J'ai vu Spotlight vendredi dernier. Ce film de Tom McCarthy mettant en vedette Micheal Keaton a remporté hier l'Oscar du meilleur film. McCarthy en a profité pour envoyer un message au Vatican. Il faut dire que son film traite des prêtres pédophiles qui ont pu agir pendant des années en toute impunité. L'Église catholique camouflait tout et usait de son influence pour que rien ne transparaisse.
Ces actes de pédophilie ne se sont pas produits qu'à Boston, là où se déroule l'action du film oscarisé, mais partout dans le monde catholique. À la fin de Spotlight, on voit défiler des noms de lieux où l'Église catholique a étouffé des cas répugnants de pédophilie. Le Québec n'y était pas en reste...
Trop souvent on entend des fervents cathos dire que les prêtres sont des hommes comme les autres et qu'il peut s'y glisser des pommes pourries comme dans n'importe quel autre milieu.
Cela m'irrite un peu d'entendre ça.
Ils ne sont pas des hommes comme les autres, c'est ce qu'ils prétendent eux-mêmes devant leurs fidèles. C'est ce qu'ils ont fait pour cacher leurs viols à répétition sur des enfants.
Ils sont des hommes de Dieu. Ils sont là pour combattre le Mal et le péché. Et ces hommes de Dieu lorsqu'ils fouillaient dans les culottes des enfants demeuraient impunis. Ce qui n'en fait pas des hommes comme les autres, mais d'authentiques prédateurs sexuels qui ont bouleversé la vie de milliers d'enfants. Des milliers d'enfants qui sont plus tard devenus des adultes troublés aux prises avec des souvenirs douloureux.
Personne n'a voulu les croire lorsque les victimes ont dit que Frère Masturbus a joué avec leurs organes génitaux ou bien les a forcés à lui faire une fellation.
L'Église catholique n'a pas à nous dire qu'il faut pardonner les gestes des pédophiles. Elle aura amplement pratiquer cette forme de pardon.
Par contre, il y a lieu de se questionner quant à sa compassion envers les victimes de pédophilie.
Elle aura tout fait pour les écraser.
Et, aujourd'hui, elle mérite plusieurs taloches derrière la tête.
Elle mérite son sort: des centaines et des milliers d'églises qui ferment les unes après les autres.
Elle mérite le mépris généralisé de la communauté.
Ces prêtres n'étaient pas des hommes comme les autres. Non. Ils étaient pires que les autres...
***
Chaque fois que je vois une église, une statue sacrée, un symbole religieux ou une amulette je ressens un profond dégoût. Le phénomène religieux ne suscite aucune forme d'extase chez-moi.
Groucho Marx disait que l'institution du mariage était une bonne chose hormis pour ceux qui ne souhaitent pas vivre dans une institution.
Il en est ainsi pour toutes les institutions.
Quand on me montre une pyramide, je ne tombe pas en extase. Je vois des esclaves se faire fouetter et manger de la schnoutte pendant des années pour enterrer un fanfaron.
Quand on me montre une cathédrale, je n'y vois pas une merveille d'architecture. J'y vois un édifice administratif pour favoriser l'impunité des pédophiles. J'y vois la perpétuation de l'Empire romain, l'impérialisme qui aura écrasé toutes les formes de culture sur son passage. J'y vois l'impunité des prêtres et des césars.
Quand on me pointe du doigt un monastère, j'y vois une prison.
La religion? Très peu pour moi.
La spiritualité? Je veux bien dans la mesure où l'on ne vient pas me chier des réponses toutes faites à des questions portant sur l'infini. Autrement, c'est de la schnoutte. Cela m'intéresse autant qu'une partie de ouija.
Et la pédophilie? C'est sans excuses.
L'attirance envers les enfants n'est pas une distraction comme les autres.
D'autant plus que ces enfants ne demandaient pas de se faire jouer dans les culottes par de vieux cochons gluants, qu'ils aient porté une croix dans le cou ou pas.
Un cochon reste un cochon.
La souillure reste la souillure.
Il faut avoir quelques écrous en moins dans le cabochon pour trouver des excuses au viol des enfants.
Honte à l'Église catholique.
Elle devra en remuer de l'encens pour faire oublier toute la merde qu'elle aura faite au fil des époques.
lundi 29 février 2016
vendredi 26 février 2016
Exploités du monde entier, unissez-vous!
Croyez-vous vraiment que les capitalistes soutiennent la démocratie dans le monde? Pensez-vous qu'ils se couchent en se disant qu'il n'y a rien de plus noble que cette chose dite publique?
Le pays d'un capitaliste, c'est l'argent. Il étranglerait sa mère, sa femme et ses enfants s'il y voyait l'occasion de faire une piastre. S'il se retient, c'est parce que ça paraît mal en affaires. Ou parce qu'il y a d'autres mères, d'autres femmes et d'autres enfants à tuer avant d'en arriver là.
L'Iran et l'Afghanistan ont failli connaître une révolution de type communiste. Les capitalistes ont tout de suite compris que cela apporterait de l'eau au moulin du bloc des économies dites socialistes. On y a encouragé les islamistes au détriment des droits des femmes, au détriment d'écoles et de soins de santé gratuits. De sorte qu'il y a un peu de nous dans les talibans, Al Qaïda et même l'Ayatollah Khomeini. Il y a derrière tout ça le souffle puant de nos capitalistes.
Les capitalistes n'ont qu'une chose en tête: développer de nouveaux marchés et exploiter de nouveaux territoires. Rien de plus fâcheux pour un capitaliste que de devoir marchander avec un dictateur qui leur met des bâtons dans les roues. Ils s'accommodent bien d'un Pinochet ou bien d'un cheikh du Moyen-Orient. Moins avec un Castro, un Chavez, un Saddam Hussein ou bien un Bachar Al Assad. Ils aiment les salauds quand ce sont les leurs.
Je ne soutiens d'aucune manière les dictateurs, quels qu'ils soient. Mais je ne suis pas dupe. Il y a les bons et les mauvais dictateurs selon l'échelle de valeurs des capitalistes. Les bons sont ceux qui permettent l'exploitation des ressources naturelles de leur pays. Les mauvais sont ceux qui se ferment au sacro-saint marché.
Les capitalistes aiment les peuples qui n'ont rien, surtout pas des barrages hydroélectriques, des mines et du pétrole. Tout ça doit appartenir au privé et les gouvernements doivent se soumettre aux plans des banquiers de ce monde. S'ils ne le font pas, on inventera n'importe quoi pour y faire le ménage. On embauchera des mercenaires pour foutre le chaos du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. On fera semblant de combattre les islamistes un jour puis le lendemain on les financera afin de continuer de faire semblant de les combattre. La plupart des larbins de ce monde n'y verront que du feu. Les capitalistes, comme toujours, financeront la maladie et le remède.
La révolution bolchevique, c'est connu, fût financée par les banques allemandes. Cette contre-révolution se donnait pour but de mettre un terme à la vraie révolution russe, celle qui n'avait presque fait aucun mort. Celle initiée par des anarchistes, des sans-partis, des tolstoïens et des syndicalistes. Lénine fût le fossoyeur de la révolution russe avec l'assentiment des banquiers. Le bolchevisme était la concrétisation du vieux rêve des conservateurs: un peuple soumis et docile qui travaillait pour un quignon de pain rassis. Ford et d'autres compagnies américaines ne manquèrent pas d'investir en Russie quand Lénine leur donna le feu vert.
-Oui, mais c'est ça la realpolitik! On ne vit pas au Royaume de Walt Disney...
Fort bien! Pourquoi faudrait-il accorder de l'importance aux contes de fées des médias traditionnels si tel est le cas?
Si ce monde est constitué de caca, permettez au moins que l'on se bouche le nez et les oreilles.
Les desseins des capitalistes sont clairs. Ils veulent s'accaparer toutes les ressources naturelles du monde et nous traiter comme des esclaves. Ils ne veulent pas notre bien, mais nos biens. Ils se financent des marionnettes politiques sous tous les régimes pour nous exploiter jusqu'à l'os.
Ils s'engagent des mercenaires, qu'ils soient bolcheviques ou islamistes, pour nous faire accroire qu'ils sont à la tête d'un combat entre le Bien et le Mal.
Dans les faits, le Mal vient du combat.
Le Mal, c'est le chaos.
Ce chaos qui permet de tout acheter pour trois fois rien.
Marx, qui avait ses défauts, avait tout de même raison de dire que les travailleurs n'ont pas de patrie et qu'ils n'ont que des chaînes à perdre.
Je souhaite que les Irakiens, les Égyptiens, les Afghans, les Russes et les Toltèques obtiennent le plein contrôle de leurs ressources naturelles. Je souhaite la nationalisation de toutes les ressources naturelles pour financer des écoles, des hôpitaux et des salles de concert. La Paix demeurera une illusion tant que nous aurons l'illusion que les capitalistes ne sont pour rien dans ces maux qui nous affligent sur cette Terre.
Exploités du monde entier, unissez-vous!
Le pays d'un capitaliste, c'est l'argent. Il étranglerait sa mère, sa femme et ses enfants s'il y voyait l'occasion de faire une piastre. S'il se retient, c'est parce que ça paraît mal en affaires. Ou parce qu'il y a d'autres mères, d'autres femmes et d'autres enfants à tuer avant d'en arriver là.
L'Iran et l'Afghanistan ont failli connaître une révolution de type communiste. Les capitalistes ont tout de suite compris que cela apporterait de l'eau au moulin du bloc des économies dites socialistes. On y a encouragé les islamistes au détriment des droits des femmes, au détriment d'écoles et de soins de santé gratuits. De sorte qu'il y a un peu de nous dans les talibans, Al Qaïda et même l'Ayatollah Khomeini. Il y a derrière tout ça le souffle puant de nos capitalistes.
Les capitalistes n'ont qu'une chose en tête: développer de nouveaux marchés et exploiter de nouveaux territoires. Rien de plus fâcheux pour un capitaliste que de devoir marchander avec un dictateur qui leur met des bâtons dans les roues. Ils s'accommodent bien d'un Pinochet ou bien d'un cheikh du Moyen-Orient. Moins avec un Castro, un Chavez, un Saddam Hussein ou bien un Bachar Al Assad. Ils aiment les salauds quand ce sont les leurs.
Je ne soutiens d'aucune manière les dictateurs, quels qu'ils soient. Mais je ne suis pas dupe. Il y a les bons et les mauvais dictateurs selon l'échelle de valeurs des capitalistes. Les bons sont ceux qui permettent l'exploitation des ressources naturelles de leur pays. Les mauvais sont ceux qui se ferment au sacro-saint marché.
Les capitalistes aiment les peuples qui n'ont rien, surtout pas des barrages hydroélectriques, des mines et du pétrole. Tout ça doit appartenir au privé et les gouvernements doivent se soumettre aux plans des banquiers de ce monde. S'ils ne le font pas, on inventera n'importe quoi pour y faire le ménage. On embauchera des mercenaires pour foutre le chaos du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. On fera semblant de combattre les islamistes un jour puis le lendemain on les financera afin de continuer de faire semblant de les combattre. La plupart des larbins de ce monde n'y verront que du feu. Les capitalistes, comme toujours, financeront la maladie et le remède.
La révolution bolchevique, c'est connu, fût financée par les banques allemandes. Cette contre-révolution se donnait pour but de mettre un terme à la vraie révolution russe, celle qui n'avait presque fait aucun mort. Celle initiée par des anarchistes, des sans-partis, des tolstoïens et des syndicalistes. Lénine fût le fossoyeur de la révolution russe avec l'assentiment des banquiers. Le bolchevisme était la concrétisation du vieux rêve des conservateurs: un peuple soumis et docile qui travaillait pour un quignon de pain rassis. Ford et d'autres compagnies américaines ne manquèrent pas d'investir en Russie quand Lénine leur donna le feu vert.
-Oui, mais c'est ça la realpolitik! On ne vit pas au Royaume de Walt Disney...
Fort bien! Pourquoi faudrait-il accorder de l'importance aux contes de fées des médias traditionnels si tel est le cas?
Si ce monde est constitué de caca, permettez au moins que l'on se bouche le nez et les oreilles.
Les desseins des capitalistes sont clairs. Ils veulent s'accaparer toutes les ressources naturelles du monde et nous traiter comme des esclaves. Ils ne veulent pas notre bien, mais nos biens. Ils se financent des marionnettes politiques sous tous les régimes pour nous exploiter jusqu'à l'os.
Ils s'engagent des mercenaires, qu'ils soient bolcheviques ou islamistes, pour nous faire accroire qu'ils sont à la tête d'un combat entre le Bien et le Mal.
Dans les faits, le Mal vient du combat.
Le Mal, c'est le chaos.
Ce chaos qui permet de tout acheter pour trois fois rien.
Marx, qui avait ses défauts, avait tout de même raison de dire que les travailleurs n'ont pas de patrie et qu'ils n'ont que des chaînes à perdre.
Je souhaite que les Irakiens, les Égyptiens, les Afghans, les Russes et les Toltèques obtiennent le plein contrôle de leurs ressources naturelles. Je souhaite la nationalisation de toutes les ressources naturelles pour financer des écoles, des hôpitaux et des salles de concert. La Paix demeurera une illusion tant que nous aurons l'illusion que les capitalistes ne sont pour rien dans ces maux qui nous affligent sur cette Terre.
Exploités du monde entier, unissez-vous!
jeudi 25 février 2016
Le 29 février
La médecine n'est pas une science exacte. Si elle l'était, cela se saurait. On peut bien sûr y faire confiance pour recoudre une oreille ou bien enlever une écharde. Il en va tout autrement lorsqu'il s'agit d'expliquer ces cas spéciaux qui ne font qu'infirmer toutes les règles établies.
Anatole était une anomalie de la science. On ne s'expliquait pas que cet homme né le 29 février 1936 ait encore le physique d'un jeune homme alors qu'il allait célébrer le jour de son anniversaire pour la vingtième fois de sa vie.
En fait. Anatole avait un métabolisme qui ne ressemblait aucunement à la norme humaine. Ça lui prenait quatre ans pour vieillir d'un an.
-C'est impossible! s'étaient dit tous ses médecins, dont plusieurs étaient morts et enterrés. C'est comme si Anatole connaissait un cycle de vieillissement ajusté sur les années bissextiles... Comme s'il ne pouvait pas vieillir avant le 29 février de chaque année où se tiennent les Jeux olympiques d'été... C'est ridicule de l'affirmer et ça ne tient pas debout... C'est pourtant ce qui se passe...
Anatole avait eu un an jusqu'en 1940, même s'il n'y avait pas eu d'Olympiques cette année-là.
Puis deux ans jusqu'en 1944, ce qui confirme que les Olympiques n'avaient rien à avoir avec sa particularité biologique. Il ne s'en est pas tenus en 1944.
Il eut trois ans jusqu'en 1948.
En 1976, lors des Jeux olympiques de Montréal, Anatole ressemblait encore à un enfant de dix ans...
Évidemment, il vivait en institution. Jusqu'à ce qu'il atteigne sa crise d'adolescence en 1988, à l'âge de cinquante-deux ans en réalité, et treize ans selon sa date d'anniversaire qui ne revenait qu'une fois aux quatre ans.
-J'en ai assez d'être ici! Vous ne pouvez pas me garder! Je fous le camp le 29 février prochain! qu'il avait crié en cassant tout ce qu'il pouvait.
Anatole fût un punk plus ou moins anarchiste pendant vingt ans. Il milita même au sein d'un groupuscule anarchiste qui imprimait des tracts dans un squat, des tracts qui disaient grosso modo fuck toutte.
En l'an 2008, il passa à autre chose. Il avait quinze ans selon son étrange constitution. Et soixante-douze ans selon la loi. Il en profita pour obtenir sa pension de retraite tant au fédéral qu'au provincial et se mit à baiser comme un orang-outan des vieilles de son âge qui s'étonnaient d'avoir affaire à un si beau jeune homme.
Le 29 février 2016, Anatole aura quatre-vingts ans. Il en a quatre fois moins quand on le regarde.
Ses médecins n'y comprennent rien.
Anatole n'est jamais malade.
Tous les membres de sa famille sont morts depuis longtemps.
Il lui reste encore quelques belles années devant lui.
Selon toute vraisemblance, il devrait mourir autour de l'année 2268.
Et peut-être jamais.
Il se pourrait bien qu'on ait trouvé le moyen d'atteindre l'immortalité d'ici là.
Anatole était une anomalie de la science. On ne s'expliquait pas que cet homme né le 29 février 1936 ait encore le physique d'un jeune homme alors qu'il allait célébrer le jour de son anniversaire pour la vingtième fois de sa vie.
