédit au cours des dernières semaines. Il n'avait jamais fait ça auparavant. Mais il lui était venu l'envie d'acheter l'encyclopédie Universalis chez le vendeur de livres usagés du coin de la rue. Le vendeur lui avait abandonné toute la collection pour moins de quatre cents dollars, une somme colossale pour Lécrevisse qui ne travaillait pas et ne faisait que lire des livres en chiant.
-Il faut bien se gâter dans la vie! C'est tout de même l'encyclopédie Universalis bon sang!
Le hic, c'est qu'il n'avait pas d'économie, Lécrevisse, et c'est l'argent qui devait aller à son loyer et même un peu plus qui y était passé.
Trois jours plus tard, Lécrevisse avait terriblement faim et rien à manger. Il alla pleurnicher au Dépanneur Lanteigne pour obtenir pitance ainsi que patience pour le paiement du loyer.
-Je vais vous rembourser le mois prochain, je le jure sur la tombe de Victor Hugo!
-Ouin... Jure pas trop vite... Pis oublie pas de me payer le premier parce que je suis pas du genre à niaiser avec ça moé...
-Merci monsieur Lanteigne pour votre compréhension! Que serions-nous sans des hommes aussi nobles que vous l'êtes, n'est-ce pas?
-C'est ça... C'est ça... Manon, ouvre-lui un compte pour son poulet pressé pis son pain... Pas question que t'ailles le sucer à crédit dans l'backstore par 'xemple! Arf! Arf! Arf! Pis Lécrevisse, tu trouves-ti qu'elle a une bouche de suceuse Manon, hein?
-Hum... Heu... répondit Lécrevisse d'un air gêné.
Manon n'osa rien dire. Elle s'était habituée à ce genre de remarques et avait besoin de son salaire pour nourrir ses trois enfants ainsi que son mari dépressif qui ne travaillait pas.
Les jours qui suivirent furent de loin les meilleurs qu'avait vécus Lécrevisse au cours de sa vie.
Le champ de son savoir prenait toujours plus d'ampleur. Il prenait un tome de l'encyclopédie Universalis au hasard et lisait toutes sortes d'articles intéressants. Il en oubliait de tirer la chasse d'eau, mais bon c'était plutôt son habitude.
Il lut sur Montaigne, le Montana et l'histoire de la monnaie. Puis il parcourut des articles sur le Rubicon, les ruines et les runes.
Un beau matin, c'était le deux du mois, Lanteigne vint cogner à la porte.
-Pis? Tu viens pas m'payer?
-Quoi? C'est déjà le premier?
-Non, c'est le deux... T'essaie pas de me passer un sapin toé là mon hostie? dit méchamment Lanteigne.
-Non... non... c'est que je ne savais pas... Mon chèque doit être dans la boîte à malle...
Or, le chèque n'était pas là.
-Comme ça t'as pas reçu ton chèque mon hostie d'crosseur? s'impatienta Lanteigne.
-C'est sûrement une erreur! Voyons... C'est une horrible méprise... Je... Enfin...
Lanteigne en avait assez de courir après l'argent de tout le monde et son ex-blonde venait de le quitter en lui volant cinq cents dollars. L'honnête homme n'était pas d'humeur à s'en faire passer une autre. Aussi rentra-t-il ses doigts dans les narines poilues de Lécrevisse en tirant très fort.
-Mais... Enfin! Vous me faites mal!
-Tu paies avant la fin de la journée ou j't'arracherai pas juste le nez mon hostie!
-Oui... oui... soyez sans crainte... lâchez-moi monsieur...
Qu'est-il arrivé par la suite?
C'est là qu'il manque un bout à cette histoire.
Les habitués du dépanneur apprirent que Lécrevisse avait subitement disparu. Toutes ses affaires, incluant tous ses livres, s'étaient retrouvées dans les bacs à ordures devant le dépanneur.
L'appartement fut loué à un vieil ivrogne surnommé Baptiste.
Il ne lisait pas de livres et passait le plus clair de son temps à regarder la télé qui ne captait qu'un seul poste.
Il buvait à crédit lui aussi mais au moins il payait à tous les premiers du mois, quitte à commettre des menus larcins ici et là pour se payer un toit et de la nourriture.
On prétend que Lécrevisse avait été balancé en bas du pont.
On exagère sans doute.
Mais Lanteigne aime bien que l'on colporte ce genre de rumeurs.
Ça lui évite de s'expliquer longtemps avec les mauvais payeurs.
Le cabinet de lecture de Lécrevisse était particulier. Je veux dire qu'il lisait dans le cabinet d'aisance. Il avait emménagé en bibliothèque les chiottes de son appartement miteux. Si vous n'avez pas encore compris, Lécrevisse lisait en chiant.
Il est difficile de comprendre cette manie malodorante. Comment peut-on chier pendant des heures en lisant des livres? Lécrevisse ne se posait pas ce genre de questions. Il croyait au contraire qu'il était tout naturel de lire tout en déféquant. D'autant plus qu'il avait tendance à constiper. La moindre crotte lui demandait des efforts surhumains. Il appelait à son secours les grands auteurs, que ce soit Hugo, Guy des Cars ou Jacques Godbout, pour faire ses dépôts quotidiens.
-Gnnnn! Gnnn! geignait-il en faisant la grimace. Quel beau passage de Victor Hugo! Gnnn! Gnnn! C'est bien meilleur que L'Aquarium de Jacques Godbout! Gnnnn!
Et puis plouf. Il tombait une petite pépite. Il lui fallait lire encore quelques pages afin d'en ajouter quelques autres.
Nous prenons tout de même quelques libertés à vous le présenter ainsi dans ses moments les plus intimes. Pourtant, ces moments expliquaient vraiment tout ce qu'il était, aussi scatologique que cela puisse paraître. On voudrait vous faire croire qu'untel est ceci ou cela sans jamais l'avoir vu en train de chier.
Lécrevisse était petit et grassouillet, barbu et échevelé, pas très sportif et plus porcelet que gastronome. Une femme pas trop difficile aurait pu le trouver beau s'il n'avait pas été aussi malpropre de sa personne. Il sentait souvent la sueur et laissait pousser ses poils de sourcils, d'oreilles et de narines de manière à lui conférer des airs d'ermite qui n'avait jamais été extirpé de son tas de fumier. Aussi, Lécrevisse n'avait aucun succès tant auprès des femmes que des hommes. Il s'en remettait donc à ses chers livres parsemés de bouts de papier de toilette qui lui tenaient lieu de signets.
Ce n'est certes pas pour se gausser de Lécrevisse qu'on l'expose ici dans toute la nudité de sa vie d'ermite.
C'est que notre bonhomme ne faisait pas que chier et lire des livres.
Il lui arrivait aussi d'aller au Dépanneur Lanteigne
Fort heureusement, le logement de Lécrevisse se situait juste au-dessus.
Bernard Lanteigne, le propriétaire du dépanneur, était un type un peu louche, un cinquantenaire costaud et barbu, qui n'embauchait que des femmes regardables pour travailler dans sa business. Il aimait leur tenir des propos sexistes, orduriers et rabaissants. Il les choisissait dans les milieux les plus pauvres pour qu'elles soient sans défense devant ses offenses répétées.
Lanteigne faisait crédit à ses clients désoeuvrés en prenant une cote sur leur chèque d'assistance sociale. Tu achetais pour quatre cent dollars et tu lui devais cinq cent dollars à la fin du mois. Malheur à celui qui ne payait pas, bien entendu! Lanteigne faisait aussi office de shylock et savait s'entourer de sales brutes qui cassaient la gueule des mauvais payeurs au besoin. Pour tout dire, les malheureux payaient rubis sur l'ongle, si l'expression signifie quelque chose dans le cas qui nous préoccupe.
Or, Lécrevisse lui devait un mois de loyer en plus d'avoir acheté toute sa nourriture à crédit au cours des dernières semaines. Il n'avait jamais fait ça auparavant. Mais il lui était venu l'envie d'acheter l'encyclopédie Universalis chez le vendeur de livres usagés du coin de la rue. Le vendeur lui avait abandonné toute la collection pour moins de quatre cents dollars, une somme colossale pour Lécrevisse qui ne travaillait pas et ne faisait que lire des livres en chiant.
-Il faut bien se gâter dans la vie! C'est tout de même l'encyclopédie Universalis bon sang!
Le hic, c'est qu'il n'avait pas d'économie, Lécrevisse, et c'est l'argent qui devait aller à son loyer et même un peu plus qui y était passé.
Trois jours plus tard, Lécrevisse avait terriblement faim et rien à manger. Il alla pleurnicher au Dépanneur Lanteigne pour obtenir pitance ainsi que patience pour le paiement du loyer.
-Je vais vous rembourser le mois prochain, je le jure sur la tombe de Victor Hugo!
-Ouin... Jure pas trop vite... Pis oublie pas de me payer le premier parce que je suis pas du genre à niaiser avec ça moé...
-Merci monsieur Lanteigne pour votre compréhension! Que serions-nous sans des hommes aussi nobles que vous l'êtes, n'est-ce pas?
-C'est ça... C'est ça... Manon, ouvre-lui un compte pour son poulet pressé pis son pain... Pas question que t'ailles le sucer à crédit dans l'backstore par 'xemple! Arf! Arf! Arf! Pis Lécrevisse, tu trouves-ti qu'elle a une bouche de suceuse Manon, hein?
-Hum... Heu... répondit Lécrevisse d'un air gêné.
Manon n'osa rien dire. Elle s'était habituée à ce genre de remarques et avait besoin de son salaire pour nourrir ses trois enfants ainsi que son mari dépressif qui ne travaillait pas.
Les jours qui suivirent furent de loin les meilleurs qu'avait vécus Lécrevisse au cours de sa vie.
Le champ de son savoir prenait toujours plus d'ampleur. Il prenait un tome de l'encyclopédie Universalis au hasard et lisait toutes sortes d'articles intéressants. Il en oubliait de tirer la chasse d'eau, mais bon c'était plutôt son habitude.
