samedi 31 décembre 2016
Fin de l'année du singe de feu
Cela termine bien l'année du singe de feu qui, selon l'horoscope chinois, se poursuivra tout de même jusqu'au 27 janvier 2017. C'est mon signe astrologique, singe de feu.
La nouvelle année chinoise sera celle du coq de feu.
Cette scène tirée de 2001 L'Odyssée de l'espace tient sans doute du chef d'oeuvre.
Ce petit animal inoffensif que nous étions dans la savane est devenu le plus grand prédateur de l'histoire terrestre.
Quoi d'autre à rajouter après avoir vu ça? Rien, non rien...
vendredi 30 décembre 2016
Les miracles n'arrivent jamais un 31 décembre
Cette histoire s'est passée le 31 décembre 1992, à la veille du Jour de l'An.
François se sentait bien seul en attendant le début de sa session d'hiver au département de littérature de son université. Tous ses camarades étaient partis depuis le début de décembre.
Ce grand maigre aux épaules voûtées ne connaissait personne dans cette ville, ou si peu que cela ne valait pas la peine d'en parler. C'est à peine s'il avait discuté avec le commis du dépanneur où il travaillait pour payer ses études. Ils n'avaient rien à partager ensemble. Le commis fantasmait sur les gros chars et François préférait les films de répertoire. Ils étaient à mille lieues de s'entendre et de s'apprécier. François ne lui en voulait pas pour autant mais n'était pas du genre à se taper du AC/DC accompagné de sachets de phencyclidine, communément appelée PCP, une drogue de cheval qui rendait à moitié fou.
Pour remédier à ce sentiment prenant de solitude, François buvait comme une éponge aussi souvent qu'il le pouvait.
François se nourrissait essentiellement d'oeufs à la coque, de pâtes alimentaires et de sauce aux tomates. La bière, le vin et autres spiritueux occupaient la majeure partie de l'espace dans son frigo. Quelques grammes de marijuana traînaient aussi dans le tiroir de sa table de chevet mais il n'était pas du genre à en abuser. Un petit joint lui suffisait. Parfois deux. Rarement trois.
Or, c'était le 31 décembre et François n'en pouvait plus de se saouler tout fin seul entre quatre murs.
Il lui fallait donc partir à l'aventure, c'est-à-dire se rendre au centre-ville pour fêter l'arrivée de la nouvelle année comme s'il était comme tout le monde.
François se fit des réserves avant de quitter son appartement. Il emporta deux ou trois petits joints, au cas où ça lui prendrait de planer, ainsi qu'un bon flasque de vodka qu'il tenait au congélateur depuis trois mois. Dans de telles conditions, la vodka devient tout à fait sirupeuse et coule dans la gorge comme si c'était du miel froid. Un pur délice qui permet aussi de dévisser sa tête.
De gros flocons de neige tombaient sur la ville qui semblait désertée par tout un chacun. Les trottoirs n'étaient pas déblayés. C'était comme si les employés attitrés au déneigement étaient tous en congé. Qu'importe! François avait de quoi se donner du courage. Il but une large rasade de vodka à même son flasque puis s'alluma un joint.
Une femme portant un épais manteau de fourrure blanche survint derrière lui et le prit par le bras.
-Heu oui? lui demanda François, surprit par cette manoeuvre d'accostage.
-J'm'ennuie, lui dit la femme. Tu t'en vas où?
-Au centre-ville...
-J'peux-tu y aller avec toé? lui demanda-t-elle, en lui faisant des yeux de biche éplorée.
-Bien sûr... Pourquoi pas?
Il ne s'étonna pas de lui avoir fait cette réponse. D'abord, la femme n'était pas laide du tout. Elle avait de beaux yeux, même si elle avait l'air louche. On aurait pu croire qu'elle était la soeur d'Alannah Myles en plus petit et en plus joufflu. De plus, elle sentait bon. Quelque chose comme le patchouli. Certainement pas la vanille, cette fragrance que François détestait par-dessus tout lorsqu'elle émanait de la peau d'une femme.
La belle inconnue appuya sa tête contre le bras de François qui lui passa le joint.
-Mon chum m'a crissé là ce soir... C'est pas vrai que j'vais rester t'u' seule ce soir...
-Hum... acquiesça François, en se demandant déjà s'il avait pris sa douche et s'il portait des sous-vêtements présentables.
-Tu m'offres un drink au bar?
-Bien sûr... Je m'en vais au bar Le Guet-Apens...
-Ah oui... dit-elle en faisant un peu la moue. Un bar d'artistes... T'es pas gay j'espère?
-Non. Pas une miette.
-Tant mieux parce que si j'ai envie de baiser ensuite, tu serais peut-être de mon goût... T'es grand pis moé j'aime pas les ti-bouttes... Ça fait plus viril un grand... Plus homme...
Il n'en fallait pas plus pour que François sente quelque chose se gonfler dans son pantalon. Deux ou trois secondes passèrent comme un éclair. Puis il se surprit à joindre ses lèvres à celles de l'inconnue. Quelques secondes passèrent encore et voilà qu'ils se roulaient une pelle en se pognant les fesses.
-T'embrasses bien mon coquin... C'est quoi ton nom?
-François... Et toi?
-Moi? C'est sans importance... Appelle-moi Cassandra...
Cassandra était devenue joyeuse et se mit à chanter des airs de Ginette Reno et de Céline Dion tout en tenant fermement François par le bras.
Quand je m'endors contre tout corps
Alors je n'ai plus de doute
L'amour existe encoooore...
François s'en sentit tout ému. Elle chantait comme un ange, Cassandra. Une telle voix ne pouvait provenir que du paradis. Cette veille du Jour de l'An tenait presque du miracle. Tu marches sur la rue, une belle inconnue te tombe dessus, elle te roule une pelle en te pognant les fesses et elle te chante l'amour existe encore... Ah! que la vie est belle et remplie de surprises!
-Avant d'aller au Guet-Apens tu pourrais-tu me passer vingt piastres mon lapin? J'arrêterais chez une de mes chums pour lui acheter de quoi me réveiller... J'ai pas dormi de la nuitte à cause de ma chicane avec mon chum... Si j'ai pas d'quoi pour me réveiller tu vas devoir baiser avec une morte... j'aime autant te l'dire... C'est rare que j'fais d'la poudre mais là, honnêtement, j'ai pas l'choix... C'est la veille du Jour de l'An après tout? Pis j'ai vraiment, mais vraiment, envie d'tripper avec toé... T'es mon Bon Samaritain François. Le sais-tu? J'vais t'remettre ton vingt piastres, mon grand François d'amour, promis, juré, craché...
Cassandra cracha par terre en faisant un signe de croix sur les lèvres de François. Puis elle lui caressa subrepticement le menton pour qu'il acquiesce à la faveur qu'elle lui demandait.
-Bien sûr... Bien sûr...
François lui tendit un billet de vingt dollars.
-Merci Frank... T'es bin blood... J'te r'vaudrai ça...
-Ok... C'est où qu'elle demeure ta copine?
-Pas loin d'ici... Seulement, va falloir que tu m'attendes dehors... Elle ne te connaît pas et elle ne voudra pas me vendre si elle te voit avec moi... Ça sera pas long. Juste un zip zap pis j'reviens entre tes mains mon lapin... Ok?
-Ok, bredouilla François qui se voyait déjà en train de libérer un puissant jet de liquide séminal dans la matrice de la belle inconnue.
Ils se rendirent au coin des rues St-Philippe et Ste-Élisabeth. Cassandra lui dit d'attendre devant pour que sa copine ne se doute pas qu'il était avec elle. Elle irait la voir en prenant la sortie de derrière. Rien de plus normal quoi. On n'achète pas de la drogue comme si l'on allait au dépanneur.
Cassandra tourna le coin de la rue et François la perdit de vue.
Il attendit cinq minutes. Puis dix minutes. Puis vingt minutes. À la trentième minute, François se rendit compte qu'il venait de se faire rouler dans la farine comme le dernier des idiots. Il ne savait pas dans quel appartement habitait la copine de Cassandra et il lui semblait évident qu'elle venait tout simplement de profiter de lui. Les belles inconnues ne vous abordent jamais comme ça dans la rue sans avoir quelque chose derrière la tête... Comment avait-il pu être si naïf?
François rebroussa chemin en fumant un deuxième joint pour se calmer les nerfs.
Ses sous-vêtements étaient un peu collant. La salope l'avait tellement allumé que le pauvre François avait libéré du liquide pré-séminal dans ses shorts.
Plutôt que d'aller au Guet-Apens, François prit le chemin du retour.
Il n'avait plus envie de fêter.
Il avait juste l'envie de boire jusqu'à plus soif et de maudire l'humanité.
***
Speedy avait mis Vivre dans la nuit sur son tourne-disque et il le faisait jouer en boucle. Il se sentait romantique. Enfin! Il voulait que Cassandra croie qu'il l'était.
Cassandra, qui s'appelait en fait Manon, était déjà entre les bras de Speedy, un hostie de trou du cul toujours défoncé qui venait tout juste de sortir du Village de Nathalie, surnom que l'on accole à la prison de Trois-Rivières dans le milieu du crime.
Les gros criminels étaient envoyés dans les établissements fédéraux. Le Village de Nathalie c'était pour ceux qui ne paient pas leurs tickets de contraventions et ceux qui volent des paquets de gomme au dépanneur. Speedy avait plutôt volé des bouteilles de parfum pour les revendre. Ce qui faisait tout de même partie de l'ordre des menus larcins commis par de petits toxicomanes sans envergure.
-Comment t'as fait pour acheter ta poudre Manon? Snifff! Est bonne en christ! Oua!
-Snifff! Ooooh! J'suis allé chez Ti-Oui... Il a accepté de me l'faire pour vingt piastres... J'vais lui devoir un autre vingt piastres cette semaine... Va falloir que j'm'active sacrament!
-T'avais pas une cent tantôt...
-J'ai trouvé un pigeon sur la rue... Il m'a donné vingt piastres parce qu'i' pensait que j'allais baiser avec... Un grand christ de maigre qui avait l'air d'un tapette... Snifff! Ouaaa!
-T'es une hostie d'salope toé! Snifff! Ayoye!
-Peut-être... Mais ça fitte bien avec un trou d'cul... Plains-toi pas. T'as d'quoi pour sniffer pis moé aussi.
-Tu sais c'que j'aurais l'goût d'faire?
-Me fourrer dans l'cul, j'suppose?
-En plein ça! Check comme chu bandé! AAAArrrg!
-Mon hostie d'cochon toé! Enwèye prends-moé mon tabarnak!
-Tiens ma calice! Tiens! fit-il de solides coups de bassin.
-Arrrg! J'aime ça mon hostie d'cochon! Ah! Aaah! Aaaaah! Heurrrrg! Aaah!
-Ah! Ciboire! Calice! Tabarnak! Aaarg!
***
François était saoul et gelé tight. L'année 1993 était débutée depuis quatorze minutes.
A Love Supreme de John Coltrane résonnait dans son appartement miteux de la paroisse Sainte-Cécile.
Il n'avait rien de trouvé de mieux à faire que de griffonner du papier, comme il le faisait toujours pour se prouver qu'il était bien plus un homme de lettres qu'un étudiant en littérature. Il allait publier ça dans la petite fanzine qu'il montait avec ses camarades de la fac.
François rédigeait un poème triste sur sa table de cuisine jonchée de bouteilles vides.
Un poème qui s'intitulait Elle s'appelait Cassandra.
Voici ce que ça donnait:
Belle comme la nuit
Mais sournoise comme la mort
Tu allais me délivrer de l'ennui
Ô toi Cassandra
J'en avais les shorts collées
Ma tabarnak
Hostie d'chienne
Christ de truie
Tu m'as volé vingt piastres
Pis tu m'as même enlevé
Le goût d'me crosser
Vache du calice
J'suis rien qu'un naïf Cassandra
Un hostie d'niaiseux
Qu'on fourre facilement
Sans même baisser ses culottes
Va chier oui va chier
Cassandra...
François se sentait bien seul en attendant le début de sa session d'hiver au département de littérature de son université. Tous ses camarades étaient partis depuis le début de décembre.
Ce grand maigre aux épaules voûtées ne connaissait personne dans cette ville, ou si peu que cela ne valait pas la peine d'en parler. C'est à peine s'il avait discuté avec le commis du dépanneur où il travaillait pour payer ses études. Ils n'avaient rien à partager ensemble. Le commis fantasmait sur les gros chars et François préférait les films de répertoire. Ils étaient à mille lieues de s'entendre et de s'apprécier. François ne lui en voulait pas pour autant mais n'était pas du genre à se taper du AC/DC accompagné de sachets de phencyclidine, communément appelée PCP, une drogue de cheval qui rendait à moitié fou.
Pour remédier à ce sentiment prenant de solitude, François buvait comme une éponge aussi souvent qu'il le pouvait.
François se nourrissait essentiellement d'oeufs à la coque, de pâtes alimentaires et de sauce aux tomates. La bière, le vin et autres spiritueux occupaient la majeure partie de l'espace dans son frigo. Quelques grammes de marijuana traînaient aussi dans le tiroir de sa table de chevet mais il n'était pas du genre à en abuser. Un petit joint lui suffisait. Parfois deux. Rarement trois.
Or, c'était le 31 décembre et François n'en pouvait plus de se saouler tout fin seul entre quatre murs.
Il lui fallait donc partir à l'aventure, c'est-à-dire se rendre au centre-ville pour fêter l'arrivée de la nouvelle année comme s'il était comme tout le monde.
François se fit des réserves avant de quitter son appartement. Il emporta deux ou trois petits joints, au cas où ça lui prendrait de planer, ainsi qu'un bon flasque de vodka qu'il tenait au congélateur depuis trois mois. Dans de telles conditions, la vodka devient tout à fait sirupeuse et coule dans la gorge comme si c'était du miel froid. Un pur délice qui permet aussi de dévisser sa tête.
De gros flocons de neige tombaient sur la ville qui semblait désertée par tout un chacun. Les trottoirs n'étaient pas déblayés. C'était comme si les employés attitrés au déneigement étaient tous en congé. Qu'importe! François avait de quoi se donner du courage. Il but une large rasade de vodka à même son flasque puis s'alluma un joint.
Une femme portant un épais manteau de fourrure blanche survint derrière lui et le prit par le bras.
-Heu oui? lui demanda François, surprit par cette manoeuvre d'accostage.
-J'm'ennuie, lui dit la femme. Tu t'en vas où?
-Au centre-ville...
-J'peux-tu y aller avec toé? lui demanda-t-elle, en lui faisant des yeux de biche éplorée.
-Bien sûr... Pourquoi pas?
Il ne s'étonna pas de lui avoir fait cette réponse. D'abord, la femme n'était pas laide du tout. Elle avait de beaux yeux, même si elle avait l'air louche. On aurait pu croire qu'elle était la soeur d'Alannah Myles en plus petit et en plus joufflu. De plus, elle sentait bon. Quelque chose comme le patchouli. Certainement pas la vanille, cette fragrance que François détestait par-dessus tout lorsqu'elle émanait de la peau d'une femme.
La belle inconnue appuya sa tête contre le bras de François qui lui passa le joint.
-Mon chum m'a crissé là ce soir... C'est pas vrai que j'vais rester t'u' seule ce soir...
-Hum... acquiesça François, en se demandant déjà s'il avait pris sa douche et s'il portait des sous-vêtements présentables.
-Tu m'offres un drink au bar?
-Bien sûr... Je m'en vais au bar Le Guet-Apens...
-Ah oui... dit-elle en faisant un peu la moue. Un bar d'artistes... T'es pas gay j'espère?
-Non. Pas une miette.
-Tant mieux parce que si j'ai envie de baiser ensuite, tu serais peut-être de mon goût... T'es grand pis moé j'aime pas les ti-bouttes... Ça fait plus viril un grand... Plus homme...
Il n'en fallait pas plus pour que François sente quelque chose se gonfler dans son pantalon. Deux ou trois secondes passèrent comme un éclair. Puis il se surprit à joindre ses lèvres à celles de l'inconnue. Quelques secondes passèrent encore et voilà qu'ils se roulaient une pelle en se pognant les fesses.
