mercredi 10 juin 2009
COMME DES DÉTRITUS SUR LA PLAGE
La Sally est semblable à la plage où l'on trouve des tas d'épaves et de détritus.
D'abord, vous vous demandez sûrement c'est quoi, la Sally. Voyons! Tout le monde sait ça sur la squidrow, à Toronto. C'est le surnom que l'on donne au refuge de la Salvation Army, d'où la contraction Sally.
La Sally est sur Sherbourne Street. Juste en face de la Canada House Tavern. Au coin de Dunda's Street.
On y trouve des tas d'épaves et de détritus, dont des immigrés du Québec qui ne parlent pas un traître mot d'anglais.
Jack Tremblay s'y trouvait. Il était fauché. Et il attendait de recevoir son chèque d'aide sociale pour crisser son camp vers l'Ouest, histoire de ne plus être un chômeur de la côte Est.
Il était donc atterri là, comme un détritus sur la plage, sauf qu'il n'y avait pas de plage, juste la Sally, un vieil immeuble plutôt terne, avec des dortoirs et des types qui rient la nuit en disant «I'm gonna kill yo'» en un patois des mers du Sud ou bien en terreneuvien, sinon avec un fort accent français «ail am gôna to kil you!»
Il ne restait que deux jours avant de recevoir le fameux chèque d'assistance. Jack prenait donc son mal en patience. L'ambiance était sordide mais il n'était pas malade et tout le monde le craignait. Il survivrait à cela.
De jeunes punks de Montréal s'étaient acoquinés avec Jack. Ils attendaient leur chèque, eux aussi, et passaient leur journée à se geler de n'importe quoi, gobant des valiums ou buvant du sirop, n'importe quoi, pourvu qu'ils soient frostés. Ils volaient tout sur leur passage. Comme ils étaient trois, deux punks faisaient le guet pendant que l'autre chippait un sac de chips, des cigarettes, des biscuits au chocolat. Ils partageaient leur butin avec Jack qui, à prime abord, refusait les fruits du crime. Il finissait par faillir, à force de voir tout plein de riches sur les trottoirs de Toronto, riches et indifférents à la pauvreté, à la misère. Il finisssait donc par se faire une raison et mangeait des chips, fumait des cigarettes et savourait un bon biscuit au chocolat. À Rome, on fait comme chez les Romains. Et parmi les petits bandits, eh bien on fait pareil.
Les heures s'effritèrent. Puis ce fut le grand jour. Le jour du chèque.
Jack se présenta au bureau des Social Services sur Adelaide Street, tout près de la tour du CN. Il y avait là des tas de gens qui attendaient leur chèque, dont un gros Indien qui arracha un banc vissé au sol pour l'abattre plusieurs fois de toutes ses forces contre la vitre en plexiglass du guichet.
Évidemment, la distribution des chèques cessa sur-le-champ. L'Indien fut arraisonné par une dizaine de policiers qui semblaient avoir pris l'habitude de ce type de comportement au bureau des Social Services. Ce n'est pas pour rien que la vitre était en plexiglass...
Était. Parce que l'Indien avait réussi à la péter, la vitre en plexiglass.
Évidemment, tout le monde lui en voulait. La distribution des chèques avait été interrompue. De sorte que tout le monde devrait attendre quelques heures de plus avant de recevoir leur cash.
Finalement, Jack reçut son chèque. Il l'encaissa et se rendit immédiatement au terminus d'autobus de Toronto pour quitter cette ville de fous.
Il s'acheta un aller sans retour vers le village le plus près longeant l'autoroute transcanadienne d'où il pourrait poursuivre son périple sur le pouce.
Dans l'autobus qui l'extirpait de Toronto, Jack se sentait bien. Son âme était en paix. L'enfer était derrière lui. Le paradis s'ouvrait, tout devant. Et le paradis, eh bien, c'était l'Ouest, encore l'Ouest, toujours l'Ouest.
-I don't wanna live like a fuckin' worm... se disait-il en lui-même, pour pratiquer son anglais et améliorer sa condition sociale.
Quatre jours plus tard, Jack était quelque part sur l'île de Vancouver, à contempler les cèdres rouges, les salmonberries et l'Océan Pacifique. Il travaillait dans une petite fabrique de caissons de bois. Il s'était fait une blonde. Et il avait un beau petit logement avec poêle, lit et frigidaire. Il mangeait huit repas par jour. Fêtait un peu. Faisait de la musique. Faisait l'amour sur la plage.
Que demander de plus à la vie?
rien.
RépondreEffacerComme toujours, tes commentaires sont éloquents monsieur oAo, *, Oscar Savage et autres nombreux avatars.
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