mercredi 19 octobre 2016
Parabole de la fatuité
"Le mal se connaissant était moins affreux et plus près de la guérison que le mal s'ignorant."
Baudelaire, Oeuvres posthumes
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Le petit matin est le moment que moi et ma blonde privilégions pour examiner le monde et ceux qui le décomposent. Nous discutons de nos travers comme de ceux de nos congénères sans aucune autre prétention que celle de comprendre où nous en sommes.
Hier, nous parlions de problèmes amoureux rencontrés par les uns et les autres.
Aujourd'hui, notre discussion portait sur la fatuité.
Toute bonne action s'annule du fait qu'on se l'attribue comme un trophée.
Si l'on donne un dollar à un mendiant et qu'on le raconte à tout le monde, ce dollar ne signifie rien d'autre que l'on s'achète une réputation. Le mendiant n'est qu'accessoire. Il traînait sur notre chemin et, après l'avoir écarté comme une mouche avec un misérable dollar, on a trouvé le moyen de transformer en grandeur d'âme ce geste bien plus sanitaire que salutaire.
Du point de vue du mendiant c'est probablement différent. Il voulait ce dollar et c'est tant mieux s'il l'a obtenu. Mais là n'est pas le noeud du problème.
Prenons pour exemple X, une personne qui ne manque pas une occasion de se présenter comme une preuve vivante de jactance.
Elle se vante de toutes ses bonnes actions.
Elle raconte avec délectation ses récompenses, les bons mots qu'on a eus pour elle et bien plus encore. À l'entendre tout le monde tend des rameaux sous ses pieds pour l'accueillir comme si le Messie lui-même se frayait un passage parmi les loques humaines.
Sa personnalité est empreinte d'une fatuité incommensurable où l'humilité trouve difficilement son chemin.
-La madame est tellement contente que ce soit moi qui ait réglé son affaire! Mes patrons m'ont félicité! Je ne suis que rigueur et excellence! En plus, j'ai donné un dollar à un pauvre quêteux crotté qui en a eu les larmes aux yeux et qui m'a dit que j'étais une personne noble et bonne... Et ce n'est rien: j'ai remporté le premier prix de ... Puis je vais recevoir une médaille de... Je fais tellement preuve de compétence que c'est difficile de travailler avec moi qui leur montre leurs travers, leurs erreurs et la voie vers le dépassement... Ah! Moi! Moi! MOÂ!
Les personnes de ce genre-là finissent par me taper sur le système. Pour me prémunir de leur bêtise j'emploie parfois une tactique éprouvée: la parabole.
Lorsque je suis en présence de ladite personne infatuée, je lui raconte tout le mépris et l'indignation que je ressens face à l'infatuation en lui parlant d'une autre personne qui lui ressemble.
-Cette personne-là est exécrable! Elle passe son temps à se vanter! Moi je suis la meilleure personne! Moi je donne aux pauvres! Moi tout le monde me félicite! Que penses-tu, toi, d'une personne qui fait preuve d'autant de sottise? N'as-tu pas l'envie de lui foutre un coup de pied au cul?
-Heu... Ahem... me répond la cible de ma parabole en clignant des yeux.
J'obtiens généralement une modification ou bien un camouflage accentué de son comportement lorsque l'outrecuidant se trouve ensuite en ma présence. Il sait que je déteste les fats et pour se mériter mon approbation et un autocollant dans les marges de son cahier, ce sot se mettra à simuler l'humilité. Cette simulation me convient dans la mesure où cela me permet de souffler un peu.
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Il va sans dire que je ne suis pas parfait. Je ne dirais même pas que je suis humble. Je suis tout bonnement réaliste. J'ai suffisamment de travers pour ne pas avoir l'envie de me vanter de quoi que ce soit. Et, par ailleurs, je vois tellement de travers chez autrui qu'il m'est difficile de céder à l'admiration. C'est un sentiment plutôt rare qu'il m'arrive d'avoir pour deux ou trois humains par quinze ans.
J'étais probablement bouffi d'orgueil et de vantardise dans ma jeune puberté. Je souffrais du syndrome du jeune lion qui veut bouffer le vieux lion. Je tenais à une certaine position de mâle alpha pour que toutes les filles tombent dans mes bras.
Puis je suis devenu préposé aux bénéficiaires dans un hôpital. Ma fatuité a fondu comme peau de chagrin. Elle a fait place à de l'empathie et à une forme de candeur envers tous les maux de l'humanité. J'ai reconnu ma propre bêtise. Et je me la suis même pardonnée.
Je ne vaux pas mieux que quiconque.
J'ai des défauts, des inconséquences et même des mensonges qui traînent ça et là dans ma vie.
Il est même possible que je fasse encore preuve de fatuité de temps à autre.
Par contre, si je me fie à Baudelaire, je suis plus près de la guérison en connaissant mon mal qu'en l'ignorant.
Cela me permet cette vanité de jouer au moraliste...
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