Il lut sur Montaigne, le Montana et l'histoire de la monnaie. Puis il parcourut des articles sur le Rubicon, les ruines et les runes.
Un beau matin, c'était le deux du mois, Lanteigne vint cogner à la porte.
-Pis? Tu viens pas m'payer?
-Quoi? C'est déjà le premier?
-Non, c'est le deux... T'essaie pas de me passer un sapin toé là mon hostie? dit méchamment Lanteigne.
-Non... non... c'est que je ne savais pas... Mon chèque doit être dans la boîte à malle...
Or, le chèque n'était pas là.
-Comme ça t'as pas reçu ton chèque mon hostie d'crosseur? s'impatienta Lanteigne.
-C'est sûrement une erreur! Voyons... C'est une horrible méprise... Je... Enfin...
Lanteigne en avait assez de courir après l'argent de tout le monde et son ex-blonde venait de le quitter en lui volant cinq cents dollars. L'honnête homme n'était pas d'humeur à s'en faire passer une autre. Aussi rentra-t-il ses doigts dans les narines poilues de Lécrevisse en tirant très fort.
-Mais... Enfin! Vous me faites mal!
-Tu paies avant la fin de la journée ou j't'arracherai pas juste le nez mon hostie!
-Oui... oui... soyez sans crainte... lâchez-moi monsieur...
Qu'est-il arrivé par la suite?
C'est là qu'il manque un bout à cette histoire.
Les habitués du dépanneur apprirent que Lécrevisse avait subitement disparu. Toutes ses affaires, incluant tous ses livres, s'étaient retrouvées dans les bacs à ordures devant le dépanneur.
L'appartement fut loué à un vieil ivrogne surnommé Baptiste.
Il ne lisait pas de livres et passait le plus clair de son temps à regarder la télé qui ne captait qu'un seul poste.
Il buvait à crédit lui aussi mais au moins il payait à tous les premiers du mois, quitte à commettre des menus larcins ici et là pour se payer un toit et de la nourriture.
On prétend que Lécrevisse avait été balancé en bas du pont.
On exagère sans doute.
Mais Lanteigne aime bien que l'on colporte ce genre de rumeurs.
Ça lui évite de s'expliquer longtemps avec les mauvais payeurs.
jeudi 26 janvier 2017
Notre belle maison de fous où la solidarité est sociale...
Avez-vous déjà douté que l'amour soit aimable?
Sans doute pas. À moins que vous ne soyez l'un de ces infâmes ronds-de-cuir qui croient que la solidarité est sociale...
Il y a même un ministère pour nous rappeler que la solidarité n'est pas individuelle. Je me demande quel génie a bien pu trouver ça: la solidarité est sociale... Le même qui finirait par nous affirmer que l'amour est aimable.
Cela fait pourtant quelques années que la solidarité est sociale. Je me suis plains à quelques reprises de cette appellation auprès des autorités. Il n'est pas nécessaire de vous dire qu'on ne m'a jamais répondu. J'imagine que je devais bouleverser tout l'appareil bureaucratique avec ma traque aux pléonasmes. Ils ont dû se dire avec raison que j'étais le roi des emmerdeurs.
J'aurais beau remuer vents et marées que la solidarité demeurera sociale au Québec.
Il faudra bien que je m'y fasse.
Honte à moi de douter du bon sens de ces ministres, sous-ministres, députés et fonctionnaires.
On ne tiendra tout de même pas une réunion de dix heures pour remettre en question cette appellation avec toutes les modifications à n'en plus finir que cela pourrait entraîner. Si la solidarité n'était plus sociale, il faudrait changer les en-têtes des lettres officielles du ministère, imprimer de nouvelles cartes d'affaires et produire de nouveaux dépliants. Sans compter que tout le personnel devrait être avisé pour ce changement d'appellation. Le syndicat des fonctionnaires s'en mêlerait. On exigerait des rencontres supplémentaires, une table de concertation, une formation rémunérée pour tous les employés afin de les familiariser avec la solidarité tout court...
Ce serait bientôt le chaos.
Les assistés sociaux ne recevraient plus leurs prestations en temps voulu.
Et bientôt le Québec tout entier m'en voudrait d'avoir fait dérailler tout l'appareil gouvernemental au nom d'une subtilité linguistique dont tout le monde se moque.
***
Le roman 1984 de George Orwell est un succès de librairie depuis 1948. D'une année à l'autre, on multiplie les réimpressions et les traductions. Devrait-on s'en réjouir? Je me le demande...
Bien sûr que c'est un bon roman. Bien sûr qu'il tape sur les bons clous. Néanmoins, cela témoigne que notre monde se porte mal.
1984 est une caricature de la société dans laquelle nous régressons.
L'Angsoc, le Parti unique dirigé par Big Brother, a mis en place un système hautement bureaucratisé fondé sur la perversion du langage. On s'y attaque aux mots afin qu'ils ne veuillent plus rien dire. Ainsi, plus personne ne pourra formuler quoi que ce soit d'intelligent contre l'État bienveillant.
La guerre, c'est la paix. La liberté, c'est l'esclavage. L'ignorance, c'est la force.
On peut lire ça sur tous les murs de ce monde dystopique.
Des tas d'affiches rappellent aux citoyens ce qu'ils doivent penser et faire.
Puis il y a la novlangue, dont le but avoué est de rétrécir le langage et de multiplier les acronymes afin de réduire à néant toute tentative de formuler quoi que ce soit de compréhensible qui pourrait se retourner contre l'État.
***
Nous sommes bien en 2017. 1984 est loin derrière nous mais ça ne s'est pas arrangé pour autant.
Les sourds sont devenus des mal-entendants.
Les aveugles sont des mal-voyants.
Les pauvres sont des moins-nantis.
Et ainsi de suite.
Il en va de même pour les hôpitaux. On dit encore l'Université Laval. Selon nos nouvelles coutumes, il serait plus à la mode de dire le Centre universitaire d'éducation et de formation professionnelle Laval... Pourquoi employer le mot université tout seul, hein? Ne dit-on pas le Centre hospitalier affilié universitaire régional de soins et de services sociaux de Trois-Rivières - Pavillon Sainte-Marie? Bref, quelque chose comme le CHAURSSSTRPSM?
L'Hôpital de Trois-Rivières était une formule trop peu bureaucratique. Dix milles fonctionnaires auraient immédiatement perdu leur emploi.
***
Une visite au Centre local des services sociaux. En novembre, la réceptionniste, aussi appelée préposée à l'accueil et à la prise de données de catégorie 3 selon l'échelle salariale en vigueur, pouvait effectuer la prise de rendez-vous sur l'ordinateur située devant elle. J'y suis retourné récemment pour un petit pépin. Il y avait désormais un bureau aménagé exclusivement pour la prise de rendez-vous. Le bénéficiaire, autrefois appelé le patient, doit se déplacer dans un bureau adjacent au poste d'accueil. La préposée à l'accueil et la prise de données de catégorie 3 doit maintenant se déplacer vers ce bureau chaque fois qu'il faut prendre un rendez-vous... J'avoue n'y rien comprendre. Et je vous confesse ma lâcheté: je n'ai même pas trouvé la force de rechigner et de me montrer désagréable.
***
Tout l'appareil gouvernemental est conçu sous ce même modèle. On y coupe les cheveux en quatre. On y encule des mouches. Et on ne se questionne pas sur la valeur des ordres stupides venus d'en-haut. On vous demande de remplir le formulaire AJ-2341-alinéa b afin d'obtenir le formulaire QW-57-astérisque 34 qui vous permettra de boire de l'H2O à l'état liquide dans un contenant. On appelle ça boire un verre d'eau en langage non-scientifique...
Vous croyez que j'exagère? Je suis même en-dessous de la réalité. C'est pire que ce que je peux écrire. Il ne me reste qu'un cri coincé dans la gorge, comme lorsqu'on essaie de sortir d'un cauchemar.
Le Cri, Edvard Munch, 1893 |
Nous sommes dans la maison des fous d'Astérix. Tout le monde autour de moi comprend facilement cette allusion. Et tout le monde me répète du même souffle qu'est-cé tu veux qu'on faize?
C'est comme ça.
À Rome, on fait comme les Romains.
Dans la maison des fous, on fait comme les fous.
Toute révolte est caduque.
Il faut accepter cette condition.
***
Je vous laisse sur cette citation de Lewis Carrol tirée du conte De l'autre côté du miroir. Alice discute avec Humpty Dumpty de la signification des mots. Lisez bien ce que la tête d'oeuf en conclut.
-Humpty Dumpty : "C'est de la gloire pour toi !"
-"Je ne comprends pas ce que tu veux dire par gloire", répondit Alice
Humpty Dumpty sourit d'un air dédaigneux,-"Naturellement que tu ne le sais pas tant que je ne te le dis pas. Je voulais dire : c'est un argument décisif pour toi !"-"Mais gloire ne signifie pas argument décisif", objecta Alice.
-"Lorsque j'utilise un mot", déclara Humpty Dumpty avec gravité, " il signifie exactement ce que j'ai décidé qu'il signifierait - ni plus ni moins ".
-"Mais le problème" dit Alice, "c'est de savoir si tu peux faire en sorte que les mots signifient des choses différentes".
-"Le problème", dit Humpty Dumpty, "est de savoir qui commande, c'est tout " !
Humpty Dumpty, John Tenniel, 1871 |
mercredi 25 janvier 2017
L'humanisme d'abord et malgré tout
Je me souviens qu'on m'a dit qu'il ne suffit que d'une première bière ou d'un premier joint pour conduire irrémédiablement une jeune personne vers les affres des drogues dures. Il ne suffit que d'une seule bouchée dans le fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal pour qu'un imbécile heureux réalise qu'il est tout nu et malheureux. C'est aussi vieux que la Lune cette idée de ne jamais défier la norme de quelque pouvoir absolu sous peine d'être chassé du paradis terrestre.
Si je vous parle de tout ça, vous vous doutez bien que c'est parce que j'ai une petite idée derrière la tête.