-T'embrasses bien mon coquin... C'est quoi ton nom?
-François... Et toi?
-Moi? C'est sans importance... Appelle-moi Cassandra...
Cassandra était devenue joyeuse et se mit à chanter des airs de Ginette Reno et de Céline Dion tout en tenant fermement François par le bras.
Quand je m'endors contre tout corps
Alors je n'ai plus de doute
L'amour existe encoooore...
François s'en sentit tout ému. Elle chantait comme un ange, Cassandra. Une telle voix ne pouvait provenir que du paradis. Cette veille du Jour de l'An tenait presque du miracle. Tu marches sur la rue, une belle inconnue te tombe dessus, elle te roule une pelle en te pognant les fesses et elle te chante l'amour existe encore... Ah! que la vie est belle et remplie de surprises!
-Avant d'aller au Guet-Apens tu pourrais-tu me passer vingt piastres mon lapin? J'arrêterais chez une de mes chums pour lui acheter de quoi me réveiller... J'ai pas dormi de la nuitte à cause de ma chicane avec mon chum... Si j'ai pas d'quoi pour me réveiller tu vas devoir baiser avec une morte... j'aime autant te l'dire... C'est rare que j'fais d'la poudre mais là, honnêtement, j'ai pas l'choix... C'est la veille du Jour de l'An après tout? Pis j'ai vraiment, mais vraiment, envie d'tripper avec toé... T'es mon Bon Samaritain François. Le sais-tu? J'vais t'remettre ton vingt piastres, mon grand François d'amour, promis, juré, craché...
Cassandra cracha par terre en faisant un signe de croix sur les lèvres de François. Puis elle lui caressa subrepticement le menton pour qu'il acquiesce à la faveur qu'elle lui demandait.
-Bien sûr... Bien sûr...
François lui tendit un billet de vingt dollars.
-Merci Frank... T'es bin blood... J'te r'vaudrai ça...
-Ok... C'est où qu'elle demeure ta copine?
-Pas loin d'ici... Seulement, va falloir que tu m'attendes dehors... Elle ne te connaît pas et elle ne voudra pas me vendre si elle te voit avec moi... Ça sera pas long. Juste un zip zap pis j'reviens entre tes mains mon lapin... Ok?
-Ok, bredouilla François qui se voyait déjà en train de libérer un puissant jet de liquide séminal dans la matrice de la belle inconnue.
Ils se rendirent au coin des rues St-Philippe et Ste-Élisabeth. Cassandra lui dit d'attendre devant pour que sa copine ne se doute pas qu'il était avec elle. Elle irait la voir en prenant la sortie de derrière. Rien de plus normal quoi. On n'achète pas de la drogue comme si l'on allait au dépanneur.
Cassandra tourna le coin de la rue et François la perdit de vue.
Il attendit cinq minutes. Puis dix minutes. Puis vingt minutes. À la trentième minute, François se rendit compte qu'il venait de se faire rouler dans la farine comme le dernier des idiots. Il ne savait pas dans quel appartement habitait la copine de Cassandra et il lui semblait évident qu'elle venait tout simplement de profiter de lui. Les belles inconnues ne vous abordent jamais comme ça dans la rue sans avoir quelque chose derrière la tête... Comment avait-il pu être si naïf?
François rebroussa chemin en fumant un deuxième joint pour se calmer les nerfs.
Ses sous-vêtements étaient un peu collant. La salope l'avait tellement allumé que le pauvre François avait libéré du liquide pré-séminal dans ses shorts.
Plutôt que d'aller au Guet-Apens, François prit le chemin du retour.
Il n'avait plus envie de fêter.
Il avait juste l'envie de boire jusqu'à plus soif et de maudire l'humanité.
***
Speedy avait mis Vivre dans la nuit sur son tourne-disque et il le faisait jouer en boucle. Il se sentait romantique. Enfin! Il voulait que Cassandra croie qu'il l'était.
Cassandra, qui s'appelait en fait Manon, était déjà entre les bras de Speedy, un hostie de trou du cul toujours défoncé qui venait tout juste de sortir du Village de Nathalie, surnom que l'on accole à la prison de Trois-Rivières dans le milieu du crime.
Les gros criminels étaient envoyés dans les établissements fédéraux. Le Village de Nathalie c'était pour ceux qui ne paient pas leurs tickets de contraventions et ceux qui volent des paquets de gomme au dépanneur. Speedy avait plutôt volé des bouteilles de parfum pour les revendre. Ce qui faisait tout de même partie de l'ordre des menus larcins commis par de petits toxicomanes sans envergure.
-Comment t'as fait pour acheter ta poudre Manon? Snifff! Est bonne en christ! Oua!
-Snifff! Ooooh! J'suis allé chez Ti-Oui... Il a accepté de me l'faire pour vingt piastres... J'vais lui devoir un autre vingt piastres cette semaine... Va falloir que j'm'active sacrament!
-T'avais pas une cent tantôt...
-J'ai trouvé un pigeon sur la rue... Il m'a donné vingt piastres parce qu'i' pensait que j'allais baiser avec... Un grand christ de maigre qui avait l'air d'un tapette... Snifff! Ouaaa!
-T'es une hostie d'salope toé! Snifff! Ayoye!
-Peut-être... Mais ça fitte bien avec un trou d'cul... Plains-toi pas. T'as d'quoi pour sniffer pis moé aussi.
-Tu sais c'que j'aurais l'goût d'faire?
-Me fourrer dans l'cul, j'suppose?
-En plein ça! Check comme chu bandé! AAAArrrg!
-Mon hostie d'cochon toé! Enwèye prends-moé mon tabarnak!
-Tiens ma calice! Tiens! fit-il de solides coups de bassin.
-Arrrg! J'aime ça mon hostie d'cochon! Ah! Aaah! Aaaaah! Heurrrrg! Aaah!
-Ah! Ciboire! Calice! Tabarnak! Aaarg!
***
François était saoul et gelé tight. L'année 1993 était débutée depuis quatorze minutes.
A Love Supreme de John Coltrane résonnait dans son appartement miteux de la paroisse Sainte-Cécile.
Il n'avait rien de trouvé de mieux à faire que de griffonner du papier, comme il le faisait toujours pour se prouver qu'il était bien plus un homme de lettres qu'un étudiant en littérature. Il allait publier ça dans la petite fanzine qu'il montait avec ses camarades de la fac.
François rédigeait un poème triste sur sa table de cuisine jonchée de bouteilles vides.
Un poème qui s'intitulait Elle s'appelait Cassandra.
Voici ce que ça donnait:
Belle comme la nuit
Mais sournoise comme la mort
Tu allais me délivrer de l'ennui
Ô toi Cassandra
J'en avais les shorts collées
Ma tabarnak
Hostie d'chienne
Christ de truie
Tu m'as volé vingt piastres
Pis tu m'as même enlevé
Le goût d'me crosser
Vache du calice
J'suis rien qu'un naïf Cassandra
Un hostie d'niaiseux
Qu'on fourre facilement
Sans même baisser ses culottes
Va chier oui va chier
Cassandra...
jeudi 29 décembre 2016
Clair comme de l'eau de roche
Il est sans doute présomptueux de ma part que de rédiger un billet sur l'art d'écrire. Cela suppose une haute estime de mon écriture qui s'apparente à de la vanité. On ne peut pas m'en vouloir de me connaître moi-même... Le philosophe Protagoras ne disait-il pas que l'homme est la mesure de toutes choses? Il l'affirmait tant et si bien que la légende prétend qu'il fut accusé d'impiété. Notre homme, Protagoras, ne pouvait dire avec certitude si les dieux existaient. Les pitoyables pieux de son temps n'entendaient pas à rire avec les choses sacrées. On brûla ses livres. Mais pas sa mémoire. Autrement son nom ne serait jamais parvenu jusqu'à nous.
Vous aurez constaté, lecteurs et lectrices assidus de mon blogue, que j'abuse des digressions. Cela n'a strictement rien à voir avec l'art d'écrire. Et donc rien à faire ici.
Si je n'ai pas effacé ces lignes, c'est qu'ils servent un tant soit peu ma démonstration.
Écrire, c'est parler. Et parler, c'est inévitablement sauter du coq à l'âne. Surtout si vous êtes comme moi. Et si vous ne l'êtes pas, eh bien, ne venez pas me faire scier avec vos désaccords. Laissez-moi au moins aller jusqu'au bout de mon billet.
Je ne parle pas tout à fait comme j'écris. J'ai un accent gouailleur et tiens des propos tout autant scatologiques que vulgaires. Ma blonde dit que je fais partie de la maudite génération RBO. Il paraît que nous sommes tous comme ça, bêtes et méchants, cyniques, abusant allègrement des mots marde, grosse truie et gros hostie d'sale.
Diantre! c'est que je sacre et blasphème sans vergogne. Je n'ai rien d'une précieuse ridicule qui soigne ses effets langagiers. Au plan de ma littérature orale, je suis un gros mal élevé. Je dirais même que je suis un punk en son genre.
Je maintiens pourtant qu'écrire c'est parler. Chaque fois que j'écris une phrase je la prononce à haute voix dans ma tête. C'est comme ça que je sais qu'elle se tient. Si je suffoque, parce que le point est trop loin, je coupe ma phrase en deux, sinon en trois. Ou bien je supprime mon texte et m'en vais prendre une marche.
Je n'écris jamais avec un dictionnaire à mes côtés. Je vais bien y jeter un coup d'oeil de temps à autre. Néanmoins je ne peux pas parler et feuilleter un livre simultanément. La parole et la lecture en seraient tous les deux affectés.
J'écris donc simplement ce qui me vient à l'esprit. J'emploie les mots qui sortent naturellement de ma tête. Si le mot ne vibre pas en moi depuis des mois, c'est qu'il n'a pas encore passé le test.
Cette semaine, j'ai employé le terme persifler pour varier avec médire. Je ne suis pas allé chercher ce terme dans le dictionnaire. Il est sorti de moi spontanément. Il y était enfoui depuis des lustres. Je ne l'avais jamais employé auparavant. Je l'ai écrit parce qu'il avait passé l'épreuve du temps en moi-même. Je ne l'aurais pas employé autrement.
Je formule des phrases courtes lorsque j'écris. Je suis l'ordre logique du discours. Mon sujet est presque toujours suivi d'un verbe et d'un complément. J'écris Luc va à l'école plutôt qu'À l'école, Luc va. Cela semble bien bête d'écrire ça. Mais ce n'est pas sans raison. Trop de gens écrivent en pratiquant ce genre d'inversion qui finit par nuire à la compréhension du texte. Qui parle comme ça dans la rue, hein? À l'école, Luc va... C'est non seulement laid. C'est mauvais. C'est tout juste bon pour les plaquettes de poésie rédigées par des professeurs de cégep.
Je décroche de toutes les lectures qui ne savent pas jouer avec le silence. Le silence est une note en musique. S'il n'y a pas cette pause, tout n'est bientôt que du bruit pour rien.
Si je n'ai pas de plaisir à lire un auteur, je l'abandonne tout de suite. Je suis trop vieux pour jouer à ça. Trop impatient de goûter à la quintessence de la vie pour me contenter d'un vil assemblage de mots mal maîtrisés.
J'évite les suites d'adjectifs et d'adverbes. Je ne suis pas très lyrique.
Mon modèle, en termes d'écriture, c'est définitivement le Siècle des Lumières.
Que l'on lise Voltaire, Sade ou bien Rousseau, tout semble toujours clair et net, sans fioritures. Même les concepts les plus difficiles y sont simplement expliqués. On ne sombre jamais dans le métalangage au XVIIIe siècle. On ne fait pas de la prose qui ressemble à une traduction de la philosophie allemande. On a l'impression qu'on nous parle directement, sans intermédiaire, sans s'appuyer sur un dictionnaire d'idées reçues et de concepts creux.
Les auteurs que j'apprécie le plus, en français, sont ceux qui n'ont jamais coupé ce cordon ombilical qui les relie à Voltaire et compagnie.
Mon art d'écrire, si je peux me permettre l'expression, n'est rien d'autre qu'une tentative d'être toujours clair comme de l'eau de roche.
Vous aurez constaté, lecteurs et lectrices assidus de mon blogue, que j'abuse des digressions. Cela n'a strictement rien à voir avec l'art d'écrire. Et donc rien à faire ici.
Si je n'ai pas effacé ces lignes, c'est qu'ils servent un tant soit peu ma démonstration.
Écrire, c'est parler. Et parler, c'est inévitablement sauter du coq à l'âne. Surtout si vous êtes comme moi. Et si vous ne l'êtes pas, eh bien, ne venez pas me faire scier avec vos désaccords. Laissez-moi au moins aller jusqu'au bout de mon billet.
Je ne parle pas tout à fait comme j'écris. J'ai un accent gouailleur et tiens des propos tout autant scatologiques que vulgaires. Ma blonde dit que je fais partie de la maudite génération RBO. Il paraît que nous sommes tous comme ça, bêtes et méchants, cyniques, abusant allègrement des mots marde, grosse truie et gros hostie d'sale.
Diantre! c'est que je sacre et blasphème sans vergogne. Je n'ai rien d'une précieuse ridicule qui soigne ses effets langagiers. Au plan de ma littérature orale, je suis un gros mal élevé. Je dirais même que je suis un punk en son genre.
Je maintiens pourtant qu'écrire c'est parler. Chaque fois que j'écris une phrase je la prononce à haute voix dans ma tête. C'est comme ça que je sais qu'elle se tient. Si je suffoque, parce que le point est trop loin, je coupe ma phrase en deux, sinon en trois. Ou bien je supprime mon texte et m'en vais prendre une marche.
Je n'écris jamais avec un dictionnaire à mes côtés. Je vais bien y jeter un coup d'oeil de temps à autre. Néanmoins je ne peux pas parler et feuilleter un livre simultanément. La parole et la lecture en seraient tous les deux affectés.
J'écris donc simplement ce qui me vient à l'esprit. J'emploie les mots qui sortent naturellement de ma tête. Si le mot ne vibre pas en moi depuis des mois, c'est qu'il n'a pas encore passé le test.
Cette semaine, j'ai employé le terme persifler pour varier avec médire. Je ne suis pas allé chercher ce terme dans le dictionnaire. Il est sorti de moi spontanément. Il y était enfoui depuis des lustres. Je ne l'avais jamais employé auparavant. Je l'ai écrit parce qu'il avait passé l'épreuve du temps en moi-même. Je ne l'aurais pas employé autrement.
Je formule des phrases courtes lorsque j'écris. Je suis l'ordre logique du discours. Mon sujet est presque toujours suivi d'un verbe et d'un complément. J'écris Luc va à l'école plutôt qu'À l'école, Luc va. Cela semble bien bête d'écrire ça. Mais ce n'est pas sans raison. Trop de gens écrivent en pratiquant ce genre d'inversion qui finit par nuire à la compréhension du texte. Qui parle comme ça dans la rue, hein? À l'école, Luc va... C'est non seulement laid. C'est mauvais. C'est tout juste bon pour les plaquettes de poésie rédigées par des professeurs de cégep.
Je décroche de toutes les lectures qui ne savent pas jouer avec le silence. Le silence est une note en musique. S'il n'y a pas cette pause, tout n'est bientôt que du bruit pour rien.
Si je n'ai pas de plaisir à lire un auteur, je l'abandonne tout de suite. Je suis trop vieux pour jouer à ça. Trop impatient de goûter à la quintessence de la vie pour me contenter d'un vil assemblage de mots mal maîtrisés.
J'évite les suites d'adjectifs et d'adverbes. Je ne suis pas très lyrique.
Mon modèle, en termes d'écriture, c'est définitivement le Siècle des Lumières.
Que l'on lise Voltaire, Sade ou bien Rousseau, tout semble toujours clair et net, sans fioritures. Même les concepts les plus difficiles y sont simplement expliqués. On ne sombre jamais dans le métalangage au XVIIIe siècle. On ne fait pas de la prose qui ressemble à une traduction de la philosophie allemande. On a l'impression qu'on nous parle directement, sans intermédiaire, sans s'appuyer sur un dictionnaire d'idées reçues et de concepts creux.