En fait. Anatole avait un métabolisme qui ne ressemblait aucunement à la norme humaine. Ça lui prenait quatre ans pour vieillir d'un an.
-C'est impossible! s'étaient dit tous ses médecins, dont plusieurs étaient morts et enterrés. C'est comme si Anatole connaissait un cycle de vieillissement ajusté sur les années bissextiles... Comme s'il ne pouvait pas vieillir avant le 29 février de chaque année où se tiennent les Jeux olympiques d'été... C'est ridicule de l'affirmer et ça ne tient pas debout... C'est pourtant ce qui se passe...
Anatole avait eu un an jusqu'en 1940, même s'il n'y avait pas eu d'Olympiques cette année-là.
Puis deux ans jusqu'en 1944, ce qui confirme que les Olympiques n'avaient rien à avoir avec sa particularité biologique. Il ne s'en est pas tenus en 1944.
Il eut trois ans jusqu'en 1948.
En 1976, lors des Jeux olympiques de Montréal, Anatole ressemblait encore à un enfant de dix ans...
Évidemment, il vivait en institution. Jusqu'à ce qu'il atteigne sa crise d'adolescence en 1988, à l'âge de cinquante-deux ans en réalité, et treize ans selon sa date d'anniversaire qui ne revenait qu'une fois aux quatre ans.
-J'en ai assez d'être ici! Vous ne pouvez pas me garder! Je fous le camp le 29 février prochain! qu'il avait crié en cassant tout ce qu'il pouvait.
Anatole fût un punk plus ou moins anarchiste pendant vingt ans. Il milita même au sein d'un groupuscule anarchiste qui imprimait des tracts dans un squat, des tracts qui disaient grosso modo fuck toutte.
En l'an 2008, il passa à autre chose. Il avait quinze ans selon son étrange constitution. Et soixante-douze ans selon la loi. Il en profita pour obtenir sa pension de retraite tant au fédéral qu'au provincial et se mit à baiser comme un orang-outan des vieilles de son âge qui s'étonnaient d'avoir affaire à un si beau jeune homme.
Le 29 février 2016, Anatole aura quatre-vingts ans. Il en a quatre fois moins quand on le regarde.
Ses médecins n'y comprennent rien.
Anatole n'est jamais malade.
Tous les membres de sa famille sont morts depuis longtemps.
Il lui reste encore quelques belles années devant lui.
Selon toute vraisemblance, il devrait mourir autour de l'année 2268.
Et peut-être jamais.
Il se pourrait bien qu'on ait trouvé le moyen d'atteindre l'immortalité d'ici là.
mercredi 24 février 2016
Les milliardaires et le sens de l'humour
Les communistes ont le sens de l'humour.
Je sais bien qu'en disant cela je m'attirerai la foudre des militants des droits de l'homme. Je les rassure tout de suite en promettant d'être à leurs côtés pour porter ma pancarte.
Cela dit, il est possible de voir de l'humour là où il y a des comportements pour le moins répréhensibles. Il n'est pas aimable de balancer une tarte à la crème au visage de qui que ce soit et pourtant cette blague éculée aura fait la fortune des protagonistes du cinéma muet.
L'humour des communistes a débuté avec Lénine.
L'économie soviétique était en ruines après des mois de guerre civile. Le monde entier pouvait se réjouir d'avoir mis à genoux ce rêve utopique d'une société égalitaire. L'égalité et la démocratie ne furent pas au rendez-vous et c'est la dictature qui fit naturellement son chemin.
Pour remonter l'économie soviétique, Lénine décida d'introduire certains éléments d'économie capitaliste à son plan machiavélique. Ce plan s'appela la Nouvelle politique économique, mieux connue sous l'acronyme NEP.
La NEP permit une certaine liberté économique pour un temps limité, le temps de se refaire une santé financière. Les agriculteurs et les compagnies étrangères purent s'enrichir le temps que cela dura.
Quelques années plus tard, l'État soviétique se chargea de tout reprendre, de tous les exproprier et de récupérer tout ce bel argent frais pour arriver à ses fins. C'est ce que j'appelle avoir le sens de l'humour.
Cela ne vous rappelle pas quelque chose?
La Fédération russe, suite à la chute du communisme, introduisit de nouvelles libertés économiques. Des mafieux devinrent extrêmement riches sous Boris Eltsine qui pratiqua envers son peuple la thérapie de choc prônée par les libertariens de l'École de Chicago. Il s'agissait en gros d'abolir les droits et avantages sociaux, d'enrichir les riches et d'appauvrir implacablement les pauvres. C'était une autre façon d'avoir le sens de l'humour...
Les Russes ne firent plus la file pour s'acheter une patate, bien sûr, mais ils n'eurent bientôt plus d'argent pour s'en acheter.
Une nouvelle classe de milliardaires russes se mit à aplatir tout ce qui entravait leur ascension sociale. Eltsine en était tellement heureux qu'il se la saoulait tous les jours. Tant et si bien qu'on dut songer à le remplacer pour ces trop nombreuses pertes de facultés.
On songea donc en haut lieu de le remplacer par Vladimir Poutine, ce larbin de Eltsine dont on était sûr qu'il ferait tout ce qu'on lui dirait.
Or, le larbin se comporta bientôt en tsar. Il était nostalgique d'un temps où l'école, la santé et l'éducation étaient gratuites.
Il mit des tas de milliardaires en prison, les expropria puis remit une bonne partie des fruits de son vol dans l'économie nationale. Il redonna une couleur collectiviste à la Russie. Le niveau de vie augmenta de 40%. Les retraites aussi. Du coup, les Russes qui ne mangeaient plus dans les poubelles le virent comme un héros national, au grand dam de toute la presse occidentale qui tenait à ce qu'il poursuive l'austérité et la thérapie de choc de l'École de Chicago...
Les Chinois, qui rient sournoisement pour nous confondre, adoptèrent un tant soit peu les mêmes méthodes que celles de Lénine et Poutine.
Ils laissèrent un temps les riches s'enrichir, histoire de donner du coffre à leurs devises. Puis, peu à peu, ils coffrèrent eux aussi des milliardaires pour s'accaparer leurs biens afin de faire revenir ce bel argent dans la chose dite publique.
L'Islande, pour ne pas être en reste, décida elle aussi d'emprisonner des banquiers.
Dans notre beau pays, où tout le monde est beaucoup trop sérieux, on hésite à emprisonner les banquiers et les milliardaires, voire les maires et les Premiers ministres. Et pourtant, ça pourrait se faire en criant lapin. Celui qui osera le faire, un jour ou l'autre, passera illico pour un héros national.
Nous sommes des maîtres de l'humour au Québec.
Je ne crains pas que nous soyons en passe de devenir la première société nord-américaine à mettre en pratique cette forme d'humour économique.
Nous l'avons fait pour l'électricité. Nous les avons tous expropriés et personne ne viendrait dire aujourd'hui que ce fût une mauvaise décision pour les Québécois.
Voilà pourquoi je ris dans ma sale barbe de séditieux chaque fois que j'entends s'exprimer un milliardaire québécois ou même canadien. Je me dis toujours que ses jours sont comptés. Je me dis que leur fortune est bien plus éphémère qu'ils ne le croient dans un monde qui prend parfois ses leçons de la Russie, de la Chine et de l'Islande.
On peut bien rire de qui l'on veut, non?
D'autant plus que l'on ne se gêne pas pour rire de nous...
Je sais bien qu'en disant cela je m'attirerai la foudre des militants des droits de l'homme. Je les rassure tout de suite en promettant d'être à leurs côtés pour porter ma pancarte.
Cela dit, il est possible de voir de l'humour là où il y a des comportements pour le moins répréhensibles. Il n'est pas aimable de balancer une tarte à la crème au visage de qui que ce soit et pourtant cette blague éculée aura fait la fortune des protagonistes du cinéma muet.
L'humour des communistes a débuté avec Lénine.
L'économie soviétique était en ruines après des mois de guerre civile. Le monde entier pouvait se réjouir d'avoir mis à genoux ce rêve utopique d'une société égalitaire. L'égalité et la démocratie ne furent pas au rendez-vous et c'est la dictature qui fit naturellement son chemin.
Pour remonter l'économie soviétique, Lénine décida d'introduire certains éléments d'économie capitaliste à son plan machiavélique. Ce plan s'appela la Nouvelle politique économique, mieux connue sous l'acronyme NEP.
La NEP permit une certaine liberté économique pour un temps limité, le temps de se refaire une santé financière. Les agriculteurs et les compagnies étrangères purent s'enrichir le temps que cela dura.
Quelques années plus tard, l'État soviétique se chargea de tout reprendre, de tous les exproprier et de récupérer tout ce bel argent frais pour arriver à ses fins. C'est ce que j'appelle avoir le sens de l'humour.
Cela ne vous rappelle pas quelque chose?
La Fédération russe, suite à la chute du communisme, introduisit de nouvelles libertés économiques. Des mafieux devinrent extrêmement riches sous Boris Eltsine qui pratiqua envers son peuple la thérapie de choc prônée par les libertariens de l'École de Chicago. Il s'agissait en gros d'abolir les droits et avantages sociaux, d'enrichir les riches et d'appauvrir implacablement les pauvres. C'était une autre façon d'avoir le sens de l'humour...
Les Russes ne firent plus la file pour s'acheter une patate, bien sûr, mais ils n'eurent bientôt plus d'argent pour s'en acheter.
Une nouvelle classe de milliardaires russes se mit à aplatir tout ce qui entravait leur ascension sociale. Eltsine en était tellement heureux qu'il se la saoulait tous les jours. Tant et si bien qu'on dut songer à le remplacer pour ces trop nombreuses pertes de facultés.
On songea donc en haut lieu de le remplacer par Vladimir Poutine, ce larbin de Eltsine dont on était sûr qu'il ferait tout ce qu'on lui dirait.
Or, le larbin se comporta bientôt en tsar. Il était nostalgique d'un temps où l'école, la santé et l'éducation étaient gratuites.
Il mit des tas de milliardaires en prison, les expropria puis remit une bonne partie des fruits de son vol dans l'économie nationale. Il redonna une couleur collectiviste à la Russie. Le niveau de vie augmenta de 40%. Les retraites aussi. Du coup, les Russes qui ne mangeaient plus dans les poubelles le virent comme un héros national, au grand dam de toute la presse occidentale qui tenait à ce qu'il poursuive l'austérité et la thérapie de choc de l'École de Chicago...
Les Chinois, qui rient sournoisement pour nous confondre, adoptèrent un tant soit peu les mêmes méthodes que celles de Lénine et Poutine.
Ils laissèrent un temps les riches s'enrichir, histoire de donner du coffre à leurs devises. Puis, peu à peu, ils coffrèrent eux aussi des milliardaires pour s'accaparer leurs biens afin de faire revenir ce bel argent dans la chose dite publique.
L'Islande, pour ne pas être en reste, décida elle aussi d'emprisonner des banquiers.
Dans notre beau pays, où tout le monde est beaucoup trop sérieux, on hésite à emprisonner les banquiers et les milliardaires, voire les maires et les Premiers ministres. Et pourtant, ça pourrait se faire en criant lapin. Celui qui osera le faire, un jour ou l'autre, passera illico pour un héros national.
Nous sommes des maîtres de l'humour au Québec.
Je ne crains pas que nous soyons en passe de devenir la première société nord-américaine à mettre en pratique cette forme d'humour économique.
Nous l'avons fait pour l'électricité. Nous les avons tous expropriés et personne ne viendrait dire aujourd'hui que ce fût une mauvaise décision pour les Québécois.
Voilà pourquoi je ris dans ma sale barbe de séditieux chaque fois que j'entends s'exprimer un milliardaire québécois ou même canadien. Je me dis toujours que ses jours sont comptés. Je me dis que leur fortune est bien plus éphémère qu'ils ne le croient dans un monde qui prend parfois ses leçons de la Russie, de la Chine et de l'Islande.
On peut bien rire de qui l'on veut, non?
D'autant plus que l'on ne se gêne pas pour rire de nous...
mardi 23 février 2016
Facile comme de trouver une aiguille dans une botte de foin
Jasmine cherchait depuis une heure une aiguille qu'elle avait perdue dans une botte de foin.
Vous vous dites à tort qu'on ne fait pas pareille sottise sans qu'il y ait quelque raison de douter de ce qui peut se passer dans la boîte à poux.
D'abord, Jasmine n'avait pas de poux.
Et puis elle avait tout bonnement crut bon de s'asseoir sur une botte de foin, dans cet enclos où elle nourrissait ses alpagas, dans le but de profiter d'un moment de calme bien à l'écart de la télévision devant laquelle était hypnotisée toute sa famille.
L'imparable arriva. Elle perdit son aiguille dans la botte de foin tandis qu'elle s'en servait pour recoudre le bouton de sa chemise.
Comment la retrouver, hein?
Elle se souvenait vaguement du proverbe selon lequel il était difficile de trouver une aiguille dans une botte de foin.
Comme Jasmine n'était pas du genre à s'abattre, elle s'empara d'une torche à souder dans la grange et mit le feu à la botte de foin.
-Qu'est-cé qu'tu fais là base-ouelle? lui demanda son époux qui sortit en catastrophe de son énième épisode d'America's Got Talent.
-Je fais un feu pour rôtir des guimauves, c't'affaire! ironisa-t-elle.
-Sérieux! Qu'est-cé qu'tu fais? Tu veux-tu crisser el' feu après 'a maison tabarnak!?!
-Laisse-moé tranquille cibouère! R'tourne vouère ta tivi... Y'arrivera rien... Tu voés bien que j'ai l'extincteur dans 'es mains?
C'était vrai. Jasmine avait bien un extincteur dans les mains, prête à éteindre tout danger de propagation d'un incendie qu'elle maîtrisait pour mieux mépriser le proverbe.
Quand le feu fût éteint, elle vit un objet de métal briller parmi les cendres.
C'était son aiguille.
La morale de l'histoire? Vous la connaissez déjà, allez...
Les proverbes sont pour les imbéciles.
Vous vous dites à tort qu'on ne fait pas pareille sottise sans qu'il y ait quelque raison de douter de ce qui peut se passer dans la boîte à poux.
D'abord, Jasmine n'avait pas de poux.
Et puis elle avait tout bonnement crut bon de s'asseoir sur une botte de foin, dans cet enclos où elle nourrissait ses alpagas, dans le but de profiter d'un moment de calme bien à l'écart de la télévision devant laquelle était hypnotisée toute sa famille.
L'imparable arriva. Elle perdit son aiguille dans la botte de foin tandis qu'elle s'en servait pour recoudre le bouton de sa chemise.
Comment la retrouver, hein?
Elle se souvenait vaguement du proverbe selon lequel il était difficile de trouver une aiguille dans une botte de foin.
Comme Jasmine n'était pas du genre à s'abattre, elle s'empara d'une torche à souder dans la grange et mit le feu à la botte de foin.
-Qu'est-cé qu'tu fais là base-ouelle? lui demanda son époux qui sortit en catastrophe de son énième épisode d'America's Got Talent.
-Je fais un feu pour rôtir des guimauves, c't'affaire! ironisa-t-elle.
-Sérieux! Qu'est-cé qu'tu fais? Tu veux-tu crisser el' feu après 'a maison tabarnak!?!
-Laisse-moé tranquille cibouère! R'tourne vouère ta tivi... Y'arrivera rien... Tu voés bien que j'ai l'extincteur dans 'es mains?
C'était vrai. Jasmine avait bien un extincteur dans les mains, prête à éteindre tout danger de propagation d'un incendie qu'elle maîtrisait pour mieux mépriser le proverbe.
Quand le feu fût éteint, elle vit un objet de métal briller parmi les cendres.
C'était son aiguille.
La morale de l'histoire? Vous la connaissez déjà, allez...
Les proverbes sont pour les imbéciles.
lundi 22 février 2016
Julien fait du chapeau
Julien s'est acheté un beau chapeau qui lui confère l'illusion de la grandeur. Il est vrai que ce chapeau le rallonge de quelques pouces. Il est vrai aussi qu'il ne le retire jamais, même à l'intérieur, pour conserver ces quelques pouces supplémentaires.
Ce n'est pas que Julien soit vraiment petit. Disons simplement qu'il est légèrement moyen.
L'anonymat ne lui convient plus depuis quelques temps.