Cette entrée en matière me servira bien sûr de démonstration pour ce qui va suivre.
Je vais d'abord m'accuser avant de lancer la première pierre sur quoi que ce soit.
Il m'arrive de généraliser à partir d'un épiphénomène. Cela se produit généralement sous la pression d'une discussion qui n'est aucunement éclairée. Mes arguments partent en vrille pour ne faire qu'une seule bouchée de mon interlocuteur, qu'il soit médusé ou pas.
Par exemple, j'ai souvent ramené les crimes de Staline, Mao et Pol Pot sur le tapis lorsqu'un militant communiste m'exposait ses vues dans toute sa naïveté. Au lieu de comprendre le profond sentiment d'injustice et d'humiliation sociales qui aurait pu le motiver, j'en venais tout de suite à l'évocation des génocides.
Et c'est idoine pour les féministes, les indépendantistes, les fédéralistes, les syndicalistes, les capitalistes, les artistes et tout ce qui finit avec ce type de suffixe substantif.
Il ne suffit que d'une féministe radicale qui veuille castrer tous les hommes pour que le féminisme passe pour une machine à trancher des bites.
Un seul syndicaliste corrompu justifie la haine des syndicats.
L'existence du Front de Libération du Québec, qui fut d'ailleurs largement instrumentalisé par la Gendarmerie Royale du Canada, condamne au statut d'aspirants-terroristes tous les indépendantistes modérés et respectueux de l'État de droit.
Tous les fédéralistes sont comme Jean Chrétien, bien entendu, et emploient des moyens sournois pour écraser l'aspiration à la liberté du peuple québécois.
Les capitalistes fouettent des enfants de cinq ans dans les mines.
Les artistes peignent avec leurs fluides corporels...
Je n'irai pas plus loin dans ma démonstration. Vous aurez sans doute compris que l'on généralise souvent à partir d'un épiphénomène. Et si vous le n'avez pas encore compris, permettez-moi d'ajouter que je m'en accuse moi-même une fois de plus.
***
J'ai beaucoup lu sur l'histoire des révolutions française et russe.
Au départ, nous n'avions pas affaire à des cannibales assoiffés de sang.
La Terreur n'était pas la finalité des révolutionnaires. Il est d'ailleurs frappant de constater que les révolutionnaires étaient bien plus animés par des idées larges et clairement humanistes. On ne remplissait pas tout de suite les prisons. On ne se vengeait de personne. On s'expliquait tant bien que mal. On raisonnait. On convainquait tout un chacun que ce serait mieux pour tout le monde d'avoir un toit, un peu de nourriture, des soins de santé et d'éducation -et j'en passe.
Cependant, le vieux monde ne veut jamais abdiquer aussi facilement. La réaction s'organise. Des armées se constituent pour tirer sur la foule d'édentés et de sans-culottes qui croient avoir trouvé le moyen d'établir un paradis sur Terre. On leur rappelle assez vite que ça ne se passera pas aussi facilement. La guerre civile survient suite aux premiers jours d'euphorie. Les opinions deviennent tout aussi tranchées que tranchantes. On oublie vite que tous les hommes naissent égaux et qu'ils ont droit à la poursuite du bonheur.
Du coup, le mouvement révolutionnaire se radicalise. On abandonne les pétitions, les vigiles et les manifestations spontanées pour imiter ce vieux monde qui ne veut pas perdre la face. On constitue des armées. On réinstaure la discipline. On tue pour l'exemple.
Et plus on tue d'un côté, plus on massacre de l'autre. Jusqu'à ce qu'un vainqueur établisse une paix relative dans le pays, au grand dam de ceux qui n'ont pas misé sur les bons joueurs.
***
Où est-ce que je veux en venir avec tout ça? À ceci que l'on peut prendre une bière ou bien un joint sans sombrer inévitablement dans la consommation d'héroïne. On peut accepter des éléments de la pensée communiste, féministe, fédéraliste, souverainiste ou capitaliste sans devenir un traître ou bien un scélérat.
Le fil conducteur, à mon sens, doit toujours être l'humanisme.
Le féminisme trouve tout son sens en tant que combat pour les droits de la personne. Les libertés acquises par les femmes, les transgenres ou les Lapons profitent à tout le monde. Elles élargissent le champ de nos actions et de nos pensées.
Le communisme n'a jamais été qu'un rappel de Saturne dévorant ses propres enfants. Il trouve encore son sens chez ces militants qui sont morts torturés dans des camps de concentration pour avoir dénoncé des injustices sociales criantes avec conviction. Il y eut des communistes sincères au goulag. Il ne faudrait pas l'oublier sous prétexte d'endiguer une idéologie que l'on juge perverse et totalitaire, à tort ou à raison.
Le capitalisme, aussi sordide soit-il, n'est pas toujours ce monstre qu'on tient à nous faire voir. Il correspond à une étape de notre société encore divisée qui verrait d'un mauvais oeil qu'il n'y ait qu'un vieux céleri et trois navets à se procurer au supermarché.
Le souverainisme québécois n'est pas un appel au meurtre, une idée raciste ou Dieu sait quoi encore.
Le fédéralisme canadien n'est pas le Mal absolu.
Bref, au risque de faire preuve de naïveté, je prétends que les lois doivent servir l'humain plutôt que ce soit l'humain qui serve les lois.
J'oserais presque dire, en paraphrasant le philosophe Protagoras, que l'humanité est la mesure de toutes choses.
Nous sommes ici sur Terre pour vivre ce qui pourrait être notre seule et unique chance d'avoir vécu.
Il serait dommage de gâcher cette chance en nous privant de manger du fruit de la connaissance du bien et du mal.
Il serait dommage de nous laisser gagner par la rage plutôt que de cultiver notre propre jardin pour y inviter tout un chacun à y philosopher dans le calme et le respect.
Si je vous parle de tout ça, vous vous doutez bien que c'est parce que j'ai une petite idée derrière la tête.
Cette entrée en matière me servira bien sûr de démonstration pour ce qui va suivre.
Je vais d'abord m'accuser avant de lancer la première pierre sur quoi que ce soit.
Il m'arrive de généraliser à partir d'un épiphénomène. Cela se produit généralement sous la pression d'une discussion qui n'est aucunement éclairée. Mes arguments partent en vrille pour ne faire qu'une seule bouchée de mon interlocuteur, qu'il soit médusé ou pas.
Par exemple, j'ai souvent ramené les crimes de Staline, Mao et Pol Pot sur le tapis lorsqu'un militant communiste m'exposait ses vues dans toute sa naïveté. Au lieu de comprendre le profond sentiment d'injustice et d'humiliation sociales qui aurait pu le motiver, j'en venais tout de suite à l'évocation des génocides.
Et c'est idoine pour les féministes, les indépendantistes, les fédéralistes, les syndicalistes, les capitalistes, les artistes et tout ce qui finit avec ce type de suffixe substantif.
Il ne suffit que d'une féministe radicale qui veuille castrer tous les hommes pour que le féminisme passe pour une machine à trancher des bites.
Un seul syndicaliste corrompu justifie la haine des syndicats.
L'existence du Front de Libération du Québec, qui fut d'ailleurs largement instrumentalisé par la Gendarmerie Royale du Canada, condamne au statut d'aspirants-terroristes tous les indépendantistes modérés et respectueux de l'État de droit.
Tous les fédéralistes sont comme Jean Chrétien, bien entendu, et emploient des moyens sournois pour écraser l'aspiration à la liberté du peuple québécois.
Les capitalistes fouettent des enfants de cinq ans dans les mines.
Les artistes peignent avec leurs fluides corporels...
Je n'irai pas plus loin dans ma démonstration. Vous aurez sans doute compris que l'on généralise souvent à partir d'un épiphénomène. Et si vous le n'avez pas encore compris, permettez-moi d'ajouter que je m'en accuse moi-même une fois de plus.
***
J'ai beaucoup lu sur l'histoire des révolutions française et russe.
Au départ, nous n'avions pas affaire à des cannibales assoiffés de sang.
La Terreur n'était pas la finalité des révolutionnaires. Il est d'ailleurs frappant de constater que les révolutionnaires étaient bien plus animés par des idées larges et clairement humanistes. On ne remplissait pas tout de suite les prisons. On ne se vengeait de personne. On s'expliquait tant bien que mal. On raisonnait. On convainquait tout un chacun que ce serait mieux pour tout le monde d'avoir un toit, un peu de nourriture, des soins de santé et d'éducation -et j'en passe.
Cependant, le vieux monde ne veut jamais abdiquer aussi facilement. La réaction s'organise. Des armées se constituent pour tirer sur la foule d'édentés et de sans-culottes qui croient avoir trouvé le moyen d'établir un paradis sur Terre. On leur rappelle assez vite que ça ne se passera pas aussi facilement. La guerre civile survient suite aux premiers jours d'euphorie. Les opinions deviennent tout aussi tranchées que tranchantes. On oublie vite que tous les hommes naissent égaux et qu'ils ont droit à la poursuite du bonheur.
Du coup, le mouvement révolutionnaire se radicalise. On abandonne les pétitions, les vigiles et les manifestations spontanées pour imiter ce vieux monde qui ne veut pas perdre la face. On constitue des armées. On réinstaure la discipline. On tue pour l'exemple.
Et plus on tue d'un côté, plus on massacre de l'autre. Jusqu'à ce qu'un vainqueur établisse une paix relative dans le pays, au grand dam de ceux qui n'ont pas misé sur les bons joueurs.
***
Où est-ce que je veux en venir avec tout ça? À ceci que l'on peut prendre une bière ou bien un joint sans sombrer inévitablement dans la consommation d'héroïne. On peut accepter des éléments de la pensée communiste, féministe, fédéraliste, souverainiste ou capitaliste sans devenir un traître ou bien un scélérat.
Le fil conducteur, à mon sens, doit toujours être l'humanisme.
Le féminisme trouve tout son sens en tant que combat pour les droits de la personne. Les libertés acquises par les femmes, les transgenres ou les Lapons profitent à tout le monde. Elles élargissent le champ de nos actions et de nos pensées.