Les auteurs que j'apprécie le plus, en français, sont ceux qui n'ont jamais coupé ce cordon ombilical qui les relie à Voltaire et compagnie.
Mon art d'écrire, si je peux me permettre l'expression, n'est rien d'autre qu'une tentative d'être toujours clair comme de l'eau de roche.
mercredi 28 décembre 2016
À contre-pied des rétrospectives de l'année...
J'aurais pu vous parler du décès de David Bowie, par exemple, mais je n'achetais jamais ses disques. Lorsque je joue Ground Control to Major Tom à la guitare je bloque toujours sur un changement d'accord et suis trop paresseux pour consulter les tablatures sur l'Internet. Quant à Donald Trump, eh bien je vous avouerai que je ne le connais pas personnellement. J'ai ma petite opinion à ce sujet mais elle me semble sans importance, surtout dans le contexte d'une rétrospective rédigée à contre-courant.
L'événement culturel de l'année, pour moi, c'est mon ami Phil Good, un soudeur qui s'est mis à la peinture abstraite. Auparavant, il se concentrait sur des assemblages compliqués de pièces de métal soudées ensemble que personne ne pouvait déménager. Il me rappelait dernièrement que ceux qui critiquent l'art en général, dont le sien, ne sont pas foutu de créer quoi que ce soit. Ils se croient investis du bon goût suprême et ne sont même pas capables de dessiner un bonhomme allumette. Cela m'a semblé tellement sensé que je lui confère illico la palme de l'artiste de l'année. Bravo Phil!
Au niveau politique, puisqu'il faut en parler, la manifestation Dehors Couillard! est nettement en tête de lice. Cela s'est passé dimanche le 20 mars 2016 devant le Palais de Justice de Trois-Rivières. J'ai répondu à un appel lancé sur les médias sociaux par de simples et trop honnêtes citoyens. Il n'y avait strictement aucune organisation derrière tout ça. C'était un pur élan du coeur en faveur de la destitution du Premier Ministre du Québec. Nous étions presque dix à manifester dans l'indifférence générale. Si c'était à refaire, et ce sera sans doute à refaire, je n'hésiterais pas à recommencer.
J'accorderai aussi une bonne note aux militants anonymes contre la fluoration de l'eau potable à Trois-Rivières. Ils ont fini par gagner leur cause après des années de lutte. Ils auront tout fait pour faire comprendre à leurs concitoyens qu'il n'est pas recommandé d'avaler son dentifrice. Un simple principe de précaution devrait s'appliquer avant que d'imposer à l'ensemble de la population une prescription médicale digne d'un parc à bestiaux. Ces militants ne recevront pas l'Ordre national du Québec ou bien une médaille du Gouverneur général du Canada. Tout comme les militants qui ont fait fermer la centrale nucléaire Gentilly 2. Ou bien ceux qui ont fait en sorte que les Québécois puissent bénéficier de l'assurance-maladie.
Puisque je parle de Trois-Rivières, j'ajouterai aussi deux autres événements qui m'on marqué.
Il y a d'abord cette nouvelle lue dernièrement dans Le Nouvelliste. Le faits divers de l'année selon moi. Il s'agit d'un médecin accusé d'agression armée avec des maracas... Des maracas? Si, des maracas, comme celles qui font tchic-que-tchic. Une arme terrifiante qui méritait une pleine page d'information...
Il y a aussi l'arrestation d'un présumé pédophile qui dirigeait une entreprise d'emballage. On soupçonne ce triste sire d'avoir tué une fillette disparue en 2007. Un procès juste et équitable n'a rien à voir avec la vindicte publique, bien entendu. Par contre, des témoignages accablants s'accumulent. Témoignages qui proviennent surtout de gens qui travaillaient pour l'entreprise d'emballage. On a la vague impression, dans les milieux populaires trifluviens, que les riches peuvent tout se permettre, même de violer et de tuer impunément des petites filles.
Dans le domaine du sport, ma blonde se mérite le titre de l'athlète de l'année. Elle a débuté son entraînement par de la marche rapide au printemps. Puis elle s'est mise à faire du vélo comme une déchaînée. Elle s'est achetée une session de gymnase pour aller faire du jogging. Elle m'impressionne pas mal plus que tous les sportifs célèbres que vous pourriez me nommer. C'est à peine si je les connais quoi qu'il en soit. Je ne regarde jamais le sport à la télé et je ne lis pas cette section dans les journaux.
Au niveau scientifique, je n'ai rien à dire sur les ondes gravitationnelles, Pluton et les cellules souches synthétiques. L'événement scientifique de l'année fut la prise en charge de mon diabète. J'ai cessé de consommer du sucre raffiné et obtiens de bons indices glycémiques en menant une vie active.
Il y aurait aussi un prix spécial à remettre à Maude Champoux. Elle est préposée aux bénéficiaires et gagne à peine cinquante cents de plus que le salaire minimum. Cette mère de trois enfants en arrache pour maintenir sa famille à flot. Son mari ne travaille pas et se relève d'une dépression nerveuse. Maude Champoux porte à bout de bras l'humanité malade. Elle n'a pas les moyens de se payer un dentiste et encore moins ceux de tomber sur l'assurance-chômage maladie pour faire soigner son dos, ses jambes, sa gorge, alouette! Alors elle souffre tous les jours en évitant de se plaindre. Elle serait plutôt en faveur d'un syndicat à son travail mais sait trop bien que ses collègues sont des peureuses et des larbines. Elle se sait donc prise au piège. Et elle espère que tout s'arrangera pour 2017 avant qu'elle ne tombe morte d'épuisement mental et physique.
Évidemment, je ne saurais oublier ma mère dans ma rétrospective. Elle est décédée le 29 août dernier à l'âge de 79 ans. Elle m'a torché. Elle m'a nourri. Elle m'a aimé. Je l'aurai vue souriante et compréhensive comme jamais avant que de nous quitter. Tous les autres événements de l'année me semblent dès lors fades et vains. Les décès de Bowie, Gotlib ou de la Princesse Leïa ne m'ont pas affecté dans ma chair et mon âme. Que tout ce beau monde repose en paix. Et comme dirait l'un de mes amis, Ti-Ben, la mort d'une mère est la seule mort que l'on pleure tout seul.
Il y a eu tout plein de naissances autour de moi pour assurer la descendance de ma mère. Nous sommes maintenant onze personnes sur la Terre à porter les gènes et l'histoire de cette humble couturière qui ne voulait jamais déranger le monde.
Est-ce que le monde se porte mieux? Sera-t-il meilleur l'an prochain?
Ces questions sont d'autant plus vaines qu'on le regarde trop souvent par le petit bout de la lorgnette. On adopte un bréviaire. On se prévaut de l'interpréter avec des doctrines qui n'auront peut-être plus cours demain. Parfois, une simple promenade dans les bois nous fait prendre conscience que tout ce qui s'agite sur les Internettes (sic!) n'est qu'un cirque, une parodie de nouvelles amplifiées par les préjugés sociaux, les rumeurs et les intérêts commerciaux. La vérité est toujours malmenée. Les gardiens de la morale n'ont souvent que la morale de leur portefeuille. Les gens intègres sont d'autant plus rares que tout semble désintégré autour de nous.
Demain sera fait d'un peu d'aujourd'hui. Il n'y a jamais de création à partir du néant. Le passé est la matière brute qui sert à façonner le futur.
Je m'attends donc à être encore plus vieux en 2017, plus ridé, moins chevelu et moins invincible.
Je m'attends à ce qu'il y ait d'autres morts et d'autres naissances, comme toujours.
La fin du monde? Ce monde peut très bien se passer de nous sans qu'il ait à prendre fin. La Terre a traversé des désastres dont on n'a même pas idée. Elle a survécu à des collisions, à des éruptions volcaniques, à des ères glaciaires, à des radiations cosmiques. Elle cessera un jour d'être la Terre, bien entendu, mais ce n'est pas demain la veille. Demain sera plus près d'aujourd'hui qu'on ne voudrait le croire. Il y aura des journées comme les autres journées ternes de cette année qui s'achève. Des journées où les chefs de pupitres et les rédacteurs en chef pesteront pour publier une nouvelle digne de ce nom. Dont l'histoire saugrenue d'un médecin qui se fait menaçant puisqu'il est armé de maracas...
mardi 27 décembre 2016
La philosophie du verglas
Un rien peut enclencher une réflexion philosophique. Une tempête de verglas, ce n'est pas rien. Ce sont donc des tas de réflexions philosophiques qui me sont venues à l'esprit ce matin.
Les rues et les trottoirs étaient glacés. Un vrai miroir. J'ai donc mis des caoutchoucs à crampons d'acier sous mes bottes. Puis j'ai empoigné mes bâtons de trekking pour ensuite partir à l'aventure.
J'ai coutume de me mettre la chaîne Ici Musique dans les oreilles pour ma promenade matutinale. À l'heure où je marche j'ai droit à des valses et des airs de harpe. Je leur suis gré de m'épargner les airs d'opéra autant que faire se peut. Je n'aime pas entendre crier en italien, ni en allemand, ni en quelque langue que ce soit. La voix humaine ne me ravit pas tant que ça. Elle me rappelle trop que l'on parle souvent pour rien.
J'ai moi-même ce défaut. Dès que je m'ouvre la bouche je suis intarissable. Il faudrait m'assommer avec une pelle pour que je me taise... Cela pourrait expliquer pourquoi j'écris autant. Je dois brûler trois milles mots par jour minimum. Sinon, j'ai l'impression d'être vide comme une coquille de noix. Plus je m'exprime et plus j'ai de quoi à vous raconter... Je sais que je suis bizarre comme ça. Et je m'assume pleinement en tant que bavard taciturne, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Revenons à la philosophie que m'inspire le verglas.
D'abord, je n'écoute pas Ici Musique s'il y a du verglas. Cela risquerait de me déconcentrer. Je tiens à être pleinement là quand je marche sur de la glace vive. Pas question de laisser tomber sa garde. Je deviens vigilent comme un éclaireur qui s'approche du camp ennemi, tout en souplesse, à pas feutrés et silencieux comme Mingo l'Indien dans la télésérie Daniel Boone.
Marcher sur des trottoirs glacés, c'est comme avancer dans la vie. C'est lorsque l'on se sent pleinement confiant que l'on risque de tomber. La méfiance, même si cela ternit un tempérament, est toujours un gage de sécurité.
Même avec des caoutchoucs à crampons et des bâtons de trekking il m'arrive de chuter.
Cela se produit souvent au moment où je me sens en pleine confiance de mes pas, vers la fin de mon trajet.
Après trente minutes de marche sans tomber, je perds mes réflexes et mes précautions.
Au début, je marche lentement, comme si je pilais sur des oeufs. Chaque pas est mesuré. Chaque mouvement est calculé. Je lève une patte. Je plante mon bâton de marche. J'écrase la glace sous mes crampons d'acier.
Puis je ne crains plus rien et c'est là qu'un malheur se produit. Je me retrouve plaqué au sol, les quatre fers en l'air, tout simplement parce que j'ai perdu ma concentration.
Marcher dans le verglas, je vous le dis, c'est un exercice très zen.
Le trajet que j'accomplirais normalement en quarante minutes en prend vingt de plus.
Une heure et dix minutes de réflexions philosophiques m'accompagnent.
Je pense à la vie, aux grands questions sans réponses, à cet homme qui, selon Protagoras, est la mesure de toutes choses.
J'arrive finalement à destination sans heurts. Ma promenade a été l'occasion d'une méditation en solitaire. Je suis intact. J'ai tous mes morceaux. Je me sens béni des dieux.
Puis je constate que je n'ai pas grand chose à raconter...
Et je m'empresse d'écrire un petit n'importe quoi sur le verglas.
C'est mieux que rien.
Sachant qu'un rien peut enclencher une réflexion philosophique...
Les rues et les trottoirs étaient glacés. Un vrai miroir. J'ai donc mis des caoutchoucs à crampons d'acier sous mes bottes. Puis j'ai empoigné mes bâtons de trekking pour ensuite partir à l'aventure.
J'ai coutume de me mettre la chaîne Ici Musique dans les oreilles pour ma promenade matutinale. À l'heure où je marche j'ai droit à des valses et des airs de harpe. Je leur suis gré de m'épargner les airs d'opéra autant que faire se peut. Je n'aime pas entendre crier en italien, ni en allemand, ni en quelque langue que ce soit. La voix humaine ne me ravit pas tant que ça. Elle me rappelle trop que l'on parle souvent pour rien.
J'ai moi-même ce défaut. Dès que je m'ouvre la bouche je suis intarissable. Il faudrait m'assommer avec une pelle pour que je me taise... Cela pourrait expliquer pourquoi j'écris autant. Je dois brûler trois milles mots par jour minimum. Sinon, j'ai l'impression d'être vide comme une coquille de noix. Plus je m'exprime et plus j'ai de quoi à vous raconter... Je sais que je suis bizarre comme ça. Et je m'assume pleinement en tant que bavard taciturne, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Revenons à la philosophie que m'inspire le verglas.
D'abord, je n'écoute pas Ici Musique s'il y a du verglas. Cela risquerait de me déconcentrer. Je tiens à être pleinement là quand je marche sur de la glace vive. Pas question de laisser tomber sa garde. Je deviens vigilent comme un éclaireur qui s'approche du camp ennemi, tout en souplesse, à pas feutrés et silencieux comme Mingo l'Indien dans la télésérie Daniel Boone.
Marcher sur des trottoirs glacés, c'est comme avancer dans la vie. C'est lorsque l'on se sent pleinement confiant que l'on risque de tomber. La méfiance, même si cela ternit un tempérament, est toujours un gage de sécurité.
Même avec des caoutchoucs à crampons et des bâtons de trekking il m'arrive de chuter.
Cela se produit souvent au moment où je me sens en pleine confiance de mes pas, vers la fin de mon trajet.
Après trente minutes de marche sans tomber, je perds mes réflexes et mes précautions.
Au début, je marche lentement, comme si je pilais sur des oeufs. Chaque pas est mesuré. Chaque mouvement est calculé. Je lève une patte. Je plante mon bâton de marche. J'écrase la glace sous mes crampons d'acier.
Puis je ne crains plus rien et c'est là qu'un malheur se produit. Je me retrouve plaqué au sol, les quatre fers en l'air, tout simplement parce que j'ai perdu ma concentration.
Marcher dans le verglas, je vous le dis, c'est un exercice très zen.
Le trajet que j'accomplirais normalement en quarante minutes en prend vingt de plus.
Une heure et dix minutes de réflexions philosophiques m'accompagnent.
Je pense à la vie, aux grands questions sans réponses, à cet homme qui, selon Protagoras, est la mesure de toutes choses.
J'arrive finalement à destination sans heurts. Ma promenade a été l'occasion d'une méditation en solitaire. Je suis intact. J'ai tous mes morceaux. Je me sens béni des dieux.
Puis je constate que je n'ai pas grand chose à raconter...
Et je m'empresse d'écrire un petit n'importe quoi sur le verglas.
C'est mieux que rien.
Sachant qu'un rien peut enclencher une réflexion philosophique...
lundi 26 décembre 2016
Tempête de neige dans Notre-Dame-des-Sept-Allégresses
La neige n'a cessé de tomber depuis hier soir. On l'entendait même pianoter contre les vieilles fenêtres de ma chambre tout au long de la nuit.
Mon père vient nous sortir du lit, moi et mon petit frère.
-Sept heures! Sept heures! nous annonce popa.
On ne se lève pas tout de suite. On est si bien sous les draps...
-Sept heures et une! Sept heureeeees et uneee! continue p'pa.
Deuxième rappel qu'il faut se lever. On se retourne dans le lit. On se met les oreillers sur la tête pour nous isoler des pressions du monde extérieur qui tient à nous extirper de nos rêves intérieurs.
-Sept heures et deux! Sept heureees et deux!
Si l'on ne se lève pas tout de suite, Conrad Bouchard va crier même les secondes...
-Sept heures et trois et douze secondes! Sept heures et trois et treize secondes! Sept heures et trois et quatorze secondes!...