Il aura circulé en rasant les murs de la ville pendant la majeure partie de sa jeune vie. Julien souhaitait tellement ne pas se démarquer de la masse qu'il s'arrangeait pour neutraliser tout ce qu'il portait afin de se faire oublier. Il portait un tee-shirt blanc, un jeans propre, des espadrilles Yellow, un blouson en vinyle bleu marine acheté chez Wal-Mart.
Malgré tous ses efforts, on le reconnaissait toujours à son visage boutonneux auquel il devait son surnom de Face de pizza.
À ce surnom que personne ne voudrait porter s'ajoutaient aussi les brimades de tous ces méchants enfants et adolescents de son entourage.
Il n'y a rien que l'on n'avait pas fait à Julien pour lui faire regretter d'être venu au monde.
On l'avait ridiculisé, battu et humilié de toutes les façons possibles et inimaginables.
Un beau matin de mois de mai, alors qu'il songeait au suicide, Julien était entré dans une boutique de mode masculine. Quelque chose l'avait attiré là, lui qui n'entrait jamais dans ce genre de boutique. Et ce quelque chose, c'était ce chapeau.
Il semblait l'appeler de loin, comme si c'était Excalibur qu'il lui fallait extraire de la pierre pour enfin prendre le titre du Roi Arthur des beaux chapeaux.
Julien avait donc mis ce chapeau sur sa tête, avait recourbé un peu la visière sous ses yeux, puis avait été étonné de voir la face d'un dur à cuire dans le miroir.
Ce n'était plus Face de pizza qu'il voyait, mais Scarface, le Balafré, le gars que tu ne fais pas chier sous peine de recevoir du plomb à travers tout le corps.
-Je le prends... C'est combien?
-Soixante-quinze dollars monsieur, lui répondit gentiment un nain, le fils du propriétaire qui parlait avec un léger accent espagnol bien qu'il était Roumain.
-C'est cher...
-Il faut souffrir pour être beau...
-Je le prends! Tenez: soixante-quinze dollars pour vous mon petit bonhomme...
-Vous ne le regretterez pas... Ce chapeau va changer votre vie, conclut le nain en souriant de toutes ses dents plutôt propres.
Tout le budget hebdomadaire de Julien venait d'y passer mais qu'importe! Julien avait maintenant un beau chapeau.
Sa personnalité changea bout pour bout en l'espace de vingt-quatre heures. Lui qui était d'ordinaire si timide se mit subitement à parler fort comme un charretier. Lui qui n'abordait jamais les filles sans transpirer de désarroi se mit à leur faire des compliments sur la couleur de leur robe ou bien l'éclat de leur chevelure.
Ceux qui l'avaient appelé Face de pizza durent bien se tenir au cours des jours suivants.
Il se mit à en frapper quelques-uns à coups de marteau. Un marteau qu'il cachait dans la poche de son veston pour se faire justice.
Du coup, plus personne n'osa lui dire quoi que ce soit.
-Appelez-moi Le Balafré... qu'il leur disait après leur avoir fendu le crâne et avoir bien replacé son chapeau, la visière recourbée sous son regard énigmatique.
C'était vraiment un chapeau magique.
Tellement magique que sa famille en vint à penser que Julien faisait du chapeau.
-Il est devenu fou depuis qu'il porte ce chapeau! Il frappe tout le monde à coups de marteau! Il baise les voisines dans les cages d'escalier! Il prend de la drogue! Il a quitté son emploi! Il ne va plus à l'école!
Vous vous attendiez à quoi, hein? À ce qu'il demeure toute sa vie Face de pizza?
Ce n'est pas que Julien soit vraiment petit. Disons simplement qu'il est légèrement moyen.
L'anonymat ne lui convient plus depuis quelques temps.
Il aura circulé en rasant les murs de la ville pendant la majeure partie de sa jeune vie. Julien souhaitait tellement ne pas se démarquer de la masse qu'il s'arrangeait pour neutraliser tout ce qu'il portait afin de se faire oublier. Il portait un tee-shirt blanc, un jeans propre, des espadrilles Yellow, un blouson en vinyle bleu marine acheté chez Wal-Mart.
Malgré tous ses efforts, on le reconnaissait toujours à son visage boutonneux auquel il devait son surnom de Face de pizza.
À ce surnom que personne ne voudrait porter s'ajoutaient aussi les brimades de tous ces méchants enfants et adolescents de son entourage.
Il n'y a rien que l'on n'avait pas fait à Julien pour lui faire regretter d'être venu au monde.
On l'avait ridiculisé, battu et humilié de toutes les façons possibles et inimaginables.
Un beau matin de mois de mai, alors qu'il songeait au suicide, Julien était entré dans une boutique de mode masculine. Quelque chose l'avait attiré là, lui qui n'entrait jamais dans ce genre de boutique. Et ce quelque chose, c'était ce chapeau.
Il semblait l'appeler de loin, comme si c'était Excalibur qu'il lui fallait extraire de la pierre pour enfin prendre le titre du Roi Arthur des beaux chapeaux.
Julien avait donc mis ce chapeau sur sa tête, avait recourbé un peu la visière sous ses yeux, puis avait été étonné de voir la face d'un dur à cuire dans le miroir.
Ce n'était plus Face de pizza qu'il voyait, mais Scarface, le Balafré, le gars que tu ne fais pas chier sous peine de recevoir du plomb à travers tout le corps.
-Je le prends... C'est combien?
-Soixante-quinze dollars monsieur, lui répondit gentiment un nain, le fils du propriétaire qui parlait avec un léger accent espagnol bien qu'il était Roumain.
-C'est cher...
-Il faut souffrir pour être beau...
-Je le prends! Tenez: soixante-quinze dollars pour vous mon petit bonhomme...
-Vous ne le regretterez pas... Ce chapeau va changer votre vie, conclut le nain en souriant de toutes ses dents plutôt propres.
Tout le budget hebdomadaire de Julien venait d'y passer mais qu'importe! Julien avait maintenant un beau chapeau.
Sa personnalité changea bout pour bout en l'espace de vingt-quatre heures. Lui qui était d'ordinaire si timide se mit subitement à parler fort comme un charretier. Lui qui n'abordait jamais les filles sans transpirer de désarroi se mit à leur faire des compliments sur la couleur de leur robe ou bien l'éclat de leur chevelure.
Ceux qui l'avaient appelé Face de pizza durent bien se tenir au cours des jours suivants.
Il se mit à en frapper quelques-uns à coups de marteau. Un marteau qu'il cachait dans la poche de son veston pour se faire justice.
Du coup, plus personne n'osa lui dire quoi que ce soit.
-Appelez-moi Le Balafré... qu'il leur disait après leur avoir fendu le crâne et avoir bien replacé son chapeau, la visière recourbée sous son regard énigmatique.
C'était vraiment un chapeau magique.
Tellement magique que sa famille en vint à penser que Julien faisait du chapeau.
-Il est devenu fou depuis qu'il porte ce chapeau! Il frappe tout le monde à coups de marteau! Il baise les voisines dans les cages d'escalier! Il prend de la drogue! Il a quitté son emploi! Il ne va plus à l'école!
Vous vous attendiez à quoi, hein? À ce qu'il demeure toute sa vie Face de pizza?
dimanche 21 février 2016
Musique dominicale
Le dimanche me rappelle d'abord ma sainte horreur des offices religieux catholiques. Je n'ai pas eu cette malchance d'être touché par la grâce divine. L'église et ses amulettes m'inspiraient des sentiments morbides qui n'ont rien à voir avec la vie. J'allais à la messe comme on va à la guerre. Mon esprit était le champ de bataille. Mes sens étaient les combattants. Tout m'y rappelait que je devais avoir honte d'humer le parfum des fleurs ou bien d'écouter d'authentiques chansons d'amour. C'était pesant, abrutissant et puissamment violent.
Heureusement que mes dimanches ne se sont pas limités aux désordres mentaux.
La vie était vite retrouvée à la maison après cette inutile session de pénitence et de médiocrité intellectuelle.
Il y avait la lutte à la télé pour me ressusciter. Puis c'était le roastbeef dominical ou bien quelque beau morceau de viande bien juteux.
En après-midi, j'obtenais le droit d'écouter les disques de la collection familiale. Il y avait là quelques grands succès sur 78 tours, des compilations K-Tel en format 33 tours et quelques nouveautés sur 45 tours.
Aujourd'hui, j'ai réussi à évacuer la messe et sa sorcellerie de ma mémoire. Il m'en reste un vague mépris qui ne ressent plus vraiment le besoin de s'exprimer. D'autant plus que toutes les églises ferment l'une après l'autre. Comme si la vie avait enfin gagné.
Si j'étais demeuré croyant, je ne doute pas un instant que j'aurai fini par fréquenter l'asile psychiatrique. Le conflit entre la foi et la sexualité m'aurait annihilé. Ce n'est pas arrivé et j'en remercie l'univers. J'ai pleinement savouré la pomme de l'arbre de la connaissance. Ses sucs ont produit l'oxygène que réclamait mon cerveau pour sortir ces peurs séculaires de ma génétique.
J'aime encore mieux me remémorer la lutte et ces vieux succès que je faisais jouer sur mon tourne-disque.
Ma ferveur est toute dirigée vers ces musiques dites populaires ou, pire encore, quétaines.
Les alléluias et les oratorios ne réussissent pas à chasser les Jérolas et autres quétaineries de mes souvenirs vivants.
Ils ne sont même pas de mon époque. mais c'est tout ce que j'avais à mettre dans les oreilles pour oublier les chants funèbres de la messe.
J'aurai grandi à user les sillons de Harry Belafonte chantant Day-O. J'aurai vibré sur la batterie frénétique de Hound Dog et les ah! aaah! aaaah! waaaa! de Twist and Shout.
Je dois les plus belles émotions de ma vie à l'amour et à ces musiques que l'église condamnait l'une et l'autre par esprit de sérieux et de mortification.
Aujourd'hui encore, mes dimanches sont à l'affût de ces bonnes vieilles chansons pop.
Je synthonise le 90,5 FM, une chaîne locale qui diffuse en ce moment I'm a Soul Man. Puis c'est le tour de La dame en bleu. Ça ne vole pas haut, me direz-vous, mais c'est mieux que d'entendre brailler un curé.
J'aime ces airs de marchés aux puces, des chansons d'une autre époque qui nous replongent dans les années '50 et '60, en des temps où l'on menait une révolution pas si tranquille que ça.
J'assume totalement cette quétainerie.
J'assume mon goût pour Le train qui siffle de Paul Brunelle, une toune que j'ai dû écouter un millier de fois avec mon ami Rob-Bob. On ne peut pas écouter ça sans sourire, à moins de préférer demeurer sinistre et noir comme le désespoir.
J'assume les goûts musicaux de mes parents. J'assume Roger Whitaker, Jean Lapointe, Claude Dubois et Ginette Reno. Je m'en fous que les gens intelligents et cultivés n'aiment pas ça.
Je n'ai plus honte de tous ceux-là.
Je me suis trop cassé la tête et le cul à aimer les hurlements et les pleurnichages de ma génération.
Je n'y reviens presque jamais.
Je suis toujours demeuré à l'époque des marchés aux puces et des soirées rétros.
Je me promène entre le vieux blues, le vieux folk, le vieux rock, le vieux reggae, la vieille chanson française et les vieux succès de la culture populaire.
Et, du coup, mes dimanches sont toujours heureux et ensoleillés. Même lorsqu'il pleut.
Un bon café. Une vieille toune au 90,5 FM. Et je suis aux anges.
Heureusement que mes dimanches ne se sont pas limités aux désordres mentaux.
La vie était vite retrouvée à la maison après cette inutile session de pénitence et de médiocrité intellectuelle.
Il y avait la lutte à la télé pour me ressusciter. Puis c'était le roastbeef dominical ou bien quelque beau morceau de viande bien juteux.
En après-midi, j'obtenais le droit d'écouter les disques de la collection familiale. Il y avait là quelques grands succès sur 78 tours, des compilations K-Tel en format 33 tours et quelques nouveautés sur 45 tours.
Aujourd'hui, j'ai réussi à évacuer la messe et sa sorcellerie de ma mémoire. Il m'en reste un vague mépris qui ne ressent plus vraiment le besoin de s'exprimer. D'autant plus que toutes les églises ferment l'une après l'autre. Comme si la vie avait enfin gagné.
Si j'étais demeuré croyant, je ne doute pas un instant que j'aurai fini par fréquenter l'asile psychiatrique. Le conflit entre la foi et la sexualité m'aurait annihilé. Ce n'est pas arrivé et j'en remercie l'univers. J'ai pleinement savouré la pomme de l'arbre de la connaissance. Ses sucs ont produit l'oxygène que réclamait mon cerveau pour sortir ces peurs séculaires de ma génétique.
J'aime encore mieux me remémorer la lutte et ces vieux succès que je faisais jouer sur mon tourne-disque.
Ma ferveur est toute dirigée vers ces musiques dites populaires ou, pire encore, quétaines.
Les alléluias et les oratorios ne réussissent pas à chasser les Jérolas et autres quétaineries de mes souvenirs vivants.
Ils ne sont même pas de mon époque. mais c'est tout ce que j'avais à mettre dans les oreilles pour oublier les chants funèbres de la messe.
J'aurai grandi à user les sillons de Harry Belafonte chantant Day-O. J'aurai vibré sur la batterie frénétique de Hound Dog et les ah! aaah! aaaah! waaaa! de Twist and Shout.
Je dois les plus belles émotions de ma vie à l'amour et à ces musiques que l'église condamnait l'une et l'autre par esprit de sérieux et de mortification.
Aujourd'hui encore, mes dimanches sont à l'affût de ces bonnes vieilles chansons pop.
Je synthonise le 90,5 FM, une chaîne locale qui diffuse en ce moment I'm a Soul Man. Puis c'est le tour de La dame en bleu. Ça ne vole pas haut, me direz-vous, mais c'est mieux que d'entendre brailler un curé.
J'aime ces airs de marchés aux puces, des chansons d'une autre époque qui nous replongent dans les années '50 et '60, en des temps où l'on menait une révolution pas si tranquille que ça.
J'assume totalement cette quétainerie.
J'assume mon goût pour Le train qui siffle de Paul Brunelle, une toune que j'ai dû écouter un millier de fois avec mon ami Rob-Bob. On ne peut pas écouter ça sans sourire, à moins de préférer demeurer sinistre et noir comme le désespoir.
J'assume les goûts musicaux de mes parents. J'assume Roger Whitaker, Jean Lapointe, Claude Dubois et Ginette Reno. Je m'en fous que les gens intelligents et cultivés n'aiment pas ça.
Je n'ai plus honte de tous ceux-là.
Je me suis trop cassé la tête et le cul à aimer les hurlements et les pleurnichages de ma génération.
Je n'y reviens presque jamais.
Je suis toujours demeuré à l'époque des marchés aux puces et des soirées rétros.
Je me promène entre le vieux blues, le vieux folk, le vieux rock, le vieux reggae, la vieille chanson française et les vieux succès de la culture populaire.
Et, du coup, mes dimanches sont toujours heureux et ensoleillés. Même lorsqu'il pleut.
Un bon café. Une vieille toune au 90,5 FM. Et je suis aux anges.
vendredi 19 février 2016
Mathurin Magnan, jadis jeune prodige du triangle
Il avait été un jeune prodige. À six ans, il composait ses premières sonates. À dix ans, il avait déjà trois symphonies à son actif. Et à dix-sept ans, il fût consacré comme le plus grand joueur de triangle de sa génération.
C'était il y a très longtemps. Cela se passait à l'époque où son visage encore imberbe était lisse comme une peau de bébé.
Les années sont passées et Mathurin Magnan a maturé. Ses cheveux sont tombés un à un au cours des ans, de sorte qu'il ne lui reste plus un poil sur le caillou. Son visage porte désormais les traces de nuits alcoolisées et de soucis ménagers. Un bouc constitué de poils drus et gris comme une architecture stalinienne orne maintenant son menton. Des lunettes à doubles foyers pendent au bout de son nez. Et son ventre proéminent jure avec ses photos d'enfance où on le voyait svelte comme un chat en santé.
Mathurin Magnan n'est plus le jeune prodige qu'il était et vit d'une gloire passée qui fût largement surestimée. D'aucuns diraient qu'il est maintenant un has-been. Cela ne se rend pas nécessairement aux oreilles de Mathurin, mais il se doute bien que beaucoup doivent le penser autour de lui, d'autant plus qu'il éprouve lui-même la sensation de sa fatuité après s'être égosillé pendant des heures à parler de son talent prodigieux qui n'émeut plus personne. Plus personne hormis des quidams trop timorés pour lui faire des reproches.