Le communisme n'a jamais été qu'un rappel de Saturne dévorant ses propres enfants. Il trouve encore son sens chez ces militants qui sont morts torturés dans des camps de concentration pour avoir dénoncé des injustices sociales criantes avec conviction. Il y eut des communistes sincères au goulag. Il ne faudrait pas l'oublier sous prétexte d'endiguer une idéologie que l'on juge perverse et totalitaire, à tort ou à raison.
Le capitalisme, aussi sordide soit-il, n'est pas toujours ce monstre qu'on tient à nous faire voir. Il correspond à une étape de notre société encore divisée qui verrait d'un mauvais oeil qu'il n'y ait qu'un vieux céleri et trois navets à se procurer au supermarché.
Le souverainisme québécois n'est pas un appel au meurtre, une idée raciste ou Dieu sait quoi encore.
Le fédéralisme canadien n'est pas le Mal absolu.
Bref, au risque de faire preuve de naïveté, je prétends que les lois doivent servir l'humain plutôt que ce soit l'humain qui serve les lois.
J'oserais presque dire, en paraphrasant le philosophe Protagoras, que l'humanité est la mesure de toutes choses.
Nous sommes ici sur Terre pour vivre ce qui pourrait être notre seule et unique chance d'avoir vécu.
Il serait dommage de gâcher cette chance en nous privant de manger du fruit de la connaissance du bien et du mal.
Il serait dommage de nous laisser gagner par la rage plutôt que de cultiver notre propre jardin pour y inviter tout un chacun à y philosopher dans le calme et le respect.
mardi 24 janvier 2017
Le fion de Maëlie
On dit de l'art qu'il est le miroir de son époque. Il serait exagéré de tenir pour de l'art toutes ces conneries que l'on peut visionner sur YouTube. Par contre, cela n'en demeure pas moins une fenêtre ouverte sur notre temps. Un jour, si l'humanité a quelque chance de s'en sortir, on étudiera ces vidéos stupides en se demandant pourquoi les gens de notre époque n'employaient pas les outils informatiques mis à leur disposition pour accroître le champ de leur savoir. Il se pourrait aussi que l'on ne s'en préoccupe pas trop... L'humanité pourrait aussi sombrer dans la bêtise absolue. Il serait présomptueux de penser que tout ça va s'améliorer.
Quoi qu'il en soit, Maëlie Lacroix était bel et bien de son époque.
Elle avait vingt-deux ans, toutes ses dents, et aurait été presque jolie si elle n'était pas tombée dans le maquillage comme dans un pot de peinture. Elle avait le teint orange, les lèvres d'un rose parsemé de machins brillants, les cheveux blond platine qui lui descendaient de chaque côté du corps comme de la lasagne. Elle portait des vêtements moulants de couleur fluo. Si l'on avait pu la sentir, on aurait humé une forte odeur de melon et de noix de coco.
Maëlie prenait un soin méticuleux à ressembler un tant soit peu à une actrice de film porno tout en étant prude comme une religieuse au couvent quand il était temps d'entreprendre des actes sexuels dignes de ce nom. C'était comme si ses dix milles amis Facebook suffisaient à la combler, dont des tas de gars qui la trouvaient belle sans jamais sortir de leur bunker.
-Wa! taie toute unne chick! lui écrivait Jimy, son meilleur ami Facebook.
Elle publiait des tas de photos d'elle tous les jours en train de prendre des poses qu'elle croyait suggestives. On la voyait faire des oh! et des ah! devant ceci ou cela en pliant son corps pour que l'on puisse bien voir la cambrure de son corps plus squelettique qu'athlétique.
Coment résité a une tele chick? écrivait-elle sous ses photos. L'orthographe n'était pas sa force, bien entendu. Ses admirateurs n'en demandaient pas tant de toute façon.
Selfie de moi qui manje un gato. C'était son dernier egoportrait. Elle se faisait sécher les dents devant un gâteau, tout simplement. Elle avait obtenu 1463 likes pour cette insignifiance publiée sur Facebook.
Elle avait récidivé aussitôt avec d'autres conneries de son cru. Maëlie qui boit de l'eau. Maëlie qui a l'air pensive devant une fenêtre. Maëlie qui s'est cassé un ongle d'orteil. Maëlie qui lit un magazine à potins.
Elle sentait que ce n'était pas suffisant. Il lui manquait quelque chose pour devenir aussi célèbre que ces misérables nullités reconnues uniquement pour leur rôle d'objet.
Elle crut bon de photographier son trou du cul.
Ce n'était pas facile. Cela exigeait des tas de contorsion. Maëlie finit tout de même par tirer quelques clichés potables selon elle.
Bien que prude, elle se dit que cela ferait un tabac sur son réseau d'amis.
Elle fit un diaporama avec toutes les photos qu'elle avait prises de son fion.
Il y en avait au moins cinq cents si je ne m'abuse.
Cinq cents photos de son trou du cul rose et bien épilé.
Elle hésita plus longtemps que d'habitude à publier ce message. Qu'en diraient ses parents? Et si l'on se mettait à la traiter de sale bitch?
-Qui risque rien n'a rien, philosopha Maëlie.
Elle exporta son diaporama sur YouTube et l'intitula Maëlie's Little Star. Son diaporama tournait sur des airs à la mode du jour. De ce genre d'airs de filles qui ont de petites voix coquines sur des rythmes à vous donner l'envie d'écouter les violoncelles de Jean-Sébastien Bach.
Cinq minutes après avoir mis sa vidéo en ligne, les messages affluaient sur Facebook.
La vidéo devint virale en moins de vingt-quatre heures. Le monde entier s'intéressait subitement au trou du cul de Maëlie. Il y eut plus de six millions de visionnements.
Il faut dire qu'elle avait été reprise sous des titres pas très flatteurs du genre Stupid Girl from Quebec Showing Her Butt Hole. On alternait les images de son anus avec les images d'elle-même en train de manger du gâteau ou de boire un verre d'eau. On tenait cette vidéo pour le nec plus ultra du narcissisme contemporain. D'autres vidéos allaient même plus loin. On avait l'impression qu'elle déféquait ou bien on lui mettait une galette à la mélasse sur la tête. On avait aussi ajouté ses vidéos où elle commentait le dernier disque de Miley Cyrus.
-Le dernier CD de Miley Cyrus c'est genre bon... parce que genre j'aime ça... pis que genre ça s'écoute bien en dansant genre...
On avait aussi trafiqué ses vidéos où elle riait comme la dernière des nunuches pour ne conserver que cette portion que l'on accolait à des images de l'Holocauste, des tueries au Rwanda et autres génocides.
Maëlie, pour tout dire, avait l'air de la reine des sottes.
Cependant, elle avait obtenu ce qu'elle souhaitait.
Elle était enfin célèbre. Elle recevait des demandes d'entrevues de stations de télévision en Corée du Sud, au Japon et autres pays dont elle n'avait jamais entendu parler, dont la Belgique.
Le monde entier ne parlait plus que d'elle.
Elle qui n'avait pourtant pas inventer le bouton à quatre trous.
Elle qui n'avait pourtant pas marcher sur la Lune.
C'était genre stupide.
Mais que voulez-vous? Les gens sont stupides. Et je n'invente rien.
lundi 23 janvier 2017
Si c'est un homme de Primo Levi
"Partout où, dans le monde, on commence par bafouer les libertés fondamentales de l'homme et son droit à l'égalité, on glisse rapidement vers le système concentrationnaire, et c'est une pente sur laquelle il est difficile de s'arrêter."
Primo Levi, Si c'est un homme, Julliard (Pocket), Paris, 2005, p. 293
***
"Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible."
David Rousset, L'Univers concentrationnaire, Paris, Les éditions de Minuit, 1989, p. 181
***
Je débute la semaine avec un billet qui, à plusieurs égards, n'aura rien de guilleret. Si c'est un homme est le témoignage sobre et sans artifices d'un ancien détenu de l'univers concentrationnaire nazi. Primo Levi l'a rédigé deux ans après être sorti de cet enfer et s'est contenté de raconter le plus froidement possible cette histoire qui ne pouvait en être une.
Primo Levi est né à Turin en 1919. Cet Italien de confession juive s'installe à Milan en 1942 après avoir complété des études de chimie. Il entre dans la résistance et se fait arrêter en février 1944. Il est ensuite déporté à Auschwitz où il croupira jusqu'à la libération du camp par les Soviétiques en janvier 1945.
Si c'est un homme fut d'abord publié par une petite maison d'édition italienne qui en fit un tirage de 2000 exemplaires. Le livre rencontra peu d'intérêt dans l'Italie de l'après-guerre. Plus personne ne voulait entendre parler de ces temps troubles. Le livre fit l'objet d'une réimpression dix ans plus tard et devint un chef d'oeuvre traduit en plusieurs langues.
Je me suis étonné de ne l'avoir jamais lu auparavant. J'avais pourtant lu des tas de témoignages tant sur la Shoah que sur l'univers concentrationnaire soviétique, dont l'inoubliable Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov dont j'ai d'ailleurs fait une recension dans le Hufftington Post récemment.
Dans l'épilogue de Si c'est un homme, Primo Levi répond aux questions les plus courantes qui lui ont été posées au cours des années suite à la lecture de son témoignage. Il établit tout de suite une distinction claire entre les camps nazis et les goulags soviétiques. Sans minimiser la souffrance des prisonniers de l'ancienne URSS, Primo Levi affirme que le taux de mortalité était de 98% dans les camps nazis. Il était de 30% dans les goulags. Les prisonniers des nazis n'avaient aucune forme d'existence juridique et aucun espoir de s'en sortir. Ils étaient purement et simplement des esclaves du Reich. Les camps nazis étaient une entreprise d'annihilation sans précédent. Un prisonnier soviétique avait cette mince possibilité d'être libéré au bout de dix ou vingt ans. C'est d'ailleurs ce qui a permis à Chalamov et Soljenitsyne d'écrire leur témoignage. Par contre, le prisonnier de l'univers concentrationnaire allemand savait qu'il n'était rien et aurait pu reprendre les mots que Dante situaient à l'entrée de son Enfer dans sa Divine Comédie: "Toi qui entres ici abandonne toute espérance."