On se lève. On sait trop bien comment il est, p'pa. Quand il commence, il n'arrête jamais...
J'ai le vague espoir qu'il n'y ait pas d'école aujourd'hui. Il doit bien y avoir un pied et demi de neige au sol. Les charrues n'arrivent plus à dégager les rues et les trottoirs. Tout semble enseveli sous une épaisse peluche blanche. On ne voit plus les pneus des véhicules. Quel être ignoble pourrait nous obliger à nous rendre tout de même à l'école, hein?
Ma mère nous a fait du gruau qu'on peut engloutir avec des toasts et des tranches de fromage Velveeta épaisses comme ça.
Nous écoutons CHLN au 550 de la bande AM pour que l'on nous confirme ce que nous souhaitons du fin fond du coeur.
-...Germaine Larivière gagne ce matin le dernier disque de Richard Huet... Germaine Larivière, une dame de la rue Fusey à Cap-de-la-Madeleine... Félicitations madame Larivière... Pour ce qui est des actualités, en ce beau mois de janvier 1981, eh bien tout le monde se rend bien compte que c'est une belle grosse tempête de neige qui s'abat sur nous depuis hier soir... Nos lignes téléphoniques ne dérougissent plus depuis ce matin... Nos auditeurs veulent tous savoir s'il y a de l'école aujourd'hui... Eh bien non! Toutes les commissions scolaires de la région, et même de l'extérieur de la région, annoncent qu'il n'y aura pas d'école aujourd'hui... C'est pareil pour les cégeps et l'UQTR... Tout est fermé... Vous allez devoir supporter vos enfants à la maison... Ha! Ha! Ha! Donnez-leur une pelle et faites-les travailler pour qu'ils se fatiguent... Ça va les tenir tranquilles... Ha! Ha! Ha!
Nous hurlons de joie dans la maison. Mais pas mon père. Qu'il neige ou pas, il s'en va travailler à l'usine. Il nous quitte après avoir embrassé ma mère et lui avoir pogné une fesse au passage.
Il n'y a pas d'école aujourd'hui, bien sûr, mais ce n'est pas une raison pour rester en-dedans. Sitôt après le déjeuner, je me brosse les dents et j'enfile mon habit de skidoo avec mes grosses bottes pour aller pelleter le devant et le derrière de la maison avec ma mère et mes trois frères. On n'est pas aussi efficace que les plus vieux de la portée, moi et le chouchou de ma mère, mais on met la main à la neige nous aussi. Je demande le droit, moi aussi, d'utiliser le gros porte-neige. On me dit que je suis trop petit pour ça. Je me défends. Je crie. Puis on me laisse faire un ou deux déchargements que j'effectue de peine et de misère.
Au bout d'une heure, tout est déblayé. La neige diminue en intensité. Mon ami le Bief vient nous voir avec une pelle sur l'épaule.
Il s'appelle le Bief parce qu'il est plutôt maigre. Bief est le raccourci de Biafra, une république sécessionniste du Bénin où sévit la famine.
Le Bief s'en est fait une fierté. Tant qu'à être surnommé le Bief, aussi bien faire avec. Il s'est acheté une paire de pantalons d'édu sur laquelle il a fait inscrire son surnom en grosses lettres blanches: BIEF.
Le Bief est le gars le plus débrouillard que je connaisse. Il peut démonter et remonter son vélo quatre fois dans la même journée. Comme nous, il dispose d'un repaire secret. Chaque gars du quartier aménage sa shed comme si c'était une base de commandement. On se promène d'une shed à l'autre pour y planifier nos bons et nos mauvais coups.
Il a sorti une pelle de sa shed. Et il a un plan, le Bief.
-J'm'en va's faire d'l'argent. V'nez-vous avec moé? qu'il nous demande.
-Qu'est-cé tu vas faire?
-J'va's demander au monde qu'i' nous paye pour déneiger...
-Et on commence par où?
-Par la rue Laviolette... On va faire le tour des magasins...
On part donc avec nos pelles sur l'épaule. Bief est devenu indirectement notre patron. C'est lui qui négocie les prix et les termes du contrat. On commence par la cordonnerie. Le cordonnier est un tant soit peu médusé de voir trois jeunes garçons avec la pelle sur l'épaule. Le Bief s'avance.
-M'sieur... On pelte pour de l'argent... Comment tu nous donne m'sieur, hein?
-Combien vous voulez?
-Cinq piastres chaque...
-Hum... Ok si vous pelletez en avant et en arrière...
-C'est payable tu-suite après qu'on èye fini par 'xemple, poursuit le Bief.
-Ok les boys... Pelletez-moé tout ça...
On pelte le devant sans trop de difficultés. À trois, ça se fait tout seul. On se dit que ce sera un cinq piastres vite fait. Mais on dégrise un peu en voyant le gros stationnement à déneiger derrière la cordonnerie...
-Sacrament! On s'est faitte fourrer! déclare mon p'tit frère.
Un contrat étant un contrat, on s'y met à trois puis on se dit qu'on pourrait aller chercher un quatrième partenaire pour aller plus vite. On va donc chercher Ti-Kas. Ti-Kas qui se surnomme ainsi pour une raison qui m'échappe. Quant à moi et mon ti-frère, nous sommes respectivement surnommés Gros-Boutch et Ti-Boutch. Gros-Boutch, vous l'aurez deviné, c'est moi...
Grâce au renfort de Ti-Kas, nous avons l'espoir de terminer plus vite, même si nous devrons séparer la paye en quatre plutôt qu'en trois parties.
On a enfin terminé au bout d'une heure et demie. Le cordonnier remet quinze dollars à Bief, notre gérant, plus un dollar de pourboire. Ça nous fait quatre dollars chacun. Ce qui n'est pas si mal pour des jeunes morveux.
Notre équipée sauvage se poursuit, pelle sur l'épaule. C'est le tour du Marché Lafond. Puis de la buanderie. Un particulier nous demande même de dégager son char. Le Bief négocie avec tout ce monde-là. Nous sommes bien trop timides pour leur parler... Et le Bief apprend d'un déneigement à l'autre qu'il peut jouer avec la loi de l'offre et de la demande. Il est tombé près de deux pieds de neige. La charrue ne fait qu'ensevelir les entrées de cour déjà déneigées au grand dam des petits vieux qui ne veulent pas se crever la pelle à la main une fois de plus. Des deux piastres et des cinq piastres s'ajoutent à chaque fois. Nous sommes en train de faire fortune.
Puis nous tombons de fatigue. Le Bief lui-même n'en peut plus. Il va s'acheter des bonbons au dépanneur O. Champagne, situé au coin de la rue Richard. On fera donc comme lui. Tout ouvrier doit manger pour reprendre ses forces...
Évidemment, on n'a plus le goût de travailler après avoir mangé des lunes de miel, des caramels mous, des framboises en gélatine, des Crunchies, des Caramilk, des chips Hostess full ketchup arrosés de grandes gorgées de Pepsi. Nous nous sommes même achetés un modèle réduit à la Quincaillerie St-Pierre de la rue Saint-Maurice. Moi c'est un avion américain de la Seconde Guerre Mondiale. Les autres, je ne le sais pas et je m'en fous.
On retourne à la maison. Mes vieux frères sont en train de faire une glissade dans un banc de neige créé dans le fin fond de notre cour. Ils vont arroser la neige pour qu'elle se transforme en glace. On va tripper tout autant qu'on va s'y casser la gueule.
Nos habits de skidoo sont tout mouillés. Ma mère nous prie d'aller nous laver avant le souper.
On compte le petit change qu'il nous reste. On va pouvoir aller le dépenser aux machines à boules au restaurant au coin de la rue Whitehead si l'on trouve la force de sortir ce soir.
Il y a du pâté chinois pour souper et des grands-pères à la mélasse pour dessert. On mange comme des ogres, tous assis autour de la table, tandis que Les tannants passent à la télé. Pierre Marcotte, Joël Denis et Shirley Théroux font un sketch stupide. Il y a ensuite le fameux concours des imitateurs d'Elvis. Roger Giguère reçoit une tarte à la crème au visage. On va bientôt switcher au canal 13. Il y a un bon film ce soir au Cinéma de 5 heures: Moby Dick avec Gregory Peck. Ils vont le montrer en trois parties cette semaine. Et j'aimerais moi aussi me faire tatouer le visage, comme le cannibale Queequeg. Si j'étais tatoué comme lui, ils auraient tous peur de moi à la poly et je leur en ferais voir de toutes les couleurs... Je leur montrerais mon gros couteau de chasse que je cache dans ma case. Un gros buck que j'ai acheté chez Canadian Tire. Vous ne niaiserez pas Queequeg longtemps mes hosties... On ne me niaise pas trop, par ailleurs, mais on ne sait jamais quand la marde peut nous tomber dessus à la poly. Il vaut mieux prévenir que guérir. Ce qui fait que le Bief a sa machette dans sa case et Ti-Kas son couteau. Nous sommes le clan des apprentis-dépeceurs de Notre-Dame-des-Sept-Allégresses...
Le soir tombe sur Trois-Rivières. Les bancs de neige ont presque dix pieds de hauteur dans la ruelle. La Ville n'arrivera pas à ramasser tout ça. Des skidoos circulent dans les rues du quartier. Ce n'est pas loin d'être la tempête du siècle.
Demain matin, avec de la chance, il n'y aura pas encore d'école. Mais cela me surprendrait. C'est jamais arrivé qu'il n'y ait pas d'école pendant deux jours. Il va falloir se lever le cul quand mon père se présentera dans la porte de chambre entrebâillée pour nous rappeler qu'il est sept heures, sept heures et une, sept heures et deux et trente-trois secondes...
J'espère qu'il restera encore du fromage Velveeta pour déjeuner demain matin.
J'en doute parce que mon frère Ti-Noir vient de se faire des toasts avec des tranches épaisses comme ça...
Mon père vient nous sortir du lit, moi et mon petit frère.
-Sept heures! Sept heures! nous annonce popa.
On ne se lève pas tout de suite. On est si bien sous les draps...
-Sept heures et une! Sept heureeeees et uneee! continue p'pa.
Deuxième rappel qu'il faut se lever. On se retourne dans le lit. On se met les oreillers sur la tête pour nous isoler des pressions du monde extérieur qui tient à nous extirper de nos rêves intérieurs.
-Sept heures et deux! Sept heureees et deux!
Si l'on ne se lève pas tout de suite, Conrad Bouchard va crier même les secondes...
-Sept heures et trois et douze secondes! Sept heures et trois et treize secondes! Sept heures et trois et quatorze secondes!...
On se lève. On sait trop bien comment il est, p'pa. Quand il commence, il n'arrête jamais...
J'ai le vague espoir qu'il n'y ait pas d'école aujourd'hui. Il doit bien y avoir un pied et demi de neige au sol. Les charrues n'arrivent plus à dégager les rues et les trottoirs. Tout semble enseveli sous une épaisse peluche blanche. On ne voit plus les pneus des véhicules. Quel être ignoble pourrait nous obliger à nous rendre tout de même à l'école, hein?
Ma mère nous a fait du gruau qu'on peut engloutir avec des toasts et des tranches de fromage Velveeta épaisses comme ça.
Nous écoutons CHLN au 550 de la bande AM pour que l'on nous confirme ce que nous souhaitons du fin fond du coeur.
-...Germaine Larivière gagne ce matin le dernier disque de Richard Huet... Germaine Larivière, une dame de la rue Fusey à Cap-de-la-Madeleine... Félicitations madame Larivière... Pour ce qui est des actualités, en ce beau mois de janvier 1981, eh bien tout le monde se rend bien compte que c'est une belle grosse tempête de neige qui s'abat sur nous depuis hier soir... Nos lignes téléphoniques ne dérougissent plus depuis ce matin... Nos auditeurs veulent tous savoir s'il y a de l'école aujourd'hui... Eh bien non! Toutes les commissions scolaires de la région, et même de l'extérieur de la région, annoncent qu'il n'y aura pas d'école aujourd'hui... C'est pareil pour les cégeps et l'UQTR... Tout est fermé... Vous allez devoir supporter vos enfants à la maison... Ha! Ha! Ha! Donnez-leur une pelle et faites-les travailler pour qu'ils se fatiguent... Ça va les tenir tranquilles... Ha! Ha! Ha!
Nous hurlons de joie dans la maison. Mais pas mon père. Qu'il neige ou pas, il s'en va travailler à l'usine. Il nous quitte après avoir embrassé ma mère et lui avoir pogné une fesse au passage.
Il n'y a pas d'école aujourd'hui, bien sûr, mais ce n'est pas une raison pour rester en-dedans. Sitôt après le déjeuner, je me brosse les dents et j'enfile mon habit de skidoo avec mes grosses bottes pour aller pelleter le devant et le derrière de la maison avec ma mère et mes trois frères. On n'est pas aussi efficace que les plus vieux de la portée, moi et le chouchou de ma mère, mais on met la main à la neige nous aussi. Je demande le droit, moi aussi, d'utiliser le gros porte-neige. On me dit que je suis trop petit pour ça. Je me défends. Je crie. Puis on me laisse faire un ou deux déchargements que j'effectue de peine et de misère.
Au bout d'une heure, tout est déblayé. La neige diminue en intensité. Mon ami le Bief vient nous voir avec une pelle sur l'épaule.
Il s'appelle le Bief parce qu'il est plutôt maigre. Bief est le raccourci de Biafra, une république sécessionniste du Bénin où sévit la famine.
Le Bief s'en est fait une fierté. Tant qu'à être surnommé le Bief, aussi bien faire avec. Il s'est acheté une paire de pantalons d'édu sur laquelle il a fait inscrire son surnom en grosses lettres blanches: BIEF.
Le Bief est le gars le plus débrouillard que je connaisse. Il peut démonter et remonter son vélo quatre fois dans la même journée. Comme nous, il dispose d'un repaire secret. Chaque gars du quartier aménage sa shed comme si c'était une base de commandement. On se promène d'une shed à l'autre pour y planifier nos bons et nos mauvais coups.
Il a sorti une pelle de sa shed. Et il a un plan, le Bief.
-J'm'en va's faire d'l'argent. V'nez-vous avec moé? qu'il nous demande.
-Qu'est-cé tu vas faire?
-J'va's demander au monde qu'i' nous paye pour déneiger...
-Et on commence par où?
-Par la rue Laviolette... On va faire le tour des magasins...
On part donc avec nos pelles sur l'épaule. Bief est devenu indirectement notre patron. C'est lui qui négocie les prix et les termes du contrat. On commence par la cordonnerie. Le cordonnier est un tant soit peu médusé de voir trois jeunes garçons avec la pelle sur l'épaule. Le Bief s'avance.
-M'sieur... On pelte pour de l'argent... Comment tu nous donne m'sieur, hein?
-Combien vous voulez?
-Cinq piastres chaque...
-Hum... Ok si vous pelletez en avant et en arrière...
-C'est payable tu-suite après qu'on èye fini par 'xemple, poursuit le Bief.
-Ok les boys... Pelletez-moé tout ça...
On pelte le devant sans trop de difficultés. À trois, ça se fait tout seul. On se dit que ce sera un cinq piastres vite fait. Mais on dégrise un peu en voyant le gros stationnement à déneiger derrière la cordonnerie...
-Sacrament! On s'est faitte fourrer! déclare mon p'tit frère.
Un contrat étant un contrat, on s'y met à trois puis on se dit qu'on pourrait aller chercher un quatrième partenaire pour aller plus vite. On va donc chercher Ti-Kas. Ti-Kas qui se surnomme ainsi pour une raison qui m'échappe. Quant à moi et mon ti-frère, nous sommes respectivement surnommés Gros-Boutch et Ti-Boutch. Gros-Boutch, vous l'aurez deviné, c'est moi...
Grâce au renfort de Ti-Kas, nous avons l'espoir de terminer plus vite, même si nous devrons séparer la paye en quatre plutôt qu'en trois parties.
On a enfin terminé au bout d'une heure et demie. Le cordonnier remet quinze dollars à Bief, notre gérant, plus un dollar de pourboire. Ça nous fait quatre dollars chacun. Ce qui n'est pas si mal pour des jeunes morveux.
