lundi 10 août 2009
L'histoire d'un cendrier
Tchékhov pouvait écrire une nouvelle à partir de rien.
«Le jeune Tchéchov n'a-t-il pas dit un jour à Korolenko:
-Vous avez là, sur votre table, un cendrier. Voulez-vous qu'à l'instant j'invente un récit à son sujet?» *
C'est qu' «(un) génie a une telle richesse intérieure que n'importe quel thème, pensée, incident, objet peut provoquer en lui un flot intarissable d'associations d'idées.» **
L'histoire ne nous dit pas si Tchékhov a finalement écrit le récit de ce cendrier.
C'est donc qu'elle reste à écrire pour l'honneur des arts et des lettres.
Allons-y donc!
L'HISTOIRE D'UN CENDRIER
Il n'y avait rien dans ce cendrier. Pas de mégots. Pas de gommes. Ni d'arachides. Ce n'était qu'un gros cendrier de verre comme on en trouve un peu partout.
Ce n'était pourtant pas le cendrier de n'importe qui.
C'était celui de Ricky Rick, un bandit de peu d'envergure qui volait des bouteilles de shampoing dans les pharmacies et des cendriers dans les bars.
Et comme il avait volé ce cendrier, évidemment, ce n'était pas le sien.
Ce n'était pas le cendrier de n'importe qui, calice, c'était le cendrier du bar L'Arti-Show, le cendrier de Gonzo Lavergne, tabarnak, qu'il avait payé de sa propre poche dans un entrepôt de Québec spécialisé dans l'équipement de restauration. Ce n'est pas qu'ils valaient bien cher, ces gros cendriers bruns aux courbes simples.
-Hostie! disait Gonzo, j'me fais voler une vingtaine de cendriers par semaine! Achetez-en calice des cendriers! Ça coûte juste vingt-cinq cents!
C'était évidemment du temps où l'on pouvait fumer dans les bars, il y a fort longtemps.
Du temps où Ricky Rick, cet hostie d'trou d'cul, sévissait au centre-ville.
Une autre histoire de cendriers tournait autour de cet animal. Il paraît qu'il faisait passer du Old Dutch pour de la coke dans les bars. Pour faire saigner un peu du nez, il rajoutait de la poudre de verre qu'il obtenait en frottant deux cendriers de vitre translucide l'un contre l'autre.
On découvrit néanmoins son stratagème, d'autant plus facilement que sa poudre ne gelait pas du tout.
Et comme si ce n'était pas assez, voilà qu'il avait commis la double gaffe de voler un cendrier à Gonzo Lavergne après lui avoir vendu sa poudre de perlimpinpin qui récurait le nez et faisait saigner du nez.
-C'est lui qui m'vole mes cendriers, le tabarnak! Suzie l'a vu en train de voler un cendrier, hostie! Pis, en plus, faut que c't'hostie de crotte ambulante me r'file d'la poudre de vitre! Suzie l'a vu en train de fabriquer d'la poudre, l'hostie d'malade! M'en va's y régler son cas moé calice!
Suite à cela, on ne revit plus jamais Ricky Rick.
Certains petits brigands disparaissent dans le quartier sans jamais être retrouvés. Plusieurs prétendent qu'ils finissent dans le lit du fleuve avec des pantoufles en béton armé.
Je n'ai jamais pu le vérifier.
En attendant, j'ai acheté un petit cendrier au marché aux puces. Il est petit et brun.
Je ne sais pas ce que je vais faire avec puisque je ne fume pas.
Peut-être que je déposerai des arachides dedans.
______
Notes
* Paoustovski, La rose d'or, Gallimard, 1968, p.60
** Idem
ouais, sympa ton petit stratagème, mais en gros, tu te prends pour tchékov, quoi, si on retient le principal, hm ?
RépondreEffacerhéhé!
bon, évidemment, c'était assez sympa, comme d'habitude, vu que tu maitrises bien ton style d'orfèvre, mais personellement, j'ai été déçu à l'arrivée de "ricky rick".
"et allez", je me suis dit, "voilà le gaëtan qui nous prend la tangente, avec son ricky rick."
et le revoilà parti dans sa petite routine de description de petit malfrat d'entre deux zones, et finalement, déviation. le cendrier n'est plus qu'une excuse qui te permet de placer ton petit conte plus ou moins "moraliste" selon ce qu'on entend de l'histoire ou pas... on oublie complètement l'objet de départ pour se retrouver dans la réalité humaine banale avec ses histoires de bouteilles de shampoing et de limes à ongle usagés...
bon, évidemment, ça reste du gaëtan bouchard, un style inimitable dans le pastiche du quotidien pris sur le vif, et tout ça, mais à la fin...
ben en tant qu'animiste.. ce que j'en retiens, c'est qu'on perçoit un regard animiste, certes, dans tes petites peintures verbales, mais comme si les humains devenaient les objets, toujours les humains, perdus dans leurs poussières et leurs petites manies, et que le reste, oui, ça existe aussi, le décors, les stations services, les étals de supermarché, les bouteilles d'alcool, mais que ça reste toujours au second plan, bien qu'étant forcément essentiel aussi quelque part, et...
tain, à force de cogitation saugrenue, m'en vient à me dire que t'incarnerais le regard de ces objets animés par ton animisme, ou quelque chose comme ça, sur les humains plantés au milieu du décors, et... ouaiiiis!!! voilà!
tain, en voulant critiquer la facilité de ton truc de dévier du cendrier sur "ricky rick", j'en viens finalement à approfondir mon propre regard sur la chose, à découvrir une autre gamme de la palette! tu sais, le côté surréaliste à la jörn riel!!
j'ai compris en fait! ça viendrait peut-être que je finis par avoir l'impression qu'y a une âme cachée des choses, dans tes descriptions. quelque chose qu'on discerne mal, vu que c'est pas concrètement définit. une présence. en fait, comme le bol dans lequel tes petites histoires baigneraient, une colonne vertébrale invisible, un récipient, ou une charpente de cet univers.
c'est ça en fait, je crois, ouais! y'a quelque chose qui s'anime, en fond...
oilà. je sais plus ce que je voulais dire au début. vais me relire.
bon, ben ça va.
n'empêche, on aurait bien aimé savoir ce qu'en pensait le cendrier, ou connaitre son histoire à lui plutôt que celle de "ricky rick". parce que "ricky rick", hein!! à force!!
allé, bonne journée!
L'histoire du cendrier vu du dedans ça ferait un peu trop Alain Robbe-Grillet...
RépondreEffacerPar contre, j'abonde dans ton sens: je ne comprends pas toujours ce qui se passe dans mes récits. C'est comme si le récit me regardait et qu'il acquérait une vie propre que je ne m'explique pas autrement qu'en utilisant la métaphore d'un type qui baignerait dans la mer de l'Inconscient en criant «s'il-vous-plaît! je veux lire Tchékhov!»
alain-robbe-grillet, pas ta tasse de thé, hein ?
RépondreEffacerPas vraiment.
RépondreEffacerpourtant, c'est sympa de grignoter ça dans un jardin anglais en mangeant des petits gateaux secs, en plein milieu de cette roseraie magnifique.
RépondreEffacer