Tous les jours, Mathurin Magnan revêt son blouson de cuir noir et son béret pour arpenter les bars de la ville afin d'y trouver les victimes de ses ridicules fanfaronnades. Il lui est devenu de plus en plus difficile de subtiliser l'attention d'une oreille pour y déverser sa logorrhée narcissique. Qui s'intéresse au jeu de triangle de nos jours? Qui connaît quoi que ce soit au Marteau sans son maître de Boulez?
Mathurin peut encore étonner par sa connaissance de l'inconnu et en profite toujours pour rappeler à son malheureux public le mépris de ses contemporains en matière de génie.
-J'ai connu Pierre Boulez personnellement moi! Et même que je l'appelais Pierrot... Pierrot, que je lui disais, passe-moi le sucre... Passe-moi le sucre, que je lui disais, tout bonnement, lorsque je prenais un café avec lui... Qui se souvient de Pierre Boulez, hein? Et qui se rappelle du jeune prodige Mathurin Magnan? Notre époque est toute gagnée au prêt-à-jeter et se moque éperdument des grands créateurs!
Plusieurs ont remarqué que Mathurin sentait l'ail. Beaucoup trop. En fait, la plupart des gens qui le connaissaient le percevaient comme un vieux qui puait de la gueule. Un vieux qui ne cessait jamais de leur raconter des âneries qui n'intéressaient personne. Un vieux qui se faisait virer de bord par tous les jeunes et parfois moins jeunes qu'il tentait péniblement de séduire avec son air de vieux con qui dégageait une forte odeur de sébum.
Évidemment, Mathurin avait compris qu'il devait miser un tant soit peu sur l'avenir pour ne pas s'engluer lui-même dans son statut de has-been du triangle.
-Je prépare une grande oeuvre qui remettra au goût du jour mon talent honni par le confort et l'indifférence de mon époque... Je l'ai intitulée La galette sans la mélasse... C'est une oeuvre d'une durée de trente-huit heures qui requiert une concentration toute particulière pour les interprètes et encore plus pour le public. Il va sans dire que je ne tolérerai aucun toussotement ou raclage de gosier lors de son exécution... J'ai pensé à Charles Tutoie pour la direction musicale... À moins que Carl Hofmann ne soit disponible... Enfin! Tous les chroniqueurs musicaux du monde en seront pantois: "Mathurin Magnan, ce jeune prodige archiconnu en 1951, est de retour avec une oeuvre magistrale! La galette sans la mélasse nous ferait oublier toutes les compositions de Mozart, Beethoven et Pierre Boulez!" Voilà ce qu'ils diront de moi, oui. Et je ne serai jamais de ces artistes qui feront semblant de ne pas vous connaître... Vous pourrez m'approcher facilement et je vous accueillerai fraternellement, comme si je n'avais jamais été célèbre...
Eusèbe Larrivée, alias Le Zèbre, écoutait ça comme un bruit de fonds tout en calant sa bière. Mozart, Beethoven, Pierre Boulez: ça ne lui disait pas grand chose. Puisque c'était Mathurin qui payait la tournée, il feignait un air poli et attentif dans l'espoir qu'il remplisse son verre jusqu'à la fermeture du bar.
C'est d'ailleurs ce que fit Mathurin Magnan, particulièrement heureux d'avoir trouvé un fin connaisseur en la personne de ce misérable.
La barmaid, une fille plutôt jolie nommée Sara, levait le nez et les yeux au ciel chaque fois que Mathurin tentait de lui faire savoir qu'elle devait se considérer chanceuse de connaître un génie.
Ce soir-là, un peu rond et convaincu d'être de retour dans la cour des grands, Mathurin poussa même l'audace à prendre Sara par le bras pour lui signifier qu'il bandait très fort en pensant à elle...
-Lâche-moé tabarnak! qu'elle hurla d'autant plus fort qu'il tentait vainement de rapprocher sa main de ses organes génitaux délabrés.
Viking, alias le portier, intervint sur-le-champ. Il ramassa Mathurin par le collet et le balança dehors à pleines mains. Mathurin atterrit à pleine face dans un banc de neige tandis que Le Zèbre savourait l'idée de terminer seul les deux pichets qu'il y avait sur la table.
Mathurin avait la lèvre fendue et saignait abondamment du nez.
-Je me vengerai de vous! De vous tous! qu'il criait. Vous regretterez d'avoir maltraité l'auteur de La galette sans la mélasse bande d'incultes!
-J't'ai dit de crisser ton camp vieux pet! Décalisse pis qu'on te r'voie plus icitte mon tabarnak de vieux cochon! ajouta Viking pour terminer l'épisode.
Mathurin se leva péniblement puis zigzagua jusque chez-lui.
Chez-lui, c'était cette maison de chambres qui sentait le mauvais tabac et les excréments. On la surnommait l'Hôtel des coeurs brisés entre résidents. C'était le dernier endroit où on acceptait encore ceux qui étaient refusés partout ailleurs.
De jeunes chambreurs faisaient jouer du rap à plein volume.
Mathurin n'eut pas la force ni l'envie de les remettre à l'ordre.
Il se sentait faible, pitoyable et déchu.
Il se coucha tout habillé sur son divan.
Et il chia dans ses culottes.
C'était il y a très longtemps. Cela se passait à l'époque où son visage encore imberbe était lisse comme une peau de bébé.
Les années sont passées et Mathurin Magnan a maturé. Ses cheveux sont tombés un à un au cours des ans, de sorte qu'il ne lui reste plus un poil sur le caillou. Son visage porte désormais les traces de nuits alcoolisées et de soucis ménagers. Un bouc constitué de poils drus et gris comme une architecture stalinienne orne maintenant son menton. Des lunettes à doubles foyers pendent au bout de son nez. Et son ventre proéminent jure avec ses photos d'enfance où on le voyait svelte comme un chat en santé.
Mathurin Magnan n'est plus le jeune prodige qu'il était et vit d'une gloire passée qui fût largement surestimée. D'aucuns diraient qu'il est maintenant un has-been. Cela ne se rend pas nécessairement aux oreilles de Mathurin, mais il se doute bien que beaucoup doivent le penser autour de lui, d'autant plus qu'il éprouve lui-même la sensation de sa fatuité après s'être égosillé pendant des heures à parler de son talent prodigieux qui n'émeut plus personne. Plus personne hormis des quidams trop timorés pour lui faire des reproches.
Tous les jours, Mathurin Magnan revêt son blouson de cuir noir et son béret pour arpenter les bars de la ville afin d'y trouver les victimes de ses ridicules fanfaronnades. Il lui est devenu de plus en plus difficile de subtiliser l'attention d'une oreille pour y déverser sa logorrhée narcissique. Qui s'intéresse au jeu de triangle de nos jours? Qui connaît quoi que ce soit au Marteau sans son maître de Boulez?
Mathurin peut encore étonner par sa connaissance de l'inconnu et en profite toujours pour rappeler à son malheureux public le mépris de ses contemporains en matière de génie.
-J'ai connu Pierre Boulez personnellement moi! Et même que je l'appelais Pierrot... Pierrot, que je lui disais, passe-moi le sucre... Passe-moi le sucre, que je lui disais, tout bonnement, lorsque je prenais un café avec lui... Qui se souvient de Pierre Boulez, hein? Et qui se rappelle du jeune prodige Mathurin Magnan? Notre époque est toute gagnée au prêt-à-jeter et se moque éperdument des grands créateurs!
Plusieurs ont remarqué que Mathurin sentait l'ail. Beaucoup trop. En fait, la plupart des gens qui le connaissaient le percevaient comme un vieux qui puait de la gueule. Un vieux qui ne cessait jamais de leur raconter des âneries qui n'intéressaient personne. Un vieux qui se faisait virer de bord par tous les jeunes et parfois moins jeunes qu'il tentait péniblement de séduire avec son air de vieux con qui dégageait une forte odeur de sébum.
Évidemment, Mathurin avait compris qu'il devait miser un tant soit peu sur l'avenir pour ne pas s'engluer lui-même dans son statut de has-been du triangle.
-Je prépare une grande oeuvre qui remettra au goût du jour mon talent honni par le confort et l'indifférence de mon époque... Je l'ai intitulée La galette sans la mélasse... C'est une oeuvre d'une durée de trente-huit heures qui requiert une concentration toute particulière pour les interprètes et encore plus pour le public. Il va sans dire que je ne tolérerai aucun toussotement ou raclage de gosier lors de son exécution... J'ai pensé à Charles Tutoie pour la direction musicale... À moins que Carl Hofmann ne soit disponible... Enfin! Tous les chroniqueurs musicaux du monde en seront pantois: "Mathurin Magnan, ce jeune prodige archiconnu en 1951, est de retour avec une oeuvre magistrale! La galette sans la mélasse nous ferait oublier toutes les compositions de Mozart, Beethoven et Pierre Boulez!" Voilà ce qu'ils diront de moi, oui. Et je ne serai jamais de ces artistes qui feront semblant de ne pas vous connaître... Vous pourrez m'approcher facilement et je vous accueillerai fraternellement, comme si je n'avais jamais été célèbre...
Eusèbe Larrivée, alias Le Zèbre, écoutait ça comme un bruit de fonds tout en calant sa bière. Mozart, Beethoven, Pierre Boulez: ça ne lui disait pas grand chose. Puisque c'était Mathurin qui payait la tournée, il feignait un air poli et attentif dans l'espoir qu'il remplisse son verre jusqu'à la fermeture du bar.
C'est d'ailleurs ce que fit Mathurin Magnan, particulièrement heureux d'avoir trouvé un fin connaisseur en la personne de ce misérable.
La barmaid, une fille plutôt jolie nommée Sara, levait le nez et les yeux au ciel chaque fois que Mathurin tentait de lui faire savoir qu'elle devait se considérer chanceuse de connaître un génie.
Ce soir-là, un peu rond et convaincu d'être de retour dans la cour des grands, Mathurin poussa même l'audace à prendre Sara par le bras pour lui signifier qu'il bandait très fort en pensant à elle...
-Lâche-moé tabarnak! qu'elle hurla d'autant plus fort qu'il tentait vainement de rapprocher sa main de ses organes génitaux délabrés.
Viking, alias le portier, intervint sur-le-champ. Il ramassa Mathurin par le collet et le balança dehors à pleines mains. Mathurin atterrit à pleine face dans un banc de neige tandis que Le Zèbre savourait l'idée de terminer seul les deux pichets qu'il y avait sur la table.
Mathurin avait la lèvre fendue et saignait abondamment du nez.
-Je me vengerai de vous! De vous tous! qu'il criait. Vous regretterez d'avoir maltraité l'auteur de La galette sans la mélasse bande d'incultes!
-J't'ai dit de crisser ton camp vieux pet! Décalisse pis qu'on te r'voie plus icitte mon tabarnak de vieux cochon! ajouta Viking pour terminer l'épisode.
Mathurin se leva péniblement puis zigzagua jusque chez-lui.
Chez-lui, c'était cette maison de chambres qui sentait le mauvais tabac et les excréments. On la surnommait l'Hôtel des coeurs brisés entre résidents. C'était le dernier endroit où on acceptait encore ceux qui étaient refusés partout ailleurs.
De jeunes chambreurs faisaient jouer du rap à plein volume.
Mathurin n'eut pas la force ni l'envie de les remettre à l'ordre.
Il se sentait faible, pitoyable et déchu.
Il se coucha tout habillé sur son divan.
Et il chia dans ses culottes.
jeudi 18 février 2016
Claude Jutra et le bûcher des vanités
Il m'est rarement arrivé de supprimer un billet après l'avoir publié sur mon blogue.
Cela s'est produit pas plus tard qu'hier.
J'ai réagi à chaud sur un sujet auquel il manquait quelques éléments pour le moins troublants.
Avant-hier, tout le Québec s'est enflammé autour de la parution d'une biographie du cinéaste Claude Jutra publiée sous la plume de Yves Lever aux éditions Boréal. L'auteur laissait entendre que Claude Jutra aimait les garçons. Comme il n'était pas encore question d'âge, on était en droit de se demander si Jutra était pédéraste ou bien pédophile, puisqu'il y a des degrés en enfer.
L'âge du consentement sexuel était fixé à quatorze ans du vivant de Claude Jutra. D'aucuns se disaient qu'on y allait sans doute un peu fort avec la condamnation de la pédérastie, d'autant plus que le vieux Socrate avait connu le jeune Alcibiade au sens biblique. À première vue, donc, Jutra était un pédéraste...
Évidemment, je n'entendais pas défendre la pédérastie mais je trouvais qu'on forçait la note bien au-delà de nos propres lois. Elles sont aggravantes dans les cas où l'adulte exerce une autorité sur le mineur: un professeur, un entraîneur ou bien un employeur. Rappelons que le Code criminel canadien fixe désormais à seize ans l'âge du consentement sexuel.
Comme j'allais publier mon billet, une tentative bien maladroite d'émettre un point du vue à propos de l'affaire Claude Jutra, j'ai appris qu'une de ses potentielles victimes affirmait avoir été abusée sexuellement par le cinéaste québécois alors qu'elle était âgée d'à peine six ans...
De pédéraste, Jutra est passé en moins de vingt-quatre heures au statut de pédophile. Du coup, je me suis senti dégoûté et incapable de me porter à la défense de ce singe.
Je ne fus pas le seul. Le cinéma québécois a abandonné le nom de Claude Jutra pour désigner sa soirée et les prix remis aux récipiendaires. Le Gala des Jutra n'existe plus. Les prix Jutra ne seront plus remis. La cinémathèque québécoise n'a plus de salle Claude-Jutra. Les villes du Québec ont enlevé de leur toponymie toute référence à Claude-Jutra. Rarement aura-t-on vu une idole de la culture québécoise déboulonnée en si peu de temps.
Je ne défends ni la pédérastie et encore moins la pédophilie. Cela me soulève le coeur dans les deux cas. Néanmoins il me semble y avoir un monde entre une passion pour un adolescent et le viol d'un enfant.
Cette frontière a été franchie par Claude Jutra selon toute vraisemblance. Je sais bien qu'il y a eu procès sans que le présumé prédateur sexuel ne puisse assumer sa défense compte tenu qu'il est maintenant dans l'autre monde. L'ignominie attachée à la pédophilie n'était pas pour l'aider à rétablir sa biographie. Les victimes sont toujours vivantes et doivent porter avec elles le fardeau du viol. Ces victimes méritent bien plus notre pitié qu'un bougre de cinéaste aux mains trop longues.
Pourra-t-on regarder Mon oncle Antoine, Kamouraska et À tout prendre sans y voir les oeuvres cinématographiques d'un pédophile? L'histoire seule le dira. Pour le moment, plus personne ne veut entendre parler de Claude Jutra. Son oeuvre et son auteur sont condamnés à sombrer dans l'oubli le temps que retombent les cendres.
***
L'inceste et la pédophilie sont des tabous suprêmes, des actes de transgression qui sont impardonnables pour la majeure partie de la communauté. Les singes pratiquent l'un et l'autre sans s'en soucier. Le fait est que nous ne sommes pas des bonobos, mais des humains. Si certains d'entre nous agissent parfois comme des bonobos, ils doivent en payer le prix. À moins que le pays ne soit en guerre, civile ou pas. En pareil cas, on découvre parfois que l'homme est un sous-singe...
***
Les incestueux et les pédophiles ne seront pas d'accord avec moi, je m'en doute un peu. Ils pourraient même songer à se créer une association pour défendre leurs membres...
Je doute que la mansuétude de la communauté aille plus loin que la thérapie sexuelle ou bien la castration chimique envers ces singes. En fait, si elle allait plus loin ce serait plutôt du côté de la peine de mort pour ces criminels. On ne philosophera pas longtemps sur leur sort. Il est des frontières qu'un être humain ne peut pas franchir sans subir l'ostracisme qu'il mérite, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix.
***
Ce n'est pas le temps d'en parler, mais je me permets tout de même d'écrire qu'il faut aussi se méfier des excès des censeurs. Savonarole, prédicateur et tyran de la république de Florence, tenait son bûcher des vanités pour y brûler toutes les oeuvres d'art où s'exprimaient des chairs dénudées. Ce bûcher des vanités aura fait disparaître des oeuvres de Botticelli et combien d'autres pour satisfaire un ordre moral outrancier. Les Florentins passèrent vite du repentir à la Renaissance. Savonarole fût lui-même conduit au bûcher pour ses excès de zèle et de piété.
Robespierre, surnommé l'Incorruptible, ne mangeait que des oeufs et prêchait constamment la vertu. Il aura conduit des milliers de Français à la guillotine. Les Français finirent par l'y conduire lui-même pour enfin retrouver la paix. La vertu qui guillotine ne valait pas le vice qui pardonne...