Notre équipée sauvage se poursuit, pelle sur l'épaule. C'est le tour du Marché Lafond. Puis de la buanderie. Un particulier nous demande même de dégager son char. Le Bief négocie avec tout ce monde-là. Nous sommes bien trop timides pour leur parler... Et le Bief apprend d'un déneigement à l'autre qu'il peut jouer avec la loi de l'offre et de la demande. Il est tombé près de deux pieds de neige. La charrue ne fait qu'ensevelir les entrées de cour déjà déneigées au grand dam des petits vieux qui ne veulent pas se crever la pelle à la main une fois de plus. Des deux piastres et des cinq piastres s'ajoutent à chaque fois. Nous sommes en train de faire fortune.
Puis nous tombons de fatigue. Le Bief lui-même n'en peut plus. Il va s'acheter des bonbons au dépanneur O. Champagne, situé au coin de la rue Richard. On fera donc comme lui. Tout ouvrier doit manger pour reprendre ses forces...
Évidemment, on n'a plus le goût de travailler après avoir mangé des lunes de miel, des caramels mous, des framboises en gélatine, des Crunchies, des Caramilk, des chips Hostess full ketchup arrosés de grandes gorgées de Pepsi. Nous nous sommes même achetés un modèle réduit à la Quincaillerie St-Pierre de la rue Saint-Maurice. Moi c'est un avion américain de la Seconde Guerre Mondiale. Les autres, je ne le sais pas et je m'en fous.
On retourne à la maison. Mes vieux frères sont en train de faire une glissade dans un banc de neige créé dans le fin fond de notre cour. Ils vont arroser la neige pour qu'elle se transforme en glace. On va tripper tout autant qu'on va s'y casser la gueule.
Nos habits de skidoo sont tout mouillés. Ma mère nous prie d'aller nous laver avant le souper.
On compte le petit change qu'il nous reste. On va pouvoir aller le dépenser aux machines à boules au restaurant au coin de la rue Whitehead si l'on trouve la force de sortir ce soir.
Il y a du pâté chinois pour souper et des grands-pères à la mélasse pour dessert. On mange comme des ogres, tous assis autour de la table, tandis que Les tannants passent à la télé. Pierre Marcotte, Joël Denis et Shirley Théroux font un sketch stupide. Il y a ensuite le fameux concours des imitateurs d'Elvis. Roger Giguère reçoit une tarte à la crème au visage. On va bientôt switcher au canal 13. Il y a un bon film ce soir au Cinéma de 5 heures: Moby Dick avec Gregory Peck. Ils vont le montrer en trois parties cette semaine. Et j'aimerais moi aussi me faire tatouer le visage, comme le cannibale Queequeg. Si j'étais tatoué comme lui, ils auraient tous peur de moi à la poly et je leur en ferais voir de toutes les couleurs... Je leur montrerais mon gros couteau de chasse que je cache dans ma case. Un gros buck que j'ai acheté chez Canadian Tire. Vous ne niaiserez pas Queequeg longtemps mes hosties... On ne me niaise pas trop, par ailleurs, mais on ne sait jamais quand la marde peut nous tomber dessus à la poly. Il vaut mieux prévenir que guérir. Ce qui fait que le Bief a sa machette dans sa case et Ti-Kas son couteau. Nous sommes le clan des apprentis-dépeceurs de Notre-Dame-des-Sept-Allégresses...
Le soir tombe sur Trois-Rivières. Les bancs de neige ont presque dix pieds de hauteur dans la ruelle. La Ville n'arrivera pas à ramasser tout ça. Des skidoos circulent dans les rues du quartier. Ce n'est pas loin d'être la tempête du siècle.
Demain matin, avec de la chance, il n'y aura pas encore d'école. Mais cela me surprendrait. C'est jamais arrivé qu'il n'y ait pas d'école pendant deux jours. Il va falloir se lever le cul quand mon père se présentera dans la porte de chambre entrebâillée pour nous rappeler qu'il est sept heures, sept heures et une, sept heures et deux et trente-trois secondes...
J'espère qu'il restera encore du fromage Velveeta pour déjeuner demain matin.
J'en doute parce que mon frère Ti-Noir vient de se faire des toasts avec des tranches épaisses comme ça...
dimanche 25 décembre 2016
PEUPLE DEBOUT!
PEUPLE DEBOUT!
À chaque année, quand vient le temps de chanter Minuit Chrétiens, il se trouve des indignés pour clamer que cette chanson est à l'image de notre peuple puisqu'elle lui enjoint d'être à genoux.
C'est mal connaître l'histoire qui entoure cet hymne de Noël.
Son auteur, le poète Placide Cappeau, était socialiste, républicain et anticlérical.
Tant et si bien que nos bons curés canadiens-français la faisaient chanter avant l'office religieux. La pression populaire était tellement forte pour l'entendre qu'il ne leur restait que cette forme de déni. Pas question de faire entendre ça pendant la messe! On avait tout de même affaire à un révolutionnaire, du type comme ceux qui défenestraient les curés et les aristocrates en 1789...
Qu'on ne s'y trompe pas. Cet hymne n'est pas un appel à la génuflexion et à la résignation. Il ne suffit que d'entonner le dernier couplet et le dernier refrain pour savourer toute la théologie de la libération qu'il suppose.
Je m'insurge chaque fois que mes camarades de combat voient en cet hymne quelque chose qu'il n'est pas du tout. C'est un vibrant appel à la justice et à la liberté pour un chrétien. Bien sûr que je n'appartiens à aucune religion. Ce n'est pas une raison pour ne pas avoir une opinion à ce sujet. Après tout, je me sens près de certains chrétiens de gauche, dont feu Michel Chartrand.
Voici donc comment ça se termine.
Le Rédempteur a brisé toute entrave,
La terre est libre et le ciel est ouvert
Il voit un frère où n'était qu'un esclave
L'amour unit ceux qu'enchaînait le fer,
Qui lui dira notre reconnaissance ?
C'est pour nous tous qu'il naît, qu'il souffre et meurt:
Peuple, debout ! chante ta délivrance,
Noël ! Noël ! chantons le Rédempteur !
Noël ! Noël ! chantons le Rédempteur !
samedi 24 décembre 2016
Il y a encore du bon monde
Il y a encore du bon monde.
Il y a ce monsieur qui a stoppé son véhicule jeudi matin pour laisser traverser sans heurts ce piéton que j'étais. Il est rare qu'un véhicule s'arrête au rond-point de la Couronne, à Trois-Rivières, pour laisser passer un piéton. D'aucuns pensent sans doute que c'est une autoroute et que nous n'avons pas à nous trouver là sur deux pattes. Sauf ce monsieur, que je ne connais pas, qui m'a même souri en me priant gentiment de traverser la rue d'un amical geste de la main.
Il y a encore du bon monde, oui.
Il y a cette dame dont je ne connais pas le nom qui nous sourit tout le temps. Contrairement à bon nombre de caissières qui perçoivent leurs clients comme une nuisance, elle nous accueille comme si elle s'était ennuyée de nous. Et elle semble même sincère. Elle ne parle pas à ses collègues en nous ignorant. Elle ne fait pas que pianoter et numériser des articles. Elle est là, entière et toujours joviale sans être pour autant exaltée.
Je vous le dis, oui, il reste du bon monde.
Ce gars-là passe pour une brute parce qu'il a des opinions tranchantes sur la politique et les menées du monde. Pourtant, il se souvient du nom de votre père, de votre mère, de vos proches, même si vous ne les avez mentionnés qu'une seule fois. Il vous demande si vos parents vont bien et se désole sincèrement d'apprendre qu'ils sont morts. Il vous écoute sans s'écouter lui-même. Il répond à vos propos comme si vous étiez la personne la plus importante du monde. Et il ne vous connaît même pas...
Il y a du bon monde, je vous le dis.
Elle travaille à petit salaire dans une maison pour personnes handicapées. Elle fait à peine douze dollars l'heure. Elle a six enfants. Chaque sou gagné est aussitôt dépensé pour que tout son monde demeure à flot. Physiquement, elle est malade. Elle a mal au dos, aux jambes et même aux dents. Mais elle n'a pas les moyens d'arrêter de travailler. Elle tait sa souffrance de crainte de plonger sa famille dans une misère encore plus noire. Elle ne se défoule par sur les handicapés pour autant. Elle les traite comme s'ils faisaient partie de sa famille. Elle trouve du temps pour leur donner de l'amour en plus des soins et des services qu'elle leur prodigue. Elle ne les tient pas responsable de sa pauvreté. Elle oublie qu'elle est sous-payée pour ne pas les oublier, eux. Les gens sans vertu lui trouvent des défauts. Elle parle comme une habitante. Il lui arrive de sacrer. Elle n'a pas une belle peau. Pourtant, c'est une perle rare à mes yeux d'humain trop souvent atteint de misanthropie et de pessimisme.
Il y a du bon monde. Oui, il y a du bon monde...
Je l'oublie trop souvent. Il m'arrive de ne me concentrer que sur les infâmes et les méchants de notre pitoyable espèce. Je me désole de leur faconde. Je m'attriste de les voir de gonfler de n'être que d'énormes sacs à merde sans empathie, d'énormes réceptacles de bêtise qui ne carburent qu'à la fatuité et à la vanité.
Puis je tombe sur du bon monde, par hasard. Et je porte un regard neuf sur l'humanité.
Un seul beau geste, dans ce monde si cruel, me donne l'impression qu'il reste un peu d'espoir ici-bas.
Évidemment, la question qui tue est sans doute de savoir si je fais partie de ce bon monde...
Suis-je bon? Je n'aurai pas cette outrecuidance de me donner des épithètes qui n'appartiennent qu'aux autres vis à vis moi-même.
Quoi qu'il en soit, tout ce bon monde, qu'il me soit connu ou inconnu, est comme une lumière dans la nuit.
C'est ce bon monde-là que je me dois d'imiter si je veux devenir meilleur.
Pas pour gagner mon ciel.
Pas pour recevoir une médaille.
Mais pour accomplir pleinement mon humanité.
Pour marcher vers les étoiles plutôt que de patauger dans la merde.
Merci à vous tous et toutes d'être des gens bons.
Merci de me montrer la voie à suivre.
vendredi 23 décembre 2016
Le réveillon de Noël 1975 au 856 de la rue Cloutier à Trois-Rivières
L'école est terminée jusqu'au 7 janvier 1976. Nous sommes à la maison. Nous sommes dans les jambes de notre mère qui s'évertue à terminer son festin du réveillon. Nous allons recevoir toute la famille de ma mère. Cela représente au moins trente bouches à nourrir et trente culs à trouver sièges où se reposer. Nous avons emprunté des chaises, des bancs, des tables pliantes et je me demande même si nous n'avons pas enlevé les lits pour faire encore plus de place dans le minuscule logement où nous habitons.
Un gros sapin de Noël artificiel trône dans le coin du salon, près de la fenêtre pour que les voisins puissent bien voir que les Bouchard ne sont pas des mécréants. Il y a des guirlandes, du gui et toutes sortes de babioles colorées qui pendent partout dans la maison. Ma mère a enlevé ses cordes à linge. Il n'y aura plus de séchage et de lavage de nippes avec la machine à tordeurs avant le 26 décembre 1975.
Le père a fait beaucoup d'overtime à la Reynold's Aluminium pour nous payer des cadeaux et de la bouffe à satiété. Mon pauvre vieux aide ma pauvre mère du mieux qu'il le peut, d'abord en allant faire l'épicerie. Puis en s'occupant d'enlever leurs quatre garçons d'entre les pattes de la cuisinière.
Il y a des films de Noël au canal 13. Des films en noir et blanc parce que la couleur n'est pas encore arrivée dans le quartier. On écoute Le magicien d'Oz, Le miracle sur la 34e rue et Astérix le gaulois. De temps à autres je reviens fouiner vers ma mère dans l'espoir de bénéficier d'une bonne dose de sucre supplémentaire. Si je lui fais mes yeux de biche je sais qu'elle me donnera des trucs à lécher, dont les fouets du batteur électrique recouverts de sucre à la crème, de fudge ou bien de mélange à gâteau.
-Tiens prends ça pis achale-moé p'us bon 'ieu!
-J'peux-tu avoir un carré de sucre à crème, m'man? que je lui demande.
-À souère! À souère! Achale-moé p'us là! Tiens, liche ça, ça va t'calmer!
-J'peux-tu manger une sandwiche roulée?
-Pas tu-suite! Voyons don'! C'est pour à souère! À souère! C'est don' bin dur à comprendre!!!
-Ouin mais j'ai faim...
-T'as tout l'temps faim! On va encore devoir t'acheter des culottes! T'as pas d'fond!
-Ouin mais j'ai faim pareil...
-Mange les croûtes d'abord! Tu vas pouvoir manger tout c'que tu veux à souère!
Je reviens au salon avec les batteurs à oeufs et le cul de poule, des croûtes et des restants de pâte à tarte. Rien ne freine ma gloutonnerie. Non rien.
Je regarde les cadeaux sous l'arbre et consulte souvent l'horloge. Il ne faut pas manquer tel film à telle heure. Et surtout il faut prendre son bain avant que d'aller dormir un peu avant le réveillon. On reçoit de la grande visite.
-Tu vas mettre ta belle chemise de soie de la première communion!
-J'ai chaud là-dedans! Ça colle à la peau! Grrr!
-Tu vas la mettre j'te dis! Est belle! On r'çoé à souère! T'es pas pour avoir l'air d'un guénillou!
-J'aimerais mieux mettre mon pyjama Winnie l'ourson...
-Voyons Guétan! Ma tante Mira va être là, ta grand-mère, tes oncles pis tes tantes! C'est Noël! C'est pas la fête de Jos Violon!
-C'est qui ça Jos Violon?
-J'me comprends! Va prendre ton bain pis va t'coucher! On va veiller à souère.
Évidemment, je ne suis pas capable de dormir. Mon frère Mario non plus. On se chicane sans trop faire de bruit pour passer le temps.
-C'est quoi notre cadeau? me demande-t-il, comme si je le savais, ce petit tannant.
-Je l'sais-tu moé?
-On aurait dû l'déballer sans qu'ça paraisse...
-Un affaire pour s'faire chicaner pis pas avoir de cadeau!
Notre père vient nous tirer du lit à neuf heures le soir.
-Deboutte Ti-Mik pis Ti-Toune! Habillez-vous...
-On va-tu avoir nos cadeaux?
-Après le réveillon... On va chanter pis fêter avant. Pis on va manger tout c'qu'on veut! Menoum! Menoum!
Il fait très chaud dans la maison. La dinde est au four et le chauffage à l'huile est toujours aussi difficile à tempérer afin que tout le logement bénéficie d'un peu de chaleur.
Un record joue dans le salon. C'est En r'venant d'voir mon ragoût de Lucien Boyer.
Nous allons à la messe de dix heures avant que la visite n'arrive. C'est sûr que nous ne pouvons pas rater la messe. Nous fêtons tout de même le p'tit Jésus. Une chorale chante Les anges dans nos campagnes. Des sons d'orgue résonnent dans l'église Notre-Dame-des-Sept-Allégresses. Minuits Chrétiens! Peuple debout! Chante ta délivrance!
Les premiers visiteurs font leur entrée au retour de cette messe courte célébrée par le gros père Dyonis. C'est ma grande tante Mira et son époux Armand. Ils sont partis plus tôt puisqu'il faisait tempête dehors. Ils habitent à Sainte-Julienne, dans le fin fond du comté de Lanaudière. Les gros chars américains n'ont pas encore la traction avant. Les routes sont en mauvais état: une vraie tuasse.
-Dégréyez-vous matante pis mononcle! leur dit ma mère en guise de formule d'accueil. Enlevez vos bottes pis vos capots!
Je l'aime bien cette grande-tante. Elle est drôle, expressive, détonnante. Tout le contraire de ma grand-mère Valéda qui sombra dans le mutisme et la dépression suite à la mort de mon grand-père Rodolphe en 1967.
