jeudi 5 décembre 2013
Désobéir
J'ai pris l'autobus de la ville hier. Je marche la plupart du temps. Ou bien ma blonde me prend pour copilote sur le siège du passager. Un copilote qui ne connaît rien à la conduite automobile et qui n'en partage pas moins son avis comme un député d'arrière-ban.
Pour ce qui est de l'autobus municipal, je n'ai pas coutume d'aviser le chauffard de la STTR puisque je ne m'assois jamais à l'avant sur «le banc des innocents», banc où s'agglutine tous les emmerdeurs de ces travailleurs syndiqués. Je délaisse le banc des innocents pour lui laisser faire son boulot dans les délais restreints qui font partie du karma d'un conducteur de bêtes. Et pour le reste, eh bien j'observe tout ce qui se passe autour de moi parmi la meute de mes semblables de différentes odeurs.
Il y a d'abord eu ce bonhomme dans la soixantaine avancée avec le front dégarni et le nez flasque.
-Ej'cré b'en que tout l'monde va se l'ver d'sa place en courant s'i' rentre une p'tite vieille ou bedonc' une femme a'ec ses flos... El' monde... El' cibouère de monde...
Il voulait dire, bien entendu, que le monde ne se levait pas trop pour les vieilles, les femmes, les enfants et les vieux bonhommes au front dégarni. Sinon son ironie serait incompréhensible.
Un peu plus tard, au transfert, j'embarque dans un autre bus encore plus bondé que le précédent. Il y a surtout des jeunes et ils sont debout. Moi je suis assis derrière. Personne ne se rend vraiment jusque là pour vous rendre mal aise d'être assis, compte tenu des effets appréhendés par la politesse et la chaleur humaine.
Un jeune homme qui ressemble un peu à Buddy Holly avec ses lunettes de corne n'a que le mot Ixeboxe en bouche.
-Moé man j'ai augmenté la mémoire de ma Ixeboxe en y crissant une carte mémoire de 500 gigues que j'ai trouvé sur un ancien décodeur que j'ai démonté chez mon dad... mon dad qui reste au Rochon...
-Phoque le capitalisme man! lui rétorque un autre gars, un peu gras, et la bouche pleine de ixeboxes lui aussi. Y'auront pas une cenne de moé les hosties d'crosseurs d'la construction pis d'la politique sale!
-Ouin i' vendent ça trop cher les sacraments... Moé ej'pirate toutte c'que j'peux pis y'a pas un tabouère de capitaliste qui va m'avouère man... Ej'paye rien... J'damneleaude au boutte de toutte c'que-cé que j'trouve moé-là... Qu'i' mangent d'la marde les capitalistes! Les droits d'hauteur c'est pour nous faire cracher el'morceau comme des esclaves man... À qui la rue man? À nous la rue!
-La révolution s'en vient man, ej'te l'dis man... I' vont pogner un hostie de deux minutes...
Le gros porte un Tee-Shirt Guy Fawkes du genre V pour Vendetta. Il se confond bien au décor de l'autobus puisque les bancs sont parsemés d'autocollants affichant le célèbre masque du groupe Anonymous avec la mention Desobey.
On pense que les jeunes ne parlent que de leur Ixeboxe et je ne les entends parler que de révolution.
Ce n'est pas que je la demande ou bien que je la souhaite. Mon opinion n'a rien à voir avec ce que j'entends ou bien ce que je vois.
Je constate que les jeunes demeurent généralement debout dans les bus quand ils sont bondés. J'en déduis que les petits vieux comme moi peuvent encore demeurer confortablement assis, pourvu qu'ils s'assoient dans le fin fond de l'autobus.
Pour ce qui est de la révolution, eh bien je ne sais trop quoi dire.
Sinon qu'il y a quelqu'un en ville qui s'amuse à placarder la ville avec des stickers Desobey.
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