J'ai lu Si c'est un homme en plusieurs sessions de lecture. J'ai bu du vin en le lisant. J'ai mangé des craquelins, du fromage, des biscuits sans gluten. Je l'ai lu après avoir pris ma douche, après une promenade sur le bord du fleuve, après avoir enlacé ma compagne. Comme j'ai regardé La liste de Schindler en mangeant du maïs soufflé...
On pourrait douter, avec raison, que je puisse pleinement comprendre la souffrance vécue par ces hommes qui me rapportent le lointain écho des événements passés.
Je vis dans un monde en apparence pacifié. Les Allemands accueillent des réfugiés plutôt que de les déporter. Les prisons russes, qui ne sont certainement pas une sinécure, n'accueillent plus 30% de la population du territoire.
Le totalitarisme fait encore des siennes sur cette Terre et menace même de nous infecter nous-mêmes. Tout ce que je peux vous dire à ce sujet ne sera jamais que le témoignage de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'univers concentrationnaire.
Et c'est d'ailleurs ce qui m'inquiète le plus. Les témoins disparaissent au fil des ans et les livres prennent de la poussière. Des tas de zozos s'appliquent à effacer les traces de notre mémoire collective. Ce sont les mêmes qui, par ailleurs, réfutent le féminisme, le syndicalisme et la prépondérance des droits de la personne dans la résolution de nos conflits sociaux. On rêve d'hommes forts à la mâchoire carrée. On se dit que les trains arriveraient à l'heure avec le pseudo-Mussolini et qu'il y aurait des colonies de vacances avec le pseudo-Hitler. Bref, l'histoire bégaie et menace toujours de se répéter.
Si c'est un homme n'apporte pas de réponses aux chancres totalitaires qui menacent encore nos démocraties inachevées. Tout comme les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, Si c'est un homme cultive notre sensibilité et teste notre empathie en tant que jurés d'un procès virtuel contre le Mal.
Qu'est-ce qu'on apprend au goulag? Rien. C'est ce que laissait entendre Chalamov dans les 1500 pages de son récit tout aussi sobre que celui de Primo Levi. Ces deux-là n'ont pas vécu le même drame, mais ils auront connu la misère à un point que même un cheval refuserait de la supporter. Je me souviens que Chalamov tenait le sens de la résistance encore plus faible chez l'homme que chez les animaux dans l'univers concentrationnaire. Un cheval, un âne ou un boeuf refusera d'avancer sous le fouet lorsqu'il sera fourbu. Il finira même par se révolter, mordre ou beugler. L'homme s'adaptera à la pire des situations. Il continuera d'obéir là où même un cheval n'aurait pas continué...
Il n'y a rien à apprendre de Si c'est un homme.
Quiconque rentre dans ce livre doit abandonner toute espérance.
Il me faudrait lire Les naufragés et les rescapés de Primo Levi. Publié en 1986, on le tient pour son livre le plus pessimiste.
Il convient d'ajouter que Primo Levi s'est donné la mort en 1987...
"C'est dans ces dures conditions, face contre terre, que bien des hommes de notre temps ont vécu, mais chacun d'une vie relativement courte; aussi pourra-t-on se demander si l'on doit prendre en considération un épisode aussi exceptionnel de la condition humaine, et s'il est bon d'en conserver le souvenir." Primo Levi, op.cit., p. 133
Face à toutes ces misères commises envers nos congénères, il demeure ce devoir de mémoire et ce rappel constant de ne pas laisser l'humanité sombrer dans le chaos et la division.
dimanche 22 janvier 2017
Comment faire patate
La croissance des plantes dépend de plusieurs facteurs selon les variétés. Un cactus nécessite peu d'eau. Le cannabis ne pousse pas dans un sol trop acide. Quant aux patates, eh bien on en ferait pousser jusqu'en Sibérie. Ce qui fait que l'on trouve des patates sous tous les climats. Bref, rien ne ressemble plus à un être humain qu'une patate dans le royaume des végétaux.
Claude aurait bien pu devenir une patate. Il en avait été à deux doigts. Il avait poussé dans un sol pauvre, comme n'importe quel tubercule de l'humanité. Il provenait d'une famille de huit enfants qui n'avait ni livres ni disques ni rien, hormis une télé en noir et blanc et une radio tous les deux branchés sur ce qu'il y avait de plus patate: des émissions de variétés stupides, des chansons à l'eau de rose et des bulletins de propagande qu'on faisait passer pour des nouvelles.
Il y avait tout de même quelques lectures mais si peu que c'est presque superflu d'en parler. Peut-on considérer L'Almanach du peuple 1973 comme une lecture? Et qu'en est-il de la biographie du chanteur de charme Paolo Noël? Vous allez dire que c'est de la culture? Non, bien entendu. Et pourtant Claude aurait pu vous raconter tout ce qu'il y avait dans ces deux codex pour simples d'esprit.
Tout avait débuté par une amygdalite en 1974. Claude avait à peine huit ans et s'était retrouvé coincé à la maison. Il trouvait peu d'intérêt envers Boubou, les Tannants et autres conneries qui passaient à la télé. Il s'était mis à feuilleter L'Almanach du peuple 1973 puis avait lu la biographie de Paolo Noël pour tuer le temps.
Un mois après sa guérison, Claude avait encore envie de lecture.
-J'aimerais ça lire des livres! avait-il dit à sa mère qui ne comprenait pas tout à fait ce qui pouvait bien lui avoir donné un enfant pareil.
-T'as juste à aller à 'a bibliothèque municipale... C'est gratis!
-Comment c'que c'est qu'on fait m'man?
-Bin... J'imagine qu'on s'inscrit... Tu donnes ton nom pis i' t'prêtes des livres... Mais j't'avertis! T'es mieux de ramener tes livres parce que si i' faut que j'paye pour toé tu vas avoir de mes nouvelles mon ti-verrat!
-Ok...
Le soir même, Claude allait s'inscrire à la bibliothèque.
En fait, il dut revenir le lendemain avec sa mère qui rechigna d'abord à l'accompagner. Elle s'y présenta pour qu'il cesse de l'achaler avec ça.
Claude emprunta trois livres: Astérix en Hispanie, Lucky Luke contre Fil de Fer et L'Histoire du monde racontée aux enfants.
Il revint le lendemain. Régine, la petite bibliothécaire aux joues creuses qui portait des lunettes qu'on aurait cru taillées dans des fonds de bouteilles, s'en étonna.
-Tu as déjà lu tous tes livres mon garçon?
-Oui. J'en veux d'autres. Est-ce que je peux?
-Bien sûr. Tant que tu les ramènes, tu peux toujours en reprendre...
Claude revint à la maison avec des Astérix cette fois-là.
Il passa la semaine dans des bandes dessinées. Peut-être même le mois.
Puis il s'intéressa aux étoiles, à la mer, à la Terre, aux dinosaures, à l'histoire de la Seconde guerre mondiale, aux aborigènes australiens, aux Trois Mousquetaires et au charbon. Pourquoi le charbon? Allez savoir... Claude s'intéressait à tout. C'est comme si quelque chose s'était ouvert en lui et il voulait tout absorber.
Au bout d'un an, Claude en savait plus long que tous ces professeurs sur tout plein de sujets. Il devint arrogant, orgueilleux et confrontant.
Ce n'est plus le professeur qui livrait sa matière, mais Claude qui émettait ses objections en apportant des précisions.
On lui reprocha de faire des fautes pour qu'il se taise. Pour qu'il réalise qu'en fait il ne savait rien.
Qu'à cela ne tienne! Claude se claqua la grammaire de Grevisse, le Bescherelle des verbes ainsi que le Dictionnaire des difficultés de la langue française. Il s'acheta même un dictionnaire avec l'argent qu'il gagnait en distribuant le journal. Un vieux dictionnaire dans lequel il soulignait au crayon tous les mots qu'il ne comprenait pas. Il l'ouvrait au hasard, ce vieux Larousse 1971, et hop! Palimpseste, emphytéose et rhododendron entraient dans sa mémoire à jamais.
Il sauta ensuite aux mathématiques, ce qui lui sembla nettement plus complexe. Il prit encore plus de notes et au bout de nombreux essais il maîtrisa les rudiments de l'algèbre, de la trigonométrie et du calcul intégral.
Plus Claude lisait, plus il devenait savant. Et plus il devenait savant plus il avait besoin de sa ration de livres. Il s'en acheta de plus en plus souvent à la librairie de livres usagés où le propriétaire, Gaston Marcotte, s'étonnait qu'il puisse parler de Dostoïevski avec un enfant de douze ans. Il ne l'avait pas encore lu, peu s'en faut, mais Claude était déjà passé des dictionnaires aux encyclopédies et autres compendiums. Le peu qu'il savait donnait déjà l'impression qu'il en savait plus long qu'une patate.
C'était bien sûr un premier de classe, au grand dam de ses parents qui auraient préféré que leur fils n'ait pas ces idées de grandeur qui allaient le rendre malheureux.
-Lui pis ses maudits livres! s'inquiétait son père. I' va finir par d'venir fou! Si au moins i' voulait d'venir médecin ou avocat... Bin non! I' veut écrire des pièces de théâtre à c't'heure! La semaine passée, i' voulait d'venir physicien qui a des tiques ou quand y'a des tiques j'sais plus trop j'ai rien compris... Y'est dur à suivre en tabarnak! I' r'tient sûrement pas ça d'moé ni d'ma femme...
Il ne devint ni médecin, ni avocat, ni physicien quantique.
À dix-huit ans, Claude dut quitter la maison pour gagner sa vie.
Il lui fut de plus en plus difficile de supporter la lenteur de l'enseignement. Il apprenait plus vite par lui-même à la bibliothèque. De plus, il n'avait pas les moyens d'étudier à temps plein. Il quitta l'école et se mit à bosser dans un entrepôt.