Elle est là aussi, grand-m'man Valéda. Elle s'est assise tranquille dans son coin près de la chaufferette à l'huile et nous comprenons instinctivement qu'il vaut mieux ne pas trop la déranger. Puis tout le reste de la famille René fait son entrée. Mes deux oncles, Fernand et Rémi, sont un peu plus joyeux que de coutume. Ils ont un petit verre dans le nez et se sentent prêts à faire les fous.
Le party est pogné. On y va de chansons à répondre.
-Enwèye, enwèye la tite-tite-tite, enwèye, enwèye la tite-jument! chante ma mère en battant la mesure avec ses pieds.
-I's étaient trois capitaines à cheval sur des tonneaux! tonne ensuite mon père... C'est à boire, boire mesdames, c'est à boire qu'il nous faut!
Il ne boit pratiquement pas, mon père. À peine six bières par année... Il ne veut pas faire comme son propre père, un alcoolique notoire que nous ne voyons jamais.
Ma tante Rose-Hélène chante Bois la bouteille avec ton verre, suce le bouchon mais mange-lé pas!
Mon oncle Rémi exécute quelques pas de danse tout en chantant J'ai l'pied faitte su' l'camp, madondaine, j'ai l'pied faitte su' l'camp, madondé! Il boite en faisant le tour du salon et adopte des mimiques d'un comique irrésistible.
C'est d'autant plus ironique que feu mon grand-père Rodolphe boitait d'une jambe après s'être fait tirer une balle par son beau-frère qui ne pensait pas que le fusil était chargé...
Quant à Fernand, mon parrain à qui je ressemble tant aux dires de ma mère, il a son harmonica bien en main pour nous faire un reel de son cru sur un air s'apparentant à L'arbre est dans ses feuilles et qui sonne comme Le diable est en vadrouille maridon, maridé...
Mon cousin Claude chante Dondaine laridaine matapatte alimatou matante alou laridé...
Tout le monde y va de sa chanson, jusqu'à ce que l'on ait épuisé tout le répertoire du temps des fêtes.
Ma mère remet un disque K-Tel dans le stéréo. Le vrai party du temps des fêtes avec Ti-Gus, Ti-Mousse et Muriel Milard, je ne sais trop.
-Bon bin j'cré bin qu'on va manger!
Les adultes sont autour de la grande table dans la cuisine. Les enfants sont autour de petites tables dans la chambre de moi et mon frère. On sert les adultes en premier. Les enfants s'impatientent.
-Quand est-ce qu'on mange?
-Les adultes en premier!
-C'est pas juste! J'ai faim! que je m'indigne en tapant du pied.
-T'as tout le temps faim! T'as pas d'fond bonyenne d'la vie! de répéter ma mère. Tu t'es bourré toute la journée!
-Ouin mais j'ai faim pareil!
La tourtière, la dinde et le ragoût atterrissent dans mon assiette. On a droit aussi à des petits concombres marinés, des olives, des sandwiches roulées.
Je bouffe le contenu de mon assiette. Puis je demande un deuxième service. Puis un troisième. Et peut-être même un quatrième. Il n'y a plus de restrictions. Tu veux manger gros cochon? Mange. C'est Noël! Je remercie le p'tit Jésus de me permettre d'être gras comme Barabbas.
Et c'est enfin le moment de recevoir nos cadeaux de Noël!
Il est incarné par mon père, qui a l'avantage d'être grand et gros. L'illusion est parfaite même si nous nous doutons bien que c'est lui. Il a la même voix et nous appelle par nos surnoms.
-Un cadeau pour... Ti-Mick! Un cadeau pour... Ti-Toune! Un cadeau pour... Cricri! Un cadeau pour... Ti-Noir!
Moi et mon jeune frère Mario recevons une piste de course électrique de mes parents. J'ai aussi en prime un G.I. Joe de mon parrain et de ma marraine.
Je suis aux anges. Mais on ne peut pas jouer tout de suite. Demain matin. Il y a trop de monde dans la maison pour monter la piste de course.
Puis tout le monde s'en va autour de trois heures du matin. Ma mère et mon père ramasse les corps morts et sortent les vidanges. Nous allons au lit, impatients de nous lever pour jouer avec notre piste de course.
C'est enfin le matin de Noël. Mes parents dorment encore. C'est le seul jour de l'année où ils font la grasse matinée. Ils ont été très clairs pour le déjeuner: prenez-vous des sandwiches roulées dans le frigidaire et ne venez pas nous réveiller!
On mange un, deux puis trois rouleaux complets.
On se chicane un peu quant au montage de la piste de course. Mon frère Serge, alias Ti-Noir, qui commence à avoir de la moustache sous le nez, vient nous aider. Il se claque lui aussi des sandwiches roulées. Puis il distribue les bonbons aux patates, les carrés de sucre à la crème et de fudge. On se verse de grands verres de liqueur: du Radnor Cola ou bien du RC-Up, bref de la brune ou de la blanche. C'est encore l'abondance et nous faisons bombance!
Je ne me sens pas très bien tout d'un coup. Je vais vomir un peu et me rince la bouche plusieurs fois. Je n'ai plus faim du tout. Je me contenterais bien d'une petite enveloppe de soupe Lipton poulet et nouilles à la rigueur...
C'est Noël. Il y a encore plein de bons films à la télé. Et plein de belles chicanes avec mon frère autour de la piste de course. On va jouer à la lutte avec nos vieux frères, Christian et Serge. Puis quand on aura trop mal, on va pleurer. Le père et la mère vont se lever en tabarnak. Et la vie normale reprendra son cours dans notre petit cinq et demi sis au 856 de la rue Cloutier à Trois-Rivières...
jeudi 22 décembre 2016
Simplement, simplement, simplement...
Les gens qui ne sont pas encore familiers avec mon blogue pourraient se demander où je m'en vais d'une publication à l'autre.
Un jour, je publie une chronique d'opinions. Le lendemain, je raconte une histoire loufoque. Puis je mets en ligne des poèmes, des chansons, des photos de mes toiles, des airs d'harmonica, des vidéos de manifestants en colère...
Cette impression de bric à brac est volontaire. Je refuse depuis 2007 d'enfermer mon blogue dans un thème unique. Je ne suis pas un monomane. Je suis complexe et ravi de l'être.
Les spécialistes du ouèbe m'ont rappelé maintes et maintes fois que les blogues devaient être ceci ou cela. Et pourtant, les blogues qui ne traitaient que de ceci ou de cela ont tous fini par disparaître par manque de contenu et d'intérêt. De même que les spécialistes du ouèbe. Plusieurs blogueurs n'avaient plus de jus au bout d'un temps. Ils se voyaient condamnés à ne mettre en ligne que des photos de chats et des vidéos de YouTube. Puis un beau jour ils tombaient sur Facebook ou Twitter et on n'entendait plus jamais parler d'eux sur la blogosphère.
Si j'ai résisté au fil des ans, c'est sans doute parce que je suis un peu toqué, à la limite de l'autisme pourrait-on persifler. Je ne décroche jamais. Je persiste et signe, depuis toujours, contre vents et marées.
Le blogue Simplement, pour ceux qui ne le savent pas encore, tire son origine d'une émission de radio que j'animais sur les ondes d'une station communautaire de Québec, CKIA radio Basse-Ville si cela vous dit quelque chose.
Mon émission s'intitulait Simplement. Elle était constituée de billets radiophoniques agrémentés de musiques touchant de près aux thématiques que j'abordais. Cette émission, je dois le dire, m'aura sauvé la vie.
J'avais tout perdu à Trois-Rivières: mon poste de directeur de la programmation à CFOU, ma blonde, mon argent, etc. Je m'étais retrouvé presque tout nu dans la rue à Québec dans l'espoir de recommencer une nouvelle vie.
J'habitais dans un sinistre studio sur le boulevard Charest avec une toilette pour quatre et vue sur le stationnement étagé attenant au Cinéplex Odéon. CKIA fût ma bouée de sauvetage. Mon bénévolat au sein de cette station m'a permis de me maintenir à flot et de me donner une raison de ne pas me noyer davantage dans les abysses de ma vie pourrie. Je passais la majeure partie de mes temps libres à préparer une seule heure de diffusion par semaine... Mon emploi du temps était toujours pareil: recherche d'emploi le matin et recherches à la bibliothèque Gabrielle-Roy de midi jusqu'à la fermeture.
Grâce à mon bénévolat à CKIA j'ai finalement décroché un poste d'agent de financement au sein d'un regroupement d'organismes communautaires dont CKIA faisait partie. J'ai pu emménager dans un beau logement situé dans une mansarde à deux pas de l'église Saint-Sauveur. Ma vie a repris son cours.
Je suis revenu à Trois-Rivières quelques mois plus tard pour assumer les fonctions de rédacteur en chef d'un journal de rue. Malheureusement, je me suis fait congédier au bout d'un an et demi et suis retombé à la case départ encore une fois. J'avais critiqué la qualité des denrées d'une banque alimentaire... On me rappela que je ne pouvais pas écrire que je devais offrir des échalotes pourries aux affamés qui fréquentaient ma salle de rédaction. Je les ai tous envoyés se faire foutre, évidemment.
Trois-Rivières m'aura toujours porté malchance pour une raison qui m'échappe. À Montréal et Québec je n'ai jamais passé pour un mouton noir. J'avais l'air d'un organisateur communautaire normal, contestataire comme il se doit, rien qui jurait dans le décor. Mais ici, dans ma ville natale, la ville de feu Duplessis, j'étais condamné à me taire.
Lorsque je me suis à nouveau retrouvé sans emploi, je n'ai pas pu me tourner vers une station de radio communautaire pour agrémenter ma misère d'un peu d'espérance. J'ai travaillé ici et là, dans des conditions difficiles. Ma connaissance de l'anglais m'aura néanmoins sauvé de l'ostracisme trifluvien. L'anglais m'aura permis still and again d'avoir une voix et de ne pas me laisser écraser. D'où ce simple fuck you que j'adresse aux petits despotes de cour d'école de Trois-Rivières. I'm still alive and standing, you fucking jerks!
Au début des années 2000, l'Internet en était encore à ses balbutiements et je me suis dit que je devais me tourner vers l'avenir pour ne plus dépendre de qui ou de quoi que se soit quant à ma liberté d'expression. J'ai d'abord multiplié les projets en ligne, dont un magazine satyrique, pour finalement me concentrer sur ce blogue que j'anime depuis le 9 avril 2007.
Au fil des ans, beaucoup de lecteurs m'ont gratifié de leurs commentaires pour me donner la force de poursuivre ce qui peut d'ores et déjà s'appeler mon oeuvre. J'approche des 3000 billets publiés ici. Il s'y trouve des contes, des nouvelles, des essais. Tout ce qui me passe par la tête. De la matière à publier un jour quelque chose de potable sur papier. À moins que le papier ne soit plus utilisé d'ici là...
Je tiens à remercier spécialement deux Christian: mon frère aîné, Christian Bouchard, et mon camarade littéraire Christian Mistral. Ces deux-là m'auront permis de croire en moi plus qu'ils ne sauraient l'imaginer. J'ai beau jouer au fin finaud, à celui qui se moque du jugement de ses pairs, que je ne suis pas tout à fait un bout de bois. Je lutte en solitaire contre une machine qui se fout des beaux sentiments de tout un chacun. Il me fallait ces deux Christian pour reconnaître très christiannement, si j'ose dire, la valeur de ces billets qui font contre mauvaise fortune bon coeur au ventre.
Je nomme ces deux-là sans oublier tous mes lecteurs passés, présents et futurs, qui sont tout aussi importants. Par contre, je reconnais que ces deux Christian m'ont incité à aller plus loin dans ma démarche et je tiens à leur rendre cet hommage tout particulier. Peut-être qu'ils ne se rendent pas compte eux-mêmes de tout ce que je leur dois. Peut-être doutent-ils de leur importance à mes yeux de gros con ingrat et taciturne. Pourtant, ils m'auront porté dans leurs bras sans le savoir.
Ma blonde, Carole, a eu cette patience de ne pas me décourager d'écrire jour après jour. Charles, Pierre, Robert, Amulette, Sophie, Mireille et j'en passe m'ont lu et commenté si souvent que cela m'a donné du gaz pour continuer d'avancer.
Je publie une fois par semaine dans le Huffington Post Québec depuis le mois d'avril dernier. Mon lectorat a atteint des sommets inégalés. Il n'a pas doublé: il a décuplé. Du coup, j'en ai même le vertige... Est-ce possible que 20 000 personnes m'aient lu ce mois-ci? Et moi qui ne croyais être qu'un auteur maudit, un obscur blogueur de Trois-Rivières qui perdure et s'inscrit encore dans le temps... Pourquoi la popularité viendrait-elle me chercher alors que j'aurai tout fait pour m'en tenir éloigné?
Peut-être que je récolte les fruits de ma constance.
J'ai planté ma graine tous les jours, comme Elzéar Bouvier dans L'homme qui plantait des arbres. Au bout de dix ans, il y a une petite forêt sur ce terrain vague où j'errais en des temps de misère et de dévastation.
Sachez que je vous en remercie tous et toutes, autant que vous êtes.
Avant que de conclure cette longue confession, je m'en voudrais néanmoins de ne pas honorer aussi la mémoire de mon mentor virtuel, feu Dostoïevski. Mon blogue, je le dis en toute humilité, doit beaucoup au Journal d'un écrivain de cette grande âme russe. Comme lui, je multiplie les points de vue, les essais et les fantaisies littéraires. Je n'ai pas son style ni son charme, j'en conviens, mais il me sert néanmoins d'appui lorsque j'aurais l'envie de tout foutre en l'air. Je ne serai jamais Dostoïevski, bien sûr, et ne crois pas que Fedor aurait souhaité devenir Gaétan.
Bon, je me tais.
Merci pour tout, chers lecteurs et chères lectrices!
Continuez de me lire et ne croyez pas que je m'en moque, bien au contraire.
Je ne vous connais pas et j'aurai même cette coquetterie de vous écrire je vous aime...
Prenez-le pendant que ça passe.
Il est possible que je redevienne bête et méchant demain...
Peut-être que c'est la seule vanité qu'il me reste: celle de me croire à tort au-dessus de tout...
Un jour, je publie une chronique d'opinions. Le lendemain, je raconte une histoire loufoque. Puis je mets en ligne des poèmes, des chansons, des photos de mes toiles, des airs d'harmonica, des vidéos de manifestants en colère...
Cette impression de bric à brac est volontaire. Je refuse depuis 2007 d'enfermer mon blogue dans un thème unique. Je ne suis pas un monomane. Je suis complexe et ravi de l'être.
Les spécialistes du ouèbe m'ont rappelé maintes et maintes fois que les blogues devaient être ceci ou cela. Et pourtant, les blogues qui ne traitaient que de ceci ou de cela ont tous fini par disparaître par manque de contenu et d'intérêt. De même que les spécialistes du ouèbe. Plusieurs blogueurs n'avaient plus de jus au bout d'un temps. Ils se voyaient condamnés à ne mettre en ligne que des photos de chats et des vidéos de YouTube. Puis un beau jour ils tombaient sur Facebook ou Twitter et on n'entendait plus jamais parler d'eux sur la blogosphère.
Si j'ai résisté au fil des ans, c'est sans doute parce que je suis un peu toqué, à la limite de l'autisme pourrait-on persifler. Je ne décroche jamais. Je persiste et signe, depuis toujours, contre vents et marées.
Le blogue Simplement, pour ceux qui ne le savent pas encore, tire son origine d'une émission de radio que j'animais sur les ondes d'une station communautaire de Québec, CKIA radio Basse-Ville si cela vous dit quelque chose.
Mon émission s'intitulait Simplement. Elle était constituée de billets radiophoniques agrémentés de musiques touchant de près aux thématiques que j'abordais. Cette émission, je dois le dire, m'aura sauvé la vie.
J'avais tout perdu à Trois-Rivières: mon poste de directeur de la programmation à CFOU, ma blonde, mon argent, etc. Je m'étais retrouvé presque tout nu dans la rue à Québec dans l'espoir de recommencer une nouvelle vie.