Le marquis de Sade fût emprisonné à vie. Il avait payé une prostituée pour qu'elle se masturbe avec un crucifix pendant qu'il se faisait enculer par un laquais. Sade a écrit des romans particulièrement violents et pornographiques. Au cours des quelques mois de liberté qu'il a connus lors de la Révolution française, le citoyen Sade milita contre la peine de mort au sein de la Section des piques.
Cela permit à Baudelaire d'écrire, dans ses Fusées, que le mal qui se connaît est plus près de la guérison que le mal qui s'ignore.
Évidemment, ce n'est pas un propos qui doit servir de justification pour Jutra, les pédophiles et autres corrupteurs des moeurs.
Ce n'est qu'une étincelle, une petite fusée, pour nous rappeler que les censeurs peuvent s'avérer tout aussi dangereux que la lie de la société.
***
Je n'ai pas de réponses à tout.
La pédophilie me révulse.
Tout comme elle révulse l'ensemble des Québécois.
Jutra est allé trop loin si tout cela est vrai.
Il sera mort dans les honneurs et survivra dans l'oubli.
***
Vous avez une chaise chez-vous.
Cette chaise est solide et confortable.
Jusqu'à ce que vous appreniez que la chaise a été fabriquée par un pédophile.
Du coup, vous lui trouvez toutes sortes de défauts.
Puis vous la détruisez à coups de haches pour mieux maudire son créateur.
La chaise n'existe plus.
Et encore moins le souvenir qu'elle fût jadis solide et confortable...
Cela s'est produit pas plus tard qu'hier.
J'ai réagi à chaud sur un sujet auquel il manquait quelques éléments pour le moins troublants.
Avant-hier, tout le Québec s'est enflammé autour de la parution d'une biographie du cinéaste Claude Jutra publiée sous la plume de Yves Lever aux éditions Boréal. L'auteur laissait entendre que Claude Jutra aimait les garçons. Comme il n'était pas encore question d'âge, on était en droit de se demander si Jutra était pédéraste ou bien pédophile, puisqu'il y a des degrés en enfer.
L'âge du consentement sexuel était fixé à quatorze ans du vivant de Claude Jutra. D'aucuns se disaient qu'on y allait sans doute un peu fort avec la condamnation de la pédérastie, d'autant plus que le vieux Socrate avait connu le jeune Alcibiade au sens biblique. À première vue, donc, Jutra était un pédéraste...
Évidemment, je n'entendais pas défendre la pédérastie mais je trouvais qu'on forçait la note bien au-delà de nos propres lois. Elles sont aggravantes dans les cas où l'adulte exerce une autorité sur le mineur: un professeur, un entraîneur ou bien un employeur. Rappelons que le Code criminel canadien fixe désormais à seize ans l'âge du consentement sexuel.
Comme j'allais publier mon billet, une tentative bien maladroite d'émettre un point du vue à propos de l'affaire Claude Jutra, j'ai appris qu'une de ses potentielles victimes affirmait avoir été abusée sexuellement par le cinéaste québécois alors qu'elle était âgée d'à peine six ans...
De pédéraste, Jutra est passé en moins de vingt-quatre heures au statut de pédophile. Du coup, je me suis senti dégoûté et incapable de me porter à la défense de ce singe.
Je ne fus pas le seul. Le cinéma québécois a abandonné le nom de Claude Jutra pour désigner sa soirée et les prix remis aux récipiendaires. Le Gala des Jutra n'existe plus. Les prix Jutra ne seront plus remis. La cinémathèque québécoise n'a plus de salle Claude-Jutra. Les villes du Québec ont enlevé de leur toponymie toute référence à Claude-Jutra. Rarement aura-t-on vu une idole de la culture québécoise déboulonnée en si peu de temps.
Je ne défends ni la pédérastie et encore moins la pédophilie. Cela me soulève le coeur dans les deux cas. Néanmoins il me semble y avoir un monde entre une passion pour un adolescent et le viol d'un enfant.
Cette frontière a été franchie par Claude Jutra selon toute vraisemblance. Je sais bien qu'il y a eu procès sans que le présumé prédateur sexuel ne puisse assumer sa défense compte tenu qu'il est maintenant dans l'autre monde. L'ignominie attachée à la pédophilie n'était pas pour l'aider à rétablir sa biographie. Les victimes sont toujours vivantes et doivent porter avec elles le fardeau du viol. Ces victimes méritent bien plus notre pitié qu'un bougre de cinéaste aux mains trop longues.
Pourra-t-on regarder Mon oncle Antoine, Kamouraska et À tout prendre sans y voir les oeuvres cinématographiques d'un pédophile? L'histoire seule le dira. Pour le moment, plus personne ne veut entendre parler de Claude Jutra. Son oeuvre et son auteur sont condamnés à sombrer dans l'oubli le temps que retombent les cendres.
***
L'inceste et la pédophilie sont des tabous suprêmes, des actes de transgression qui sont impardonnables pour la majeure partie de la communauté. Les singes pratiquent l'un et l'autre sans s'en soucier. Le fait est que nous ne sommes pas des bonobos, mais des humains. Si certains d'entre nous agissent parfois comme des bonobos, ils doivent en payer le prix. À moins que le pays ne soit en guerre, civile ou pas. En pareil cas, on découvre parfois que l'homme est un sous-singe...
***
Les incestueux et les pédophiles ne seront pas d'accord avec moi, je m'en doute un peu. Ils pourraient même songer à se créer une association pour défendre leurs membres...
Je doute que la mansuétude de la communauté aille plus loin que la thérapie sexuelle ou bien la castration chimique envers ces singes. En fait, si elle allait plus loin ce serait plutôt du côté de la peine de mort pour ces criminels. On ne philosophera pas longtemps sur leur sort. Il est des frontières qu'un être humain ne peut pas franchir sans subir l'ostracisme qu'il mérite, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix.
***
Ce n'est pas le temps d'en parler, mais je me permets tout de même d'écrire qu'il faut aussi se méfier des excès des censeurs. Savonarole, prédicateur et tyran de la république de Florence, tenait son bûcher des vanités pour y brûler toutes les oeuvres d'art où s'exprimaient des chairs dénudées. Ce bûcher des vanités aura fait disparaître des oeuvres de Botticelli et combien d'autres pour satisfaire un ordre moral outrancier. Les Florentins passèrent vite du repentir à la Renaissance. Savonarole fût lui-même conduit au bûcher pour ses excès de zèle et de piété.
Robespierre, surnommé l'Incorruptible, ne mangeait que des oeufs et prêchait constamment la vertu. Il aura conduit des milliers de Français à la guillotine. Les Français finirent par l'y conduire lui-même pour enfin retrouver la paix. La vertu qui guillotine ne valait pas le vice qui pardonne...
Le marquis de Sade fût emprisonné à vie. Il avait payé une prostituée pour qu'elle se masturbe avec un crucifix pendant qu'il se faisait enculer par un laquais. Sade a écrit des romans particulièrement violents et pornographiques. Au cours des quelques mois de liberté qu'il a connus lors de la Révolution française, le citoyen Sade milita contre la peine de mort au sein de la Section des piques.
Cela permit à Baudelaire d'écrire, dans ses Fusées, que le mal qui se connaît est plus près de la guérison que le mal qui s'ignore.
Évidemment, ce n'est pas un propos qui doit servir de justification pour Jutra, les pédophiles et autres corrupteurs des moeurs.
Ce n'est qu'une étincelle, une petite fusée, pour nous rappeler que les censeurs peuvent s'avérer tout aussi dangereux que la lie de la société.
***
Je n'ai pas de réponses à tout.
La pédophilie me révulse.
Tout comme elle révulse l'ensemble des Québécois.
Jutra est allé trop loin si tout cela est vrai.
Il sera mort dans les honneurs et survivra dans l'oubli.
***
Vous avez une chaise chez-vous.
Cette chaise est solide et confortable.
Jusqu'à ce que vous appreniez que la chaise a été fabriquée par un pédophile.
Du coup, vous lui trouvez toutes sortes de défauts.
Puis vous la détruisez à coups de haches pour mieux maudire son créateur.
La chaise n'existe plus.
Et encore moins le souvenir qu'elle fût jadis solide et confortable...
mardi 16 février 2016
Le grand cahier de Agota Kristof
Mes professeurs ont bien fait de m'avoir fait lire des oeuvres mineures que je puis encore détester aujourd'hui. Je ne regrette pas d'avoir lu L'aquarium de Jacques Godbout et autres romans plus ou moins soporifiques. Je n'en ai conservé aucun souvenir et cela n'a pas contribué à me faire détester la littérature. Bien au contraire, je me suis mis à lire tout ce qui n'était pas recommandé par mes professeurs pour mieux vomir sur l'école.
En plus de L'aquarium de Jacques Godbout, j'aurai lu La nuit du renard de Mary Higgins Clark, Jusqu'au matin de Han Suyin, Dévadé de Réjean Ducharme et combien d'autres romans à nous faire détester les arts et les lettres...
Il semble que Le grand cahier de Agota Kristof fasse maintenant partie des lectures obligatoires au niveau collégial. Cela risque de nuire à ce livre à moyen terme. Des générations de collégiens vont japper comme des hyènes chaque fois qu'on osera leur parler de Agota Kristof...
-J'ai lu ça au Cégep! C'est de la merde! répéteront-ils à tout venant.
Eh bien, je me permettrai de leur dire que Le grand cahier de Agota Kristof n'est pas L'aquarium de Jacques Godbout...
Je suis récemment tombé sur Le grand cahier. Le titre traînait quelque part dans ma bibliothèque et ne m'inspirait rien de particulier. Je me souvenais vaguement d'avoir entendu parler de cette auteure et de sa trilogie incluant La preuve et Le troisième mensonge que je n'ai pas encore lus.
Le grand cahier est le premier roman de cette trilogie.
C'est l'histoire de jeunes jumeaux qui se font élever par leur grand-mère au cours de la Deuxième guerre mondiale dans un pays qui rappelle la Hongrie. La grand-mère est une vieille sorcière analphabète et méchante qui traite ces petits enfants abandonnés par leur mère de fils de chienne.
Tout est tortueux, torturé et troublant dans Le grand cahier. Les jumeaux s'éduquent par eux-mêmes et agissent avec une absence totale de scrupules, pratiquant une morale purement et simplement utilitaire.
La guerre n'est pas le meilleur climat pour tomber dans la sensiblerie.
Les jumeaux n'y font pas exception et suivent le courant sans y résister.
C'est cru comme dans Les prospérités du vice du Marquis de Sade, justification en moins, ce qui rend le roman d'autant plus lisible et digne d'intérêt.
Évidemment, je ne peux pas vous vendre le punch en vous décrivant chacune des scènes.
Disons simplement que ces jumeaux nous rappellent que la guerre n'est pas une partie de cartes.
Tout ce qui passerait pour immoral en temps normal devient la norme en temps immoraux.
Les jumeaux n'hésitent devant aucune action, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Ils agissent parce qu'ils sont condamnés à l'action quelle que soit la réaction.
On a reproché à certains professeurs de notre vieille France d'avoir fait lire Le grand cahier à des adolescents. C'est que Le grand cahier est un roman pornographique aux yeux de certains.
Le roman est sulfureux. N'ayez aucun doute à ce sujet.
Pourtant, il se dégage quelque chose d'indicible à cette lecture.
J'ai lu Le grand cahier d'une traite et déjà je m'inquiète de ne pas avoir lu les deux autres romans de cette trilogie. Ça ne saurait tarder.
Agota Kristof, une Hongroise naturalisée Suissesse qui écrivait en français, cette "langue ennemie" pour reprendre son expression, est décédée en 2011.
Je ne comprends pas que Le grand cahier ait traîné si longtemps dans ma bibliothèque sans que je ne le lise.
Du coup, je me sens tenu de revirer ma bibliothèque à l'envers pour y trouver d'autres perles de ce genre.
Le grand cahier est un roman percutant.
Je ne regrette pas de l'avoir lu.
Je suis content que mes professeurs n'aient jamais songé à le mettre au programme des lectures obligatoires.
Que l'on ait corrompu les oeuvres de Jacques Godbout et autres Robert Lalonde, cela ne contribuera pas à m'émouvoir. On ne devrait lire obligatoirement que des auteurs inoffensifs et ennuyants afin de ne pas gâter le plaisir de transgresser les institutions avec une lecture peu recommandable.
En plus de L'aquarium de Jacques Godbout, j'aurai lu La nuit du renard de Mary Higgins Clark, Jusqu'au matin de Han Suyin, Dévadé de Réjean Ducharme et combien d'autres romans à nous faire détester les arts et les lettres...
Il semble que Le grand cahier de Agota Kristof fasse maintenant partie des lectures obligatoires au niveau collégial. Cela risque de nuire à ce livre à moyen terme. Des générations de collégiens vont japper comme des hyènes chaque fois qu'on osera leur parler de Agota Kristof...
-J'ai lu ça au Cégep! C'est de la merde! répéteront-ils à tout venant.
Eh bien, je me permettrai de leur dire que Le grand cahier de Agota Kristof n'est pas L'aquarium de Jacques Godbout...
Je suis récemment tombé sur Le grand cahier. Le titre traînait quelque part dans ma bibliothèque et ne m'inspirait rien de particulier. Je me souvenais vaguement d'avoir entendu parler de cette auteure et de sa trilogie incluant La preuve et Le troisième mensonge que je n'ai pas encore lus.
Le grand cahier est le premier roman de cette trilogie.
C'est l'histoire de jeunes jumeaux qui se font élever par leur grand-mère au cours de la Deuxième guerre mondiale dans un pays qui rappelle la Hongrie. La grand-mère est une vieille sorcière analphabète et méchante qui traite ces petits enfants abandonnés par leur mère de fils de chienne.
Tout est tortueux, torturé et troublant dans Le grand cahier. Les jumeaux s'éduquent par eux-mêmes et agissent avec une absence totale de scrupules, pratiquant une morale purement et simplement utilitaire.
La guerre n'est pas le meilleur climat pour tomber dans la sensiblerie.
Les jumeaux n'y font pas exception et suivent le courant sans y résister.
C'est cru comme dans Les prospérités du vice du Marquis de Sade, justification en moins, ce qui rend le roman d'autant plus lisible et digne d'intérêt.
Évidemment, je ne peux pas vous vendre le punch en vous décrivant chacune des scènes.
Disons simplement que ces jumeaux nous rappellent que la guerre n'est pas une partie de cartes.
Tout ce qui passerait pour immoral en temps normal devient la norme en temps immoraux.
Les jumeaux n'hésitent devant aucune action, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Ils agissent parce qu'ils sont condamnés à l'action quelle que soit la réaction.
On a reproché à certains professeurs de notre vieille France d'avoir fait lire Le grand cahier à des adolescents. C'est que Le grand cahier est un roman pornographique aux yeux de certains.
Le roman est sulfureux. N'ayez aucun doute à ce sujet.
Pourtant, il se dégage quelque chose d'indicible à cette lecture.
J'ai lu Le grand cahier d'une traite et déjà je m'inquiète de ne pas avoir lu les deux autres romans de cette trilogie. Ça ne saurait tarder.
Agota Kristof, une Hongroise naturalisée Suissesse qui écrivait en français, cette "langue ennemie" pour reprendre son expression, est décédée en 2011.
Je ne comprends pas que Le grand cahier ait traîné si longtemps dans ma bibliothèque sans que je ne le lise.
Du coup, je me sens tenu de revirer ma bibliothèque à l'envers pour y trouver d'autres perles de ce genre.
Le grand cahier est un roman percutant.
Je ne regrette pas de l'avoir lu.
Je suis content que mes professeurs n'aient jamais songé à le mettre au programme des lectures obligatoires.
Que l'on ait corrompu les oeuvres de Jacques Godbout et autres Robert Lalonde, cela ne contribuera pas à m'émouvoir. On ne devrait lire obligatoirement que des auteurs inoffensifs et ennuyants afin de ne pas gâter le plaisir de transgresser les institutions avec une lecture peu recommandable.
lundi 15 février 2016
Rien n'émerge du vide
La moitié des Québécois sait à peine lire et écrire. Je mentirais de vous dire que j'écris pour l'autre moitié. J'écris d'abord et avant tout pour moi-même. Je me lis et me relis plusieurs fois au cours d'une journée pour évaluer la qualité de mon propos.