Trente ans plus tard, Claude était toujours manutentionnaire dans ce même entrepôt. Il passait toutes ses pauses tout fin seul avec ses chers livres. Ses camarades ne le comprenaient pas trop mais ce n'est pas Claude qui les jugeait pour autant.
-Nous sommes tous dans la même marde, qu'il leur disait. Tous...
La croissance des plantes dépend de plusieurs facteurs selon les variétés.
Claude était comme un pissenlit qui aurait poussé dans une crevasse de trottoir.
Un cactus nécessite peu d'eau.
Le cannabis ne pousse pas dans les sols trop acides.
Quant aux patates, eh bien on en ferait pousser jusqu'en Sibérie.
Claude aurait bien pu devenir une patate. Il en avait été à deux doigts. Il avait poussé dans un sol pauvre, comme n'importe quel tubercule de l'humanité. Il provenait d'une famille de huit enfants qui n'avait ni livres ni disques ni rien, hormis une télé en noir et blanc et une radio tous les deux branchés sur ce qu'il y avait de plus patate: des émissions de variétés stupides, des chansons à l'eau de rose et des bulletins de propagande qu'on faisait passer pour des nouvelles.
Il y avait tout de même quelques lectures mais si peu que c'est presque superflu d'en parler. Peut-on considérer L'Almanach du peuple 1973 comme une lecture? Et qu'en est-il de la biographie du chanteur de charme Paolo Noël? Vous allez dire que c'est de la culture? Non, bien entendu. Et pourtant Claude aurait pu vous raconter tout ce qu'il y avait dans ces deux codex pour simples d'esprit.
Tout avait débuté par une amygdalite en 1974. Claude avait à peine huit ans et s'était retrouvé coincé à la maison. Il trouvait peu d'intérêt envers Boubou, les Tannants et autres conneries qui passaient à la télé. Il s'était mis à feuilleter L'Almanach du peuple 1973 puis avait lu la biographie de Paolo Noël pour tuer le temps.
Un mois après sa guérison, Claude avait encore envie de lecture.
-J'aimerais ça lire des livres! avait-il dit à sa mère qui ne comprenait pas tout à fait ce qui pouvait bien lui avoir donné un enfant pareil.
-T'as juste à aller à 'a bibliothèque municipale... C'est gratis!
-Comment c'que c'est qu'on fait m'man?
-Bin... J'imagine qu'on s'inscrit... Tu donnes ton nom pis i' t'prêtes des livres... Mais j't'avertis! T'es mieux de ramener tes livres parce que si i' faut que j'paye pour toé tu vas avoir de mes nouvelles mon ti-verrat!
-Ok...
Le soir même, Claude allait s'inscrire à la bibliothèque.
En fait, il dut revenir le lendemain avec sa mère qui rechigna d'abord à l'accompagner. Elle s'y présenta pour qu'il cesse de l'achaler avec ça.
Claude emprunta trois livres: Astérix en Hispanie, Lucky Luke contre Fil de Fer et L'Histoire du monde racontée aux enfants.
Il revint le lendemain. Régine, la petite bibliothécaire aux joues creuses qui portait des lunettes qu'on aurait cru taillées dans des fonds de bouteilles, s'en étonna.
-Tu as déjà lu tous tes livres mon garçon?
-Oui. J'en veux d'autres. Est-ce que je peux?
-Bien sûr. Tant que tu les ramènes, tu peux toujours en reprendre...
Claude revint à la maison avec des Astérix cette fois-là.
Il passa la semaine dans des bandes dessinées. Peut-être même le mois.
Puis il s'intéressa aux étoiles, à la mer, à la Terre, aux dinosaures, à l'histoire de la Seconde guerre mondiale, aux aborigènes australiens, aux Trois Mousquetaires et au charbon. Pourquoi le charbon? Allez savoir... Claude s'intéressait à tout. C'est comme si quelque chose s'était ouvert en lui et il voulait tout absorber.
Au bout d'un an, Claude en savait plus long que tous ces professeurs sur tout plein de sujets. Il devint arrogant, orgueilleux et confrontant.
Ce n'est plus le professeur qui livrait sa matière, mais Claude qui émettait ses objections en apportant des précisions.
On lui reprocha de faire des fautes pour qu'il se taise. Pour qu'il réalise qu'en fait il ne savait rien.
Qu'à cela ne tienne! Claude se claqua la grammaire de Grevisse, le Bescherelle des verbes ainsi que le Dictionnaire des difficultés de la langue française. Il s'acheta même un dictionnaire avec l'argent qu'il gagnait en distribuant le journal. Un vieux dictionnaire dans lequel il soulignait au crayon tous les mots qu'il ne comprenait pas. Il l'ouvrait au hasard, ce vieux Larousse 1971, et hop! Palimpseste, emphytéose et rhododendron entraient dans sa mémoire à jamais.
Il sauta ensuite aux mathématiques, ce qui lui sembla nettement plus complexe. Il prit encore plus de notes et au bout de nombreux essais il maîtrisa les rudiments de l'algèbre, de la trigonométrie et du calcul intégral.
Plus Claude lisait, plus il devenait savant. Et plus il devenait savant plus il avait besoin de sa ration de livres. Il s'en acheta de plus en plus souvent à la librairie de livres usagés où le propriétaire, Gaston Marcotte, s'étonnait qu'il puisse parler de Dostoïevski avec un enfant de douze ans. Il ne l'avait pas encore lu, peu s'en faut, mais Claude était déjà passé des dictionnaires aux encyclopédies et autres compendiums. Le peu qu'il savait donnait déjà l'impression qu'il en savait plus long qu'une patate.
C'était bien sûr un premier de classe, au grand dam de ses parents qui auraient préféré que leur fils n'ait pas ces idées de grandeur qui allaient le rendre malheureux.
-Lui pis ses maudits livres! s'inquiétait son père. I' va finir par d'venir fou! Si au moins i' voulait d'venir médecin ou avocat... Bin non! I' veut écrire des pièces de théâtre à c't'heure! La semaine passée, i' voulait d'venir physicien qui a des tiques ou quand y'a des tiques j'sais plus trop j'ai rien compris... Y'est dur à suivre en tabarnak! I' r'tient sûrement pas ça d'moé ni d'ma femme...
Il ne devint ni médecin, ni avocat, ni physicien quantique.
À dix-huit ans, Claude dut quitter la maison pour gagner sa vie.
Il lui fut de plus en plus difficile de supporter la lenteur de l'enseignement. Il apprenait plus vite par lui-même à la bibliothèque. De plus, il n'avait pas les moyens d'étudier à temps plein. Il quitta l'école et se mit à bosser dans un entrepôt.
Trente ans plus tard, Claude était toujours manutentionnaire dans ce même entrepôt. Il passait toutes ses pauses tout fin seul avec ses chers livres. Ses camarades ne le comprenaient pas trop mais ce n'est pas Claude qui les jugeait pour autant.
-Nous sommes tous dans la même marde, qu'il leur disait. Tous...
La croissance des plantes dépend de plusieurs facteurs selon les variétés.
Claude était comme un pissenlit qui aurait poussé dans une crevasse de trottoir.
Un cactus nécessite peu d'eau.
Le cannabis ne pousse pas dans les sols trop acides.
Quant aux patates, eh bien on en ferait pousser jusqu'en Sibérie.
samedi 21 janvier 2017
À brûle-pourpoint
Je rédige ce billet à l'aide de mon téléphone intelligent. Les lettres sont tellement petites que je dois enlever mes lunettes pour voir. J'ai une légère presbytie qui ne nécessite pas encore des doubles foyers. Elle est tout de même là et j'y remédie comme je viens de vous le dire.
Après vous avoir écrit ça, je dois en venir au vif du sujet. Quel est le sujet au juste? Je n'en sais rien. Nous le trouverons ensemble au cours des prochaines lignes...
L'investiture de Trump? Je vais faire comme si ça n'existait pas. Il y a des limites à accorder de l'importance au déclin des États-Unis. Un jour, nous deviendrons une colonie russe et j'espère que l'on prendra en considération mon amour inconditionnel de leur littérature au Kremlin. D'ici là, je regarderai s'enfoncer ce monde avec le dépit d'un Boèce se consolant avec de la philosophie.
Je pourrais aussi parler de politesse et de courtoisie. Ce sont des thèmes qui me hantent depuis une semaine. Je m'étonne d'en trouver plus chez les immigrés que parmi mes compatriotes dits de souche. Je ne voudrais pas sombrer dans le Québec bashing mais ce sont bien des Québécois pure laine qui se montrent les plus rustres et les plus mal élevés dans le cadre de mes relations humaines avec des inconnus. Alors que l'immigré abonde en formules de politesse, ponctuées de merci et de s'il-vous-plaît, le natif d'ici me parle comme si on avait élevé des cochons ensemble. Je finis par cultiver une forme de mépris envers ces manques de délicatesse que je tiens pour de la pauvreté intellectuelle. Je n'y trouve aucune excuse. Je n'y vois qu'une demie-personne. Une créature grotesque que je ne veux côtoyer d'aucune façon.
Cette semaine j'ai croisé un Tunisien affable, une femme voilée Marocaine empathique, une vieille Portugaise pleine de déférence, un Bosniaque reconnaissant, un Chilien intelligent et j'en passe. J'ai aussi croisé plein de Québécois qui ne savent pas vivre et qui firent mal à l'idée positive que j'essaie d'avoir à propos de mon peuple.
Je pourrais aussi glisser un mot sur plein d'autres trucs mais là, comme ça, à brûle-pourpoint, cela ne me vient plus...
Je vais plutôt publier ce billet illico, remettre mes lunettes et regarder dehors...