J'habitais dans un sinistre studio sur le boulevard Charest avec une toilette pour quatre et vue sur le stationnement étagé attenant au Cinéplex Odéon. CKIA fût ma bouée de sauvetage. Mon bénévolat au sein de cette station m'a permis de me maintenir à flot et de me donner une raison de ne pas me noyer davantage dans les abysses de ma vie pourrie. Je passais la majeure partie de mes temps libres à préparer une seule heure de diffusion par semaine... Mon emploi du temps était toujours pareil: recherche d'emploi le matin et recherches à la bibliothèque Gabrielle-Roy de midi jusqu'à la fermeture.
Grâce à mon bénévolat à CKIA j'ai finalement décroché un poste d'agent de financement au sein d'un regroupement d'organismes communautaires dont CKIA faisait partie. J'ai pu emménager dans un beau logement situé dans une mansarde à deux pas de l'église Saint-Sauveur. Ma vie a repris son cours.
Je suis revenu à Trois-Rivières quelques mois plus tard pour assumer les fonctions de rédacteur en chef d'un journal de rue. Malheureusement, je me suis fait congédier au bout d'un an et demi et suis retombé à la case départ encore une fois. J'avais critiqué la qualité des denrées d'une banque alimentaire... On me rappela que je ne pouvais pas écrire que je devais offrir des échalotes pourries aux affamés qui fréquentaient ma salle de rédaction. Je les ai tous envoyés se faire foutre, évidemment.
Trois-Rivières m'aura toujours porté malchance pour une raison qui m'échappe. À Montréal et Québec je n'ai jamais passé pour un mouton noir. J'avais l'air d'un organisateur communautaire normal, contestataire comme il se doit, rien qui jurait dans le décor. Mais ici, dans ma ville natale, la ville de feu Duplessis, j'étais condamné à me taire.
Lorsque je me suis à nouveau retrouvé sans emploi, je n'ai pas pu me tourner vers une station de radio communautaire pour agrémenter ma misère d'un peu d'espérance. J'ai travaillé ici et là, dans des conditions difficiles. Ma connaissance de l'anglais m'aura néanmoins sauvé de l'ostracisme trifluvien. L'anglais m'aura permis still and again d'avoir une voix et de ne pas me laisser écraser. D'où ce simple fuck you que j'adresse aux petits despotes de cour d'école de Trois-Rivières. I'm still alive and standing, you fucking jerks!
Au début des années 2000, l'Internet en était encore à ses balbutiements et je me suis dit que je devais me tourner vers l'avenir pour ne plus dépendre de qui ou de quoi que se soit quant à ma liberté d'expression. J'ai d'abord multiplié les projets en ligne, dont un magazine satyrique, pour finalement me concentrer sur ce blogue que j'anime depuis le 9 avril 2007.
Au fil des ans, beaucoup de lecteurs m'ont gratifié de leurs commentaires pour me donner la force de poursuivre ce qui peut d'ores et déjà s'appeler mon oeuvre. J'approche des 3000 billets publiés ici. Il s'y trouve des contes, des nouvelles, des essais. Tout ce qui me passe par la tête. De la matière à publier un jour quelque chose de potable sur papier. À moins que le papier ne soit plus utilisé d'ici là...
Je tiens à remercier spécialement deux Christian: mon frère aîné, Christian Bouchard, et mon camarade littéraire Christian Mistral. Ces deux-là m'auront permis de croire en moi plus qu'ils ne sauraient l'imaginer. J'ai beau jouer au fin finaud, à celui qui se moque du jugement de ses pairs, que je ne suis pas tout à fait un bout de bois. Je lutte en solitaire contre une machine qui se fout des beaux sentiments de tout un chacun. Il me fallait ces deux Christian pour reconnaître très christiannement, si j'ose dire, la valeur de ces billets qui font contre mauvaise fortune bon coeur au ventre.
Je nomme ces deux-là sans oublier tous mes lecteurs passés, présents et futurs, qui sont tout aussi importants. Par contre, je reconnais que ces deux Christian m'ont incité à aller plus loin dans ma démarche et je tiens à leur rendre cet hommage tout particulier. Peut-être qu'ils ne se rendent pas compte eux-mêmes de tout ce que je leur dois. Peut-être doutent-ils de leur importance à mes yeux de gros con ingrat et taciturne. Pourtant, ils m'auront porté dans leurs bras sans le savoir.
Ma blonde, Carole, a eu cette patience de ne pas me décourager d'écrire jour après jour. Charles, Pierre, Robert, Amulette, Sophie, Mireille et j'en passe m'ont lu et commenté si souvent que cela m'a donné du gaz pour continuer d'avancer.
Je publie une fois par semaine dans le Huffington Post Québec depuis le mois d'avril dernier. Mon lectorat a atteint des sommets inégalés. Il n'a pas doublé: il a décuplé. Du coup, j'en ai même le vertige... Est-ce possible que 20 000 personnes m'aient lu ce mois-ci? Et moi qui ne croyais être qu'un auteur maudit, un obscur blogueur de Trois-Rivières qui perdure et s'inscrit encore dans le temps... Pourquoi la popularité viendrait-elle me chercher alors que j'aurai tout fait pour m'en tenir éloigné?
Peut-être que je récolte les fruits de ma constance.
J'ai planté ma graine tous les jours, comme Elzéar Bouvier dans L'homme qui plantait des arbres. Au bout de dix ans, il y a une petite forêt sur ce terrain vague où j'errais en des temps de misère et de dévastation.
Sachez que je vous en remercie tous et toutes, autant que vous êtes.
Avant que de conclure cette longue confession, je m'en voudrais néanmoins de ne pas honorer aussi la mémoire de mon mentor virtuel, feu Dostoïevski. Mon blogue, je le dis en toute humilité, doit beaucoup au Journal d'un écrivain de cette grande âme russe. Comme lui, je multiplie les points de vue, les essais et les fantaisies littéraires. Je n'ai pas son style ni son charme, j'en conviens, mais il me sert néanmoins d'appui lorsque j'aurais l'envie de tout foutre en l'air. Je ne serai jamais Dostoïevski, bien sûr, et ne crois pas que Fedor aurait souhaité devenir Gaétan.
Bon, je me tais.
Merci pour tout, chers lecteurs et chères lectrices!
Continuez de me lire et ne croyez pas que je m'en moque, bien au contraire.
Je ne vous connais pas et j'aurai même cette coquetterie de vous écrire je vous aime...
Prenez-le pendant que ça passe.
Il est possible que je redevienne bête et méchant demain...
Peut-être que c'est la seule vanité qu'il me reste: celle de me croire à tort au-dessus de tout...
mercredi 21 décembre 2016
Le festin mange-tout du solstice d'hiver de l'an 1638
Exécution de curés qui ne respectaient pas les us et coutumes des aborigènes de l'Île de la Tortue |
Une grande fête allait avoir lieu au village pour le jour où
le soleil renaît. Wabasso, notre chef, organisait son fameux festin mange-tout
et nous promettait qu’il ne lui resterait même pas un os à sucer lorsque tout
serait fini.
-Vrai comme j’suis là! Il ne restera plus rien! Vous allez
vous en péter les tripes et vous ferez bien de vomir plusieurs fois pour faire
encore de la place! Il va y avoir un ours complet, trois orignaux, du castor
aux petits fruits séchés et à l’ail des bois, des truites grosses comme ça, du
pain de maïs et de la bannique! Oua! Vous allez vous régaler… Et
c’est sans compter ce bon tabac que mon cousin a ramené hier des Haudenosaunees
du Sud… Vous allez fumer, manger, péter et vomir! Arf! Arf! Arf!
François, le Robe Noire, voyait cela d’un mauvais œil.
-Pourquoi tout manger en une seule fois? Il ne vous restera
rien pour passer l’hiver! C’est stupide! Il faut savoir se contenter de peu!
Être frugal… Ne pas abuser des nourritures que nous offre le Seigneur… On ne
peut pas fêter et tout manger d’un seul coup comme si demain n’existait pas!
Nous n’osions pas le reprendre parce que nous avons la
coutume d’être polis, même avec les imbéciles. Nous nous taisons quand
quelqu’un parle. Et comme il parle tout le temps, on n’a jamais moyen de placer
un mot. Franchement, les Français ne savent pas vivre…
Entre vous et moi, les Robes Noires sont de pauvres gens qui
se moquent de nos coutumes pour nous en proposer de nouvelles qui sont encore
plus douteuses. Nous savons depuis toujours que les hommes ne ressuscitent pas
et ne marchent pas sur les eaux. On se raconte bien sûr toutes sortes
d’histoires entre nous, mais nous savons que les dieux sont toujours
imaginaires, au contraire des Français, des Anglais et des Hollandais qui ont
fui leurs pays pour venir se remplir la bedaine ici. Ils nous font accroire que
tout est rose de l’autre côté du grand lac. Si c’est rose, pourquoi
viennent-ils ici pour piller nos rivières et nos bois? Pourquoi leur dieu ne
donne que son sang à manger? Pourquoi François ne rigole-t-il jamais comme
nous? Pourquoi tout ce que nous faisons leur semble idiot? Et pourquoi nous,
les idiots, nous leur donnons tout ce qu’ils désirent pour trois fois rien?
Bien sûr, ils nous offrent des couteaux, des haches, des
chaudrons et même des fusils. Ce qui est bien pratique pour chasser et faire
peur à nos ennemis. C’est bien pour ça qu’on garde le Robe Noire parmi nous. S’il
ne nous permettait pas de faire du commerce, on l’aurait depuis longtemps fait
cuire à petit feu.
Wabasso ne veut pas de ça. Il dit que d’autres viendront,
encore et toujours, et qu’il vaut mieux marchander avec ses fils de chienne que
de nous les mettre à dos.
-Il faut comprendre leur puissance… Maîtriser les bâtons de
tonnerre… Et même conduire leurs grands vaisseaux sur le grand lac s’il le
faut… Autrement, nous serons tous détruits par ces barbares qui croient à
n’importe quoi et ne prennent même pas soin de leurs indigents… Regardez leurs
chefs! Ils sont pleins comme des boudins et ne partagent rien avec leur tribu!
Tandis que nous, nos chefs donneraient tout ce qu’ils ont, même leurs mocassins
s’il le fallait… C’est d’ailleurs pour ça que je suis votre chef : parce
que je n’ai jamais rien! Et c’est pour cette même raison que je vais tenir mon
festin mange-tout demain, pour bien vous faire sentir que je ne suis pas comme
cet enculé de gouverneur de Québec qui se bourre la face tandis que tout son
village crève de faim et vient nous mendier de la viande!
***
Un gros feu illuminait le village pour fêter la résurrection
du soleil. Une neige toute fine tombait. C’était comme si une volée d’oies
blanches perdait ses plumes. Tout le monde était heureux, sauf François,
évidemment, qui était dans ses feuilles qui parlent à réciter des formules
magiques qui ne le rendaient pas plus heureux pour autant.
Wabasso portait ses plus beaux habits, dont un chapeau
français que le gouverneur lui avait donné. Il promettait d’ailleurs de
remettre son chapeau, à la fin de son festin, à celui qui aurait mangé le plus.
Makwa était évidemment pressenti pour remporter ledit
chapeau. Ce gros ours avait un gouffre à la place de la panse. Il n’y avait
aucun espoir de le battre lors du festin mange-tout. Il allait engloutir la
moitié de l’ours, un chevreuil entier et toutes les perdrix… Il trouverait même
le moyen se sucer les os et de se régaler de la moelle. Ce gars-là n’est pas
normal, je vous jure…
Je me suis efforcé tout le long du festin à enjôler la belle
Miska en lui offrant toutes sortes de trucs que j’ai volés aux Français :
un miroir, des billes colorées et même des images arrachées dans les feuilles
qui parlent. Elle va finir par me laisser entrer dans son wigwam. Elle est
seule depuis une semaine. Elle était avec Kiwiteb auparavant. Elle l’a expulsé
de son wigwam parce qu’il était toujours en train de chialer comme un papoose.
La belle Miska m’a dit que François la Robe Noire est un
bardache. Il voit la lune en rêvant et porte une robe parce qu’il est mi-homme
mi-femme. Il n’a rien voulu savoir de ses avances –de même que celles de toutes
les autres squaws. Il dit qu’il est avec le Seigneur… Entre vous et moi, c’est
sûrement un bardache, comme notre chamane. Cependant, il est tout aussi
distant envers les avances des guerriers qui voudraient le prendre un peu par
derrière pour lui faire plaisir.
François dit que son dieu condamne ces pratiques,
contrairement à nous qui les permettons si et seulement si c’est un bardache
qui rêve à la lune et s’habille en squaw… Essayez d’y comprendre quelque chose!
Il s’habille en femme et fait le difficile avec tout le monde… Il refuse l’amour,
le plaisir et toutes les bonnes choses que Kitché Manitou nous a léguées!
Ces satanées Robes Noires prétendent servir l’Amour avec un
grand A… Un Amour si grand qu’il ne faut pas manger comme un goinfre, ne pas
faire l’amour, ne pas danser, ne pas rire, ne pas fêter, ne pas se séparer
d’une femme qu’on n’aime pas, ne pas remercier Kitché Manitou, ne pas prendre
un Robe Noire par derrière, etc. Vous les trouvez normaux, vous?
J’essaie de ne pas trop le juger malgré tout.
Je lui ai même proposé de manger du sang de chevreuil que
j’avais fait mariner pendant trois mois dans une outre en cuir enfouie dans le
marécage attenant au village. L’imbécile a vomi avant même que d’y goûter! On
lui présente les meilleurs morceaux et il fait toujours la fine bouche!
Qu’est-ce qu’on fait avec lui, hein?
Miska pourrait être sensible à mes avances mais ce ne sera
pas pour cette fois-ci.
J’ai beaucoup trop mangé et suis sur le point de m’endormir.
De plus, je crois que le sang de chevreuil mariné m’a donné
la chiasse…
Cela fait dix fois que je vais dans le bois pour faire de
grandes traînées brunes dans la neige immaculée…
Je ne crois pas que ce soit le moment d’aller sous son
wigwam.
Le voudrait-elle que je ne saurais pas quoi faire.
Du coup, tous les guerriers et toutes les squaws de la tribu
se moqueraient de moi.
On me dirait d’aller prendre le Robe Noire par derrière si
je n’étais pas capable de faire ça avec la plus belle squaw du village…
Et moi, pour tout dire, ça ne me revient pas de jouer dans
le cul des bardaches.
Je suis un homme à squaws.
Même si j’ai la chiasse…
mardi 20 décembre 2016
Mon père Noël à moi
Le Père Noël a déjà existé. Il ressemblait vraiment à l'image que l'on se fait de lui: un grand et gros bonhomme, solide sur ses pattes, qui aimaient les enfants.
Je l'ai vu partir au travail à tous les jours avec sa longue barbe blanche, ses habits rouges et blancs et ses bottes noires. Il dormait chez-nous, dans le lit de ma mère, imaginez-vous donc!
Vous aurez sans doute compris que mon père gagnait sa vie en faisant le Père Noël un peu partout où le bon vent l'emmenait, dont à l'ancien magasin Zeller's de la rue des Forges à Trois-Rivières où il trônait pendant les heures d'ouverture.
Mon père était en grève cette année-là. Il travaillait à cette époque à la Reynold's Aluminium Company, à Cap-de-la-Madeleine. Il y était opérateur de pont-roulant. Cette usine avait la triste réputation d'offrir les plus bas salaires pour les travailleurs du secteur nord-américain de l'aluminium.
Je me rappelle que ma mère nous avait fait mettre à genoux, moi et le plus jeune de mes frères, pour égrener un chapelet en famille.
-Prions pour que votre père ne tombe pas en grève! nous avait-elle dit.
Nous n'y comprenions pas grand chose, évidemment. Nous avions à peine douze ans et tout cela nous semblait hors d'entendement. Nous avons donc récité sans convictions les prières de rigueur pour éloigner la grève et la misère de notre humble logis aux planchers tout croches.
Mon père revint de son assemblée syndicale alors que nous étions encore en train de prier à genoux. Il était fulminant de rage et brandissait fièrement une pancarte de la CSN.
-Les boss! Les boss! Les hosties d'boss! scandait-il.