J'aime bien être lu. Cependant, la vanité n'est pas l'objectif ultime de mon blogue. J'écris pour mieux me connaître moi-même en plus d'y trouver une forme de divertissement qui me permet d'oublier le caractère prosaïque de la vie. J'écris comme on se ferait un bon sandwich pour se bourrer une tripe. J'écris comme l'on fait ses gammes au piano. J'écris pour ne pas rouiller. J'écris afin que mes textes soient mieux ciselés et plus redoutables. J'écris pour me battre et pour me défendre.
***
On parle d'enlever des accents circonflexes ça et là dans la langue française pour permettre une meilleure intégration des analphabètes. On ne tient pas tant à simplifier la langue qu'à la rendre toujours plus aléatoire. Tout ce qui représente un effort doit se plier à la volonté des linguistes de la démolir dans le cadre de leurs expériences de laboratoire. Qu'importe si en bout de ligne les gens soient encore plus analphabètes, encore plus dysfonctionnels et aigris à la simple idée de lire Balzac dans le texte. L'essentiel, c'est de contenter les contempteurs de la langue française, qui la détesteront toujours quoi que l'on fasse.
***
J'ai remporté le prix de l'abonné qui avait emprunté le plus de livres à la section des jeunes de la bibliothèque municipale de Trois-Rivières lorsque j'était enfant. Mon père me répétait souvent qu'on écrase facilement les ignorants, moins facilement ceux qui ont de l'éducation. Aussi ce bon prolétaire veillait-il à ce que je n'emprunte pas que des bandes dessinées. Comme je devenais de plus en plus insatiable, j'avais recours à des permissions spéciales pour aller emprunter des livres dans la section pour adultes. Ce fût d'abord les oeuvres de Jack London, cet aventurier autodidacte qui m'accompagne encore aujourd'hui. Puis ce fût des livres d'histoire, des traités illisibles sur l'origine des espèces et des évangiles pour athées. Je n'allais pas plier devant un accent circonflexe. J'irais jusqu'au bout du savoir pour devenir un homme d'exception.
***
Suis-je devenu un homme d'exception? Je chie à la même place que tout le monde... Cependant, je sais où placer mes accents circonflexes et ne crains pas de lire un bouquin de mil neuf cents pages si j'y trouve mon compte.
Je ne tiendrai pas compte des réformes de l'orthographe.
J'entends écrire tel qu'on me l'a appris.
Je refuse les raccourcis et le nivellement par le bas de ma culture.
L'effort intellectuel est le fondement du Savoir.
Rien ne vient sans efforts.
Rien n'émerge du vide.
vendredi 12 février 2016
De nation à nation
Le Premier Ministre du Dominion of Canada, Justin Trudeau, a déclaré récemment qu'il allait négocier de nation à nation avec les Autochtones. C'est en quelque sorte une bonne nouvelle, même si cela ne demeure pour le moment qu'un voeu pieux. On a parqué les aborigènes sur des réserves après les avoir dépossédés de territoires que la Couronne britannique s'entendait pour reconnaître comme étant les leurs. On aura bafoué un à un tous les traités. Qu'on vienne nous dire que l'on va négocier avec eux de nation à nation en vue d'une hypothétique réconciliation, eh bien il faudra voir avec les années. Les Visages Pales ont trop souvent eu la langue fourchue pour ne pas entretenir un petit doute quant aux vraies intentions du Dominion of Canada.
Parallèlement à cette nouvelle, nous faisons aussi face à un parti qui a toujours renié l'existence des Québécois en tant que nation. Les Libéraux ont fait tout ce qu'ils ont pu pour mettre le Québec à sa place, c'est-à-dire dans la sujétion et le reniement de sa propre identité.
Tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une démarche d'affirmation nationale était soit tournée au ridicule ou bien instrumentalisée pour facilement revenir au discours initial.
Trudeau père promettait qu'un non au référendum de 1980 serait interprété comme un oui à une redéfinition de la place du Québec au sein du Canada. Dans les faits, le Québec est demeuré dans le statut de Belle province et Trudeau aura tout mis en oeuvre pour casser son propre peuple et le faire marcher au pas de Sa Majesté.
J'ai personnellement erré d'un bout à l'autre du spectre politique en raison de mon statut de Métis. Je ressens que mon appartenance est intimement liée à l'Île de la Tortue de mes pairs aborigènes tout comme elle est consubstantiellement liée à la culture française.
Je ne suis pas nationaliste. Le nationalisme a quelque chose de profondément chauvin et réducteur qui finit par renier ma propre identité. Par contre, je me sens patriote et républicain. Ma patrie s'appelle autant Voltaire que Sitting Bull. Ma patrie est autant la langue française que l'idéal d'une société libre, laïque et démocratique. Cet idéal, je ne le retrouve pas dans le Canada actuel, ni dans le statut de province du Québec. Je suis donc ce que l'on appelle un souverainiste. Mon drapeau, si drapeau il y a, a plus à voir avec l'étendard vert, blanc et rouge des Patriotes de 1837 qu'avec le fleurdelisé royaliste.
Cela dit, je souffre de voir les Québécois rabaissés par des sujets de Sa Majesté en mal d'obéissance et de résignation. Je souffre de voir les Autochtones et les Québécois francophones se faire traiter de niaiseux, de drogués et d'assistés sociaux par tout un chacun. Je souffre d'entendre de jeunes francophones vomir sur leur propre culture en se croyant cool de parler une langue seconde qu'ils prétendent maîtriser à la perfection tout en la parlant comme des larbins à qui l'on confie les tâches les plus avilissantes.
Le Québec peut et doit se tenir debout et vivant.
Rappelons-nous le sort de Louis Riel et des Métis francophones du Manitoba. Rappelons-nous qu'il n'y en aura pas de facile et qu'on mettra tout en oeuvre à Ottawa pour détruire notre culture et notre langue.
Nous sommes des bâtards.
Nous sommes des empêcheurs de tourner en rond.
Nous sommes des Irlandais.
Nous sommes des Newfies.
Nous sommes des Acadiens.
Nous sommes des Hurons, des Iroquois, des Montagnais et des Algonquins.
Nous sommes des maudits Français.
Nous sommes des républicains.
Nous sommes Québécois.
jeudi 11 février 2016
La mort et les goulous-goulous-pouets-pouets
On dit souvent qu'on sent la présence de la mort. Bien honnêtement, je n'ai jamais eu cette faculté. J'ai pourtant été préposé aux bénéficiaires au Centre hospitalier de l'Université Laval. J'ai travaillé sur à peu près tous les départements pendant deux ans. Bloc opératoire, urgence, orthopédie, pédiatrie, psychiatrie, gériatrie, ophtalmologie: je suis passé partout avec mes torchons et mes sacs de linge sale. J'ai nettoyé et enrobé des morts dans des linceuls dès mon premier jour d'entrée en fonction à l'unité des soins coronariens. J'étais jeune. J'avais à peine dix-huit ans et je ne connaissais rien de la maladie, de la souffrance et, bien sûr, de la mort.
Tout ce que j'aurai vu et entendu par la suite au sujet de la mort m'aura toujours semblé une vue de l'esprit. C'est comme si rien ne s'approchait de la profonde banalité et du peu de théâtralité d'un décès.
Je ne tiens pas à dire que je fais pitié d'avoir vécu telle ou telle mort. C'était dans l'ordre des choses. C'était plus ou moins mon métier de ramasser tout ce qui traîne dans les hôpitaux. On s'y habitue, aussi stupide que cela puisse paraître. On s'en remet au destin et on finit par prendre tout de même nos pauses en riant jaune entre travailleurs de la santé.
J'ai gardé de l'hôpital un scepticisme difficile à expliquer.
Les soins de santé m'apparaissent en partie comme de la science et en partie comme de la sorcellerie.
Des fois ça marche. Des fois ça ne marche pas.
Des tas d'images remontent à ma mémoire.
Je vois une dame la langue sortie de la bouche et des yeux exorbités suite à une crise cardiaque.
Je vois un monsieur mourir après avoir avalé une bouchée de travers.
Je vois la dépouille d'une autre dame éclairée par un orage qui éclate en pleine nuit. Tous ses enfants pleurent. Et moi j'attends qu'ils s'en aillent pour emballer la dépouille dans un linceul pour ensuite la déposer à la morgue dans un casier réfrigéré.
Je vois une patiente en psychiatrie qui s'est rentrée des aiguilles à tricoter dans le sexe.
Je vois un motocycliste avec la calotte crânienne qui colle à son casque après qu'on l'eut scié et enlevé de sa tête. Il est mort sur le coup après nous avoir dit qu'il avait mal à la tête...
Je vois un survivant d'un arrêt cardio-vasculaire qui, attaché à son lit, le soulève comme la possédée du film L'Exorcisme. C'était un monsieur de réputation très douce qui était devenu un hurlement perpétuel.
Je vois tout ça et plus encore. Puis je me demande si je n'ai pas rêvé tout ça. C'est loin. Ça remonte à la fin des années '80. C'est arrivé. J'aurai bel et bien vu tout ça. Mais je crois encore de l'avoir rêvé. J'ai évacué tout ça de ma mémoire pour vivre dans un mélange de sérénité et d'insouciance.
Je ne vous dis pas ça pour faire pitié.
Je ne fais pas pitié.
Je n'en suis pas triste, défait ou détruit.
Au contraire, cela m'a permis d'affronter les pires moments de ma vie avec un certain détachement, comme si j'étais habitué à ce que la vie nous soit empruntée et reprise n'importe quand.
***
Mon père est décédé d'un cancer colorectal en 1995.
Les dernières paroles qu'il m'a dites résonnent encore en moi.
Il était sur ses derniers miles et résidait dans une chambre du pavillon Saint-Joseph au CHRTR.
Il était passé de deux cent quarante-cinq livres à cent trente-cinq livres en quelques mois, après de multiples traitements de chimiothérapie qui l'avaient laissé à moitié mort.
On lui administrait de la morphine pour lui épargner de la douleur.
Il avait longtemps refusé la morphine par crainte de devenir lessivé comme un junky.
À la fin, il ne la refusait plus. Il la prenait et y trouvait un certain calme qui lui avait fait défaut tout au long de son combat contre le cancer.
Il était étrangement calme dans sa chambre. Tout lui semblait plus ou moins indifférent.
J'avais remarqué que la télévision n'était pas branchée dans sa chambre.
-Veux-tu qu'on te branche la télé pa'?
-Ah! moé les goulous-goulous-pouets-pouets... qu'il m'avait dit.
Il ne voulait plus rien savoir de la télé sur ses derniers miles, mon père.
Il ne voulait plus rien savoir des goulous-goulous-pouets-pouets.
Ça m'est resté et cela me restera dans la tête jusqu'à mon dernier souffle.
Moi aussi, un jour, j'aurai à abdiquer devant tous nos goulous-goulous-pouets-pouets.
Vous aussi.
Nous aussi.
Tout ce que j'aurai vu et entendu par la suite au sujet de la mort m'aura toujours semblé une vue de l'esprit. C'est comme si rien ne s'approchait de la profonde banalité et du peu de théâtralité d'un décès.
Je ne tiens pas à dire que je fais pitié d'avoir vécu telle ou telle mort. C'était dans l'ordre des choses. C'était plus ou moins mon métier de ramasser tout ce qui traîne dans les hôpitaux. On s'y habitue, aussi stupide que cela puisse paraître. On s'en remet au destin et on finit par prendre tout de même nos pauses en riant jaune entre travailleurs de la santé.
J'ai gardé de l'hôpital un scepticisme difficile à expliquer.
Les soins de santé m'apparaissent en partie comme de la science et en partie comme de la sorcellerie.
Des fois ça marche. Des fois ça ne marche pas.
Des tas d'images remontent à ma mémoire.
Je vois une dame la langue sortie de la bouche et des yeux exorbités suite à une crise cardiaque.
Je vois un monsieur mourir après avoir avalé une bouchée de travers.
Je vois la dépouille d'une autre dame éclairée par un orage qui éclate en pleine nuit. Tous ses enfants pleurent. Et moi j'attends qu'ils s'en aillent pour emballer la dépouille dans un linceul pour ensuite la déposer à la morgue dans un casier réfrigéré.
Je vois une patiente en psychiatrie qui s'est rentrée des aiguilles à tricoter dans le sexe.
Je vois un motocycliste avec la calotte crânienne qui colle à son casque après qu'on l'eut scié et enlevé de sa tête. Il est mort sur le coup après nous avoir dit qu'il avait mal à la tête...
Je vois un survivant d'un arrêt cardio-vasculaire qui, attaché à son lit, le soulève comme la possédée du film L'Exorcisme. C'était un monsieur de réputation très douce qui était devenu un hurlement perpétuel.
Je vois tout ça et plus encore. Puis je me demande si je n'ai pas rêvé tout ça. C'est loin. Ça remonte à la fin des années '80. C'est arrivé. J'aurai bel et bien vu tout ça. Mais je crois encore de l'avoir rêvé. J'ai évacué tout ça de ma mémoire pour vivre dans un mélange de sérénité et d'insouciance.
Je ne vous dis pas ça pour faire pitié.
Je ne fais pas pitié.
Je n'en suis pas triste, défait ou détruit.
Au contraire, cela m'a permis d'affronter les pires moments de ma vie avec un certain détachement, comme si j'étais habitué à ce que la vie nous soit empruntée et reprise n'importe quand.
***
Mon père est décédé d'un cancer colorectal en 1995.
Les dernières paroles qu'il m'a dites résonnent encore en moi.
Il était sur ses derniers miles et résidait dans une chambre du pavillon Saint-Joseph au CHRTR.
Il était passé de deux cent quarante-cinq livres à cent trente-cinq livres en quelques mois, après de multiples traitements de chimiothérapie qui l'avaient laissé à moitié mort.
On lui administrait de la morphine pour lui épargner de la douleur.
Il avait longtemps refusé la morphine par crainte de devenir lessivé comme un junky.
À la fin, il ne la refusait plus. Il la prenait et y trouvait un certain calme qui lui avait fait défaut tout au long de son combat contre le cancer.
Il était étrangement calme dans sa chambre. Tout lui semblait plus ou moins indifférent.
J'avais remarqué que la télévision n'était pas branchée dans sa chambre.
-Veux-tu qu'on te branche la télé pa'?
-Ah! moé les goulous-goulous-pouets-pouets... qu'il m'avait dit.
Il ne voulait plus rien savoir de la télé sur ses derniers miles, mon père.
Il ne voulait plus rien savoir des goulous-goulous-pouets-pouets.
Ça m'est resté et cela me restera dans la tête jusqu'à mon dernier souffle.
Moi aussi, un jour, j'aurai à abdiquer devant tous nos goulous-goulous-pouets-pouets.
Vous aussi.
Nous aussi.
mardi 9 février 2016
Les Poèmes intéressants de Larry Lagouache
Larry Lagouache n'était pas poète pour deux sous mais il s'était dit, un jour qu'il était saoul, que ça n'avait pas l'air bien compliqué que d'écrire des conneries en simulant des émotions et en se stimulant de jeux de mots dignes d'un malade mental.
Il avait écrit une plaquette en une seule nuit. Une plaquette qu'il avait intitulée Poèmes intéressants.
L'un de ses poèmes, à titre d'exemple, allait comme suit:
Si je trouvais un crayon
Je dessinerais un anus
Tous ces autres poèmes étaient de la même mouture, anus en moins.
Le lendemain de cette session d'écriture nocturne, Larry avait demandé à Sarah de corriger les fautes d'orthographe, plutôt nombreuses, et de faire une mise en forme correspondant au standard des manuscrits soumis à des éditeurs.
-Ne touche pas à la syntaxe! C'est mon style! ajouta-t-il pour lui démontrer qu'il connaissait mieux la poésie que la grammaire.
Il avait essuyé quelques refus avec les maisons d'édition, mais Les éditions Des Gorges avaient accroché à l'hameçon.
Les deux membres du comité de lecture, des profs de Cégep, se souvenaient vaguement d'avoir rencontré Lagouache au cours d'un lancement.
-C'est le gars qui était accoté au bar qui disait aimer les poèmes de André Poirier.
André Poirier, évidemment, était l'un des deux membres du comité de lecture... On lui devait quelques plaquettes de poésie où s'entremêlaient le golf, le mouvement scout et l'indépendance du Québec. C'était insipide et soporifique. Mais qui sommes-nous pour juger de la pertinence des poètes, hein?
Ce qui permit à Larry Lagouache de publier ses poèmes, de remporter quelques prix ici et là, dont celui du Gouverneur général du Canada.