Excusez-la!
vendredi 20 janvier 2017
Mike, Keven, la radio-poubelle et les extraterrestres
Il n'y avait pas grand chose à faire ce jour-là à l'usine et les deux gars affectés à l'entrepôt en profitaient pour jaser de choses et d'autres. Ils syntonisaient une station de radio-poubelle qui déversait son flot continu de haine contre les immigrés, les gauchistes, les féministes, les artistes et les syndicalistes. Ce n'est pas qu'ils aimaient vraiment ce poste mais, bon, ça animait les discussions.
-C'est des esties d'malades! souffla Mike. J'l'écoute plus ou moins... Ça ou d'autre chose... C'est toutte la même calice de marde...
-Moé j'entends jamais rien avec le convoyeur qui marche... ajouta Keven. J'les entends qui gueule pour tout ou rien... Des fois ils parlent de la game de hockey d'hier... Mais j'sais jamais le fin fond d'leur histoire... C'est pareil avec Docteur Mailloche. I' parle pis j'l'entends pas parler...
-M'entends-tu parler moé au moins? lui demanda Mike.
-Oui, si t'as d'quoi à dire... Non, si c'est pour m'faire chier... ironisa Keven.
Mike était plutôt osseux et tissé de veines solides. Il fumait trois paquets de cigarettes par jour ainsi qu'un bon gramme de marijuana.
Keven était un petit gros qui ne fumait pas et buvait seulement deux ou quatre litres de Pepsi par jour.
Les deux n'étaient pas allés longtemps à l'école. Mike parce qu'il avait commencé tôt à s'initier à la vie sexuelle avec une bonne femme dans la quarantaine qui l'appelait mon ti-minou. Il a quitté l'école à seize ans parce qu'il avait plus envie de sexe que de leçons de grammaire. Après la bonne femme, ce fut une autre bonne femme et ainsi de suite. De sorte qu'il avait quatre enfants de quatre femmes différentes avec quatre pensions alimentaires à payer sur son salaire de crève-la-faim.
Keven avait lâché l'école pour travailler avec son oncle dans le domaine de la livraison d'huile de chauffage. L'oncle était mort entre temps et sa compagnie avait fait faillite. De sorte que Keven s'était retrouvé lui aussi dans la même situation merdique que notre malheureux Mike. Il s'était marié avec une femme qui lui reprochait d'être gros et laid. Il se disait que c'était ça l'amour à défaut d'avoir connu autre chose. À vrai dire, sa femme était tout aussi grosse et même plus laide, mais il ne ressentait pas le besoin de répliquer à ses bassesses et se disait que ce n'était pas de sa faute si elle était une crisse de folle.
-Savais-tu que j'ai déjà été enlevé par des extraterrestres Keven?
-Hein quoi? s'étonna Keven.
-C'était en l'an 2000. J'sors à huit heures sur mon patio... Le soleil venait de se coucher... Pis j'vois une grosse boule de lumière blanche... Ça brillait en tabarnak!!!
-Qu'est-ce que t'as faitte Miké-boy?
-J'suis allé cherché ma caméra pis j'ai filmé la boule blanche qui est montée dans le ciel avec trois autres boules blanches...
-Ah ouin?
-Ouin... Pis sais-tu c'est quoi l'pire?
-Non.
-J'ai filmé à huit heures le soir selon moi... Pis quand j'suis r'venu dans la cuisine, après avoir filmé une dizaine de minutes, bin y'était minuit...
-Minuit?!?
-Ouin. Minuit.
-Comment t'expliques ça?
-Bin... sérieux... j'vois juste une affaire: j'ai été enlevé par des extraterrestres pendant quatre heures... Ils m'ont enlevé dans une de leurs trois boules blanches pis i' m'ont retourné su' mon patio... Pis là j'ai pu les filmer les enfants d'chienne!
-Ah oui, t'as un film de ça?
-Certain! Même que j'ai voulu le vendre 25 000$ à CNN pis toutte ces hosties-là... Y'ont rien voulu savoir... I' m'ont dit fais-nous voir ça pis on va t'payer après si ça en vaut la peine... Si vous pensez que j'va's faire ça mes crisses de mangeux d'marde! Me laisserai pas fourrer moé! qu'j'leu' z'ai dit...
-Pis les extraterrestres avaient l'air de quoi?
-Peux pas te l'dire... I' m'ont comme hypnotisé j'imagine... Me souviens plus de rien... J'ai juste ces trois grosses boules blanches su' ma caméra VHS... Personne veut la voir...
-J'aimerais ça la voir moé... J'ai déjà vu un chien disparaître...
-Un chien disparaître?
-Oui. Le chien est apparu subitement dans ma cave. J'étais avec ma femme pis mes enfants. C'était un genre de berger allemand noir. Toutes mes portes étaient barrées. Y'est apparu au milieu du sous-sol, le poil bin drette pis les yeux méchants... I' jappait comme s'i' voulait nous faire la peau... Pis paf! Y'est disparu d'un coup sec... Moé, ma femme pis mes enfants on s'est frotté les yeux... On avait-tu rêvé calice? Tu t'dis qu'un qui voit ça, c'est une hallucination ou un flashback de LSD... Mais quatre personnes en même temps... Fuck! Ça m'est plus jamais arrivé... J'pourrais pas pu dire ce qui s'est passé...
-Essaie pas d'comprendre man... Y'a rien à comprendre... On vit dans un monde fucké pis el' monde pense que tout ça existe pas... Qu'est-cé qu'tu veux qu'on faize?
-Rien...
***
Au même moment, quelque part sur une planète de la galaxie Qwerty-la-superbe, un symposium avait lieu sur les récentes découvertes des chercheurs cosmiques. Le symposium portait essentiellement sur l'importance de ne pas contaminer les objets ou sujets d'études afin de ne pas pervertir l'analyse des données récoltées. Contamination qui peut être provoquée par des défaillances dans le contrôle des manipulations à distance et autres techniques de manutention ou d'observation des bactéries étudiées.
Trois sondes envoyées sur une curieuse planète bleue située dans la galaxie en spirale 6709-23 avaient rapporté des images saisissantes de petits êtres mystérieux qu'on avait d'abord considéré comme une espèce plus ou moins évoluée de bactérie. Jusqu'à ce qu'on s'intéresse à leurs habitats étranges qui rappelaient en quelque sorte l'une des phases de l'histoire qwertyienne, la phase dite de l'outil où l'espèce commence à peine à se libérer des chaînes de la reproduction sexuée. On fait donc face à une bactérie pré-intelligente qui est encore constituée à 99,9% de hasards biologiques.
Il était difficile de comprendre le langage de cette bactérie osseuse qu'ils avaient étudiée pendant un bon bout de temps.
Phonétiquement, cela donnait quelque chose comme mes hosties d'tabarnak lâchez-moi mes crisses de chiens où j'vous arrache la tête mes calvaires de saint-chrême de pompiers sales! La créature en question prétendait s'appeler Mike. Les sondes l'ont remise à sa place en prenant bien soin de ne rien contaminer. Puis elles sont reparties simplement.
Il ne s'est pas produit d'événement malheureux comme c'était arrivé la fois que les sondes avaient téléporté une créature aussi bizarre qui faisait woufwouf en bavant. La créature n'avait pas été renvoyée au bon endroit et s'était retrouvée au milieu d'autres bactéries plus ou moins effrayées par ce phénomène qu'ils ne connaissent pas encore. On avait tôt fait de la renvoyer là où elle avait été téléportée mais il est possible qu'il se soit produit un incident qui pourrait leur faire croire ce qu'elles ne sont pas encore prêtes à affronter psychiquement parlant.
Il convient de répéter encore et encore qu'on ne prend jamais trop au sérieux le protocole visant à effacer toute trace d'investigation de notre part afin de préserver les bactéries telles qu'elles sont sans perturber leur mode de fonctionnement pour les besoins de ces études que nous menons parmi eux.
D'autres sondes seront envoyées prochainement et il serait malheureux de compromettre le succès de cette mission vers la galaxie 6709-23 avec de tels incidents qui ne doivent plus se répéter.
-C'est des esties d'malades! souffla Mike. J'l'écoute plus ou moins... Ça ou d'autre chose... C'est toutte la même calice de marde...
-Moé j'entends jamais rien avec le convoyeur qui marche... ajouta Keven. J'les entends qui gueule pour tout ou rien... Des fois ils parlent de la game de hockey d'hier... Mais j'sais jamais le fin fond d'leur histoire... C'est pareil avec Docteur Mailloche. I' parle pis j'l'entends pas parler...
-M'entends-tu parler moé au moins? lui demanda Mike.
-Oui, si t'as d'quoi à dire... Non, si c'est pour m'faire chier... ironisa Keven.
Mike était plutôt osseux et tissé de veines solides. Il fumait trois paquets de cigarettes par jour ainsi qu'un bon gramme de marijuana.
Keven était un petit gros qui ne fumait pas et buvait seulement deux ou quatre litres de Pepsi par jour.
Les deux n'étaient pas allés longtemps à l'école. Mike parce qu'il avait commencé tôt à s'initier à la vie sexuelle avec une bonne femme dans la quarantaine qui l'appelait mon ti-minou. Il a quitté l'école à seize ans parce qu'il avait plus envie de sexe que de leçons de grammaire. Après la bonne femme, ce fut une autre bonne femme et ainsi de suite. De sorte qu'il avait quatre enfants de quatre femmes différentes avec quatre pensions alimentaires à payer sur son salaire de crève-la-faim.
Keven avait lâché l'école pour travailler avec son oncle dans le domaine de la livraison d'huile de chauffage. L'oncle était mort entre temps et sa compagnie avait fait faillite. De sorte que Keven s'était retrouvé lui aussi dans la même situation merdique que notre malheureux Mike. Il s'était marié avec une femme qui lui reprochait d'être gros et laid. Il se disait que c'était ça l'amour à défaut d'avoir connu autre chose. À vrai dire, sa femme était tout aussi grosse et même plus laide, mais il ne ressentait pas le besoin de répliquer à ses bassesses et se disait que ce n'était pas de sa faute si elle était une crisse de folle.
-Savais-tu que j'ai déjà été enlevé par des extraterrestres Keven?
-Hein quoi? s'étonna Keven.