Ma mère était au désespoir. J'étais pour tout dire dire plutôt amusé. Je ne savais pas vraiment ce que la grève et la misère représentaient. Néanmoins, je voyais bien que mon père se tenait debout. Cela me semblait moins épuisant que de s'agenouiller. Et puis cette révolte contre l'autorité faisait passer mon père pour une sorte de chevalier sans peur et sans reproches, un rôle bien masculin que ma pauvre mère n'arrivait pas à comprendre. Mon père combattait le dragon du capitalisme sauvage...
-Comment qu'on va faire pour arriver bonté divine? s'inquiéta-t-elle.
-On s'débrouillera! répliqua mon père. Y'a des limites à c'que les chiens d'la Reynold's se crissent de nous autres!
Nous nous sommes mis à répéter les slogans de mon père au grand dam de ma mère décontenancée.
-Reynold's! Reynold's! Mange d'la marde t'auras pas notre peau!!!
Les semaines puis les mois passèrent. La grève était plus dure et plus longue que les travailleurs syndiqués ne l'auraient crue. Des grévistes perdaient leur automobile, puis leur femme et leur maison. Certains allèrent jusqu'à se pendre dans leur remise.
Mais pas mon père. Il ne se laissait pas abattre. Le chèque de grève n'était pas gros. Mon père effectuait donc mille et un travaux pour subsister aux besoins de sa famille: concierge, agent de sécurité et, bien sûr, Père Noël... Ma mère y mettait aussi du sien en faisant des ménages, des travaux de couture et tout ce qui pouvait arrondir les fins de mois. Nous traversions une période difficile mais nous ne nous en rendions pas trop compte. Tous les enfants étaient pauvres autour de nous. Cela nous semblait naturel. Nous mangions plus souvent des rognons et des frites arrosés de ketchup. Nous n'allions pas souvent au cinéma. Nous avions Patof et Bobino.
J'ose à peine me représenter la rage et l'humiliation que mes parents ont dû subir pour demeurer juste un petit peu à la surface.
J'ai le souvenir encore très vif de la fois où nous sommes allés voir mon Père Noël chez Zeller's.
Des tas d'enfants passaient sur les genoux du gréviste qui leur promettait pleins de beaux cadeaux s'ils étaient sages.
Lorsque vint notre tour de grimper sur ses genoux, le Père Noël devint nettement plus réaliste.
-Le Père Noël est en grève cette année... I' va faire c'qu'il peut pour vous faire un cadeau... En autant qu'il y ait de quoi dans l'frigidaire...
Je ne me souviens pas quel fût mon cadeau cette année-là. J'ai certainement reçu quelque chose. Était-ce un G.I. Joe? Un jeu de Lego? Des albums d'Astérix? C'est très vague dans ma tête.
Ma mère avait tout de même réussi à produire ses tourtières, tartes, beignets, sucres à la crème et bonbons aux patates du temps des Fêtes. Je ne me souviens pas d'un Noël où nous avions jeûné. Comment ont-ils fait? Je n'en sais rien.
La grève prit fin quelques mois plus tard. Le père est retourné à l'usine. Il a grimpé dans son chariot roulant comme Fred Caillou dans sa grue. Les blessures se sont refermées. Les cadres de la Reynold's ont été remplacés par des patrons plus conciliants et moins provocateurs. Il y eut comme une accalmie et de grosses tranches de fromage frais sur la table.
Les années passèrent.
Je devins moi aussi grand et gros comme mon père.
Ce qui me valut un beau quatre-vingts dollars vite fait pour incarner le Père Noël lors d'une fête quelconque dans une maison pour personnes âgées...
Oui, le Père Noël existe encore.
C'est probablement un type qui a besoin d'argent parce qu'il est en grève ou bien au chômage depuis longtemps.
N'oubliez pas de lui laisser un pourboire lorsque vous le verrez.
Pensez à ses enfants...
Je l'ai vu partir au travail à tous les jours avec sa longue barbe blanche, ses habits rouges et blancs et ses bottes noires. Il dormait chez-nous, dans le lit de ma mère, imaginez-vous donc!
Vous aurez sans doute compris que mon père gagnait sa vie en faisant le Père Noël un peu partout où le bon vent l'emmenait, dont à l'ancien magasin Zeller's de la rue des Forges à Trois-Rivières où il trônait pendant les heures d'ouverture.
Mon père était en grève cette année-là. Il travaillait à cette époque à la Reynold's Aluminium Company, à Cap-de-la-Madeleine. Il y était opérateur de pont-roulant. Cette usine avait la triste réputation d'offrir les plus bas salaires pour les travailleurs du secteur nord-américain de l'aluminium.
Je me rappelle que ma mère nous avait fait mettre à genoux, moi et le plus jeune de mes frères, pour égrener un chapelet en famille.
-Prions pour que votre père ne tombe pas en grève! nous avait-elle dit.
Nous n'y comprenions pas grand chose, évidemment. Nous avions à peine douze ans et tout cela nous semblait hors d'entendement. Nous avons donc récité sans convictions les prières de rigueur pour éloigner la grève et la misère de notre humble logis aux planchers tout croches.
Mon père revint de son assemblée syndicale alors que nous étions encore en train de prier à genoux. Il était fulminant de rage et brandissait fièrement une pancarte de la CSN.
-Les boss! Les boss! Les hosties d'boss! scandait-il.
Ma mère était au désespoir. J'étais pour tout dire dire plutôt amusé. Je ne savais pas vraiment ce que la grève et la misère représentaient. Néanmoins, je voyais bien que mon père se tenait debout. Cela me semblait moins épuisant que de s'agenouiller. Et puis cette révolte contre l'autorité faisait passer mon père pour une sorte de chevalier sans peur et sans reproches, un rôle bien masculin que ma pauvre mère n'arrivait pas à comprendre. Mon père combattait le dragon du capitalisme sauvage...
-Comment qu'on va faire pour arriver bonté divine? s'inquiéta-t-elle.
-On s'débrouillera! répliqua mon père. Y'a des limites à c'que les chiens d'la Reynold's se crissent de nous autres!
Nous nous sommes mis à répéter les slogans de mon père au grand dam de ma mère décontenancée.
-Reynold's! Reynold's! Mange d'la marde t'auras pas notre peau!!!
Les semaines puis les mois passèrent. La grève était plus dure et plus longue que les travailleurs syndiqués ne l'auraient crue. Des grévistes perdaient leur automobile, puis leur femme et leur maison. Certains allèrent jusqu'à se pendre dans leur remise.
Mais pas mon père. Il ne se laissait pas abattre. Le chèque de grève n'était pas gros. Mon père effectuait donc mille et un travaux pour subsister aux besoins de sa famille: concierge, agent de sécurité et, bien sûr, Père Noël... Ma mère y mettait aussi du sien en faisant des ménages, des travaux de couture et tout ce qui pouvait arrondir les fins de mois. Nous traversions une période difficile mais nous ne nous en rendions pas trop compte. Tous les enfants étaient pauvres autour de nous. Cela nous semblait naturel. Nous mangions plus souvent des rognons et des frites arrosés de ketchup. Nous n'allions pas souvent au cinéma. Nous avions Patof et Bobino.
J'ose à peine me représenter la rage et l'humiliation que mes parents ont dû subir pour demeurer juste un petit peu à la surface.
J'ai le souvenir encore très vif de la fois où nous sommes allés voir mon Père Noël chez Zeller's.
Des tas d'enfants passaient sur les genoux du gréviste qui leur promettait pleins de beaux cadeaux s'ils étaient sages.
Lorsque vint notre tour de grimper sur ses genoux, le Père Noël devint nettement plus réaliste.
-Le Père Noël est en grève cette année... I' va faire c'qu'il peut pour vous faire un cadeau... En autant qu'il y ait de quoi dans l'frigidaire...
Je ne me souviens pas quel fût mon cadeau cette année-là. J'ai certainement reçu quelque chose. Était-ce un G.I. Joe? Un jeu de Lego? Des albums d'Astérix? C'est très vague dans ma tête.
Ma mère avait tout de même réussi à produire ses tourtières, tartes, beignets, sucres à la crème et bonbons aux patates du temps des Fêtes. Je ne me souviens pas d'un Noël où nous avions jeûné. Comment ont-ils fait? Je n'en sais rien.
La grève prit fin quelques mois plus tard. Le père est retourné à l'usine. Il a grimpé dans son chariot roulant comme Fred Caillou dans sa grue. Les blessures se sont refermées. Les cadres de la Reynold's ont été remplacés par des patrons plus conciliants et moins provocateurs. Il y eut comme une accalmie et de grosses tranches de fromage frais sur la table.
Les années passèrent.
Je devins moi aussi grand et gros comme mon père.
Ce qui me valut un beau quatre-vingts dollars vite fait pour incarner le Père Noël lors d'une fête quelconque dans une maison pour personnes âgées...
Oui, le Père Noël existe encore.
C'est probablement un type qui a besoin d'argent parce qu'il est en grève ou bien au chômage depuis longtemps.
N'oubliez pas de lui laisser un pourboire lorsque vous le verrez.
Pensez à ses enfants...
lundi 19 décembre 2016
Wong sous le sapin
Cette histoire s’est passée il y a fort longtemps dans un
lointain pays, si lointain qu’on peut même douter que cela se soit vraiment
produit. A beau mentir qui vient de loin dit le proverbe. Plus l’histoire s’éloigne
dans le temps et dans l’espace et plus on finit par laisser entendre que les
hommes peuvent ressusciter ou marcher sur les eaux. Il va de soi que ce qui n’est pas possible
aujourd’hui ne l’était pas plus hier. Mais allez dire ça à ces gens qui s’accrochent
à n’importe qui, n’importe quoi et n’importe comment. Ils vous crucifieraient s’ils
le pouvaient.
L’histoire dont je vais vous parler ne provient pas de
source sûre. Elle m’a été racontée par Harry, un gars pas très grand ni trop
gros qui n’a pas que la réputation de mentir. Tout le monde reconnaît qu’il
fait de bons carrés de sucre à la crème, même si cela rien à voir avec le sujet
qui nous préoccupe. D’ailleurs il n’en
fait pas souvent. Il n’en a fait qu’une seule fois et il est possible qu’il ait
menti à ce sujet, même si personne ne peut le prouver.
Harry m’a raconté cette histoire pas plus tard qu’avant avant-hier,
c’est-à-dire vendredi dernier.
Vous me permettrez de ne pas m’empêtrez dans les détails
entourant notre rencontre.
Seul son récit m’intéresse. Nous reviendrons sur la
personnalité et les mensonges de Harry une autre fois.
Vous me direz que s’il ment cette histoire est sans doute
fausse. Et pourquoi le serait-elle plus que d’autres, hein? Ne venez pas me
dire que vous ne croyez pas n’importe quoi de temps à autre. Tout le monde fait
ça. Même moi. Et je suis pourtant sceptique, trouble-fête et rabat-joie. Il m’arrive
moi aussi de croire n’importe quoi sinon je ne me ferais jamais avoir par qui
que ce soit. Moi aussi je me trompe. Je suis faible et idiot. Comme vous l’êtes
vous-mêmes.
Revenons plutôt à cette histoire telle que Harry me l’a
racontée.
Il était une fois un vieux sage qui s’appelait Wong. On
conçoit qu’il était un asiatique. L’histoire ne dit pas s’il raffolait de la
soupe won ton. Par contre, il était un vieux sage ce Wong. Et pourquoi l’était-il?
Parce qu’il trouvait les mots et les attitudes afin de passer pour plus fin que
les autres lorsqu’ils étaient à côté de leurs pompes.
Wong vivait seul sous un sapin qu’il avait coquettement
aménagé. Le sapin étant situé au sommet d’une butte, il n’y avait jamais d’infiltration
d’eau. Wong pouvait donc dormir relativement au sec sur son confortable nid d’aiguilles
de sapin. D’ailleurs, il sentait toujours bon, Wong. Il sentait le sapin bien
entendu. Ce qui est mieux que de sentir le cul pas propre.
Un ruisseau d’eau pure, froide et cristalline coulait à
proximité du sapin. Wong pouvait s’y
abreuver et y faire ses ablutions quotidiennes pour ne pas avoir l’air d’un
crasseux, même si jamais personne ne le voyait.
On ne lui connaissait aucun travail. Il vivait de ce qu’il
cueillait ici et là dans les bois : des fruits, des noix, des lièvres, des
œufs de canard, n’importe quoi. Dont des pignons de pin. Essayez d’en acheter à
l’épicerie : c’est hors de prix! C’est donc dire que Wong vivait dans le
luxe sans le savoir. Il parlait rarement puisque son seul voisin, Tchang, le
passeur de la rivière située au bas de la colline, ne savait même pas que Wong
vivait là, sous un sapin.
C’est d’ailleurs Tchang qui l’a trouvé là alors qu’il était
mort depuis au moins dix ans. Il ne restait plus de Wong qu’un tas d’os.
Comment Tchang sut qu’il s’appelait Wong? Parce que Wong avait
écrit son nom sur le tronc du sapin. Et parce que Tchang, évidemment, savait
lire. Tchang était en fait un ancien courtisan du royaume de Pingpong qui avait
été banni après avoir baisé avec la sœur de la belle-sœur du roi Po Yo. On
avait failli lui trancher la bite pour ça. Mais le roi Po Yo avait finalement réduit sa condamnation
à l’exil et à la langue tranchée. Ce qui fait que Tchang n’était pas très
jasant.
Quoi qu’il en soit, Tchang prit la peine d’écrire quelques
poèmes à la mémoire de Wong. C’était des poèmes très courts où il était question
des cerisiers en fleurs et de Wong, ce vieux sage mort sous un sapin, le tout
enrobé d’un maquillage plutôt sobre de poète à la langue tranchée.
En quoi pouvait-il avoir été un sage? En ceci, selon Tchang,
qu’il n’avait dérangé personne.
Personne ne savait vraiment qui était Wong.
Il n’avait pas tenu de fins propos sur l’origine du monde,
sur la destinée humaine ou bien sur quoi que ce soit.
Wong n’avait pas dit de suivre l’octuple sentier qui mène à
la sagesse.
Il n’avait pas dit aimez-vous les uns les autres, priez en
silence et pêchez du poisson frais.
Il n’avait rien dit.
Il avait tout simplement écrit Wong sous le sapin où il mourut.
Si son nom est parvenu jusqu’à nous, c’est parce que Tchang
s’y est intéressé. Tchang qui est lui aussi mort sous le même sapin sans s’être
vraiment expliqué lui aussi sur le sens de la vie, comme si quelqu’un lui avait
coupé la langue…
Comment ce récit a-t-il pu parvenir jusqu’à nous via ce
satané Harry, trou du cul et crosseur invétéré qui passe la moitié de son année
en thérapie et l’autre moitié à l’usine qui le reprend toujours compte tenu qu’il
est protégé par son syndicat?
C’est un mystère. Harry ne s’est pas montré plus
collaboratif pour me donner ses sources.
-J’te l’dis! Pourquoi ce s’rait pas vrai, hein?
-Parce que c’est justement toi qui le dis…
-Un menteur ça ment pas tout le temps. Pis là, c’est sûr que
j’mens pas.
-Qui t’a dit ça? Où t’as lu l’histoire de Wong?
-Heille! Je r’tiens pas tout moé! J’travaille! J’ai pas rien
qu’ça à faire!
Sacré Harry! Pas moyen de lui tirer les vers du nez.
Il avait d’ailleurs de la poudre dans le nez.
Et quelques verres en arrière de la cravate.
Il jurait que l’histoire de Wong était vraie.
-Vraie comme j’suis là! qu’il disait, Harry.
Je m’en voulais de ne pas le croire.
Et puis je me suis dit qu’on n’en avait rien à foutre que ce
soit vrai ou pas.
Wong ne dérangeait personne, si cette histoire s’avère authentique.
Dans ce monde tel qu’il est, on ne peut pas dire que ce soit
chose courante.
Bien que ce récit me vienne d’un polytoxicomane névrosé et
un tantinet psychopathe, cela me semble sensé.
Comme quoi ceux qui vivent sous les sapins sont aussi de
bonnes personnes.
Et pourquoi pas, hein?