Encouragé par tant d'honneurs, Lagouache se saoula la gueule au moins une nuit par année pour pondre une autre plaquette de poésie dont l'écriture était largement subventionnée par le Conseil des arts et des lettres, sans compter les per diem et les voyages payés pour assister à tous les Salons du livre du monde entier pour y parler de ses Poèmes intéressants et autres facéties de collégien attardé.
Avec le temps, Lagouache devint professeur de littérature au collégial.
Il n'écrivait jamais au tableau de crainte que l'on découvre qu'il était illettré.
Sarah ne pouvait pas le suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour corriger tout ce qu'il écrivait.
S'il devait signer un autographe, il y allait d'une formule simple:
À Maude,
De Larry Lagouache
C'était short and sweet. Le client n'en demandait pas plus.
Et chaque année, depuis la parution des Poèmes intéressants, Lagouache prodiguait des conseils à tous ces Roméo et Juliette qui voulaient s'assurer qu'ils avaient leur place dans le domaine de la poésie.
-Pour être poète, disait Lagouache, il faut être moins prosaïque... On ne peut pas parler comme tout le monde et se sentir poète. Il y faut de la magie. Du sublime. De l'extraordinaire!
Évidemment, d'aucuns croyaient que Lagouache était une baudruche de poésie, une enflure dénuée de talent qui ne savait que téter des subventions et licher la raie de André Poirier aux Éditions des Gorges.
On ne peut pas dire qu'ils avaient tort.
Mais la poésie, comme la musique, ne vit que de mythes.
Celui de Larry Lagouache, poète maudit parce qu'ivrogne hors norme, avait la peau dure.
Il nous a récité son plus récent poème, hier, lors d'un cinq à sept littéraire au Café-Bar Le Bibob.
Le voici:
Un bouchon de bière
Tombe sur le plancher
Et je dessine un anus
C'était mauvais, mais que voulez-vous?
La poésie québécoise demeurera toujours la chasse-gardée des plus mauvais écrivains qui soient.
Il avait écrit une plaquette en une seule nuit. Une plaquette qu'il avait intitulée Poèmes intéressants.
L'un de ses poèmes, à titre d'exemple, allait comme suit:
Si je trouvais un crayon
Je dessinerais un anus
Tous ces autres poèmes étaient de la même mouture, anus en moins.
Le lendemain de cette session d'écriture nocturne, Larry avait demandé à Sarah de corriger les fautes d'orthographe, plutôt nombreuses, et de faire une mise en forme correspondant au standard des manuscrits soumis à des éditeurs.
-Ne touche pas à la syntaxe! C'est mon style! ajouta-t-il pour lui démontrer qu'il connaissait mieux la poésie que la grammaire.
Il avait essuyé quelques refus avec les maisons d'édition, mais Les éditions Des Gorges avaient accroché à l'hameçon.
Les deux membres du comité de lecture, des profs de Cégep, se souvenaient vaguement d'avoir rencontré Lagouache au cours d'un lancement.
-C'est le gars qui était accoté au bar qui disait aimer les poèmes de André Poirier.
André Poirier, évidemment, était l'un des deux membres du comité de lecture... On lui devait quelques plaquettes de poésie où s'entremêlaient le golf, le mouvement scout et l'indépendance du Québec. C'était insipide et soporifique. Mais qui sommes-nous pour juger de la pertinence des poètes, hein?
Ce qui permit à Larry Lagouache de publier ses poèmes, de remporter quelques prix ici et là, dont celui du Gouverneur général du Canada.
Encouragé par tant d'honneurs, Lagouache se saoula la gueule au moins une nuit par année pour pondre une autre plaquette de poésie dont l'écriture était largement subventionnée par le Conseil des arts et des lettres, sans compter les per diem et les voyages payés pour assister à tous les Salons du livre du monde entier pour y parler de ses Poèmes intéressants et autres facéties de collégien attardé.
Avec le temps, Lagouache devint professeur de littérature au collégial.
Il n'écrivait jamais au tableau de crainte que l'on découvre qu'il était illettré.
Sarah ne pouvait pas le suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour corriger tout ce qu'il écrivait.
S'il devait signer un autographe, il y allait d'une formule simple:
À Maude,
De Larry Lagouache
C'était short and sweet. Le client n'en demandait pas plus.
Et chaque année, depuis la parution des Poèmes intéressants, Lagouache prodiguait des conseils à tous ces Roméo et Juliette qui voulaient s'assurer qu'ils avaient leur place dans le domaine de la poésie.
-Pour être poète, disait Lagouache, il faut être moins prosaïque... On ne peut pas parler comme tout le monde et se sentir poète. Il y faut de la magie. Du sublime. De l'extraordinaire!
Évidemment, d'aucuns croyaient que Lagouache était une baudruche de poésie, une enflure dénuée de talent qui ne savait que téter des subventions et licher la raie de André Poirier aux Éditions des Gorges.
On ne peut pas dire qu'ils avaient tort.
Mais la poésie, comme la musique, ne vit que de mythes.
Celui de Larry Lagouache, poète maudit parce qu'ivrogne hors norme, avait la peau dure.
Il nous a récité son plus récent poème, hier, lors d'un cinq à sept littéraire au Café-Bar Le Bibob.
Le voici:
Un bouchon de bière
Tombe sur le plancher
Et je dessine un anus
C'était mauvais, mais que voulez-vous?
La poésie québécoise demeurera toujours la chasse-gardée des plus mauvais écrivains qui soient.
lundi 8 février 2016
Il n'y a pas de chefs d'oeuvre soporifiques
"La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !"
Stéphane Mallarmé, Brise marine
***
Il n'y a pas tant de bons livres.
J'ai lu des milliers de pages pour rien. Je n'oserais même pas dire que je les ai lues pour la forme. J'y aurai cherché quelque chose que je n'y aurai jamais trouvée.
Parmi mes plus grandes déceptions de lecteur, il y a bien sûr Marcel Proust. J'ai lu de force tous les romans qui composent la fresque d'À la recherche du temps perdu. J'ai lu ça dans le cadre d'un séminaire de littérature au cours de mes études à la maîtrise. Ce fût un vrai supplice. Je n'ai retenu qu'une phrase, c'est tout dire. Et cette phrase disait, en somme, qu'il se pourrait que certains chefs d'oeuvre aient été écrits en bâillant...
J'ai lu Proust en bâillant et je n'y ai pas vu le chef d'oeuvre...
Lire Dostoïevski fût parfois une vraie torture. Par contre, il m'arrivait au détour de cinquante pages mornes et plates de tomber sur d'authentiques éclairs de génie. Cela me faisait oublier ces cinquante pages de descriptions oiseuses.
J'en suis venu à la conclusion que je ne suis pas fait pour lire des briques, bien que j'en aie lues des tas pour me faire une juste idée de l'univers des arts et des lettres.
À l'université, je n'osais pas dire que je ne comprenais rien à Kant, Hegel, Sartre ou Bergson. Je lisais tous ces ânes avec respect et incompréhension. Je m'en voulais de manquer de concentration et peut-être même de génie. Je retombais toujours dans la poésie, la philosophie orientale ou bien les témoignages crus et poignants.
Avec l'âge, je ne m'en veux plus d'être imperméable aux idées coulantes des scribes professionnels.
Je n'ai plus honte de mes dégoûts et déceptions littéraires.
J'ai élagué mon esprit d'un tas de bouquins soporifiques.
Non, je ne vous parlerai jamais de la Critique de la raison pure...
Les conteurs s'en tirent mieux dans mon estime que les amateurs de dissertations et autres "fabricateurs de discours inutiles" comme l'écrivait si bien René Daumal.
Tout jeune, j'ai été initié à lire Alphonse Daudet et François Rabelais, via des fiches de lecture que distribuaient mes professeurs de l'école primaire. J'ai connu La chèvre de Monsieur Séguin, Tartarin de Tarascon et Gargantua avant que de jouer au penseur médiocre avec L'existentialisme est un humanisme...
J'ai totalement abandonné la lecture d'ouvrages qu'il faut lire avec un dictionnaire sur les genoux.
J'ai fait mienne la devise de Rivarol selon lequel ce qui n'est pas clair n'est pas français.
C'est peut-être traduit de l'allemand, mais ce n'est plus du français et ça n'a rien à voir avec le génie de la langue des Lumières.
Pourquoi Rousseau, Voltaire, Diderot et tous les autres encyclopédistes du dix-huitième siècle se lisent-ils aussi facilement? Est-ce parce qu'il leur manquait de concepts ou bien parce qu'il connaissait l'art de s'expliquer simplement sur les choses les plus difficiles? Se poser cette question c'est y répondre.
La langue française s'est dégradée au dix-neuvième siècle. Elle est devenue pesante, ampoulée et emberlificotée. On s'est mis à lui prêter des vertus magiques et à voir des abîmes là où il n'y en avait pas.
Faut-il s'étonner que des étrangers écrivent mieux le français que des locuteurs dits de souche? Pourquoi Cioran se lit-il mieux que tant d'autres tartampions qui rendent les Lettres françaises contemporaines si vides et si détestables?
Alors que j'étais rédacteur en chef d'un petit journal de rue, j'étais toujours étonné de constater que les gens dits sans éducation avaient une bien meilleure syntaxe que tous ces collégiens et universitaires qui tentaient vainement de jeter de la poudre aux yeux. Ils employaient des termes savants dont ils ne maîtrisaient même pas la portée et encore moins la signification. Ils inversaient l'ordre logique du discours pour nous livrer leur pensée dans un sabir indescriptible.
On a appris que Luc va à l'école. Après l'université, on se met à déparler. À l'école, Luc va... Il est nécessairement un péripatéticien. Et il est en quête d'estime de soi... Il aime le béhaviorisme et se croit pro-actif puisqu'il ne suffit pas d'être seulement actif ou bien dynamique.
Reprenons nos moutons.
J'aime les lectures simples, claires et précises.
Je n'aime pas m'emmerder en lisant.
Voilà pourquoi je porte Tchekhov haut dans mon coeur.
Et Steinbeck aussi.
Et Marcel Aymé.
Et Isaac Babel.
Et Boulgakov.
Et Jack London.
Et Maupassant.
Et VLB, pour ne nommer que ceux-là.
Je ne tiens pas l'ennui pour une voie sacrée menant vers l'extase.
Je ne m'imagine pas de chefs d'oeuvre soporifiques.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !"
Stéphane Mallarmé, Brise marine
***
Il n'y a pas tant de bons livres.
J'ai lu des milliers de pages pour rien. Je n'oserais même pas dire que je les ai lues pour la forme. J'y aurai cherché quelque chose que je n'y aurai jamais trouvée.
Parmi mes plus grandes déceptions de lecteur, il y a bien sûr Marcel Proust. J'ai lu de force tous les romans qui composent la fresque d'À la recherche du temps perdu. J'ai lu ça dans le cadre d'un séminaire de littérature au cours de mes études à la maîtrise. Ce fût un vrai supplice. Je n'ai retenu qu'une phrase, c'est tout dire. Et cette phrase disait, en somme, qu'il se pourrait que certains chefs d'oeuvre aient été écrits en bâillant...
J'ai lu Proust en bâillant et je n'y ai pas vu le chef d'oeuvre...
Lire Dostoïevski fût parfois une vraie torture. Par contre, il m'arrivait au détour de cinquante pages mornes et plates de tomber sur d'authentiques éclairs de génie. Cela me faisait oublier ces cinquante pages de descriptions oiseuses.
J'en suis venu à la conclusion que je ne suis pas fait pour lire des briques, bien que j'en aie lues des tas pour me faire une juste idée de l'univers des arts et des lettres.
À l'université, je n'osais pas dire que je ne comprenais rien à Kant, Hegel, Sartre ou Bergson. Je lisais tous ces ânes avec respect et incompréhension. Je m'en voulais de manquer de concentration et peut-être même de génie. Je retombais toujours dans la poésie, la philosophie orientale ou bien les témoignages crus et poignants.
Avec l'âge, je ne m'en veux plus d'être imperméable aux idées coulantes des scribes professionnels.
Je n'ai plus honte de mes dégoûts et déceptions littéraires.
J'ai élagué mon esprit d'un tas de bouquins soporifiques.
Non, je ne vous parlerai jamais de la Critique de la raison pure...
Les conteurs s'en tirent mieux dans mon estime que les amateurs de dissertations et autres "fabricateurs de discours inutiles" comme l'écrivait si bien René Daumal.
Tout jeune, j'ai été initié à lire Alphonse Daudet et François Rabelais, via des fiches de lecture que distribuaient mes professeurs de l'école primaire. J'ai connu La chèvre de Monsieur Séguin, Tartarin de Tarascon et Gargantua avant que de jouer au penseur médiocre avec L'existentialisme est un humanisme...
J'ai totalement abandonné la lecture d'ouvrages qu'il faut lire avec un dictionnaire sur les genoux.
J'ai fait mienne la devise de Rivarol selon lequel ce qui n'est pas clair n'est pas français.
C'est peut-être traduit de l'allemand, mais ce n'est plus du français et ça n'a rien à voir avec le génie de la langue des Lumières.
Pourquoi Rousseau, Voltaire, Diderot et tous les autres encyclopédistes du dix-huitième siècle se lisent-ils aussi facilement? Est-ce parce qu'il leur manquait de concepts ou bien parce qu'il connaissait l'art de s'expliquer simplement sur les choses les plus difficiles? Se poser cette question c'est y répondre.
La langue française s'est dégradée au dix-neuvième siècle. Elle est devenue pesante, ampoulée et emberlificotée. On s'est mis à lui prêter des vertus magiques et à voir des abîmes là où il n'y en avait pas.
Faut-il s'étonner que des étrangers écrivent mieux le français que des locuteurs dits de souche? Pourquoi Cioran se lit-il mieux que tant d'autres tartampions qui rendent les Lettres françaises contemporaines si vides et si détestables?
Alors que j'étais rédacteur en chef d'un petit journal de rue, j'étais toujours étonné de constater que les gens dits sans éducation avaient une bien meilleure syntaxe que tous ces collégiens et universitaires qui tentaient vainement de jeter de la poudre aux yeux. Ils employaient des termes savants dont ils ne maîtrisaient même pas la portée et encore moins la signification. Ils inversaient l'ordre logique du discours pour nous livrer leur pensée dans un sabir indescriptible.
On a appris que Luc va à l'école. Après l'université, on se met à déparler. À l'école, Luc va... Il est nécessairement un péripatéticien. Et il est en quête d'estime de soi... Il aime le béhaviorisme et se croit pro-actif puisqu'il ne suffit pas d'être seulement actif ou bien dynamique.
Reprenons nos moutons.
J'aime les lectures simples, claires et précises.
Je n'aime pas m'emmerder en lisant.
Voilà pourquoi je porte Tchekhov haut dans mon coeur.
Et Steinbeck aussi.
Et Marcel Aymé.
Et Isaac Babel.
Et Boulgakov.
Et Jack London.
Et Maupassant.
Et VLB, pour ne nommer que ceux-là.
Je ne tiens pas l'ennui pour une voie sacrée menant vers l'extase.
Je ne m'imagine pas de chefs d'oeuvre soporifiques.
dimanche 7 février 2016
Démonstration théologique où l'homme n'est pas un animal
Germaine ne croyait pas que l'homme était un animal. Elle avait toute une théorie à ce sujet. Une théorie fondée sur les vêtements.
-Les animaux se promènent tout nus. Les humains portent des vêtements. Il faut être une vraie bête pour penser que l'homme est un animal! Est-ce que j'ai l'air d'un animal moi?
À vrai dire, Germaine avait plutôt l'air d'une guenon mais personne n'osait vraiment lui dire puisqu'elle portait des signes religieux ostentatoires. Elle croyait à un fantôme qui pouvait marcher sur l'eau, voler dans les cieux et guérir la lèpre.
Évidemment, Germaine n'avait pas la lèpre. Elle ne ressentait pas plus le besoin de marcher sur l'eau ou bien de voler comme l'oiseau. Ce qui l'intéressait par-dessus tout, c'était de nous endoctriner avec la religion de son fantôme. Du moins en apparence.
On l'aurait cru vertueuse, sainte-nitouche et même chaste comme la neige du Pôle Nord.
Eh bien non! Aussi curieux que cela puisse paraître, Germaine était une sacrée bacchante qui avait toujours le nez fourré dans le cul d'un être humain, quel que soit son genre ou son sexe. Elle passait ses journées à rouler des pelles à des inconnus qu'elle rencontrait au hasard du temps.