-C'était en l'an 2000. J'sors à huit heures sur mon patio... Le soleil venait de se coucher... Pis j'vois une grosse boule de lumière blanche... Ça brillait en tabarnak!!!
-Qu'est-ce que t'as faitte Miké-boy?
-J'suis allé cherché ma caméra pis j'ai filmé la boule blanche qui est montée dans le ciel avec trois autres boules blanches...
-Ah ouin?
-Ouin... Pis sais-tu c'est quoi l'pire?
-Non.
-J'ai filmé à huit heures le soir selon moi... Pis quand j'suis r'venu dans la cuisine, après avoir filmé une dizaine de minutes, bin y'était minuit...
-Minuit?!?
-Ouin. Minuit.
-Comment t'expliques ça?
-Bin... sérieux... j'vois juste une affaire: j'ai été enlevé par des extraterrestres pendant quatre heures... Ils m'ont enlevé dans une de leurs trois boules blanches pis i' m'ont retourné su' mon patio... Pis là j'ai pu les filmer les enfants d'chienne!
-Ah oui, t'as un film de ça?
-Certain! Même que j'ai voulu le vendre 25 000$ à CNN pis toutte ces hosties-là... Y'ont rien voulu savoir... I' m'ont dit fais-nous voir ça pis on va t'payer après si ça en vaut la peine... Si vous pensez que j'va's faire ça mes crisses de mangeux d'marde! Me laisserai pas fourrer moé! qu'j'leu' z'ai dit...
-Pis les extraterrestres avaient l'air de quoi?
-Peux pas te l'dire... I' m'ont comme hypnotisé j'imagine... Me souviens plus de rien... J'ai juste ces trois grosses boules blanches su' ma caméra VHS... Personne veut la voir...
-J'aimerais ça la voir moé... J'ai déjà vu un chien disparaître...
-Un chien disparaître?
-Oui. Le chien est apparu subitement dans ma cave. J'étais avec ma femme pis mes enfants. C'était un genre de berger allemand noir. Toutes mes portes étaient barrées. Y'est apparu au milieu du sous-sol, le poil bin drette pis les yeux méchants... I' jappait comme s'i' voulait nous faire la peau... Pis paf! Y'est disparu d'un coup sec... Moé, ma femme pis mes enfants on s'est frotté les yeux... On avait-tu rêvé calice? Tu t'dis qu'un qui voit ça, c'est une hallucination ou un flashback de LSD... Mais quatre personnes en même temps... Fuck! Ça m'est plus jamais arrivé... J'pourrais pas pu dire ce qui s'est passé...
-Essaie pas d'comprendre man... Y'a rien à comprendre... On vit dans un monde fucké pis el' monde pense que tout ça existe pas... Qu'est-cé qu'tu veux qu'on faize?
-Rien...
***
Au même moment, quelque part sur une planète de la galaxie Qwerty-la-superbe, un symposium avait lieu sur les récentes découvertes des chercheurs cosmiques. Le symposium portait essentiellement sur l'importance de ne pas contaminer les objets ou sujets d'études afin de ne pas pervertir l'analyse des données récoltées. Contamination qui peut être provoquée par des défaillances dans le contrôle des manipulations à distance et autres techniques de manutention ou d'observation des bactéries étudiées.
Trois sondes envoyées sur une curieuse planète bleue située dans la galaxie en spirale 6709-23 avaient rapporté des images saisissantes de petits êtres mystérieux qu'on avait d'abord considéré comme une espèce plus ou moins évoluée de bactérie. Jusqu'à ce qu'on s'intéresse à leurs habitats étranges qui rappelaient en quelque sorte l'une des phases de l'histoire qwertyienne, la phase dite de l'outil où l'espèce commence à peine à se libérer des chaînes de la reproduction sexuée. On fait donc face à une bactérie pré-intelligente qui est encore constituée à 99,9% de hasards biologiques.
Il était difficile de comprendre le langage de cette bactérie osseuse qu'ils avaient étudiée pendant un bon bout de temps.
Phonétiquement, cela donnait quelque chose comme mes hosties d'tabarnak lâchez-moi mes crisses de chiens où j'vous arrache la tête mes calvaires de saint-chrême de pompiers sales! La créature en question prétendait s'appeler Mike. Les sondes l'ont remise à sa place en prenant bien soin de ne rien contaminer. Puis elles sont reparties simplement.
Il ne s'est pas produit d'événement malheureux comme c'était arrivé la fois que les sondes avaient téléporté une créature aussi bizarre qui faisait woufwouf en bavant. La créature n'avait pas été renvoyée au bon endroit et s'était retrouvée au milieu d'autres bactéries plus ou moins effrayées par ce phénomène qu'ils ne connaissent pas encore. On avait tôt fait de la renvoyer là où elle avait été téléportée mais il est possible qu'il se soit produit un incident qui pourrait leur faire croire ce qu'elles ne sont pas encore prêtes à affronter psychiquement parlant.
Il convient de répéter encore et encore qu'on ne prend jamais trop au sérieux le protocole visant à effacer toute trace d'investigation de notre part afin de préserver les bactéries telles qu'elles sont sans perturber leur mode de fonctionnement pour les besoins de ces études que nous menons parmi eux.
D'autres sondes seront envoyées prochainement et il serait malheureux de compromettre le succès de cette mission vers la galaxie 6709-23 avec de tels incidents qui ne doivent plus se répéter.
mercredi 18 janvier 2017
Les nouveaux inquisiteurs et les crimes de la pensée
Savonarole par Fra Bartolomeo (1498) |
Quoi qu'il en soit, l'expression décrit bien notre époque d'inquisition.
On la trouverait facilement dans la bouche de nos nouveaux gardiens de la morale qui, sous prétexte de servir nos bonnes moeurs, en profitent pour pendre virtuellement tous ceux et celles qui contreviennent à leur sainte doctrine.
La moindre incartade passe aussitôt pour un crime de la pensée. Douter de leur bréviaire de petit militant lobotomisé est impensable et hautement condamnable.
On fait dire n'importe quoi à n'importe qui pour bien moins que six lignes.
Un seul mot suffit. Et on ne parle même pas d'un mot ordurier pour le commun des mortels. Un mot que l'on peut interpréter à tort et à travers suffit amplement pour nourrir la machine à distribuer des fatwas.
J'oserais même dire qu'un emoticon sur les médias sociaux suffit...
Bref, la raison ne s'est jamais portée si mal.
Notre époque flirte dangereusement avec les émules de Savonarole et autres brûleurs de sorcières.
Elle s'enfonce toujours plus dans la mesquinerie et l'étroitesse d'esprit.
Comme si l'on avait remplacé les bigots d'autrefois par des militants bon chic bon genre qui vous diront tout ce qu'il faut savoir sur tout ce qu'il ne faut pas dire...
On l'a vu suite au passage de Bernard Gauthier à l'émission Tout le monde en parle. Il a osé dire qu'ils parlaient de politique entre hommes tandis que les femmes parlaient de linge lors de leurs barbecues estivaux. Ces propos, somme toute anodins, ont tout de suite été taxés de crime contre la pensée par le tribunal virtuel de l'inquisition. Pour ces bigots modernes, ce travailleur de chantier était devenu rien de moins qu'un machiste, un sexiste et un salaud qui devrait se taire à jamais.
Je l'ai tout de suite ressenti comme si l'on faisait taire feu mon père, mes oncles et mes voisins pour des peccadilles. Comme si le vécu de cet homme méritait purement et simplement d'être nié, foulé aux pieds et annihilé.
***
Maximilien Robespierre était surnommé l'Incorruptible. Le brave homme prêchait la vertu en toutes circonstances. Il menait une vie frugale et avait des opinions bien arrêtées sur le bonheur que son ami Saint-Just considérait comme une idée nouvelle en Europe.
Ces deux-là ne se gênèrent pas pour envoyer à la guillotine tous ceux et celles qui dérangeaient leur plan d'établir le règne du bonheur et de la raison pour tous.
À la même époque, un certain Donatien Alphonse Ferdinand, récemment libéré de la Bastille, militait au sein de la Section des Piques de Paris. Partisan de la révolution, cet homme fit néanmoins circuler une pétition pour l'abolition de la peine de mort. On connaît mieux ce gaillard sous son titre de noblesse: le Marquis de Sade...
Le Marquis de Sade a écrit toutes sortes de saletés pornographiques et était loin d'être un ange de vertu. Pourtant, il était en faveur de l'abolition de la peine de mort à une époque où Marat hurlait qu'il lui fallait 100 000 têtes coupées pour purger la France.
"En réalité, le satanisme a gagné, Satan s'est fait ingénu. Le mal se connaissant était moins affreux et plus près de la guérison que le mal s'ignorant. G. Sand inférieure à de Sade." C'est une citation de Charles Baudelaire tirée de ses oeuvres posthumes.
Sous le prétexte fallacieux de servir la vertu, l'amour, le bonheur ou Dieu sait quoi, les anges de vertu tuent sans compter.
Ils croient régénérer la société en envoyant à l'abattoir tous ceux qui se butent à la justesse de leurs vues, selon un mode de pensée dénué tout autant de compassion que d'humanité.
***
Je m'excuse à l'avance de citer autant de noms propres pour parler d'un truc aussi sale.
Il est vrai que je considère la culture comme une arme pour nous défendre contre l'injustice, l'oppression et l'inhumanité.
On me reprochera sans doute de nourrir une vision élitiste chez ceux qui ne supportent pas d'être dépeints comme des cannibales ou des coupeurs de têtes.
Je ne crois pas que ce soit le cas.
Aussi je m'empresserai de poursuivre dans la même veine en citant Pascal: "L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête." (Pensées, Livre de poche, 1962, p. 151.)
***
Toutes les causes qui peuvent sembler justes a priori courent le risque d'être instrumentalisées par des personnes mesquines pour servir leur soif de pouvoir au sein d'une coterie.
Cela tombe tellement sous le sens qu'il me semble presque superflu d'avoir pris le temps de traiter de ce sujet.