Hier, sa victime était un bon monsieur qui avait toujours jusque-là su préserver sa virginité. Ce quinquagénaire bedonnait attendait à la gare lorsque Germaine sauta sur lui en lui demandant s'il voulait bien la suivre aux toilettes pour dames. Ce qu'il fit sans trop se questionner puisque Germaine lui caressait langoureusement les parties génitales tout en lui montrant sa langue, cet épouvantable torchon de huit pouces de longueur et de langueur qui faisait encore sa renommée parmi ses proies.
Ce fût ensuite le tour d'une pauvre nonne absorbée dans la lecture de son bréviaire évangélique. C'était dans la salle d'attente du médecin. Elle entraîna la vieille nonne vers son pitoyable logement pour lui faire des choses pas très catholiques, prétextant de lui faire lire Lacordaire ou Paul Bourget. Cela se termina en séance de broute-minou à en faire miauler toutes les félines du quartier.
Évidemment, pétrie de remords et de péchés, Germaine se présenta une fois de plus au confessionnal.
-Pardonnez-moi mon père parce que j'ai péché! dit-elle au curé qui, une fois de plus, avait la trique rien qu'à penser à ce que cette démone allait encore lui raconter.
-Je vous écoute ma fille...
-J'ai rentré ma langue dans tous les trous... J'ai avalé des liquides corporels... J'ai évacué des torrents de plaisir et de purs péchés!!!
Le curé avait chaud, une fois de plus. Et il lui donnait bien sûr l'absolution, accompagnée de dix Je vous salue Marie et trois Notre Père.
-Allez et ne péchez plus! Je veux vous revoir demain! Rompez!
-Je vais essayer mon père, je vais essayer, lui disait-elle sur le ton de la contrition.
Puis elle recommençait, la paillarde! Germaine repartait à l'affût d'un sexe à renifler.
Ce n'était pas facile tous les jours de ne pas être un animal. Elle ne disait pas le contraire, Germaine.
D'abord, les animaux ne connaissent pas le péché. C'est leur instinct qui les guide. Tout ce qu'ils font, c'est obéir à leurs pulsions qui les obligent à se promener dénudés.
L'homme, cette merveille de la Création, doit constamment combattre la puissance du Malin qui lui rappelle qu'il est tout nu et qu'il en a honte.
On ne va pas au ciel en se contentant de faire le bien, voyez-vous.
Qui n'éprouve pas la sensation du péché ne peut être qu'une bête sans âme, sans coeur et sans sexe.
Forte de ces vérités théologiques, Germaine pouvait poursuivre sa vie dans la Foi et l'Espérance.
Amen.
-Les animaux se promènent tout nus. Les humains portent des vêtements. Il faut être une vraie bête pour penser que l'homme est un animal! Est-ce que j'ai l'air d'un animal moi?
À vrai dire, Germaine avait plutôt l'air d'une guenon mais personne n'osait vraiment lui dire puisqu'elle portait des signes religieux ostentatoires. Elle croyait à un fantôme qui pouvait marcher sur l'eau, voler dans les cieux et guérir la lèpre.
Évidemment, Germaine n'avait pas la lèpre. Elle ne ressentait pas plus le besoin de marcher sur l'eau ou bien de voler comme l'oiseau. Ce qui l'intéressait par-dessus tout, c'était de nous endoctriner avec la religion de son fantôme. Du moins en apparence.
On l'aurait cru vertueuse, sainte-nitouche et même chaste comme la neige du Pôle Nord.
Eh bien non! Aussi curieux que cela puisse paraître, Germaine était une sacrée bacchante qui avait toujours le nez fourré dans le cul d'un être humain, quel que soit son genre ou son sexe. Elle passait ses journées à rouler des pelles à des inconnus qu'elle rencontrait au hasard du temps.
Hier, sa victime était un bon monsieur qui avait toujours jusque-là su préserver sa virginité. Ce quinquagénaire bedonnait attendait à la gare lorsque Germaine sauta sur lui en lui demandant s'il voulait bien la suivre aux toilettes pour dames. Ce qu'il fit sans trop se questionner puisque Germaine lui caressait langoureusement les parties génitales tout en lui montrant sa langue, cet épouvantable torchon de huit pouces de longueur et de langueur qui faisait encore sa renommée parmi ses proies.
Ce fût ensuite le tour d'une pauvre nonne absorbée dans la lecture de son bréviaire évangélique. C'était dans la salle d'attente du médecin. Elle entraîna la vieille nonne vers son pitoyable logement pour lui faire des choses pas très catholiques, prétextant de lui faire lire Lacordaire ou Paul Bourget. Cela se termina en séance de broute-minou à en faire miauler toutes les félines du quartier.
Évidemment, pétrie de remords et de péchés, Germaine se présenta une fois de plus au confessionnal.
-Pardonnez-moi mon père parce que j'ai péché! dit-elle au curé qui, une fois de plus, avait la trique rien qu'à penser à ce que cette démone allait encore lui raconter.
-Je vous écoute ma fille...
-J'ai rentré ma langue dans tous les trous... J'ai avalé des liquides corporels... J'ai évacué des torrents de plaisir et de purs péchés!!!
Le curé avait chaud, une fois de plus. Et il lui donnait bien sûr l'absolution, accompagnée de dix Je vous salue Marie et trois Notre Père.
-Allez et ne péchez plus! Je veux vous revoir demain! Rompez!
-Je vais essayer mon père, je vais essayer, lui disait-elle sur le ton de la contrition.
Puis elle recommençait, la paillarde! Germaine repartait à l'affût d'un sexe à renifler.
Ce n'était pas facile tous les jours de ne pas être un animal. Elle ne disait pas le contraire, Germaine.
D'abord, les animaux ne connaissent pas le péché. C'est leur instinct qui les guide. Tout ce qu'ils font, c'est obéir à leurs pulsions qui les obligent à se promener dénudés.
L'homme, cette merveille de la Création, doit constamment combattre la puissance du Malin qui lui rappelle qu'il est tout nu et qu'il en a honte.
On ne va pas au ciel en se contentant de faire le bien, voyez-vous.
Qui n'éprouve pas la sensation du péché ne peut être qu'une bête sans âme, sans coeur et sans sexe.
Forte de ces vérités théologiques, Germaine pouvait poursuivre sa vie dans la Foi et l'Espérance.
Amen.
vendredi 5 février 2016
L'Âge de Fer
"Que l'homme était heureux sous le règne de Saturne, avant que la terre fût ouverte en longues routes. Le pin n'avait point encore bravé l'onde azurée, ni livré une voile déployée au souffle des vents. Dans ses courses vagabondes, cherchant la richesse sur des plages inconnues, le nautonier n'avait point encore fait gémir ses vaisseaux sous le poids des marchandises étrangères. Dans cet âge heureux, le robuste taureau ne portait point le joug; le coursier ne mordait point le frein d'une bouche domptée les maisons étaient sans porte; une pierre fixée dans les champs
ne marquait point la limite certaine des héritages; les chênes eux-mêmes donnaient du miel; les brebis venaient offrir leurs mamelles pleines de lait aux bergers sans inquiétude. On ne connaissait ni la colère, ni les armées, ni la guerre;
l'art funeste d'un cruel forgeron n'avait pas inventé le glaive."
Tibulle, Élégies
***
Les Anciens considéraient le passé comme étant la période la plus harmonieuse de l'humanité.
Chez les Grecs et les Latins, l'Âge d'Or était derrière.
Ils croyaient vivre à la pire des époques, l'Âge de Fer, des temps troubles où le sang coulait à flots.
L'injustice avait pris le dessus sur le partage et la communion entre les membres de la tribu.
De nos jours, on sent parfois resurgir ce mythe d'un Âge d'Or situé dans le passé.
Chez les aborigènes de l'Île de la Tortue, on se nourrit de cette idée selon laquelle tout se décidait et tout se partageait en commun.
Tout le mal vient de la civilisation.
De la civilisation qui a créé les pyramides, les aqueducs, les mégapoles et soumis en esclavage des millions d'êtres humains.
J'ai moi-même tendance à situer l'Âge d'Or dans le passé.
Surtout quand je me promène dans les bois ou bien que je contemple la mer d'un point de vue préhistorique.
Je ne vois pas nécessairement de grandeur dans ce que la main de l'homme a métamorphosé.
J'y vois des souffrances indicibles.
J'y vois des soucis abyssaux et des philosophies trop abstraites pour être authentiques.
Prôner le détachement du monde dans un monde qui vous attache a quelque chose de risible.
On devrait plutôt prôner l'autarcie et s'enfoncer le plus loin possible dans les forêts encore vierges du Grand Nord.
Je sais bien que nous y serions des infirmes.
Que nous ne saurions ni y chasser, ni y pêcher, ni même y survivre.
Nous sommes des créatures de l'Âge de Fer. Des pantins post-apocalyptiques.
Nous sommes irrémédiablement condamnés à nous entre-tuer jusqu'à la fin de l'Histoire.
jeudi 4 février 2016
Léon Bloy, le mendiant ingrat
"Au seul point de vue de l'histoire des Lettres françaises, il n'est pas inutile qu'on sache de quelle manière la génération des vaincus de 1870 a pu traiter un Écrivain fier qui ne voulait pas se prostituer."
***
Léon Bloy, Le mendiant ingrat
Cela fait quelques jours que l'envie me prend de vous parler de Léon Bloy, un écrivain catholique enragé comme il s'en est fait trop peu. Léon Bloy est à la littérature ce que Michel Chartrand était pour le syndicalisme. Ces personnalités inclassables ne se prêtent pas facilement aux exégèses. On reconnaît leur talent du bout des lèvres tout en s'efforçant de ne jamais se tenir à proximité de ces monstres. C'est ce qui me rapproche d'eux, pour une raison qui m'échappe tout à fait.
Écrivain catholique! Syndicaliste catholique! Il me semble entendre hurler des tas de lecteurs et lectrices, forts de me faire comprendre que Dieu n'existe pas. C'est d'ailleurs une opinion que je partage chaque fois que je vois le Diable remporter une victoire...
Vous comprendrez, chers apostats et chers excommuniés, que la Foi est la partie de leur oeuvre qui m'intéresse sans doute le moins. Je saute les passages où ils délirent sur l'amour divin pour me concentrer sur leur statut de contempteurs des us et coutumes des bourgeois.
Léon Bloy, pour revenir à notre mouton noir, était reconnu par les anarchistes comme l'un des leurs, en dépit de sa foi et de ses essais théologiques. Le drapeau noir a flotté à ses funérailles. Les anars, comme on les appelle parfois, ont salué l'auteur du Désespéré, de La femme pauvre et de mille autres petits textes pamphlétaires qui empalèrent férocement les riches.
Récemment, je suis tombé sur les Histoires désobligeantes de Léon Bloy, un recueil de nouvelles qui m'a réconcilié une fois de plus avec Bloy, que je finis toujours par délaisser en raison de sa prose un peu trop maniaque. On doit presque lire Bloy avec un dictionnaire sur les genoux, ce qui finit par devenir lassant. Cet enrichissement de mon vocabulaire m'éloigne encore plus de mes contemporains qui ont déjà de la difficulté à me comprendre... Bloy n'écrit pas comme Voltaire, mais sans doute comme Rabelais, dans une langue bourrée de néologismes étonnants qui témoignent d'une certaine manie à manipuler les racines grecques et latines.
Malgré tous ces mots savants que j'appelle impudemment des scories, il reste toujours quelque chose d'étonnamment poignant à lire sous la plume de Bloy.
Dans Le Désespéré, un roman largement autobiographique, l'auteur y raconte la descente aux enfers de son double qu'il surnomme Caïn Marchenoir. Cela se poursuit avec La femme pauvre. La misère rôde autour d'un couple formé d'un écrivain misérable et d'une ancienne prostituée. Tout y passe, jusqu'à vendre ses cheveux et ses dents pour avoir un quignon de pain sur la table... C'est la misère la plus noire qui soit, misère à peine consolée par la prière et les rêves transcendants.
Je crois qu'il est nécessaire de commencer par lire les Histoires désobligeantes de Léon Bloy avant que de fuir l'ensemble de son oeuvre. Ce serait à mon avis une très mauvaise idée de débuter par Le Désespéré et La femme pauvre, voire par l'Exégèse des lieux communs. Ce début serait rebutant...
Avec ces Histoires désobligeantes, on se trouve encore en territoire connu. C'est à l'image d'un Maupassant qui aurait attrapé la rage.
N'attendez rien d'amical et de sympathique de Léon Bloy. C'est un mendiant ingrat. Il prend votre temps, qui est aussi de l'argent, en vous laissant avec un sentiment de vide et de profonde désespérance.
mercredi 3 février 2016
Se sentir bien d'être un trou du cul
Joey avait tout perdu. Tout.
Il était lavé, rincé, lessivé.
Il n'avait plus d'emploi, plus de maison, plus de meubles et plus d'amis.
En désespoir de cause, il s'était trouvé un modeste studio situé au-dessus d'une cordonnerie qui avait fermé ses portes en raison d'une faillite.
Son studio aux murs blancs décrépis était vide.
On n'y trouvait qu'un tas de draps empilés l'un par-dessus l'autre qui faisaient office de matelas.
Il y avait aussi un verre d'eau à moitié vide. Une assiette et peut-être trois couteaux. Quelques vieux bouquins aux pages défraîchies. Un vieux radio qui diffusait uniquement la chaîne musicale de Radio-Canada.
Évidemment, Joey portait toujours les mêmes vêtements: un vieux jeans, un vieux gaminet, un vieux coton ouaté, un vieux manteau, de vieilles bottines, de vieux bas.
Il avait tout perdu. Tout. Mais il lui restait quelque chose comme de la béatitude.
Les échos du monde et de son ancienne vie de gérant de caisse populaire ne parvenaient plus jusqu'à lui. Les encaissements et les bilans pro-forma lui étaient devenus indifférents.
Il se levait à l'heure qu'il voulait et se couchait après avoir fait de longues marches qui le menaient d'une bibliothèque à l'autre où il pouvait lire tout son soûl des bandes dessinées et des nouvelles de Maupassant.
Ses malheurs étaient incommensurables. Pourtant. il avait trouvé un peu de sérénité dans cette dèche.
Il n'avait plus d'idées noires.
Le mode survie lui convenait tout à fait.
Fuck les obligations et les reproches qui les accompagnent inévitablement.
Fuck toutte.
Joey n'était plus rien.
Et pourtant. il se sentait enfin redevenir quelque chose.
Quelque chose de transcendant.
Quelque chose comme une feuille d'automne ballottée par le vent.
Quelque chose comme un soupir.
Ou bien un air de musique mystérieux et monotone.
Joey n'aurait jamais pensé qu'il se sentirait aussi bien d'être devenu un trou du cul.
Il était lavé, rincé, lessivé.
Il n'avait plus d'emploi, plus de maison, plus de meubles et plus d'amis.
En désespoir de cause, il s'était trouvé un modeste studio situé au-dessus d'une cordonnerie qui avait fermé ses portes en raison d'une faillite.
Son studio aux murs blancs décrépis était vide.
On n'y trouvait qu'un tas de draps empilés l'un par-dessus l'autre qui faisaient office de matelas.
Il y avait aussi un verre d'eau à moitié vide. Une assiette et peut-être trois couteaux. Quelques vieux bouquins aux pages défraîchies. Un vieux radio qui diffusait uniquement la chaîne musicale de Radio-Canada.
Évidemment, Joey portait toujours les mêmes vêtements: un vieux jeans, un vieux gaminet, un vieux coton ouaté, un vieux manteau, de vieilles bottines, de vieux bas.
Il avait tout perdu. Tout. Mais il lui restait quelque chose comme de la béatitude.
Les échos du monde et de son ancienne vie de gérant de caisse populaire ne parvenaient plus jusqu'à lui. Les encaissements et les bilans pro-forma lui étaient devenus indifférents.
Il se levait à l'heure qu'il voulait et se couchait après avoir fait de longues marches qui le menaient d'une bibliothèque à l'autre où il pouvait lire tout son soûl des bandes dessinées et des nouvelles de Maupassant.
Ses malheurs étaient incommensurables. Pourtant. il avait trouvé un peu de sérénité dans cette dèche.
Il n'avait plus d'idées noires.
Le mode survie lui convenait tout à fait.
Fuck les obligations et les reproches qui les accompagnent inévitablement.
Fuck toutte.
Joey n'était plus rien.
Et pourtant. il se sentait enfin redevenir quelque chose.
Quelque chose de transcendant.
Quelque chose comme une feuille d'automne ballottée par le vent.
Quelque chose comme un soupir.
Ou bien un air de musique mystérieux et monotone.
Joey n'aurait jamais pensé qu'il se sentirait aussi bien d'être devenu un trou du cul.